Match d’écriture Etrange Grande 2025 – « Je suis la prochaine étape »


Une étape c’est quoi ? Un moment, une action, un chaînon ; cela succède à quelque chose et précède autre chose. 
Ce qui est venu avant est connu. 
 
Mais celle qui vient après ? La prochaine ? 
 
Et après quoi, d’ailleurs ?
 
  • Une dernière fleur sous l’orage
  • Gozer
  • Je l’avais dit
  • Le dernier plan du reste de ma vie
  •  

    Une dernière fleur sous l’orage

     

     Par le hublot du vaisseau, Julie regarde dehors. Seul le noir, abyssal, lui renvoie son reflet. Le noir d’une nuit sans aube, d’une nuit qui s’étend et s’étend sans limites. La nuit recouvre le monde et Julie a peur. Elle sait qu’il n’y a rien, au-delà de l’horizon. Qu’elle est seule.

    Elle referme le volet d’un coup sec. La lumière de la cabine, chaude, ne suffit pas à la rassurer. Le ronronnement des moteurs non plus.

    D’ici quelques heures, tout s’éteindra.

    Julie redoute le froid, l’obscurité et le silence qui viendront sans tarder et seront ses derniers compagnons.

    Elle n’avait pas prévu de finir ainsi. Lorsqu’elle avait volé le vaisseau, piraté son poste de contrôle, mit le cap sur le système solaire gamma-64, elle voulait simplement rentrer chez elle. Elle voulait quitter la colonie. Sa colonie, celle qu’elle haïssait depuis qu’elle y avait mit les pieds, dix ans plus tôt. Lu-23-carmen. Quel nom de merde. Même pas un nom, un sigle, une marque de fabrique, un numéro de série, une planète sous contrat de propriété d’exploitation exclusive du Réseau Terra-Unie.

    Julie ne venait pas d’ici. Elle n’avait pas grandi sur ses plateaux arides ni dans ses forêts, dans l’ombre de ses tempêtes infinies, à grimper le long des séquoias géants pour y ramasser les boutons d’azalées-cendrées, au péril de sa vie, seulement munie d’un rediffuseur-paratonnerre et d’une cape de pluie. Elle n’avait pas choisi de finir ses journées, après des heures perchée dans les arbres, à ramper sous terre pour rejoindre son logement de misère, une cahute enterrée, à l’abri des tempêtes et de la foudre. Jour après jour, elle regardait mourir les autres travailleurs et elle haïssait le Réseau de l’avoir envoyée ici. De les avoir tous envoyés mourir. Et pourquoi ? Pour ces putains de fleurs. Ces fleurs qui ne poussaient qu’ici, sous l’influence des orages, dans la biosphère locale, ces fleurs qui, une fois passées dans les usines d’extraction, servaient de combustible à la flotte de guerre et permettaient d’envoyer d’autres âmes égarées, d’autres travailleurs, d’autres esclaves en vérité, prisonniers du Réseau, se faire exploser à l’autre bout de la galaxie.

    Julie venait d’ailleurs. D’une lune reculée, dans un système solaire oublié. Un lieu qui n’appartenait pas au Réseau et où ne viendrait pas la chercher. Elle voulait y retourner. Alors elle avait volé un vaisseau. Elle n’avait pas réfléchi, elle avait vu une opportunité, elle s’était élancée, sans regarder en arrière, sans hésiter, sans prendre le temps de vérifier le niveau de carburant, sans s’assurer qu’elle pourrait atteindre sa destination.

    Assise au sol, recroquevillée sur elle-même, ignorant les alarmes qui résonnent dans le vaisseau, Julie repense à sa folie adolescente qui l’avait poussée à quitter sa lune pour les secteurs plus urbains. Elle s’était faite prendre au piège d’un monde qui la dépassait, dont les règles lui échappait. Et elle s’était retrouvée sous contrat de travail forcé avant d’avoir eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait.

    Combien elle regrettait aujourd’hui.

    Elle sortit de sa poche la fleur ramassée le matin-même. L’azalée-cendrée se déployait dans sa paume en cinq larges pétales grises, zébrées d’or. Une seule fleur contenait assez d’énergie pour alimenter son vaisseau pendant vingt ans et couvrir des milliers de fois la distance qui lui restait à parcourir.

    Une seule fleur, qu’elle tenait dans sa main, et qu’elle n’avait aucun moyen de transformer en essence liquide.

    Julie a peur. Julie ne veut pas mourir, elle ne veut pas finir sa vie ainsi, seule, profondément seule, l’esprit hanté des milliers de morts.

    Prise d’une telle colère envers elle-même, envers le monde, l’injustice, l’Univers entier, Julie glisse la fleur dans sa bouche. Elle mâche les pétales, elle mange, des larmes coulent sur ses joues, elle mange comme si sa vie en dépendait, comme si rien d’autre n’importait, elle mange son passé, sa haine, elle mange la mémoire d’une enfance perdue et d’une jeunesse interrompue.

     

    Je suis l’énergie et la puissance.

    Je suis la brise qui soulève des montagnes.

    Julie se transforme. Elle se rend bien compte que son corps change, que le sang bat à ses tempes avec une force nouvelle, que ses sens se modifient, qu’elle entend des rayonnements des étoiles et perçois de nouvelles couleurs, elle réalise qu’elle n’est plus tout à fait Julie, mais cette fois-ci, elle n’a pas peur.

    Elle n’est plus seule.

     

    Je suis la prochaine étape d’un voyage qui n’ira pas plus loin.

    Je suis la Mort et je suis le renouveau.

     

    La puissance de la fleur rayonne. Julie n’a plus besoin du vaisseau, elle est le vaisseau, elle est l’espace tout autour et plus loin encore. Elle est ailleurs et elle est là.

    La puissance s’étend jusqu’aux limites de la réalité, se déploie, puis se resserre et revient se loger dans son corps. Julie demeure Julie, agrandie. Elle a croisé des pulsars, des nébuleuses et des trous noirs. Elle a traversé des cieux dévastés et des galaxies sans couleurs. De nouveaux territoires l’habitent. Elle est immense.

     

    Je suis toi et tu es moi.

    Je suis l’azalée, la cendre et la foudre.

    Je suis la force qui régit l’Univers.

     

    Julie se relève. Elle soulève le volet et regarde dehors. Elle n’a plus peur. Le temps est de son côté. Un jour ou l’autre, un nouveau vaisseau passera sur cette route. Elle sera secourue. Elle n’a plus besoin ni d’air, ni de lumière, ni même de chaleur. Elle peut attendre.

    Et quand l’attente viendra à son terme, Julie et la fleur iront changer le monde.

     



     
    Contrainte objet / personnage L’effaceur d’idées
    Contrainte temps / lieu / événement Azulejos (bleu en espagnol)

     

    Gozer

     
    En l’an 2235 dans la cité de Google Angeles il y a « zuul » une entreprise dirigée par Daffy Trip dit « gozer ». C’est un patron tyran de tout juste 1m20 au bas mot selon moi, qui fait en sorte de faire de votre vie un enfer si vous osez le contredire ou même donner votre opinion.

                Selon lui il y a qu’une chose qui prévaut sur tout le reste, c’est son opinion et ses idées. Si vous avez le malheur de dire autre chose ou de ne pas penser comme lui préparez vous a finir le cerveau en bouillie.

    Pour cela il vous fera boire ce qu’il appelle « la trempette ». C’est un effaceur d’idées à base de jus de macaque pressé, de jus d’ours mal léché, de griffes de couillosorus pressé et de chien pressé trouvé derrière un restaurant chinois. La personne en charge de préparer la mixture et de vous la fourrer de force dans la bouche si je puis dire c’est Azulejos « dit le schtroumpf ».

    Selon la légende, il y aurait eu une dizaine de personne qui auraient bu « la trempette ». Le dernier en date c’est mon ami et collègue Eddy Vallant, je le surnomme « l’ahuri ». Il porte bien son surnom, il a disparu il y a un mois après « comme par hasard » avoir proposé de repasser à la semaine de 7 jours de travail. Depuis lors, personne n’ose parler pendant les réunions, il y règne un silence de mort. Même les moustiques n’osent plus traverser la pièce.

    Aujourd’hui on a une réunion sur le budget de l’année prochaine. Le comptable annonce la hausse du dit budget et je rétorque en rigolant « c’est pour la trempette ? ». Tout le monde baisse la tête et le patron me regarde de travers. J’ai tout de suite compris, je tousse comme un cancéreux sur l’instant. Je suis le prochain, je suis la prochaine étape.

     


     
    Contrainte objet / personnage une traductrice volubile

     


    Je l’avais dit

    Ma chère Hélène,

    Je ne suis pas désolée. Non. Pas du tout.

    Je ne dirai pas « je l’avais dit », parce que ce n’est pas pas mon genre. Mais si vous m’aviez écoutée, un tout petit peu, les choses auraient pu se passer différemment.

    Tu disais toujours que je parlais trop. Mais non. Pas du tout.

    C’est juste que j’avais beaucoup de choses à dire. Déformation professionnelle. Et les gens m’entendaient. Oui. Mais personne ne m’écoutait. Même pas toi. Et je crois que c’est ce qui m’a fait le plus mal. Pourquoi ne m’as-tu pas écoutée ? On aurait pu trouver une solution ensemble. On aurait pu s’enfuir toutes les deux. On aurait pu échapper aux catastrophes qui se sont enchainées depuis que tu es tombée amoureuse. Depuis que tu as cessé de m’écouter. Depuis que sa voix a couvert la mienne. Entre autres choses…

    Je ne suis pas jalouse. Ne crois pas ça. Juste je suis juste déçue.

    L’agacement que j’ai lu dans tes yeux continue de me brûler à l’acide, encore et encore. Et je dois lutter pour retenir mes larmes. Ces yeux si doux à mon égard sont devenus si durs. Ils se sont levés haut vers le ciel déjà noir. Et j’ai compris que je n’étais plus la bienvenue. Alors je suis partie. Je n’avais pas besoin de traduction.

    On dit souvent que traduire c’est trahir. Et c’est vrai. D’où l’utilité des astérisques, des préfaces, des contextes, des métatextes. Pour faciliter la transmission, pour adoucir la métamorphose, pour garder le message le plus intact possible dans son voyage d’un langage à l’autre.

    Mais que se passe-t-il dans le cas d’un langage qui est partout. Que tout le monde voit, que tout le monde touche, que tout le monde sent, que tout le monde entend, mais que personne n’écoute ?

    Ne me dis pas que tu ne le sentais pas ? Je ne te parle pas d’odeur. Je te parle de sensation de malaise, de mal-être. Je ne te parle pas de MON malaise, de mon mal-être. Non, j’ai bien compris que cela ne t’intéressait plus depuis qu’IL est arrivé dans ta vie.

    Non, je te parle de la terre sur laquelle tu marche, de l’air que tu respires, de l’herbe que tu foules, du vent qui te bouscule. N’as-tu pas remarqué que tout était devenu plus cru, plus dur, plus violent ?

    Et comment le monde ne l’a-t-il pas senti ? C’était partout !

    Le monde brûlait. Et nous avec. Mais nous n’avons rien fait. Enfin si : on a parlé. Pour ne rien dire. Dans le vent, qui n’a jamais rien entendu, et encore moins écouté. Et là, est-ce que c’était trop parler ?

    Alors j’ai fait ce que je savais faire : j’ai traduit.

    J’ai observé le langage de la nature. J’ai écouté les sifflements du vent, le chant des vagues et des baleines, les complaintes des loups. J’ai admiré les danses des abeilles. J’ai cherché les motifs, les répétitions, la grammaire, quelque chose, n’importe quoi. J’ai travaillé comme une folle. Il fallait bien que je m’occupe, puisque tu n’étais plus là. Ou plus exactement, puisque je n’existais plus pour toi. J’avais le temps. Tu étais dans ses bras. Alors oui, j’avais le temps.

    Je ne compte pas les litres d’encre et de larmes versés. J’ai plusieurs fois failli abandonner. J’ai douté. Qui étais-je pour prétendre décoder la langue de Gaïa ? N’étais-je pas déjà folle de croire en l’existence même d’un tel langage ?

    Et j’ai fini par trouver ! J’ai réussi à traduire les caresses des herbes, les mots d’amour dessinés sur les ailes des papillons, les messages des cimes timides.

    Et là s’est présenté un autre problème. Un problème que j’aurais pu anticiper, je dois dire : le monde n’en a rien eu à foutre. Pardon je deviens vulgaire. Mais avoue qu’il y a de quoi. Je ne suis pas très juste. En réalité, certains ont trouvé mon travail « intéressant ». Mais qu’ont-ils fait ? Ils ont créé des religions (n’y en avait-il pas déjà assez) et des guerres (restait-il encore assez de gens à tuer ?). Ils ont voulu faire de moi leur guide. Moi ?? Je leur ai ri au nez. Ils n’avaient rien compris. Je n’étais le guide de rien ni personne. J’étais la traductrice de la Nature. La Nature, ce n’est pas une personne qui parle ou écrit, c’est un tout. C’est multiple et un à la fois. C’est l’univers. C’est notre univers. C’est notre oxygène, notre environnement, nos sens.

    J’ai longtemps réfléchi à la traduction du message de la Nature. Je ne peux pas le traduire littéralement. Il y a trop de notions qui n’ont même pas de mots, dans aucune langue. Pour faire simple, elle disait : « je suis la prochaine étape. »

    Elle répétait ces mots encore et encore.

    Et je les répétais avec elle. Et j’expliquais, au cas où ce n’était pas assez clair.  J’expliquais à tout le monde ce que cela voulait dire : que la nature allait reprendre ses droits. Que ce n’était pas une option, pas un choix, c’était juste un constat : il était trop tard pour nous. Voilà tout. Et quand je dis « nous », je ne parle pas de toi et moi. Je parle de tout le monde.

    Ce n’était pas triste, c’était juste comme ça. Le choix qui nous restait était simple : mourir, partir ou s’adapter.

    Mourir : pourquoi pas ?

    Partir : mais où ?

    S’adapter : mais comment ?

    Je n’avais pas les réponses à ces questions, mais ensemble, on aurait pu les trouver ! ou au moins les chercher.

    Mais comme personne n’entendait, n’écoutait, ou comprenait. Je me suis tourné vers toi. Mais il était toujours là. Alors toi non plus tu n’as pas compris.

    Alors j’ai tout envoyer valser (tu as vu comme je reste polie). Et j’ai fait chevalière seule. Et aujourd’hui je suis seule dans mon arche, dans mon vaisseau, dans mon cercueil volant.

    Je t’écris cette lettre en sachant pertinemment que tu ne la liras pas. Parce que tu ne la recevras pas. Parce que la Nature a respecté sa parole. Parce qu’elle a tout englouti sous les flots. Parce qu’elle a tout effacé pour repartir de zéro. Parce que dans le langage de la Nature, le concept du mensonge n’existe pas.

    Que va-t-il se passer maintenant ? Je n’ai pas la réponse à cette question non plus.

    La vie vaincra sûrement, elle trouvera un moyen de revenir, comme elle le fait toujours. Sous quelle forme ? Les dinosaures reviendront-ils à la vie ? J’aurais aimé, tellement aimé que l’on cherche les réponses ensemble. Mais tu n’es plus là. Lui non plus. M’en veux-tu de sourire à cette pensée ? Les mortes peuvent-elles en vouloir à qui que ce soit de quoi que ce soit ? Cette question a-t-elle encore un sens maintenant que le monde entier est mort ?

    Je me perds. Je parle trop (encore). Il faut bien que je m’occupe, maintenant que tu n’es plus là…

    Mais merde à la fin : je l’avais dit !!

    A toi pour toujours,

    Kass


     
     
    Le dernier plan du reste de ma vie

     
    Mes doigts tremblants glissèrent sur le loquet tandis que je verrouillais la porte derrière moi le plus silencieusement possible. Je tâtonnais ensuite à ma droite à la recherche d’un interrupteur. Trouvé. Une lueur blanche, violente, blafarde éclaira tout à coup la salle de bain dans laquelle je venais de me réfugier. Je plissais les yeux en étouffant un gémissement de douleur avant de chanceler jusqu’au lavabo. J’ouvris maladroitement le robinet d’eau chaude à pleine puissance tout en respirant à grandes goulées. Tout mon être tremblait de façon incontrôlable et mes jambes menaçaient de s’effondrer. Toutefois, la chaleur de l’eau avec laquelle je m’aspergeais le visage puis le corps calma un peu mon angoisse et mes soubresauts.

    Mon souffle plus apaisé, j’agrippai les bords de la faïence et redressai la tête en m’ébrouant. Le reflet du miroir me renvoya un regard apeuré et tendu.

    — Putain, mais c’est quoi ce mec ?! murmurai-je pour moi-même en essuyant ma peau sombre avec une serviette propre mise à disposition.

    La soirée avait pourtant bien commencé. Rentré tard du travail après une journée de réunions avec ces imbéciles de l’équipe marketing, j’avais décidé de me détendre en me trouvant un gars mignon, sympa et pas trop loin de chez moi. Après quelques minutes à naviguer sur les applications, je trouvais mon bonheur : le courant passait bien, le mec était vraiment bg, et il se trouvait à deux pâtés de maison. Cool, sexy et marrant, nickel quoi !

    « Chez moi ou chez toi ?  0:) » me proposa-t-il enfin.

    Un rapide coup d’œil au bazar qui régnait dans mon studio me décida vite.

    « Flemme de faire le ménage LOL ! Ok pour chez toi ? »

    « Parfait ! ; ) ».

    En arrivant dans son deux-pièces, je fus d’emblée frappé par la propreté qui y régnait. Les meubles semblaient récents, le parquet ne présentait aucun signe d’usure, et l’entrée sentait le… le rien. Au moins, je suis sûr qu’il prend soin de lui, celui-là ! pensai-je en me déchaussant, un sourire gourmand aux lèvres.

    — Tu as fait vite, super ! fit soudain une voix enjouée à l’autre bout du petit couloir.

    En relevant les yeux dans sa direction, mon sang ne fit qu’un tour. Le bel inconnu se tenait adossé contre le mur, un sourire charmeur aux lèvres, entièrement nu. Sa peau d’une pâleur extrême luisait d’un éclat irréel sous la lumière tamisé du plafonnier. Le jeu d’ombre renforçait le dessin d’un corps qu’on aurait dit sculpté dans le marbre. On dirait un fantôme… pensais-je avec un petit rire neveux. L’homme s’étira langoureusement, passa une main dans sa chevelure blonde mi longue, puis m’invita du doigt à le suivre jusque dans sa chambre. Mais un fantôme très sexy !  J’ôtai mon manteau d’un mouvement impatient et le rejoignis aussitôt.

    A peine avais-je franchi le seuil de la pièce qu’il m’agrippa le col pour m’embrasser à en perdre haleine.

    — Eh beh, t’es chaud toi ! murmurai-je tandis que je portais mes mains à sa taille. Oh la vache ! Mais tu es glacé, mon pauvre !

    — Oui, c’est terrible… Un problème de circulation sanguine que j’ai depuis quelques temps… C’est pas pour rien que j’avais envie d’un grand gaillard comme toi sous mes draps ce soir. Ça ne t’ennuie pas de me réchauffer, j’espère ? me demanda-t-il avec une moue adorable.

    — Je suis prêt à relever le défi, soufflai-je avec un sourire avant de la mordiller dans le cou, émoustillé par sa beauté et sa candeur.

    Il caressa mon crâne rasé avec un sourire. Ce contact gelé me fit frissonner de malaise et de plaisir mêlés. Avant que je ne puisse réagir, il joignit de nouveau ses lèvres aux miennes tout en défaisant ma ceinture avec un doigté expert. Ses lèvres et sa langue étaient chaudes contre les miennes. Aussi, je me laissai emporter bien volontiers.

    Pourtant, à mesure que nous explorions nos corps respectifs à grands renforts de baisers et de caresses, je sentis ma fatigue croître tandis que j’avais de plus en plus froid malgré l’épaisse couverture sous laquelle nous nous étions réfugiés. J’eus alors un hoquet de surprise lorsque sa main descendit de mon torse poilu à mon ventre quelque peu rebondi pour le cajoler avec affection… Elle était chaude ! Plus chaude encore que ma peau ! Je voulus me dégager, mais il plongea alors sous les draps pour me baiser la poitrine tout en descendant vers mon sexe tendu, qu’il entreprit de savourer.

    Subjugué par son savoir-faire et par les ondes de plaisir qui montaient en moi, je sentis mon esprit partir loin tandis que mon corps s’abandonnait au bel inconnu. Hormis la volupté du moment, tout me semblait assourdi, atténué, lointain… comme si mon esprit était enfermé dans une prison de coton. Et j’ai froid, bon sang, j’ai si froid ! J’eus soudain un violent soubresaut et m’écartais brutalement de lui et du lit.

    — Tout va bien ? Je t’ai fait mal ? s’enquit-il, à la fois surpris et inquiet.

    — Nan, nan ! Au contraire ! le rassurai-je avec un sourire maladroit. J’ai juste une grosse envie de pisser tout à coup, désolé… Où sont tes toilettes ?

     

    — J’ai pas beaucoup de temps, faut que je me tire, grimaçai-je.

    Revenu à moi, je zieutai l’intérieur de la salle de bain. Pas de fenêtre, et à part une minuscule grille d’aération par laquelle je serais bien incapable de sortir, aucune échappatoire. Tout était bien rangé, et d’une propreté irréelle. Personne ne s’est encore servi de cette salle de bain… Je me repassai alors le fil de mon arrivée jusqu’au moment nous nous étions jetés sur le lit, et compris subitement. Personne ne vit dans cet appartement.

    Un immense sentiment de panique m’envahit tandis que mes entrailles se nouaient. C’est un putain de serial killer ! Un tueur de gays complètement taré ! Je sentis de nouveau l’air me manquer, mais je m’efforçai de garder mon calme et d’examiner la situation.

    Calme-toi, respire… Tu peux t’en sortir. Il est baraqué, OK, mais tu peux le prendre par surprise !  Tant pis pour mes fringues et mes affaires, j’allais sortir de là dans la seconde qui suivait pour quitter cet enfer séance tenante. Décidé, je me redressai d’un bond puis me tournai vers la porte.

    Toc, toc, toc !

    Ces trois coups secs sur la porte de la salle de bain brisèrent instantanément mon élan.

    Toc, toc, toc !

    Les trois suivants résonnèrent dans un silence glacial.

    Je n’osai plus bouger, pris au piège de mon désir et de cette espèce de monstre qui m’avait attiré chez lui.

    — Ça va ? Tu as fini ? Tu en mets, du temps… fit mon hôte avec un ton de reproche dans la voix. Tu as besoin de quelque…

    — N’approche pas ! N’entre pas ! m’écriai-je d’une voix suraiguë, au bord de la panique.

    Mon téléphone est dans mon pantalon, merde !  Je ne pouvais prévenir personne, il n’y a que lui et moi.

    — Allons, c’est ridicule ! Tu avais l’air de prendre ton pied, en plus. C’est quoi le problème ? fit l’inconnu d’une voix de plus en plus impatiente.

    — Je… j’ai plus envie, voilà ! Désolé, c’est pas contre toi, mais je veux juste rentrer chez moi maintenant.

    Un long silence s’étira entre nous alors que le froid se faisait de nouveau ressentir autour de moi. Je me mis à frissonner et plaquai en réponse la petite serviette contre mes épaules pour tenter de me réchauffer.

    — Si tu m’ouvres, je te laisse partir, déclara simplement l’homme après un temps.

    — Promis ? couinai-je, comme un enfant.

    — Promis.

    J’avançai lentement vers la porte et tournai le verrou d’un mouvement sec. Il était glacial.

    La seconde d’après, la porte s’ouvrit en grand, me heurtant violemment au visage. Sonné, je reculai en titubant tandis que mon hôte s’engouffrait dans la pièce et me repoussai contre le lavabo d’une poussée brusque sur ma poitrine. Il m’attrapa ensuite le menton de ses doigts tièdes tandis que son autre main essuyait d’un geste délicat le sang qui avait coulé de mes narines.

    — Tu as de la chance, les premiers avaient bien tentés de se barricader comme toi, mais je pouvais traverser les murs, souffla-t-il avec légèreté. Enfin… Redevenir humain vaut bien de renoncer à ces maigres avantages.

    Il haussa les épaules et me dégagea un espace pour que je puisse me redresser.

    — T’es… t’es qui ? T’es quoi ? réussis-je à murmurer, mon corps grelottant et mon esprit captivé par la beauté glacial de cet être irréel.

    — Juste quelqu’un qui cherche à revenir d’un long et sombre voyage. Et tu vas m’y aider.

    — T’y aider ? Co… Comment ?

    Sans répondre, il pressa de nouveau ses lèvres contre les miennes tout en jetant au sol la serviette qui pendait sur mes épaules tombantes. Sentant de nouveau cette étrange sensation de mal-être et d’affaiblissement général, je me dégageai d’une bourrade. Je voulus ensuite le frapper au visage, mais il bloque mon coup avec une facilité déconcertante.

    — Plus qu’un… plus qu’un et je serai de nouveau de retour parmi vous ! grimaça-t-il avec hargne.

    Impressionné à mon corps défendant, je reculai jusqu’à la baignoire et m’assis sur le rebord avec un gémissement terrifié. J’étais coincé.

    Il approcha son visage à quelques centimètres du mien tout en refermant sa main sur mon sexe, qu’il commença à cajoler avec un doigté expert. Il affichait de nouveau un air doux, presque tendre.

    — Alors maintenant, tu vas être bien gentil et tu vas nous faire monter tous les deux au septième ciel… murmura-t-il d’un air doucereux, ses yeux brillant d’un éclat polaire et envoûtant.

    Malgré ses paroles terribles et implacables, j’acquiesçai avec un faible sourire, puis un désir irrépressible s’empara de tout mon être tandis qu’il s’installait à califourchon sur moi.

    Et tandis qu’il me chevauchait avec fougue, je compris soudain que notre jouissance commune signerait ma perte, la vitalité de mon corps toute entière aspiré par ce spectre redoutable et irrésistible. Pourtant, j’étais bien incapable de m’arrêter : le visage tout contre le sien, je lui mordais la nuque avec rudesse tout en amplifiant mes coups de rein tandis qu’il m’agrippait le dos avec force, dans un maelstrom de plaisir et de volupté commun.

    Il y a pire façon de mourir, n’est-ce pas… ?


     

    A propos de Mia-

    Membre du Club depuis 2005, Magali participe au comité de lecture d'AOC et s'occupe activement des matchs d'écriture, qu'elle colporte dans plusieurs festivals dédiés à l'imaginaire. Accessoirement, redoutable mouche du coche professionnelle :)

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