« Le Serpent Ouroboros » d’Eric Rücker Eddison

De manière surprenante, ce roman de fantasy épique commence dans un foyer victorien, à une époque contemporaine de l’auteur.

Lessingham décide de se coucher dans la mystérieuse chambre aux Lotus de sa maison et, guidé par un mystérieux martinet, parvient à explorer les contrées fantastiques de la lointaine Mercure, changeant à son gré de lieu et de temps, à un rythme qui rappelle autant le rêve que la fiction.

Durant tout le reste du roman, nous ne le reverrons plus, tout immergés que nous serons dans ses fabuleuses visions. Mercure est divisée en plusieurs royaumes, chacun dirigé par une espèce évoquant les créatures de la mythologie germanique. Nous re trouvons ainsi la Koboldie, la Lutinie, la Gobelinie, mais aussi et sur tout la Démonie et la Sorcerie, dont le conflit sera le sujet du roman.

Les différences entre toutes ses espèces sont inexistantes : tous ressemblent peu ou prou à des êtres humains, à quelques menus détails près (les Démons ont des petites cornes). Malgré cela leur beauté, leur force ou les deux sont idéalisées et magnifiées, comme celles des héros de romans de chevalerie. Lors d’un banquet au château royal de la Démonie, un émissaire des Sorciers, portant une robe brodée de crabes et de scolopendres, vient exiger l’allégeance des Démons à son suzerain, le roi Goricé.

Juss, le maître des lieux, lui oppose bien sûr un refus catégorique, qui sonne l’ouverture de la guerre. Cette confrontation se réglera par l’épée, en bataille ou en combat singulier, de manière toujours épique et grandiose. Elle se réglera par la magie et les sortilèges, qu’il s’agisse d’invoquer un démon, de chevaucher un hippogriffe ou de traverser des contrées maudites peuplées de vos plus intimes cauchemars. Elle se réglera également par de basses manipulations politiques : même dans ce monde rutilant et chevaleresque, les alliances secrètes, les négociations territoriales, les intrigues de boudoir trouvent leur place. Elle aura ses victoires, ses défaites, ses creux et ses zéniths, ses désastres et ses résolutions.

Dire de ce roman d’Eddison, publié en1922,qu’il est le «précurseur de Tolkien » serait passer à côté de tout ce qui en fait la spécificité. De par ses prémices, il est à rapprocher de l’Histoire vraie de Lucien, qui, déjà à l’époque romaine, utilisait des astres trop lointains pour être connus afin d’y planter son décor merveilleux. La richesse luxuriante des descriptions, évoque le mouve ment poétique du Parnasse ou l’onirisme de la poésie symboliste. Les peintures de cours royales, de princesses en majesté ou de paysages naturels sont autant de petits joyaux ciselés avec soins, sombres comme des onyx ou éclatants comme des aigues-marines.

Le serpent Ouroboros, qui a donné son nom au roman, représente la lignée des rois de Sorcerie, tous nommés Goricé et tous dévorés par la même ambition territoriale. Mais pas seulement. C’est aussi le cycle de la violence, vouée à se répéter, malgré les victoires, les trêves et les défaites. Les personnages des différentes factions sont bien plus nuancés que chez Tolkien.

Même si la Démonie a le beau rôle face aux Sorciers, elle n’incarne pas le «camp du bien» ,simplement celui de ceux qui ont été mis en position de défenseurs. Des deux côtés, nous avons des héros, des canailles, des personnages complexes qui se situent quelque part entre les deux extrêmes. La victoire des bons ne signifierait pas la fin de la violence, comme le roman le précise claire ment.

Ouroboros, c’est aussi la boucle de la fiction, dont la conclusion peut donner suite à un éternel recommencement, dont les péripéties peuvent être vécues plusieurs fois et dont les protagonistes peuvent périr et revenir d’entre les morts, à notre volonté. Vous l’avez compris, l’entrée dans le livre par un rêveur contemporain et son martinet sert à nous avertir de la dimension méta poétique de l’œuvre que nous nous apprêtons à lire. Un classique méconnu,qui se savoure gorgée par gorgée comme un bon whisky plutôt qu’il ne se boit d’un trait telle une pinte de bière bien fraîche.

Chronique de Louise‘1822’Janin

Nous en pensons

Notre avis

4,2

Lessingham décide de se coucher dans la mystérieuse chambre aux Lotus de sa maison et, guidé par un mystérieux martinet, parvient à explorer les contrées fantastiques de la lointaine Mercure, changeant à son gré de lieu et de temps, à un rythme qui rappelle autant le rêve que la fiction. Mercure est divisée en plusieurs royaumes, chacun dirigé par une espèce évoquant les créatures de la mythologie germanique. Nous re trouvons ainsi la Koboldie, la Lutinie, la Gobelinie, mais aussi et sur tout la Démonie et la Sorcerie, dont le conflit sera le sujet du roman. Un classique méconnu,qui se savoure gorgée par gorgée comme un bon whisky plutôt qu'il ne se boit d'un trait telle une pinte de bière bien fraîche.

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About Christian

L'homme dans la cale, le grand coordinateur, l'homme de l'ombre, le chef d'orchestre, l'inébranlable, l'infatigable, le pilier. Tant d'adjectifs qui se bousculent pour esquisser le portrait de celui dont on retrouve la patte partout au Club. Accessoirement, le maître incontesté du barbecue d'agneau :)

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