Flatland éditeur : entretien avec Lionel Évrard
Présence d’Esprits : Comment perçois-tu la place de ta maison d’édition dans le paysage de la SFFF en France ?
Lionel Évrard : Flatland éditeur est une maison de micro-édition associative explorant tous les domaines de l’imaginaire, de patrimoine et de création, de préférence hors des sentiers battus.
PdE : Si tu devais résumer ta ligne éditoriale en une phrase, que dirais-tu ?
L.E. : Ce que d’autres maisons d’édition renoncent à publier faute de rentabilité mais qui manque néanmoins au paysage éditorial et nous passionne (la forme courte, les littératures aventureuses, le fond patrimonial méconnu), nous tentons de le mettre à disposition.

PdE : As-tu des collections spécifiques ?
L.E. : Plein ! Tout d’abord la revue Le Novelliste, dont nous préparons le numéro 9 pour 2026, et qui est à présent un « mook » annuel d’environ trois cents pages mêlant quelques articles et essais à beaucoup de fiction (seize nouvelles et novellas par numéro), contemporaine et ancienne, francophone et internationale. Ensuite la collection La Fabrique d’Horizons (dix-sept volumes à ce jour), qui publie des recueils, anthologies et romans d’auteurs contemporains. La Tangente rassemble des textes de fiction contemporains inclassables et pourtant essentiels (dix volumes à ce jour). Les Cahiers archéobibliographiques dirigés par Fabrice Mundzik ont permis durant quinze numéros d’explorer les prémices des littératures populaires en France.
Le Grenier Cosmopolite remet à la disposition du public dans des éditions soignées, illustrées et avec un paratexte sérieux des œuvres marquantes des littératures de genre, francophones et internationales. Par exemple, l’édition du centenaire du Voyage au pays de la quatrième dimension, de Gaston de Pawlowski (sous la direction de Fabrice Mundzik), ou Crépusculaires, recueil des nouvelles fantastiques de l’écrivain belge Georges Eekhoud (présenté par Éric Lysøe) à paraître début 2026.
Expresso, collection créée cette année, vise à mettre à l’honneur en un petit volume serré et pas cher l’œuvre d’un (ou d’une) nouvelliste du vingtième siècle. C’est George W. Barlow, présenté par Jean-Pierre Andrevon, qui a essuyé les plâtres avec le recueil Demain commence hier.
Du même auteur, nous publierons prochainement Des lendemains homériques, une série de nouvelles liées entre elles pour inaugurer une nouvelle collection (encore !) baptisée Le Cabinet de Curiosités. Comme son nom l’indique, celle-ci vise à remettre à disposition de petits bonheurs patrimoniaux oubliés (une traduction des pastiches loufoques de Sherlock Holmes d’Anna Katharine Green, puis une autre des Tales from Cornwall de David H. Keller viendront ensuite).
PdE : Qu’est-ce qui t’a amené à travailler dans ce domaine ?
L.E. : La passion pour la littérature en général et les mauvais genres en particulier. Je suis tombé dedans à l’adolescence, avec l’anthologie Utopies 75 dans la collection Ailleurs et Demain, et je n’en ai pas guéri depuis. J’ai participé à l’effervescence fanique de la fin des années 70 en France aux côtés notamment de Francis Valéry, qui a publié mes premiers textes. J’ai ensuite été de l’aventure controversée mais fort enrichissante du groupe Limite. Sur la fin d’une carrière hétéroclite, je suis devenu traducteur littéraire (ce que je suis toujours). L’aventure de Flatland, depuis huit ans, qui prend la suite des éditions Andromède et de la revue Proxima créées par le regretté Alain Garguir dans les années 80, s’inscrit dans la suite logique de tout cela.
PdE : Combien de personnes collaborent avec toi et parmi elles, combien sont salariées ?
L.E. : L’association Flatland / maison de la fiction, qui compte une cinquantaine d’adhérents partout en France et dans le monde, est la structure mère de Flatland éditeur. C’est moi qui tiens le rôle de factotum et de batteur de crème de tout cela, mais je peux compter sur la collaboration ponctuelle de certains de nos adhérents, en fonction de leurs compétences et de leurs disponibilités. Nous ne disposons ni de subventions, ni de mécénat et ne pouvons donc nous permettre de salarier qui que ce soit.
PdE : Quelles parties de la production externalises-tu (corrections, maquettes, illustrations, etc.) ?
L.E. : Aucune. Tout repose sur le bénévolat et tout ce qui peut être fait en interne l’est. Les illustrateurs sont bénévoles. Seuls les auteurs, dans la limite du possible et sur contrat, sont rémunérés, de même que le webmaster (le très talentueux Clément Latzarus, de Biblys), la société qui nous permet d’être présents en librairie et sur les plateformes commerciales en ligne (Cyberscribe), et naturellement l’imprimeur (ICN, à Orthez, le meilleur rapport qualité/prix du marché).

PdE : Acceptes-tu uniquement des auteurs francophones ou édites-tu aussi des textes traduits ?
L.E. : Notre taille microscopique et notre modèle économique ne nous permettent pas (sauf accords spéciaux) de répondre aux exigences des auteurs étrangers représentés par leurs intraitables agents. Les auteurs traduits sont donc la plupart du temps issus du domaine public (heureusement, il y a fort à faire dans ce domaine, et c’est justement notre rôle).
PdE : Combien de manuscrits reçois-tu en moyenne chaque année et répondent-ils à ce que tu en attends ?
L.E. : Comme tous les éditeurs du marché, Flatland éditeur reçoit chaque année plusieurs centaines de manuscrits (nouvelles, romans, recueils de nouvelles). Bien peu répondent véritablement à nos attentes, mais cela tombe bien, car les places sont limitées par les contraintes économiques. Il arrive cependant de tomber sur de bonnes surprises, heureusement, mais trop de manuscrits reçus résultent d’erreurs d’aiguillage, parce que leurs auteurs n’ont pas pris le temps de s’informer de la politique éditoriale de notre maison.
Il arrive cependant de tomber sur de bonnes surprises, heureusement. Emmanuel Brière le Moan, par exemple, a fait ses débuts chez nous avec Conte des cinq sens. Cela avait commencé par l’envoi d’une nouvelle, puis d’une autre, et cela s’est terminé par la publication d’un fix-up dont l’édition fut longuement discutée avec lui avant d’en arriver au résultat final. Son prochain roman sortira début 2026 chez Mnémos. Ce rôle de marchepied permettant à de jeunes auteurs de faire leurs premières armes, nous essayons également de le jouer avec notre anthologie thématique annuelle « Horizon perpétuel » au sommaire de laquelle figurent, parmi la trentaine d’auteurs et d’autrices sélectionnés, une majorité de débutants mêlés à d’autres plus aguerris.

PdE : Comment est organisée la collecte des manuscrits ?
L.E. : Sur notre site figure un onglet « manuscrits » qui donne les principales informations à connaître. Une seule adresse mail pour ce faire (manuscrits@flatland-editeur.fr) car naturellement nous n’acceptons pas d’envois postaux. Un accusé de réception est envoyé pour chaque soumission, et je me fais un devoir de donner une réponse, qu’elle soit positive ou négative, et si possible argumentée, même si celle-ci tarde un peu à arriver étant donné la pléthore de manuscrits qui nous sont soumis.
PdE : Les manuscrits soumis sont-ils d’abord examinés par un comité de lecture ?
L.E. : J’avoue, en tant que directeur littéraire, être l’autocrate qui reçoit, trie, oriente les manuscrits et prend la décision finale. Mais quand un manuscrit me semble intéressant ou qu’il ne m’a pas totalement convaincu, je consulte l’un ou l’autre de nos adhérents pour avis.
: Comment s’organise le processus de retravail avec les auteurs ?
L.E. : Le plus simplement du monde. Une fois le manuscrit accepté, je corrige le fichier en mode révision dans Word ou Libre Office pour soumettre à l’auteur ou à l’autrice mes principales remarques et suggestions de corrections. Si des passages entiers sont à revoir, cela se discute par mail principalement, parfois au téléphone. Quand je suis satisfait de l’état du manuscrit (parfois à la V3 ou à la V4), on passe à la mise en page, sur laquelle j’indique dans le PDF qui sert de BAT mes ultimes propositions de corrections.
PdE : Une anecdote à nous raconter ?
L.E. : Notre dernière publication en date, L’Échelle de Reuters, un recueil de nouvelles de Claude
Ecken, m’avait été proposé par son auteur il y déjà plus d’un an et demi. Je l’avais d’abord refusé, non pas parce qu’il n’était pas au niveau, mais au contraire parce qu’il était trop bon pour nous, ce dont son auteur n’avait pas manqué de s’amuser en m’écrivant que c’était bien la première fois qu’on lui refusait un livre pour un tel motif ! Il me semblait inconcevable qu’un recueil d’une telle qualité ne puisse être défendu que par un micro-éditeur n’ayant ni diffuseur ni distributeur. Ce n’était rendre service ni à l’œuvre ni à l’auteur. Je lui ai donc suggéré de faire un nouveau tour de piste pour tenter de trouver un éditeur plus établi, et de revenir me voir en cas d’insuccès. Un an plus tard, Claude m’a informé qu’aucune de ses démarches n’avait abouti et que le livre était à moi si je le voulais. Cette fois, j’ai évidemment sauté sur l’occasion. Tant mieux pour Flatland, tant pis pour les autres, car ce livre est une merveille d’intelligence, d’écriture et de sensibilité à découvrir d’urgence. Au-delà de l’anecdote, cela me semble symptomatique du triste état d’un marché dans lequel les recueils d’auteurs francophones, même excellents, même reconnus, n’arrivent plus à se placer auprès des maisons de taille moyenne qui les publiaient auparavant.
PdE : Combien de nouveautés (inédits) publies-tu chaque année ?
L.E. : C’est très variable, en fonction de nos possibilités financières, du temps disponible pour sortir des nouveautés et les défendre, et de la taille des ouvrages en question. En huit années d’existence, nous avons publié une cinquantaine d’ouvrages, soit environs 6 à 7 livres par an.
PdE : Peux-tu nous donner une idée du tirage moyen d’un titre ?
L.E. : L’impression numérique permet d’ajuster les tirages au jour le jour en fonction de la demande, la notion de « tirage moyen » n’est donc pas pertinente. Je préfère parler de moyenne des ventes, qui se situe autour de 150 exemplaires pour l’ensemble des titres. Certains se vendent plus, d’autre moins (autour de 300 au fil des ans pour chaque numéro du Novelliste, 60 pour Les Cahiers archéobibliographiques). Ce qui est dans l’ordre des choses pour de la microédition et nous permet (mais tout juste, et parce que notre modèle économique repose sur le bénévolat et le statut associatif) de survivre et d’entreprendre de nouveaux projets. Les adhésions et renouvellements d’adhésion chaque année, de même que les dons pour les plus généreux, jouent un rôle essentiel dans la pérennité de notre petite structure. Vous voulez nous aider ? Adhérez ! Cela vous permettra en outre de bénéficier du tarif libraires sur vos achats.
PdE : Procèdes-tu à des réimpressions ? Des rééditions ?
L.E. : Oui, comme je le disais précédemment, dès qu’un titre est en rupture de stock, si les finances le permettent il est réimprimé (sauf les Cahiers A., qui ont un tirage limité).
PdE : Quelles sont tes stratégies de diffusion que ce soit en salons, en ligne ou en librairie ?
L.E. : Nos ventes s’effectuent sur notre site (flatland-editeur.fr), sur commande chez tous les libraires, sur les principales plateformes commerciales en ligne. Et parfois par courrier postal ou SMS pour les plus réfractaires aux « nouvelles technologies ». On n’a pas encore expérimenté les signaux de fumée, mais tout ce qui peut nous permettre de vendre nos livres à ceux qu’ils pourraient intéresser est bon à prendre. Hélas, nous ne sommes pas en mesure pour le moment de participer aux festivals et salons. Mais il le faudrait.
PdE : Appliques-tu le dépôt légal des livres et des périodiques auprès de la BNF ?
L.E. : Oui, systématiquement. Nos publications sont également répertoriées sur Electre.
PdE : Tes titres sont-ils proposés sur des formats autres que Broché ? (Poche, audio, numérique…) ?
L.E. : Certains de nos livres sont à présent disponibles en numérique, et ce sera le cas dorénavant pour chacune de nos nouveautés (sauf quand l’auteur s’y oppose ou que la mise en page ne le permet pas : pour Le Novelliste notamment). Cas à part, nous aurons même en septembre de cette année à notre catalogue une série de romans uniquement disponibles en numérique. Il s’agit de la série Bodichiev, détective à vapeur, de Viat et Olav Koulikov (dans une traduction d’André-François Ruaud). Auparavant en numérique au catalogue des défunts Moutons électriques, les neuf tomes de la série (le neuvième sort en ce mois de septembre) sont toujours édités en papier par les éditions Koikalit, mais pour le numérique uniquement, c’est Flatland éditeur qui prend le relais.

PdE : Quelle est ta présence sur les salons et festivals, et quelle importance accordes-tu à la communication pour ta maison d’édition ?
L.E. : Comme je le signalais précédemment, nous sommes pour le moment absents des salons et festivals, et c’est un manque qu’il va nous falloir combler. J’accorde à la communication autant d’importance que cela m’est possible en fonction du temps disponible. Elle passe par les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Mastodon), par notre site et les billets de blog que nous y publions, et par une lettre trimestrielle d’information par mail à l’usage de nos adhérents intitulée Flatland House. Nous avons renoncé à une lettre d’info par mailing qui ne donnait aucun résultat et que je trouvais trop intrusive (exaspéré par le bombardement journalier de mails, je ne vois pas pourquoi je l’infligerais aux autres).
PdE : As-tu des infos exclusives à partager sur de futures parutions ou évolutions ?
L.E. : Nous poursuivrons à l’avenir sur notre lancée, tant que cela nous sera possible, en essayant d’avoir une politique d’auteurs. C’est le cas notamment avec David Sillanoli, dont nous avons publié dans La Tangente un recueil de trois novellas (Protocole commotion) d’inspiration noire et polardeuse, et qui récidive en septembre dans la même collection avec cette fois un roman de pure SF survitaminée et décoiffante intitulé Pauvre cosmos.
Politique d’auteurs, toujours, et également dans la Tangente, Alephramize (un recueil de trois novellas) sera en octobre le troisième livre de Léo Kennel (auteure essentielle et trop peu lue) publié chez nous, après Wohlzarénine et Osgharibyan. Ensuite viendront trois livres étonnants : L’infini vu d’avion, excellent et copieux recueil de nouvelles inédites de Philippe Cousin ; L’immeuble d’à côté, antho rassemblée par Yves Letort en hommage à L’immeuble d’en face d’Andrevon/Cousin paru en Présence du Futur dans les années 80, à laquelle les deux auteurs (entre autres) ont accepté de participer ; et Avant le dernier jour, dernier roman en date de Jean-Pierre Andrevon (il va sans dire que c’est un grand honneur pour nous). Il y aura aussi le quatrième tome de notre anthologie thématique annuelle Horizon Perpétuel, sur le thème des dérèglements, dont l’AT se termine le 1er septembre, et dans La Tangente une surprenante novella de « fantastique social » en pays minier, Galerie de monstres, de Fabrice Schurmans, qu’on retrouve régulièrement au sommaire du Novelliste et dont nous avons publié en 2024 le recueil Paris perdus.

Les éditions Flatland sont situées à Tourcoing, et pour accéder au site, c’est ici : Flatland Éditeur
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