Votes pour le match d’écriture des Utopiales 2016 : « Fatal reboot »

« FATAL REBOOT »

Pour les amateurs de Windows, voici un mot qui est passé dans le langage courant (oui, c’est du troll, et alors ?). Le mot « fatal » évoquerait d’ailleurs le fameux « écran bleu de la mort » que nous avons pour la plupart expérimenté dans la douleur. Mais jusqu’où peut aller le « Fatal » …

  • Le bouton Cancel
  • Populous inside
  • Fatal redémarrage
  • Sauvegardez-vous
  • Moment de détente
  • Fatal Robot

LE BOUTON CANCEL

Je ferme la porte de mon appartement. Enfin rentré du boulot, après une journée de boulot pas si longue mais fatigante. Je ne m’en plains pas, cela dit : il y a à peine six mois, on me considérait en fin de sursis, déjà miraculé d’avoir tenu si longtemps face à la maladie. Mais le plan de couverture médicale étendu aux implants avait été voté, je passais donc de condamné sans appel à aisément soignable. Merci, les législateurs, d’avoir sauvé la vie de centaines de gens qui ne pouvaient pas s’offrir ces implants si couteux.

Nous vivons une époque miraculeuse, quand même : mes défaillances cardiaques qui se sont avérées congénitales réglées simplement par un petit bijou technologique. J’avais déjà eu un implant, il y a quatre ans. Une belle rétine numérique, pratique pour mon métier d’archiviste. Une des technologies les moins couteuses, quand on parle d’augmentation, mais tellement essentielle pour mon métier que je ne regrette pas la somme affolante qu’elle m’a couté. Je ne suis pas particulièrement pour l’augmentation, mais certains de ces implants disponibles pour le grand public sont des outils incroyables. Et d’autres, comme mon cœur, des miracles contre lesquels même les plus fervents opposants à ces technologies ne disent pas un mot.

Avec ma nouvelle prothèse, les chirurgiens ont aussi changé gratuitement mes implants de contrôle cérébraux. En plus de me permettre de contrôler ma rétine, ces nouvelles versions font en sorte que mon cœur réagisse comme un vrai, afin que j’aie une vie normale, que je puisse faire du sport, tout ça. Ils m’ont de surcroit permis de mieux exploiter le potentiel de mon œil câblé. Quand je suis sorti de rééducation, il y a à peine deux mois, j’ai été instantanément repris dans mon ancienne boîte : ils savaient que j’avais eu un upgrade qui allait me rendre encore plus rentable. Ils m’ont en plus proposé un salaire que je ne pouvais pas refuser, malgré des horaires aléatoires et assez lourds.

La machinerie qu’on m’a implanté m’a certes rendu plus fiable, question boulot, mais elle me permet aussi de me simplifier la vie le reste du temps. Là, par exemple, je sais qu’il me reste exactement trois bières dans le frigo, à température idéale. Plus besoin de gadget externe pour mes applications domotiques, les informations s’inscrivent directement dans mon œil. Niveau confort au quotidien, ça change quand même la vie. J’en prends une et je vais m’affaler dans le canapé. J’allume l’écran au mur et fait défiler le programme. A défaut d’envie particulière, je mets les infos le temps de me décider. Je peux enfin souffler.

« … n’acceptez surtout pas. Un bug s’est glissé dans cette dernière mise à jour, qui ferait tomber en panne vos implants. On estime pour l’instant les victimes à plusieurs centaines, entre les accidents causés par la panne d’implants et les arrêts purs et simples de fonctions essentielles. Donc ne finalisez surtout pas cette mise à jour… »

Je n’écoute plus, mon sang se glace d’un coup. Foutue connexion au réseau automatique, c’est pratique d’habitude mais là je n’en suis plus si convaincu. J’appelle l’interface de contrôle de mes implants. Juste à temps pour voir la barre de chargement se terminer.

99%.

100%.

« Redémarrage requis. Redémarrer maintenant ? »

Je sélectionne l’option. Surtout, ne pas redémarrer. Ne pas finir d’installer cette mise à jour.

 Annuler.

Je ne suis pas passé loin. Je vais dans les options et désactive le redémarrage automatique qui s’enclenche si je n’agis pas pendant une heure. J’affiche sur l’écran  du salon les communiqués sur le site du constructeur, pour savoir si une solution a été trouvée et…

« Pour finaliser la mise à jour, un redémarrage est requis. Redémarrer maintenant ? »

Annuler à nouveau. Pourquoi mon implant ne veut pas comprendre que je n’en veux pas, de sa mise à jour pourrie ? Je jette un œil au communiqué sur l’écran : le problème vient de la finalisation. Le redémarrage, rarissime et ne concernant que des mises à jour majeures,  plante au lieu d’être quasi instantané et les implants ne se réactivent pas. J’ai des sueurs froides : mon cœur est mécanique, si par malheur je redémarre j’y passerai.

Annuler.

Toutes les trente secondes, ce foutu rappel. Ça va me rendre dingue. Pas le choix, je vais devoir aller à l’hôpital. Les machines sur lesquelles ils m’avaient branché en attendant mon opération permettront de faire le boulot le temps qu’une solution soit déployée pour corriger cette mise à jour.

Annuler.

J’enfile à la va-vite une paire de chaussures et passe mon blouson. Je dévale les escaliers et sors de mon immeuble. Dehors, le chaos : des voitures encastrées les unes dans les autres, voire dans des arbres ou des murs. Des gens effondrés par terre, sans connaissance ou appelant à l’aide, un membre mécanisé les ayant lâchés. Je pars en courant en direction de l’hôpital.

Annuler.

Mon cœur tout neuf bat bien la mesure, efficace comme d’habitude. Comment est-ce qu’ils ont pu laisser passer un bug pareil, ces ânes ? Au prix de leur matériel, on pourrait s’attendre à ce qu’il ne fasse pas d’erreurs aussi grossières, surtout pour du suivi censé améliorer leurs produits. Je déboule sur un boulevard, qui a l’air dégagé. L’hôpital n’est plus très loin, je vais pouvoir éviter le pire.

Annuler.

Je commence à traverser en courant, et entends le bruit de frottement caractéristique de pneus sur l’asphalte. Je tourne la tête pour voir, à travers son pare-brise, un conducteur de camion, ses bras mécaniques ballants ne pouvant toucher le volant et la bouche grande ouverte sur un hurlement que je n’entends pas.

Contrainte 1 Un grimoire qui se goûte
Contrainte 2 Alerte orange

POPULOUS INSIDE

Dans un futur pas si lointain … non je pense pas qu’on puisse commencer une histoire comme ça. Bon je pense que je vais faire simple. On est en 2087, l’humanité n’a que peu évolué. On détruit toujours autant l’environnement, quelques espèces animales ont disparu (et oui on arrête pas). Pour faire oublier un peu le bazar qu’on a mis sur cette planète des chercheurs ont développé un système permettant d’immerger un humain dans un espace virtuel et d’en éprouver toutes les sensations. Les gens passent beaucoup de temps dans ces univers. Ils sont pas mal variés ça va de l’époque romaine (où l’on va presque uniquement pour participer aux gigantesques orgies) à des univers de science-fiction ou des guerres interstellaires ont lieu. Perso je suis plus fan d’un univers où l’heroic fantasy et la science-fiction se mêlent super bien appelé « Sembopa ». Il est plutôt classique mais a une saveur toute particulière pour moi. C’est ici que j’y ai rencontré mes meilleurs potes. Enfin ça c’était avant que tout parte en vrille. On nous disait : « le Système permet de vous faire ressentir toutes les émotions des jeux, mais vous protège si quelque chose devait vous arriver aussi bien dans le jeu que dans la vraie vie. Il vous déconnectera en urgence pour éviter les lésions. » Vous pensez bien qu’avec ce genre d’argument les gens on fait des univers de véritable défouloir où les plus sombres parts de l’homme se révèlent.

Mais trêve de présentation pompeuse, je vais vous expliquer ce qui nous est arrivé à mon groupe et moi-même. Alors que nous étions en train de faire un premier contact avec une race alien, une alarme retentit dans le bâtiment. Les parois intelligentes de l’habitacle se tintèrent en orange. Les aliens présents ne semblèrent pas réagir à cette soudaine explosion de son et lumière. Josh se tourna vers moi :

– C’est un event tu crois, ou ça fait partie du script ?

Josh c’est notre tête, un développeur informatique. Il a un peu tendance à tout analyser sans ressentir ou être dans l’instant présent.

Celestia sortit ces armes, un katana et un bouclier énergétique. Elle se met en posture d’attaque, prête à foncer sur les aliens qui continuent leur discours sur l’entrée de leur espèce dans la fédération de la voie lactée.

– Si ça prévoit de la baston, je suis prête à leur exploser la tronche.

Celestia c’est notre force de frappe, un véritable garçon manqué. Elle a tendance à être un poil sanguine et foncer dans le tas si la situation ne lui convient pas. Celui qui menait la rencontre était notre chef, Kevin, tourna légèrement la tête vers Celestia.

– Calme-toi Cel, on va voir comment ça se déroule.

Kevin était un super bon joueur et un très bon tacticien, il arrivait à canaliser Celestia pour appliquer les strat permettant de faire tomber des boss qui auraient nécessité 2 à 3 fois plus d’effectifs. Il se tourna vers moi.

– Prépare tout de même quelques medipack. On est les premiers à faire cette rencontre, on sait pas comment ça peut se passer.

Ha mais oui je vous ai pas dit, on m’appelle Doc dans le jeu et mon rôle est de soigner ces bourrins pour qu’ils puissent continuer à se mettre sur la tête.

J’acquiesçai et vérifiai les paramètres des nano réparateurs. C’était un peu difficile de se concentrer avec les lumières changeant rapidement. Lorsque je me reconcentrai sur la rencontre avec les aliens je les vis sortir d’une caisse un ancien grimoire. L’objet devait avoir pas loin de 300 ans. Ils le tendirent à Kevin, qui l’accepta avec révérence. Les aliens sortirent de la pièce comme d’un seul homme nous laissant avec ce gigantesque livre. Une forme rentra dans la pièce à la suite des aliens. La forme était indistincte, on aurait dit un avatar mal fini du jeu. Du coin de l’œil, je vis Josh froncer les sourcils avec un air sur le visage disant : « c’est quoi ce bordel ? ». La forme nous toisa de toute sa hauteur et s’exprima avec une voix modifié par quelques logiciels.

– Bienvenu dans mon monde, je suis le concepteur principal de ce jeu. Vous êtes les premiers à avoir découvert cette quête. Si elle est si bien cachée c’est pour une principale raison. Cette quête est mortelle.

– C’est sûr qu’on s’emmerde vachement dans ta quête, Celestia les armes aux poings regarde avec méfiance la silhouette. On la finit comment ta quête à la con ?

– Tu as mal compris petite conne, quand je dis mortelle. C’est que vos Système sont à présent sous mon contrôle et j’ai fait sauter les sécurités qui assuraient vos survies. Par exemple si je te tue maintenant tu meurs en vrai.

Un sourire carnassier se dessinât sur le visage de Celestia. Je décidais de vérifier en vitesse les paramètres de mon Système, je vis rapidement que ce qu’il a dit était vrai et qu’il nous était impossible de nous déconnecter pour le moment. Je vis que Josh avait fait les mêmes vérifications que moi.

– Attends Cel !!

Mais ce fut trop tard, en à peine une fraction de seconde elle se déplaça vers la forme Katana tendu en avant et d’un revers de main la forme coupa en deux Celestia. Au lieu de voir l’avatar de  Celestia tomber en morceau de pixels, nous vîmes avec horreur que les deux morceaux de son corps retombèrent mollement au sol. Nous entendîmes le hurlement de celestia résonner à travers la pièce. Elle était encore vivante et ressentait la douleur d’un corps coupé en deux. En un instant je lançais mon drone médecin et les quelques nano-robots réparateurs que j’avais déjà préparé.

– Ce que tu fais est inutile petit médecin, les cris que tu entends vont bientôt s’arrêter. Elle a juste hurlé lorsqu’une décharge électrique croissante a brulé son cerveau.

Je vis alors Kevin et Josh tomber à genoux. Le premier riant comme un dément, le second pleurant toutes les larmes de son corps virtuel. Je restais choqué que l’on puisse tuer quelqu’un comme ça.

– Putain, mais tu veux quoi ?!

Les larmes aux joues, Josh avait hurlé tellement fort que ça m’a sorti de ma transe.

– C’est simple avec les informations que vous avez récoltées sur cette race, vous devez trouver ce que vous devez faire de ce grimoire qu’ils vous ont donné.

Je passais rapidement en revue ce que nous savions de ces créatures, elles ont l’apparence de tortue, c’est une civilisation qui a plusieurs millénaires, elles sont psyactives, elles sont aveugles et se guident grâce à un système de sonar, elles communiquent principalement par énigmes, ce qui a rendu les discussions principalement longue et chiantes. Au fur et à mesure que je me remémorais les différentes caractéristiques de leur race, je les énumérai à voix haute. Kevin m’interrompit au bout d’un moment.

– Attend ! Elles sont aveugles ! Alors pourquoi un foutu grimoire ?

Josh compris rapidement.

– Je crois que cette espèce conserve ces souvenirs, son histoire et ses œuvres en modifiant la structure des supports sur lequel elle écrit … et elles doivent goûter au support.

Kevin pris rapidement le livre, l’ouvrit et léchât une page. Je le vis tomber au sol les yeux dilatés, le grimoire entre les mains. Josh s’avança doucement sous le regard de l’avatar où l’on devinait un sourire se dessiner. Josh tourna la page et lécha la suivante. Il tomba dans la même sorte de transe que mes deux camarades. L’avatar me regarda et me demanda.

– Et bien qu’attends-tu ?

– Que leur est-il arrivé ?

– Tu ne le sauras que si tu les imites.

Je pris le grimoire à deux mains, tournant les pages vierge avec suspicion, m’arrêtant en plein milieu de l’imposant tome j’arrachai une page et me l’enfourna dans la bouche.

– A bientôt doc, me dit l’avatar en sortant de la pièce.

En un instant mon cerveau reçu plusieurs impulsions électriques, m’envoyant de images, textes et sons à toute vitesse. J’eu cru que mon pauvre crâne allait exploser. Je compris en me concentrant  que ce flot incroyable d’informations n’était ni plus ni moins que l’intégralité des savoir de l’espèce humaine. Je sentais presque mes neurones se reconfigurer pour accueillir ce flot grandissant d’information. Je me réveillai en sueur chez moi, mon cerveau rempli de ces nouvelles connaissances. Mais ce que je voyais principalement c’est le message du développeur : Change le monde.

Contrainte 1 Une paire d’urnes funéraires

FATAL REDÉMARRAGE

Pierre n’était pas une intelligence artificielle, seulement un robot domestique ridiculement archaïque et poussiéreux qui avait bien plus à voir avec Wall-E qu’avec Terminator.

Mais il avait une fonction dont dépendait la survie de l’espèce humaine : appuyer tous les soirs, à vingt-deux heures quarante-trois, sur le bouton qui actionnait les deux urnes funéraires posées sous sa carapace de métal clouté (il avait également l’automatisme de se brancher sur une prise électrique sept fois par jour).

À vingt-deux heures quarante-trois tapante, il tendait son doigt mécanisé de 5,3 centimètres et redémarrait via ce bouton – encore plus vétuste que lui – un très complexe mécanisme. C’est ce mécanisme qui permettait de réinitialiser les deux vies humaines dont il avait la garde, Fred 800987 Et Claire 800985. Car il redémarrait une boucle temporelle : celle du 9 juin 2143.

Ce jour était celui avant l’extinction finale.

Fred et Claire ne se souvenaient jamais de leur dernière journée. Et Pierre devait exécuter pour palier à leur faille sa troisième singulière fonction : leur donner le cristal de données qui avait enregistré leurs dernières vingt-quatre heures, lesquelles se finissaient immanquablement, tous les jours, par leur destruction.

Pierre était doté d’un capteur de géolocalisation beaucoup plus évolué que lui. Ses multiples branchements journaliers lui donnaient l’énergie pour se déplacer et trouver le lieu – un désolant paysage post-apocalyptique qui ne lui soulevait jamais aucune émotion – sur lequel il devait porter les deux urnes, sortir son mécanisme de pelleteuse rangé au-dessus de ses quatre petits roues, et y placer les particules qu’il détectait comme étant les restes de Claire et Fred.

Une fois que la journée du 9 juin était réinitialisée par Pierre et que ses deux humains redémarraient, s’en suivaient quelques minutes de méditation face à un écran représentant une forêt de séquoias pour Claire et quelques minutes de cris et de frappes brutales dans un sac prévu à cet effet pour Fred.

Puis les deux humains décidaient de leur nouveau plan: comment allaient-ils réussir à empêcher l’ultime explosion nucléaire des prochaines vingt-quatre heures ?

Pourquoi échouaient-ils tous les jours?

Parce qu’ils n’étaient pas seuls.

Il y avait d’autres entités conscientes quelque part qui désiraient l’exact contraire de leur mission de sauvegarde de la vie humaine. Et ces entités conscientes étaient bien plus fortes qu’eux. Elles gagnaient toujours à la fin.

Combien y en avait-il ? Étaient-elles humaines ? Androïdes? Extra-terrestres ?

Claire proposa à Fred de changer de stratégie : « arrêtons de nous rendre sur le lieu de l’explosion, c’est inutile. Le cristal de données indique que nous en sommes au 800 988ème 9 juin 2143. Nous devons en priorité trouver nos ennemis, savoir qui ils sont et ce qu’ils sont. »

Fred nettoyait son urne tout en l’écoutant et se servit une tasse de thé chinois. « Très bien, sœurette, je marche. On fait ça aujourd’hui. Tu veux qu’on les cherche dans quelle ruine pour commencer ? »

Claire sortit d’un placard un bloc de feuilles blanches : « on va procéder comme des chercheurs et pas comme des GI Jo de bazar : rationnellement, intelligemment, méthodiquement. Nous devons procéder comme si on avait l’éternité devant nous. Parce que nous l’avons Fred! C’est la seule donnée en notre faveur aujourd’hui. Alors commençons aujourd’hui par arrêter de réfléchir et d’agir comme si on était dans l’urgence. »

Ils tournèrent en même temps leurs regards vers Pierre. Leur ticket pour l’éternité ressemblait au brouillon d’un vieux personnage de Disney.

« Alors on fait quoi? Une carte des lieux où ces connards peuvent se trouver ? »

« Exactement. Chaque jour, à partir de cette boucle-ci, on va partir en quête du visage de notre ennemi. »

« Et si on les trouve, on fait quoi? On leur propose de débattre politiquement sur « pour ou contre l’apocalypse » ? »

« On verra. La première fois, ils vont nous tuer, mais je te rappelle qu’on aura le temps de réfléchir, après. Ceci est notre première étape »

« Très bien. Je prends les biscuits dans le placard et je te rejoins dehors. »

Dehors…tout était si obscurci par la nuit qui tombait qu’ils devaient, comme tous les jours, s’équiper d’un lot de lampes-torche. Pour la première fois depuis le début de leur mission, ils ne cherchèrent pas à empêcher l’explosion. Ils cherchaient qui voulaient l’activer…

La journée passa, comme toutes les autres fois. Fred cru repérer les traces d’un passage sur un terrain sablonneux ou de nombreuses grottes auraient pu abriter des êtres. Mais lorsqu’il fit cette découverte, leur vingt-heure arrivaient déjà à leur terme…

Dès la première heure de leur prochain redémarrage, ils devraient revenir à cet endroit pour continuer leurs investigations. C’était certainement leur 9 juin 2143 le plus réjouissant !

Dans les minutes qui suivirent, ils n’entendirent ni ne virent l’explosion. Comme à chaque fois, ils ne se rendirent pas compte qu’ils mourraient.

Et dans son petit labo, Pierre venait de recevoir le signal: la mort de ses deux humains. Avec son bras mécanique, il plaça les deux urnes vides de Fred et Claire dans son chariot au-dessous de ses roues et s’apprêta à sortir dehors.

Mais au moment de sortir, quelque chose tomba sur lui : la tasse de Fred. Le thé qui restait à l’intérieur se déversa sur son dos.

Pierre disjoncta.

Il était vingt-deux heures onze minutes. On était le 9 juin 2143.

Contrainte 1 Pendant un siège

SAUVEGARDEZ-VOUS

  • Entrez madame Burgal.
  • Bonjour docteur Schamill, ça ne va pas, pas du tout ! Vous devez réintervenir.
  • Madame Burgal, vous savez que j’ai été au bout de mes compétences, et celles des ressources de l’institut tout entier. Votre apparence a été parfaitement remodelée selon vos désirs… N’est-ce pas ?
  • Oui mais ça ne suffit pas. Je n’avais pas prévu cet acharnement. Ils font le siège devant chez moi !
  • Pardon ?
  • C’est une image bien sûr ! Nadia se lève d’un mouvement souple malgré ses 98 ans. Sa silhouette fine, ses bijoux discrets qui flottent au-dessus de ses poignets, sa coiffure sophistiquée qui encadre son visage aux yeux bleu acier, elle dégage une assurance qu’on sent imprégnée dans sa chair.
  • J’ai reçu un message sur Facestar de ma petite fille Mira, hier. Vous vous rendez compte qu’elle me demandait encore de l’argent ! Pour sa formation d’agronome martienne cette fois-ci. Elle ne doute de rien !
  • Oui bien sûr c’est indélicat… Le docteur joue nerveusement avec son stylet électromagnétique. Il passe sa main bronzée dans sa longue chevelure. Il hésite. Ses lentilles violettes renvoient des éclats perplexes.
  • Le problème c’est que j’ai changé d’identité et que j’ai bien sûr supprimé mon compte Facestar ! Elle agite les bras et fait grincer le fauteuil. Les jeunes sont de plus en plus malins et sournois. Vous comprenez qu’elle a fait une recherche sur je ne sais quelle base de données et qu’elle m’a retrouvé comme ça ! Je n’en peux plus de cette famille ! Ses parents je n’en parle même pas.

Le docteur Schamill lève brièvement les yeux au ciel. Il a déjà entendu cette tirade rageuse plusieurs fois.

  • Mais ils ne peuvent vous retrouver physiquement, n’est-ce pas ce que vous souhaitiez ? L’horloge incrustée dans sa cornée lui indique que ce rendez-vous a dépassé le temps prévu. Sa moyenne horaire va baisser et ses associés vont encore…
  • Qu’attendez-vous de moi Nadia ? Vous permettez que je vous appelle Nadia ?
  • Oui, non, peu importe. Elle s’agite une nouvelle fois et les perles flottantes de sa coiffure menacent de s’accrocher au plafonnier. Même si j’ai gagné du temps contre les parents, mes petits enfants vont clairement continuer à assiéger les réseaux pour me mettre la main dessus, ou plutôt sur mes biens. Je ne peux plus rien faire pour ce qui est de mon identité, nous sommes d’accord ?
  • Oui Nadia. Votre apparence, vos empreintes digitales, vocales, rétiniennes ont changé. La police est tenue au secret pour les empreintes génétiques depuis les émeutes cybernétiques de Rome en 2096 comme vous le savez. Vous avez bénéficié de toutes les compétences que le clinique BetterLife pouvait vous offrir.

Il affiche un sourire caractéristique de brochure publicitaire 3D, mais il aperçoit les reflets du ciel et pense déjà qu’il va être en retard à son dîner de gala.

  • Je pense qu’il faut opter pour une solution plus drastique, reprend-elle. J’en ai entendu parler dans certains cercles un peu confidentiels : le Total reboot.

Il se fige et reste la bouche entre-ouverte. Celle-là il ne l’a pas vu venir.

***

Nadia jette son pull vénusien irisé sur le canapé d’un geste rageur. Devoir convaincre un médecin alors qu’on a un compte monétique  rempli comme le sien c’est une insulte. Elle lance son sac à main sur la table flottante du salon et pousse un cri de frustration. La colère donne des teintes rouges à ses tempes. Elle évite du regard le miroir qui couvre le mur du salon d’hiver. Dans ces moments de crise elle sait que son âge transparaît malgré tout. Des signes infimes qu’elle sait reconnaître. Mais aujourd’hui elle n’est pas d’humeur à reprendre ses séances de relaxation cosmique. Même le luxe de son loft sur la mer d’Aral lui devient pesant. Ce n’est pas de confort dont elle a besoin, c’est de paix. La paix que lui refusent ses enfants assoiffés de luxe et de technologie, de confort démesuré et de gloire sociale. Son gendre qui veut un appartement de fonction sur la station Luna III, sa fille cadette qui réclame un yacht à hydrogène dernier modèle… Elle regrette de les avoir habitués à un confort qu’il semblait si naturel de leur offrir. Ses missions pluriannuelles prioritaires sur Alpha Centauri méritaient bien qu’elle les gâte un peu après tout. Elle les a élevés de loin, mais comme tant d’autres parents après tout.

Un message clignote sur l’écran du balcon. Un colis à récupérer au dépôt marin de Palma. Nadia est intriguée. Elle n’a rien commandé. Elle ouvre le message d’un mouvement sec du doigt depuis son fauteuil et découvre outrée le nom de son expéditeur. Mirvella. Sa fille ainée l’a elle aussi retrouvée. Elle lance violemment sa botte sur l’écran. Il ploie, grésille puis reprend sa place, imperturbable.

  • Ça suffit ! Cette famille est un sac de vipères sidérales !

***

  • Bonjour Docteur, Madame Schamill à l’appareil.

Flûte son répondeur visio. Elle redresse la tête devant l’écran. Elle ne supporte pas les ports de tête inconsistants.

  • J’ai bien réfléchi à notre discussion. J’ai bien noté vos mises en garde sur cette technique d’avant-garde mais je vous fais entière confiance ainsi qu’à vos confrères.

D’un mouvement de tête coquet elle joue avec sa chevelure irisée. Ce docteur est si charmant. Agaçant parfois, mais charmant.

  • J’ai bien conscience que vous me conseillez une personne qui n’est pas de votre clinique et que vous pourriez craindre de perdre ma… mon implication. Je vous fais donc un virement de dix mille crédits immédiatement. Merci de vos conseils. A bientôt.

Elle se dirige vers le bar. Un cocktail, il lui faut un cocktail pour la calmer. Tout ce baratin pseudo médical sur les risques d’effacement inégal de la mémoire, de récupération imparfaite. Elle connaît ces discours par cœur. Juste des arguments pour se faire payer davantage. Demain elle prend rendez-vous. Elle efface ses données mémorielles, elle cesse d’exister sur les réseaux, elle sera libre ! Déjà elle a fait attention à ne pas rendre publique son nouveau visage, désormais sa famille de hyènes sera incapable de lui remettre la main dessus. Elle sera complètement quelqu’un d’autre. Et si ça ne lui convient pas, elle se refait programmer et elle déménage à l’autre bout de la galaxie si besoin.

***

  • Madame Schamill je ne vous dit pas à bientôt car à votre réveil vous ne vous souviendrez pas de moi, du moins je l’espère !

Moi aussi je l’espère espèce de vieille baderne gluante. Nadia sourit du bout des lèvres en souhaitant que le mielleux docteur Badoo s’éloigne un peu pour ne plus lui infliger les relents de ses parfums corporels inadéquats.

  • Au revoir docteur, et faites un travail digne du prix que je vous ai payé en avance.

Nadia ferme les yeux et respire profondément pendant que les infirmières se rapprochent de la table électrodynamique en suspension. Les appareils vrombissent sourdement et le docteur s’éloigne derrière son pupitre avec un sourire sûr de lui. Il maîtrise parfaitement l’effacement des données cérébrales, il a même rajouté depuis peu la possibilité d’y ajouter les données cellulaires superficielles. Il s’agit des mémoires du corps qui s’intègrent au fil de l’expérience de l’individu dans les cellules en contact avec l’environnement. La sensibilité au goût, à certaines températures, certaines ambiances. Ce qu’on nommait au XXe siècle les réactions épidermiques. Elles peuvent trahir un individu qui recherche la tranquillité absolue, comme la plupart de ses patients. Retirer ces mémoires permet de sauvegarder la tranquillité qu’ils payent à prix d’or. Madame Schamill sera une nouvelle personne, une nouvelle habitante de l’humanité, avec une histoire à récréer qui s’ajoutera aux données de base qui composent déjà le nouveau profil qu’elle a sélectionné et composé avec soin. Il regrette seulement que le système de sauvegarde des données ait montré plusieurs fois des faiblesses lors des précédentes interventions. Mais là n’est pas l’important.

***

  • Madame ?
  • Pryskil, répond-elle avec un grand sourire. Je suis, euh, j’habite au 55e.
  • Bien sûr madame après vous répond le liftier.

Nadia se laisse emporter et sourit en songeant que le luxe a du bon. Même si elle ne se souvient pas bien comment elle a acquis tout cet argent. Mais peu importe. Ce loft a Sydney est juste parfait pour parfaire son… elle regarde la liste sur le cadran de sa montre, ah oui ses cours de modèle vivant. Depuis le temps qu’elle souhaite se mettre au dessin ! Depuis, euh, longtemps !

Elle rentre en gloussant dans son appartement. Ce cours était sublime. Et ce jeune homme, quelle beauté quelle fraîcheur ! Peut-être pourrait-elle l’inviter à prendre un verre ? Après-tout il semble un peu dans le besoin ? Et ça motivera certainement sa créativité. Elle laisse choir sa robe en nano-fibres boréale et s’allonge sur le divan extérieur. Toute à sa rêverie elle laisse courir sa main sur sa cuisse.

  • Ma petite Leïta, tu as toutes tes chances, ce jeune homme a besoin de quelqu’un d’expérience comme toi !

Elle se demande rêveusement où elle a pu acquérir cette expérience, mais des bouffées de chaleur chassent vite ces idées parasites.

***

Madame Schamill, je vous adresse ce courrier de la part de mon client, Audryn Schamill. Il est actuellement modèle au cours d’art de Sydney et m’a fait part de votre rencontre et de vos échanges. Je représente mon client dans cette affaire de tentative d’agression sexuelle par parents direct.

En effet mon client en faisant des recherches sur vos références sur le net a découvert que vous étiez sa grand-mère.

Merci de me faire connaître votre décision par retour de courrier ou par l’intermédiaire de votre avocat. Nous pouvons vous proposer un arrangement.

***

  • Bonjour, vite aidez-moi !
  • Précisez votre question madame. Leïta se sent un peu désemparée. Elle a bien trouvé cette adresse dans ses notes à contacter en cas d’urgence mais elle ne comprend pas vraiment ce qu’elle doit demander. Et cet hologramme n’est pas particulièrement chaleureux. Le hall lui-même est impersonnel. Elle piétine elle ne sait galaxie reconstituée au sol et la climatisation pulse un air glacial.
  • Je dois récupérer mes données mémorielles. Je- j’ai une sauvegarde, je suis-
  • Vous êtes madame ?
  • Pryskil, Leïta Priskil !

Le hall se remplit un instant d’un silence dérangeant. Elle regarde par-dessus l’épaule de l’hologramme espérant apercevoir une personne plus humaine.

  • Navré madame mais aucune fiche ne correspond à ce nom.
  • Ce n’est pas possible ! demandez à- (elle regarde son afficheur de poignet) au docteur Badoo.
  • Navré madame le docteur est un séminaire sur Mars. Il n’est pas possible de le déranger.
  • Mais ce n’est pas possible ! je suis une cliente ! J’ai des droits ! Leïta s’agite et frappe du pied sur le sol de synthèse constellé d’étoiles. Elle s’arrête soudain. Attendez, j’étais, j’étais (elle se concentre) Nadia Schamill !

Elle se sent toute fière et rassurée. Peu importe qui était cette femme, mais son nom va lui ouvrir les portes de sa mémoire.

  • Nous avons en effet ce nom dans nos dossiers. Pouvez-vous me communiquer le code secret de référence du dossier ?

Nadia/Leïta fixe son poignet, le regard vide. La pièce entière semble coincée dans un autre espace-temps. Rien ne bouge que ses cils.

Il n’y a pas de code noté sur son pense-bête électronique. Pas de code.

Contrainte 1 Un sachet portant l’inscription : « Alien, diluer dans 70 litres d’eau tiède »

MOMENT DE DÉTENTE

Un crissement discordant de métal torturé, un grondement de glissement de terrain.

Amandine bondit hors de son fauteuil de relaxation et tournoie sur elle-même, le cœur battant. Le plafonnier clignote, diffusant les lumières pastel avec un effet stroboscopique.

Un tremblement de terre !

Les consignes de sécurité lui reviennent : trouver un abri, attendre la fin des secousses.

Elle esquisse déjà un geste pour se réfugier sous la table quand un meuglement s’ajoute au vacarme. Amandine s’immobilise, incapable d’identifier ce nouveau son.

Qu’est-ce que…

Elle remarque enfin que le sol sous ses pieds présente une stabilité normale. Il lui faut encore plusieurs secondes pour comprendre qu’il ne s’agit là d’une alerte domotique. Malgré tous les préceptes New Zen qui régissent sa vie, elle insulte mentalement le vendeur de Life Advancing. Ah ça, il s’était montré convaincant quand il avait affirmé qu’un générateur de mélodies ajouterait du charme à sa vie. Tu parles ! Il avait omis de préciser que l’engin incluait la musique expérimentale à son répertoire gamme musicale.

Saloperie !

Comme si son syndrome post traumatique avait besoin d’aide pour se manifester à des moments inopportuns.

Ayant perdu le maigre bénéfice de sa séance de relaxation, Amandine traverse l’appartement à grands pas, vérifie ses appareils à la recherche du coupable. Elle le trouve vite : l’écran de la porte d’entrée ne révèle que des parasites. Elle presse plusieurs boutons sans que le système réagisse.

« Putain, ouvrez ou je repars avec votre livraison ! » gronde une voix à travers la paroi.

Le cœur de la jeune femme bondit dans sa poitrine et elle active le déverrouillage manuel du sas. Un homme se tient sur le seuil, la tête baissée, une capuche rabattue dissimulant à demi ses traits. Dans sa main droite, il tient ce qui ressemble fort à un brouilleur courte portée ; dans la gauche, il porte une enveloppe épaisse. Il lui adresse un regard torve.

« Vous auriez pu prévenir !

— Pardon ?

— Vous habitez dans un quartier sécurisé ! Vous avez conscience des risques du nombre de verrous que j’ai dû faire sauter pour parvenir jusqu’ici ? »

Elle n’a pas le temps de réagir qu’il lui fourre le paquet dans les mains.

« Les instructions sont sur le sachet. Débrouillez-vous avec ça, moi je me casse d’ici. »

Il pivote et part en courant. Dès qu’il a disparu, l’alarme se tait. Amandine claque la porte avant que les systèmes de surveillance ne redeviennent opérationnels. La jeune femme regagne son salon tout en décachetant l’enveloppe avec fébrilité. Elle en sort un gros sachet rebondit portant l’inscription : « alien, diluer dans 70 litres d’eau tiède ».

Des larmes lui montent aux yeux. Enfin ! Enfin ! Elle se précipite dans la salle de bain.

*

Penchée sur son jacuzzi, Amandine vérifie une dernière fois les paramètres. 70 L, tiède, bouillonnement intermédiaire, lumière bleu pastel. Elle découpe le sachet et déverse son contenu dans l’eau. Les mouvements de l’eau dilue la poudre qu’il contient en arabesques irisées. Un parfum fruité qui n’a aucune équivalence sur Terre se répand dans la pièce.

Rien ne vaut les produits Romaliens et Amandine ne s’en passera pas. S’il faut payer une fortune pour contourner le blocus, elle le fera !

Elle se glisse dans l’eau odorante au moment où le système domotique commence à se plaindre par de faibles couinements de souris. Elle roule des yeux, se retourne, passe en mode silencieux et s’allonge dans l’eau tiède. Elle préfère les températures plus élevées, mais la drogue compensera bientôt ce désagrément.

Elle ferme les yeux et respire profondément. D’ordinaire, il ne se passe pas bien longtemps avant que des images de bâtiments qui s’écroulent, de gens ensanglantés ne se manifestent dans son esprit. Là, avec l’aide de la drogue qui pénètre sa peau, seul un calme profond règne en elle. Le silence dans son esprit. Enfin.

Elle imagine la substance qui combat les effets néfastes du surplus d’adrénaline, efface les stigmates du stress.

Cette nuit, elle dormira en paix.

D’ailleurs, elle n’attendra peut-être pas si longtemps. Elle est si fatiguée…

*

Amandine grommelle lorsque la lumière s’éteint et que le bouillonnement cesse, mais, dans sa demi-conscience, elle ne trouve pas la force de réagir.

« Système en cours de récupération, retour aux paramètres par défaut », annonce la voix suave du système domotique.

Saleté de système, se dit-elle paresseusement.

Le plafonnier de la salle de bain se rallume, diffusant une lumière blanche et crue d’hôpital. Il faudrait qu’elle se lève, qu’elle corrige ses réglages qui perturbent sa relaxation. Elle soupire, sans bouger. Elle se sent si bien dans cette eau chaude.

Chaude ?

Elle veut ouvrir les yeux.

Paramètre par défaut : eau chaude.

Ce qui signifie « diffusion maximale de la drogue. »

Elle tente de bouger, mais n’y parvient pas. Incapable de faire obéir ses muscles paralysés. Son cœur ralentit, ralentit, ralentit…

Contrainte 1 Un personnage amoral

FATAL ROBOT

            Le Scharzbot buggait. Encore.

Ce n’était pas la première fois, ni même la vingt-septième. Et comme à chaque fois, plus rien ne marchait. Ni les commandes vocales, ni la télécommande à distance, ni même le bouton d’arrêt d’urgence.

Shinzo savait quoi faire : il ouvrit le clapet ventral de l’engin et arracha la batterie. Ziuuuum, fit l’androïde en s’éteignant. Le reboot prenait à chaque fois un peu de temps, mais c’était moins cher que d’acheter les mises à jour des antivirus, et le robot en revenait comme neuf. Clic, fit la batterie quand il la remit en place. Dans les yeux de verre de l’androïde, quelque chose se ralluma.

  • Bonjour, Maître. Je suis votre nouveau robot. Comment puis-je vous servir ?
  • Tu es X23. Tu es un robot de cinéma. Tu dois jouer la comédie. Nous tournons actuellement le reboot de Terminator, film datant du 20e siècle. Un film est une simulation de réalité dans laquelle…

**

            Les scènes d’enquêtes se passaient sans problème. Idem pour les scènes de dialogues. Idem pour 90% des scènes, en fait.

            Mais sur les scènes d’action, le robot se remit à bugger. Toujours au même moment. Quand il devait tuer quelqu’un. Foutus lois de la robotique, pensa Shinzo. Foutu moralité pré-programmée dans les équipements qui sont censés être vierges. Foutu robot incapable de différencier un film de la réalité.

            Le robot restait bloqué au milieu d’une phrase, à bégayer, incapable d’appuyer sur la détente de son arme factice. Ha, si seulement les fans n’avaient pas réclamé un robot qui ressemble à Arnold Schwarzennegger… Mais en même temps, s’ils n’avaient pas fait cela, Shinzo n’aurait pas eu ce contrat mirifique.

  • Bouge pas, abruti.

Il ouvrit son clapet ventral.

Zuuuuim.

Clic.

A la réflexion…

Zuuuuuim.

Bon, ça se désactivait comment, la moralité pré-programmée ?

**

  • Tu es Terminator. Tu es un robot venu du futur. Tu dois tuer Sarah Connor parce qu’elle…

Shinzo s’arrêta, réfléchit, éteignit la caméra. Il connaissait suffisamment d’histoires de science-fiction pour savoir comment ce genre d’histoire là finirait, immanquablement. C’était une mauvaise idée. Et de plus, même s’il racontait des mensonges au robot-Schwarzennegger, la moralité pré-programmée dans son inconscient resterait active et l’empêcherait d’utiliser des armes. Ce n’était pas la solution.

Il réfléchit quelques minutes.

  • Tu es X23. Tu es un robot acteur. Toutes les autres personnes que tu croises sont eux aussi des robots-acteurs, même quand ils ressemblent à des humains. Tu…

**

            Le tournage s’achevait, et tout allait aussi bien que possible. Le Schwarzerobot avait tiré sur les acteurs humains en suivant son script, sans en dévier d’une seule ligne. Il ne se prenait pas pour un robot tueur venu du futur, il se prenait pour un acteur jouant le robot-tueur venu du futur, et c’était là toute la différence. Pas de faille logique, pas de possibilité que tout cela tourne à la catasrophe, et un film tourné dans les temps. Parfait.

**

            Nouveau Message de : Reboot Production inc.

            Shinzo,

            Nous allons avoir besoin du Schwarzbot pour la promotion du film. Les fans l’attendent. Peux-tu faire en sorte qu’il agisse comme il faut ? Merci.

**

            Nouveau message à : Bobby

            Besoin de cocaïne. J’ai de quoi payer. Merci.

**

            Nouveau Message de : Reboot Production inc.

            Shinzo,

            Terminator Reboot a très bien marché. Nous pensons à d’autres reboots. Peux-tu nous faire un robot George Clooney ? Merci.

            Nouveau Message de : Reboot Production inc.

            Shinzo,

            Nous recevons des commandes un peu… spéciales de certains et certaines fans. A toi de voir ce que tu veux faire/ 😉

            Message Transféré :  

            Je vais être cash : je suis très riche, Scharzzenneger à toujours été mon fantasme, combien dois-je vous payer pour une nuit avec lui ?

 **

            Nouveau Message de : Reboot Production inc.

            Shinzo,

            Il va également nous falloir un robot Pamela Anderson, un robot Léonardo Dicaprio et un Robot Rocco Siffredi. Les fans adorent nos films. Ton prix sera le nôtre. Merci d’avance !

**

                        Vous avez 27 nouveaux messages, de :

  • Warner Production inc
  • Disney Production
  • Paramount Picture
  • Microlithe Picture
  • 20th Century Fox
  • Productions du siècle de la Roussette

**

            Les robots buggaient. Les scènes d’actions, les scènes de sexe, les commandes de fans richissimes en manque de fantasmes, les dialogues dans lesquels ils jouaient des méchants, les dialogues dans lesquels ils jouaient des fous, tout posait problème. Et seul Shinzo savait comment les rebooter pour contourner ces problèmes. Et je ne peux pas être partout. Déjà qu’il ne dormait pas assez. Déjà qu’il avait dû doubler sa consommation de cocaïne pour satisfaire les commandes.

            La solution lui apparut, tellement évidente.

**

            Nouveau message à : Bobby

            Besoin de plus de coco. Livraison par la poste. Paiement par transfert. Merci.

**

            Les Robots-Shinzo lui ressemblaient tellement que même lui s’y trompait, parfois. Un Shinzbot dans l’encadrement d’une porte, et il se croyait face à un miroir. C’est très bien ainsi. Personne ne verra la différence. Ses robots avaient beau être très demandés, sur les tournages, Shinzo restait le type bizarre à qui personne ne parlait, sauf réel besoin. Les acteurs le snobait, jugeant que faire revivre de vieilles gloires disparues était amoral et déloyal. Les techniciens le snobait, parce qu’il faisait ce qu’eux n’arrivaient pas à faire. Les réalisateurs le snobait parce qu’ils snobaient tout le monde. Personne ne verra la différence. Il fallait juste apprendre aux Shinzbots à agir comme lui, et à rebooter les autres bots lorsque ceux-ci buggaient, en trouvant matière à contourner les problèmes moraux.

Il installa la caméra.

  • Tu es Shinzo. Tu es un concepteur de robot acteur très demandé. Mais les robots ont toujours du mal à effectuer certaines scènes. Ils se mettent à bugger, présentant les symptômes suivants : bégaiement,s gestes saccadés et répétitifs, blocage système… Il faut donc les rebooter en leur expliquant la situation différemment. Voici les différents cas face auxquels vous pouvez vous…

**

            Nouveau message à : Bobby

            Besoin de plus de coco. Livraison par la poste. Paiement par transfert. Merci.

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            D’un coté, il n’avait aucune envie de se lever don son lit. De l’autre, la coco était dans l’autre pièce.

  • Shinzo !

            Un shinzbot passa la tête par l’embrasure de la porte.

  • Rapporte-moi la cocaïne.

            Le shinzbotle regarda sans comprendre.

  • La cocaïne, abruti !
  • Je ne peux pas apporter de drogue à un… Je ne peux pas apporter de drogue à un…

Shinzo soupira. Cria plus fort.

  • SHINZO !

Après quelques secondes, un autre Shinzot arriva.

  • Reboot cet idiot. C’est un robot-acteur, lui aussi.

Ziummmm.

Clic.

  • Maintenant, il y a une poudre blanche, dans un sachet, sur la table. Ça s’appelle de la Cocaï… De la coco. C’est de la poudre de noix de coco. Amène la-moi.

Le Shinzo resta à le regarder, bras ballants.

  • La coco, abruti ! Amène-moi la coco !

Le Shinzbot s’approcha.

  • Ha, bégaiement… Problème détecté. Un instant.
  • Quoi ? Mais je te dis de …

Le Shinzbot posa la main sur son torse, des doigts passant sous la cage thoracique, la soulevant comme s’il s’agissait d’un vulgaire clapet métallique. « Ce robot bugge. Je dois débrancher son alimentation », dit-il en lui arrachant l’aorte. « Ça ne prendra qu’un instant, et je le redémarrerais, ne vous inquiétez pas. »

 

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