« Les Montagnes hallucinées et autres récits d’exploration » de H. P. Lovecraft

Les montagnes hallucinées-hp-lovecraftComme il est dit dans la préface rédigée par le traducteur lui-même et qui commence comme une sorte d’avertissement, on peut souvent se demander si c’est bien le lecteur qui choisit de lire un livre, ou si c’est ce dernier qui choisit son lecteur. Bon, au-delà de la formule, histoire de donner une sorte d’aura fantastique au présent ouvrage (avec Lovecraft, le Necronomicon, le livre « qui rend fou », n’est jamais très loin), dans cette préface fort pertinente, David Camus nous parle de son métier de traducteur mis en perspective avec l’œuvre de l’auteur de Providence, qu’il a découverte à l’âge de douze ans, mais qu’il n’a appréhendé vraiment, presque trente ans plus tard, qu’en la traduisant.

Car, bien évidemment, ce dont il est question avec ces Montagnes hallucinées et autre récits d’exploration publiées en 2013 par Mnémos, c’est de proposer au lecteur une traduction qui tienne la route (sans parler d’une version définitive, car sur ce point seul l’avenir nous le dira…), contrairement à toutes celles qui, jusque-là, n’ont jamais su, semble-t-il, transcender vraiment l’œuvre de Lovecraft.

  • Dagon (Dagon, 1917, publié en 1919 dans The Vagrant, puis dans Weird Tales en 1923).

Dans ce texte très court, un marin de la première guerre mondiale échappe à l’ennemi et trouve, après quelques jours d’errance, une bien étrange île. Un texte qui pourrait paraître anecdotique s’il n’était considéré par beaucoup comme fondateur. À juste titre sûrement, déjà, parce qu’il s’agit du premier texte publié par Lovecraft dans Weird Tales.

  • La Cité sans nom (The Nameless City, 1921, publiée en 1921 dans Wolverine, puis dans Weird Tales en 1928).

Dans cette nouvelle, on suit le narrateur (dont on ne sait trop rien) qui découvre, au fin fond du désert d’Arabie, la Cité sans nom, ville maudite s’il en est. Parmi les nombreuses figures « historiques » évoquées par cet homme, il y a le « fameux » Alhazred, l’Arabe fou qui serait l’auteur du non moins fameux Necronomicon. Encore une fois, on a droit ici à un texte assez mineur dans l’œuvre de Lovecraft, qui n’a qu’un lointain rapport avec le sous-titre du présent recueil.

  • Prisonnier des Pharaons (Imprisoned with the Pharaohs, titre original : Under the Pyramids, 1924, signée Harry Houdini et publiée en 1924 dans Weird Tales).

Dans cette nouvelle de commande, H. P. Lovecraft joue les ghost writers pour le célèbre magicien dont il narre les aventures à la première personne. Alors, même si on sent une grande admiration de Lovecraft pour Houdini, l’auteur prend des libertés avec son « héros » pour lui faire vivre des aventures incroyables tout en se moquant, au passage, un peu de lui aussi. Au final, un texte assez anecdotique, vite lu, vite oublié.

  • L’Appel De Chtulhu (The Call of Chtulhu, 1926, publiée dans Weird Tales en 1928).

Un jeune homme hérite de son grand-oncle tout un tas de documents portant sur un culte ancestral qu’il prend tout d’abord pour des faux. En menant son enquête, il se rend très vite compte que ce qu’il pense être une supercherie se révèle être la vérité. Jusqu’où pourra-t-il aller pour le vérifier ? Dans ce texte incroyable par sa construction narrative, Lovecraft jette les bases de ce que d’aucuns considèrent comme le plus grand mythe moderne qui contribue à la grande notoriété de l’écrivain de Providence. Malgré des délires racistes et xénophobes (imputables à Lovecraft ou juste au narrateur ?), qui sont aussi le reflet d’une époque, H. P. Lovecraft nous sert ici un texte magistral qui n’a vraiment pas usurpé sa réputation d’œuvre majeure. Et pour avoir lu il y a quelques temps déjà la version traduite par Jacques Papy et Simone Lamblin, je peux affirmer que cette traduction-ci est nettement plus fluide, rendant au mieux le texte d’origine. Peut-être cette nouvelle justifie-t-elle à elle seule l’achat du recueil tout entier.

  • Les Montagnes hallucinées (At the Mountains of Madness, 1931, publiée dans Astounding Stories en 1936).

Dans cette longue nouvelle (que l’on pourrait presque appeler court roman, mais ne chipotons pas) qui donne une partie de son titre au recueil, on suit un groupe de scientifiques partis en Antarctique dans le but de trouver de quoi décourager ensuite toute nouvelle campagne d’exploration. Bien sûr, l’expédition ira de catastrophe en catastrophe, jusqu’à la découverte d’une civilisation antédiluvienne qui pourrait avoir ses origines ailleurs que sur Terre. Dans ce récit qui se situe très clairement dans le cadre de la Science-fiction, Lovecraft sait à merveille distiller les éléments qui vont, progressivement, faire tomber ses pauvres protagonistes dans des abîmes d’horreur. Et le lecteur avec ! Et toute la force de la plume de l’auteur réside dans le pouvoir d’évocation des mots qu’il emploie et que, là encore je n’en doute pas une seconde, le traducteur a su transmettre au lecteur francophone. Cent-vingt pages de pur bonheur de lecture !

  • Dans l’abîme du temps (The Shadow of the Time, 1935, publiée dans Astounding Stories en 1936).

L’ultime texte du recueil nous emmène cette fois-ci en Australie. En effet, N. W. Peaslee, un professeur d’économie émérite subit un jour une attaque cérébrale qui provoque en lui une très étrange amnésie. Durant cinq années dont il ne sait rien, son corps semble mu par une entité supérieure. Après son « réveil », il décide de comprendre ce qui lui est arrivé. Bien des années plus tard, il est contacté par le professeur Mackenzie qui lui dit avoir découvert quelque chose qui pourrait avoir un lien avec son histoire. Commence alors un voyage aux antipodes qui le mènera jusqu’aux bords de la folie… Là encore, nous tenons un texte des plus recommandables, qui n’a pas à souffrir la comparaison avec les deux qui le précèdent. Pourtant, l’intensité dramatique des Montagnes Hallucinées, aurait pu être le point d’orgue de ce recueil, alors que Dans l’abîme du temps, malgré toute sa puissance, semble n’être qu’une redite. Un peu dommage, mais rien de rédhibitoire.

En conclusion, avec ce recueil, les Éditions Mnémos semblent avoir mis tout le monde d’accord. Les amateurs de Lovecraft qui, malgré les textes mineurs, trouvent ici leur bonheur avec cette nouvelle traduction, et les néophytes, pour qui Les Montagnes hallucinées et autres récits d’exploration pourrait être une excellente porte d’entrée dans l’univers foisonnant de l’écrivain de Providence.

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