Votes pour le match d’écriture Nice Fictions 2016: « 3 secondes pour tout savoir »

« 3 SECONDES POUR TOUT SAVOIR »

N’y a-t-il pas pire que le manque d’adversité dans tout match, dans toute compétition ? Un baroud d’honneur solitaire peut-il contenter un bretteur (aguerri, ça je ne sais pas :)).

Quoiqu’il en soit, voici le seul et unique texte sur ce thème assez difficile, car la partie adverse, par peur, déception, ou obligations familiales du vendredi a souhaité décliner le combat.

Appréciez donc l’unique texte sur ce thème ! Bien évidemment, il n’y aura pas de votes.

 

Contrainte 1 Un joueur de blues
Contrainte 2 Après la fin

MISSION QUATRE MURS

« Il faut qu’on sorte d’ici ! »

Tout est calme, ce sifflement incessant dans ma tête me plonge avec délice dans une sorte de nuage vaporeux. Je me sens bien ici. A des années lumières de tout soucis, de toute douleur, pourquoi faudrait-il que j’en ressente d’ailleurs ? Pourquoi cet état de parfaite pleinitude devrait-il être réservé aux grandes occasions ? En même temps avec Léa qui braille toutes les deux minutes pour avoir un peu d’attention c’est normal que… Léa ?

Ma douce léthargie m’abandonne comme un parent soulagé le jour de la rentrée des classes, la clarté moelleuse de mon nuage est partit. Laissant place à un décors blanc javel et le mal de tête qui l’accompagne. Et c’est reparti.

J’agrippe d’une humeur massacrante le premier mobilier à ma portée, en tentant aléatoirement une manœuvre pour me relever. A en juger par la texture du truc et au geste de recul que mon geste provoque je lève les yeux vers la personne pour qui je viens probablement d’avoir une attitude plus que déplacée. C’est une jeune fille un peu plus jeune que moi et qui me regarde avec un air effarouché. Oui bon, je conçois que ça puisse être un peu déstabilisant de voir un parfait inconnu vous harponner sans vergogne et sans paraître le moins du monde désolé. Bon, à vrai dire, je ne le suis pas. Je crois qu’actuellement, j’ai mieux à faire. Nous avons tous mieux à faire. C’est ce que je déduis à la mine plus qu’anxieuse de mes compagnons de… Cellule ?

Nous sommes quatre dans la pièce moi compris. Moi, la gamine terrifiée, il y a aussi une autre jeune fille plutôt mignonne et un grand gars imposant avec qui je n’ai déjà pas envie de me fritter. Je crois que la voix que j’ai pris tout à l’heure pour une divagation de mon cerveau appartient à la jolie brune qui fait les cents pas dans la pièce en grattant nerveusement les restes de sa manucure violette.

Impossible de me rappeler ce que je faisais avant d’arriver ici. Je présume que ce n’est pas très bon signe. Je lance hagard « Quelqu’un m’explique ? »

Le colosse se retourne vers moi et me désigne une petite console au fond de la salle. Dessus, un assemblage de formes et de lumières dont je n’ai absolument aucune idée de l’utilité. Sur le sol gisent des feuilles de journal plus très fraiches. Je m’approche en titubant et me plante au-dessus des articles dont les titres me paraissent tous plus exotiques les uns que les autres. « La guerre est déclarée », « l’index sur le bouton, une quatrième guerre nucléaire ? », « Des camps de réfugiés ouverts en Amazonie », « La mission quatre murs lancée »…

Je dévisage les trois énergumènes en priant mentalement pour qu’ils m’éclairent un minimum sur la situation absolument irréaliste qui est en train de s’assembler dans mon cerveau.

Un silence gênant s’installe. La petite blonde se recroqueville dans un énième sanglot et le mec musclé ose enfin poser la question qui lui brule les lèvres.

« On fait quoi ? »

Ça fait des heures qu’on est là. J’aimerai dire qu’on sait maintenant où on sait et où on va, mais la vérité c’est que nous sommes toujours complétement à côté de la plaque. Après moultes pétages de plomb et être passés à deux doigts de s’étriper mutuellement, il a bien fallu se mettre à l’évidence. On ne se connait pas, on ne sait pas où on est, depuis combien de temps… Mais le plus fun, ça, par contre, on le sait, c’est qu’on est enfermés. On s’est répartis les journaux, seules pistes voire distractions dans notre univers qui se résume désormais à une chambre d’une dizaine de mètres carrés, vide et d’un blanc à vous arracher les cheveux uns par uns. Conclusion ? Et bien, il semblerait que ce soit la guerre. Oui, bon, jusque-là, on ne décernera pas de médaille de perspicacité… Le truc c’est que ça commence à nous concerner avec un certain article qui nous titille, celui de la « mission claustrophobe », truc du genre. Oui oui, celui qui explique avec tact et diplomatie que la survie de l’humanité n’est plus en danger grâce à nos très chers scientifiques qui ont conçu une chambre anti-radiation-explosions-lacération-décomposition-fusion… Ahem, le tout pour héberger d’éminents chercheurs qui sauront résoudre l’énigme qui permettra au monde de… De.

C’est ici qu’on en est resté, la fin de l’article étant totalement illisible, avalée par des traces opaques de charbon, poudres et autres joyeusetés pacifiques. Sur le coup, « eminents chercheurs » on y est pas trop… Mais on est quand même partis du principe que c’était nous, parce qu’il y a quand même pas mal de points qui concordent à part ça. Deux hommes, deux femmes, une chambre coupée du monde en temps de guerre, je ne sais pas ce qu’il nous fallait de plus, désespérés comme nous sommes.

Myriam, qui a épuisé son stock de vernis il a un moment déjà, est assise, l’article de journal dans les mains, essayant tant bien que mal de discerner un quelconque mot supplémentaire pour nous aider.

« Trois secondes ! » lance-t-elle rageusement « Il nous faudrait trois secondes pour comprendre si on avait la fin de se… d’article ! ». Le juron s’étouffe dans sa bouche alors qu’elle se mord les lèvres avec frustration.

« Il est bien écrit que nous sommes censés sauver l’humanité, non ? Et comme par hasard nous avons une énigme à résoudre juste sous nos yeux… Mieux ! Nous n’avons QUE cette énigme. Et si notre rôle était simplement de sauver l’humanité ? » ça fait très super héros ou film de science-fiction dit comme ça, je n’ai pas le temps de faire ma remarque que Myriam déclare pensive « Ca se tient. » Je rigole. Pardon, ce n’était pas très approprié, mais c’est sorti tout seul. « Nan mais sérieusement, tu y crois vraiment à ton histoire ou bien les muscles empiètent sur ton cerveau ?? » C’était peut-être un peu abrupte comme formulation… Trop tard.

«  Tu as quelque chose de mieux alors ? Monsieur est jaloux ? »

« Jaloux ? De quoi ? » Je suis toujours mort de rire. Aah, ce que c’est bon de libérer ses nerfs sur un abruti.

«  De moi, je suis un sportif professionnel et ça te met en rogne. Qu’est-ce que tu sais faire toi, hein ? Je pari que tu n’as même pas de travail, encore un déchet de la société ! »

«  Je suis joueur de blues. »

«  Ah oui, sur que ça va nous être utile… ! »

«  On a toujours besoin de blues. » je réponds posément, après tout, tout ce que je risque c’est de m’en prendre une, et je n’ai pas tellement la place de prendre mes jambes à mon cou.

Pendant ce temps, Myriam s’acharne sur la petite console, elle nous met rapidement à contribution, plus pour nous faire taire que pour véritablement avoir de l’aide, mais ça nous offre une belle porte de sortie à notre dispute. Pourtant rapidemment, on doit se rendre à l’évidence, on est bloqués et impossible de résoudre le casse-tête. Je lance sans réfléchir « En même temps, fallait se douter que c’était pas si facile de sauver le monde. » ce à quoi réponds le plus naturellement du monde mon meilleur ami de toujours « D’ailleurs il ne va pas nous attendre indefiniment, alors si on pouvait se dépecher ! »

« Et toi ! lance M.Rugbyman rageusement « T’as pas fini de chialer ? Fais quelque chose ! »

La jeune fille se lève, tremblante, essuyant ses yeux bouffis et sa figure humide sur la manche de son sweet-shirt, espérant peut-être que s’essuyer la figure suffira à nous faire oublier son attitude de gamine geignarde de la journée.

Elle lève un œil rouge sur l’assemblage complexe sur le panneau de la console avant de les déplacer d’un air distrait, créant une forme d’harmonie surréaliste entre formes et couleurs, le tout s’emboitant comme si ils n’avaient jamais été dissociés. « Merde » je lâche en constatant que l’écran de l’ordinateur s’allume finalement avec un petit bruit sympathique comme pour trancher avec le solennel de la situation, « Comment tu as fait pour trouver aussi vite ? ».

« J’ai l’habitude des jeux de logiques » puis elle se pose un instant avant de compléter « Je suis dans une école spécialisée, on faisait souvent ça… » Mais nous n’avons pas le temps de prêter plus d’attention à ses paroles, un message s’affiche désormais à l’écran, et nous sommes happés par sa lecture, trop conscients des enjeux qu’il pourrait contenir.

Le sas va s’ouvrir, veuillez suivre les instructions et évacuer l’habitacle, des informations vous seront données ultérieurement.

Le mur laisse place à une gigantesque paroi de verre, nous libérant du néant blanc précédant. Il ne nous a pas fallu trois secondes pour savoir à quel point nous nous étions trompés. A travers la vitre, s’offre à nous le monde. Ou plutôt de ce qu’il en reste. Ce désert aride, il est à nous désormais. Nous n’avons jamais été là pour sauver l’humanité, mais pour en rebâtir une nouvelle. Trois secondes furent suffisantes pour savoir qu’on ne pouvait pas empêché une fin qui avait déjà eu lieu, et trois secondes de plus pour balancer la première phrase de notre nouveau monde.

« Vous voyez, je vous avais bien dit qu’on aurait besoin de blues. »

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