« Morts Dents Lames », anthologie hommage à la violence

Morts dents lames« L’injustice appelle l’injustice ; la violence engendre la violence. »

Henri Lacordaire, Pensées.

Dans une société où la peur et la violence règnent en maîtresses absolues sur notre quotidien, était-il utile d’éditer un recueil de nouvelles sur ce thème ? Après m’être repu de chacune de ces sanglantes histoires, je dirais : c’est une nécessité !

Le titre, dont l’écho se retrouve au plus profond de chaque texte, titillait déjà grandement mes papilles. Lorsque j’ouvris le menu composé de 19 plats de viande rouge, je ne pus m’empêcher de saliver : crue, bleue, saignante, à point, tannée, pelée, écorchée… Déjà, les effluves de ces mets à venir aiguisaient mon désir. À l’image d’un succulent banquet, la première nouvelle ouvre l’appétit pour la seconde qui, elle-même, donne envie de dévorer la suivante. Un véritable assortiment d’histoires cuisinées aux petits oignons selon plusieurs techniques culinaires : tandis que certaines fleurent bon l’ambiance poisseuse, d’autres nous éclaboussent littéralement de jus de viande chaud qui tache. Néanmoins (en un mot), au sein de ce défilé de plats concoctés par les chefs cuisiniers et autres commis, certains se distinguent par leurs saveurs épicées et entêtantes :

Anatomie, une histoire de l’âme due à Olivier Caruso, nous fait voyager en guêtres mitées dans le Paris nauséabond du 19e siècle en compagnie d’une fillette qui se confectionne des « marionnettes » avec les excédents de corps humains qu’équarrit son père anatomiste. Poisseux. Les frangins du 77, de Lilian Bezard, se présente comme une assiette de vengeance aveugle qu’un jeune handicapé sert bien froide à la gent féminine, source de ses blessures intérieures. Malsain à souhait. De revanche sanglante, il en est aussi question dans Le thriller de Mouton Gris de Gaëlle Etienne qui met en avant un adolescent souffre-douleur atteignant le point de rupture. Triste et cruel. Mathieu Fluxe, quant à lui, nous assaisonne une assiette délicieusement nommée Poupées Larsen : un pari relevé, suivi d’une séance d’incantations, lie deux sadomasochistes de manière sensitive ; les supplices que s’inflige l’un sont ressentis par l’autre au même instant. Aussitôt s’engage une compétition des plus intenses.

Entre deux de ces plats gourmands arrosés de rouge, je tentai l’impossible : rationaliser cette avalanche de violence en me persuadant de la bonne santé mentale des nouvellistes. Cela malgré l’évidence de troublantes expériences vécues et autres visions démentielles à souhait. Non contents d’entraîner le consommateur friand de chair fraîche que je suis en divers lieux et époques, ces maîtres queux perturbés, pour le plus grand bonheur de mes sens, intègrent et mélangent habilement leurs personnages à l’Histoire. De plus, la cuisson al dente de leurs mixtures crée fréquemment l’urgence de changer de sous-vêtements à la moindre occasion : nécrophilie, tortures, amputations, dépeçages, hystéries rageuses, viols, cannibalisme et j’en passe. Violences physiques, sexuelles ou morales, style percutant ou insidieux, tout est bon pour combler ou déranger à satiété, c’est selon.

Bien entendu, le format court ne permettant pas toujours d’approfondir l’étude morale des protagonistes, certains peuvent paraître esquissés. Afin de pallier cette carence alimentaire pour l’esprit, plusieurs auteurs nous ont mitonné une violence plus graphique. Le but avoué, et atteint, de cette anthologie est définitivement de rassasier tous types d’appétits brutaux !

Malgré ce feu d’artifice savoureusement glauque qui fait dresser la pilosité à tout-va, un petit cheveu tombe dans cette soupe aux saveurs inquiétantes : l’absence d’humour se fait cruellement sentir. À l’exception du zeste de drôlerie qui relève les biographies introduisant chaque histoire, il aurait été de bon goût de la part des auteurs de saupoudrer leurs plats de quelques pincées d’esprit, entre deux soubresauts d’agonisants. Le tout afin de laisser souffler le lecteur et de rendre l’ensemble plus percutant. Je reconnais tout de même avoir laissé s’échapper quelques sourires involontaires provoqués par certains sommets de violence parsemant ce menu. Par moments, celle-ci dépasse tellement les limites du raisonnable qu’elle en devient irréelle et, par conséquent, risible.

Hormis ce léger manque de condiments, je défie quiconque de ne pas grimacer de plaisir, ou de dégoût, en se délectant de cette ripaille malsaine et répugnante qui marquera douloureusement chaque lecteur au fer rouge.

Morts Dents Lames ne s’apparente pas à une œuvre culinaire dont les ingrédients se trouvent au rayon des surgelés, mais plutôt à la carte d’un menu gastronomique que vous tend le directeur d’un abattoir sordide. Là, gourmets et curieux au cœur bien accroché se régaleront sans modération de ces nouvelles, à s’en faire littéralement éclater la panse.

Chronique de Sam Soursas

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