« UNE BULLE AUTOUR DE MOI REND LES GENS AMNÉSIQUES »
Comment les auteurs ont compris ce thème un poil alambiqué ? 2 visions différentes et 2 interprétations à déguster ci-dessous.
- Le Paramonde
- Quelle heure est-il ?
Contrainte 1 | Au bord d’un cratère |
Contrainte 2 | Une plante comme personnage secondaire |
LE PARAMONDE
Journée de la Terre 12 016. Quand elles eurent joui toutes ensemble, Terre trembla. Bractées florales, sucas d’iris, fluides pupilles, sève de jojoba, pollenias orbitales. La grande florescence des amantes déclencha le désir biomimétique. Dans la grande nuit floréale, les amantes par milliers s’avancèrent et plussoyèrent leur stratégie de guerre d’amour.
Du cratère mis sous cloche à l’Erandro, irruption de sa vengeance, la matière plasmique se propolia et folia. Une bulle immense se forma. Reflets rouge opaques et turquoise transparents. La bulle absorba tout sur son passage : arbres, marelles, polygone, supermarché, chihouaoa, sépultures, œufs à la coque, rape à fromage, godemichés, tapis de prière, canettes de coca. Environnement et organismes. Tout.
Les amantes par milliers tendirent une grande toile pour capter le message de Terre. Terre commença à peindre son message avec la fumée du volcan.
Ainsi était annoncé l’âge de Gloire : une grande amnésie frappera les gens autour de vous. Seules les amantes garderont l’empreinte. Seule une plante permettra aux amantes de recouvrer la mémoire de la Humanité pré-glorieuse.
Jour de l’initiation de Sorya, Bengola et Cyta. Elles quittent les berges du cratère. En marche avec la caravane annuelle, en quête de la plante.
Ici bruyère, romarin, laurier, armoise, bardane.
Pas encore.
Ici buis, pissenlit, gui, millepertuis…
Ici salsepareille, hellébore, datura, mandragore…
Bientôt
Ici oui !
Là.
Elles s’assoient toutes en cercle, élabore un cadran solaire, pose le gnomon. Quand le rayon de soleil caresse le pistil, elles chantent toutes.
Pajna pikakuwa nutelo ke
Ina kemaka rijlo ke i’mayaya
Ina amama pekowaka wijo
Keya jopa kaje wake na ke iyama
Invocations aux poulpissimes, bal des tritons.
Sorya lèche un pétale que lui présente Bengola : « Comme le rebond de milles balles de tennis sur une planche de galets ».
Bengola suce une feuille que lui présente Cyta : « Cogito ergo sum »
Cyta croque une racine que lui présente Sorya : « Les testicules engendrent l’audace ».
Soudain leur champ visuel se voile de l’imaginarium pré-glorieux : des centrales pétrochimiques, des fillettes violées par des mitraillettes, des mers noires de mazout, des fillettes violées par des pittbulls, des forêts abattues, des fillettes violées par des missiles nucléaires.
Elles pleurent dans les bras les unes des autres. Elles ne comprennent rien et comprennent tout. C’est le monde dans lequel leurs sœurs amantes ont survécu, avant l’âge de Gloire. A présent dans la théophanie du vivant, elles vivent. Alors elles exultent. Car ce monde a été absorbé par la Bulle.
Mais Sorya, Bengola et Cyta se regardent. Elles pensent toutes la même chose, au même moment. Cette Bulle où est-elle désormais ? A-t-elle éclaté quelque part déversant son lot de mâlédictions quelque part, ailleurs ? Peut-être près d’ici, tout contre ?
Contrainte 1 | L’antichambre des martyres |
QUELLE HEURE EST-IL ?
16h30 ! Déjà !
Le temps qui semblait s’être arrêté tout doucement, continue lentement son travail de sape.
Combien m’en reste-t-il ? Combien de jours, combien de nuits ? Je crois bien que je me suis trompée dans le compte, je me suis laissée distraire dans l’écriture de mon calendrier personnel et je me demande si je n’ai pas oublié une heure par ci, une heure par là, ou si je n’ai pas compté deux fois la même. C’est peut-être que j’ai trop rêvé !
C’est mon défaut majeur, j’ai bien du mal, malgré tous mes efforts à tenir une idée jusqu’au bout, pourtant il m’arrive de répéter un nombre incalculable de fois la phrase clé qui me ferait avancer ou évoluer. Mais non, il faut toujours que je bute sur une nouvelle notion qui me paraît plus séduisante et plus facile à appréhender que celle qui la précède juste avant.
Ainsi, je me souviens que lorsque j’étais enfant, ma mère qui devait rester à la maison pour s’occuper de mes petits frères, m’avait envoyée acheter des oranges à l’épicerie du coin. J’avais rejoint la place du village en chantant tout au long du chemin : « donnez-moi des oranges s’il vous plait, de belles oranges, des « navelles » de préférence … pour arriver tout essoufflée chez la marchande. Et là, impossible de men souvenir ! Et j’ai dit, ça je m’en souviens très bien : Donnez-moi un kg d’olaines, s’il vous plait !
Ce fruit-là n’existe pas ou alors sur une autre planète. Bizarre que je m’en souvienne aujourd’hui encore alors que le temps immédiat s’amuse à m’égarer. Je ne sais pas pourquoi, ça reste un mystère pour moi et quand je tente de creuser un peu, l’idée a déjà fait long feu, et je passe à autre chose.
Cela m’inquiète un peu, j’aimerais bien comprendre dans mes moments de lucidité, pour améliorer mes performances quand la chaîne neuronale daigne s’exprimer jusqu’à son terme.
J’ai bien regardé sur internet, pour essayer de trouver un semblant d’explication mais j’ai été contrainte d’abandonner, sûre d’avoir attrapé toutes les maladies.
D’ailleurs qu’est-ce que je fais là, en dehors de la bulle ?
Est-ce que je me suis enfuie ? M’a-t-on mise à la porte parce que j’avais fait une grosse bêtise.
Je pense que je ne suis pas la seule à errer ainsi dans ce dédale de sentiers balisés. Je déteste les labyrinthes mais parfois à la croisée des chemins on peut rencontrer des gens bien.
On échange des sourires, un regard appuyé parfois, mais dès qu’on se met à prononcer quelques mots de courtoisie, content de pouvoir échanger un peu, la conversation qui s’annonçait avenante, bloque d’un seul coup, comme si le disque dur avait buggé.
C’est arrivé plusieurs fois déjà, quatre ou cinq. Ou cinq ou sept, plus de cinquante peut-être ? En tout cas, les mots qui normalement sont faits pour s’enchaîner et tenter d’établir une communication avec le reste de l’humanité, restent enfermés dans la boîte crânienne, comme s’ils voulaient tous s’exprimer à la fois. Ce phénomène bizarre et incompréhensible n’est pas une exclusivité qui me serait entièrement réservée, je ne suis pas la seule à compter sur mes doigts ou à implorer le ciel dans l’espoir d’une révélation.
C’est quelque chose qui arrive brusquement, toutes les personnes que je rencontre dans ces moments là, ont le même regard vide, la même allure spectrale et décalée.
Vous pourriez me dire que si j’étais vraiment amnésique, je ne devrais pas pouvoir en parler ou en avoir seulement conscience. Mais je suis un cas à part, je l’ai toujours été, je ne peux me départir de mes bouchons d’oreilles car je suis hypersensible au bruit.
Tout vient du sablier, l’antichambre des martyres, le lieu magique ou la mélodie sort pour vous endormir.
Je ne sais pas quel est l’instrument responsable de l’écoulement du sable, la sirène capable d’envoyer les humains au purgatoire.
Quelle heure est-il ? Quelle heure ? 16h15, vite, je dois plaquer mes mains sur les oreilles pour prolonger un peu ma vie.