« The city & the city » de China Miéville

The city & the city de China MiévilleCe roman est l’un des plus récompensés de ces dernières années avec pas moins de cinq prix majeurs dont les Locus et Hugo ! Cette avalanche de trophées génère forcément une assez grande attente chez le lecteur. Voyons si ce livre tient ses promesses.

L’histoire nous mène à la rencontre de Tyador Borlù, inspecteur à la policzai de Beszél. Il enquête sur le mort d’une jeune femme retrouvée dans un terrain vaque. Il va découvrir qu’il s’agit d’une étudiante américaine effectuant des fouilles archéologiques dans la ville jumelle d’Ul Qoma et que les circonstances de la mort sont pour le moins étranges. Les investigations de Borlù vont l’amener à traverser la frontière et à travailler avec un collègue de la militsya, puis à enquêter sur Orciny, cette troisième ville mythique que l’on dit enchâssée entre les deux premières. En effet, ce sujet qui passionnait la jeune étudiante, avait attiré sur elle l’attention d’hommes très puissants. Le complot politico-économique va se resserrer de plus en plus autour des policiers et des amis de l’étudiante, ajoutant un peu plus de tension aux contraintes de vivre là. Plus d’une fois sur le fil du rasoir, Borlù va se retrouver confronté finalement à la Rupture, la police secrète qui veille au strict respect de la frontière qui sépare Beszél d’Ul Qoma.
Car c’est là que se trouve le tour de force de Miéville : imaginer une ville double où les habitants se croisent sans jamais se voir. La séparation entre les deux villes ne ressemble pas au mur de Berlin qui partageait de manière claire les parties est et ouest de la capitale, ou au mur qu’élève Israël pour protéger ses colons. Non, la séparation ressemble plutôt à celle des villes cosmopolites où deux communautés se côtoient sans vraiment se mélanger. Je pense en particulier aux anciennes villes de Yougoslavie, d’avant la guerre civile, où Serbes orthodoxes et Bosniaques musulmans vivaient dans une harmonie précaire. A la lecture du roman, on s’aperçoit que Miéville s’en est sans doute inspiré, aussi bien dans la géographie, les deux villes étant situés de manière assez imprécise dans les Balkans, que dans la typologie des patronymes employés, les noms reprenant les sonorités des langages de l’est de l’Europe.
Ainsi, les habitants de Beszél ne doivent en aucune manière interférer avec la vie des habitants d’Ul Qoma, ils ne doivent pas les regarder (le terme « éviser » est employé dans le texte), pas les entendre (« inouïr »), bref, ils doivent faire comme si ils n’existaient pas. Mais ce qui est déroutant, c’est que les deux villes s’interpénètrent complètement. Si des sites se retrouvent complètement à Beszél ou à Ul Qoma (on parle alors de sites « pleiniers »), de nombreux autres endroits sont « trâmés », un immeuble appartenant à Beszél, le suivant à Ul Qoma, etc. Alors sur un même trottoir, vivent les habitants des deux cités sans jamais se rencontrer ; dans les rues, les voitures appartenant à chacune des deux villes se croisent et s’évitent…
Cette construction exagérée jusqu’à l’absurde fonctionne incroyablement bien. Et de ce point de vue, la progression du récit permet au lecteur de découvrir petit à petit les règles et l’éducation nécessaires aux habitants des deux villes pour ne pas avoir affaire à la Rupture. L’enquête de Borlù se révèle aussi tortueuse que le sont les deux villes et le lecteur se retrouve rapidement happé aussi bien par les investigations de la police que par la découverte de cet univers de « science-fiction actuelle ». Fort est de constater que le roman tient bien ses promesses.
J’aurais une critique un peu plus négative sur les dialogues qui émaillent le récit : ils sont nombreux, mais assez étrangement, un certain nombre d’entre eux ne me paraissent pas fonctionner, sans que j’arrive vraiment à savoir pourquoi. Cela est peut-être voulu afin de montrer les différences de culture entre les inspecteurs des deux villes ? Le fait est que même si les informations sont bien transmises au cours de ces dialogues, ils sonnent souvent faux, décalés. J’avoue que cela a un peu réduit le plaisir de lecture.
Néanmoins, on tient là un roman de tout premier rang qui impressionne par la maîtrise de l’auteur à inventer un univers à la fois très proche du notre et pourtant si étrange(r). Un bon moment de lecture qui fait également réfléchir aux fractures plus ou moins tangibles qui rongent nos propres villes…

 

Chronique de Marc Pernot

Éditeur Fleuve Noir
Auteur China Miéville
Pages  391
Prix 20€

A propos de Richard

"Ça mériterait un bon coup de pinceau" que j'ai eu la folie de dire. "Tiens voila les clés" fut leur réponse. Voila comment on se retrouve webmaster chez PdE...

Consultez aussi...

« Le Troisième Exode » de Daniel Mat

Il y a un siècle de cela, ATMOS, un réseau d’intelligences artificielles, a quitté la …

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.