« La dernière fée de Bourbon » d’Ophélie Bruneau

Comme Margaret Mitchell (auteur du best-seller Autant en emporte le vent), Ophélie Bruneau nous fait vivre une époque historique à travers le regard, les savoirs fragmentaires, les préjugés, les tabous et les croyances des personnages. Comme elle, elle dénonce le dressage des demoiselles de la bonne société.

Mais bien loin d’exalter les charmes et le raffinement d’une société esclavagiste, elle fait de son récit un hymne à la liberté de pensée, l’anticonformisme et la fraternité. Le récit se situe à la fin du 19e siècle, dans une île de la Réunion parallèle (appelée à l’époque « Bourbon », d’où le titre.), qui en 1814 n’aurait pas été rendue à la France par la Grande-Bretagne.

Les mentalités et les mœurs sont bien celles de l’époque, l’auteure ne modifie pas la géographie de l’île et reprend certains patronymes et toponymes. Mais aux populations humaines venues d’Afrique, d’Asie ou d’Europe qui font de ce lieu un creuset multiculturel, elle ajoute des races non humaines : des élémentaux appelés diwas et… une fée, bien sûr.

L’auteure arrive parfaitement à lier un arrière-fond historique consistant et crédible à des personnages dotés d’une véritable épaisseur psychologique, et l’équilibre n’est pas facile à trouver. Ainsi, les bouleversements nés des conflits et des tensions agitant la colonie britannique vont permettre à Lisha, l’héroïne, de vivre une grande aventure et d’évoluer bien au-delà du personnage dans lequel toute son éducation visait à l’enfermer, car une femme, interdite de science et de politique, ne saurait être que l’ange du foyer.

De plus, Lisha est issue de l’une des familles francophiles, « coupables » de rébellion contre Sa Majesté britannique, auxquelles les autorités ont arraché les cadets qu’ils ont fait adopter par des familles anglaises loyalistes, sur l’île Maurice. Au début, le conditionnement paraît tout à fait efficace. Persuadée qu’elle accomplit son destin de femme, Lisha épouse un officier de l’armée anglaise, Narcisse Blandron.

Elle est gênée que son mari l’embrasse en public, blâme sa demi-sœur de lire des livres scientifiques, rejette tout contact avec son père biologique, s’efforce de garder une distance séante avec les domestiques, s’affole de rater une messe, se signe superstitieusement en apercevant un diwa, démon aux dires de l’Église, considère le parti indépendantiste des Pailles-en-queue (ainsi nommés en hommage à un oiseau de l’île) comme un ramassis de séditieux et de traîtres et veille à ne jamais susciter de jugement négatif par une conduite un tant soit peu originale ou indépendante.

Sa vie bascule lorsqu’alors qu’elle se rend en couple à une invitation, leur voiture est attaquée. Son mari est tué et elle-même ne doit la vie qu’à la présence d’esprit de Kala, sa servante. Rencontrant des personnalités hors normes rejetées par la bonne société, quittant sa vie formatée, Lisha sort de la gangue mentale qui l’emprisonne. Payée au prix fort, par des épreuves, des désillusions, des deuils et des souffrances, cette accession de Lisha à sa véritable personnalité, intelligente, courageuse, altruiste, constitue l’enjeu principal du récit sans nuire à sa dimension historique et fantastique.

Car la jeune femme va jouer un rôle de premier plan comme pacificatrice dans les intrigues politiques qui manquent mettre l’île à feu et à sang, et aussi dans une évolution positive des rapports entre diwas et humains et le salut spirituel de la dernière fée de l’île.

On l’aura deviné, ce roman est un régal à lire. On ne le lâche plus une fois commencé. Certes, il n’y a pas de bagarre à toutes les pages, mais l’action, l’intrigue, le suspense ne manquent pas. L’auteure excelle à nous mettre en empathie avec ses personnages, à nous promener pour notre plus grand plaisir dans les magnifiques paysages de la Réunion et à nous faire ressentir le plus grand charme de l’île  : son métissage et culturel et culinaire !

Chronique de Marthe ‘1389’ Machorowski

A propos de Christian

L'homme dans la cale, le grand coordinateur, l'homme de l'ombre, le chef d'orchestre, l'inébranlable, l'infatigable, le pilier. Tant d'adjectifs qui se bousculent pour esquisser le portrait de celui dont on retrouve la patte partout au Club. Accessoirement, le maître incontesté du barbecue d'agneau :)

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