L’ouvrage de Pincio déroutera à bon droit le lecteur. Sous les apparences d’une uchronie dans laquelle les grands consortiums américains mèneraient dans les années 50 une absurde course à l’espace, avec moult stations spatiales et bases planétaires, l’auteur déroule un certain nombre d’images, dont certaines fort belles comme ces cat-walker qui glissent, parfois jusqu’à la mort, sur les lignes de convois spatiaux pour dérouler des bandes publicitaires (non, ne cherchez même pas la vitesse comparée d’une fusée et d’un cosmonaute), il aligne les noms célèbres (Kerouac, Arthur Miller, Marylin Monroe et son étrange alter-ego Norma Jean Mortensen), hautement référentiels et fait appel à certains mythes contemporains en suggérant une conspiration dans laquelle l’Espace, en fait inexistant, serait en réalité reconstitué artificiellement dans des cavernes sous le désert du Névada.
Mais aucun enjeu n’est présent dans le roman. La construction uchronique n’a ni sens, ni objet : rien n’est explicité sur son origine et le devenir global de cet univers particulier n’est à l’évidence pas le sujet du livre. On devine une méditation sur la solitude, sans plus. Les références ne sont guère utilisées ; les noms célèbres sont invoqués, plaqués sur des personnages plus ou moins conformes à leur légende (peut-être un lecteur avec une connaissance étendue de la biographie réelle de Kerouac, de Burroughs et d’autres aura-t-il un avis différent ; ce serait intéressant d’avoir un retour en ce sens dans un prochain numéro). Une autre énigme, qui ne semble pas intéresser outre mesure l’auteur, est l’insert de séquences se passant à ‘notre’ époque, dans lesquels des historiens, jamais nommés ni désignés autrement que par ce terme générique, essaient, sans que l’on comprenne réellement pourquoi, de reconstituer des points de détails de ce qui est advenu 50 ans plus tôt. Y a-t-il une réflexion sur le sens de l’histoire qui m’a échappé ? L’auteur tente-t-il de montrer la vanité des efforts pour comprendre le passé. C’est loin d’être évident.
Le pompon, c’est la postface de Luca Briasco et Mattia Carratello : “ Le ConSENSus narratif ”, manifeste qui entreprend d’expliquer pourquoi ce livre (et tous ceux qui en suivront l’exemple) révolutionne la littérature. Cela m’évoque un peu cette théorie de doux dingues qui chaque année et dans tous les pays déposent depuis des siècles LE brevet du moteur à mouvement perpétuel. Cela dit, le texte donne bien une justification, sinon un sens, au refus de faire usage des références que l’auteur déroule, ainsi qu’au peu d’importance accordé à l’intrigue.
Après une telle critique, pourquoi vais-je malgré tout vous encourager à acheter ce livre ? Plusieurs raisons m’y poussent, outre le fait qu’il n’y a pas de meilleure critique que celle qu’on fait soi-même, par l’exercice de son individualité. Folio SF a engagé depuis un certain temps une politique ambitieuse pour les littératures de l’imaginaire : entre autre points, celle-ci comprend la publication d’essais, très appréciés, la traduction d’auteurs européens (italien ici, roumain avec Mircea Cartarescu), et l’inclusion dans la collection de textes aux limites de l’imaginaire et de l’expérimentation littéraire. C’est le cas ici ; ce n’est à mon sens pas le meilleur exemple, mais il n’en faut pas moins donner une sanction positive à ces efforts pour ouvrir le lecteur à de nouveaux horizons. En quelque sorte, délivrer un : “ Peut mieux faire : on espère mieux ”.
Un dernier point n’est pas mineur : le livre est proposé (et c’est le cas d’autres volumes de la collection) à un prix non seulement abordable, mais décent. C’est un point fort en faveur d’un large soutien à Folio SF en général. En attendant la prochaine fois.
Chronique de Remy ‘1226’ Le Chevalier
Éditeur | Folio SF |
Auteur | Tommaso Pincio |
Pages | 206 |
Prix | 4,10€ |
Nous en pensons ...
Notre avis
1.2
La construction uchronique n’a ni sens, ni objet : rien n’est explicité sur son origine et le devenir global de cet univers particulier n’est à l’évidence pas le sujet du livre.