Rencontre avec Camille Ragot – Les éditions Oneroi

Entretien réalisé avec Camille Ragot, des éditions Oneiroi pour le site Présence d’Esprits – 2025 

Recueilli par David Soulayrol 

Présence d’Esprits : Comment perçois-tu la place de ta maison d’édition dans le paysage de la SFFF en France ? 

Camille Ragot : À l’origine, je souhaitais créer une maison d’édition de littérature fantasy, mais après la rédaction de mon mémoire sur ce marché, j’ai réalisé qu’il serait très difficile de s’y faire une place. J’ai donc décidé de me spécialiser dans un genre encore méconnu et plein de potentiel : le steampunk. Aucune autre maison d’édition en France n’a de collection dédiée à ce genre. Dans le paysage de l’imaginaire, le steampunk est une ultra-niche car c’est un sous-genre de la science-fiction. Pourtant, il a la particularité d’être plus accessible au grand public et de moins souffrir des préjugés sur les littératures de l’imaginaire du fait de son ancrage historique dans le XIXe siècle.

Oneiroi est une petite maison d’édition indépendante de l’imaginaire mais avec la possibilité de toucher un public plus large que celui du secteur. 

 

PdE : Si tu devais résumer ta ligne éditoriale en une phrase, que dirais-tu ? 

C.R. : Oneiroi est spécialisée dans la littérature steampunk, le polar d’imaginaire et la steam-fantasy. 

 

PdE : As-tu des collections spécifiques ? 

C.R. : Oui, je suis un peu maniaque et j’aime classer les choses ! Ce n’est pas toujours évident en littérature, d’autant plus que souvent les textes qui jouent avec les frontières sont les plus intéressants. C’est pourquoi mes collections sont suffisamment larges pour accueillir tout type de textes. Ma collection principale, Vapeur & Mécanique, est, évidemment, consacrée au steampunk. Ensuite, Enquêtes fantastiques rassemble des polars/thrillers d’imaginaire : des textes qui mêlent les codes du roman policier avec les genres de l’imaginaire (science-fiction, fantastique, fantasy). La troisième est dédiée à ce que j’appelle la steam-fantasy ; c’est-à-dire des univers de fantasy (système de magie) mais avec un décorum steampunk ou une inspiration XIXe siècle. 

PdE : À propos de mélanges, chaque volume de la collection Vapeur & Mécanique s’appuie sur une association… surprenante de deux thématiques. Comment te viennent ces idées ? 

C.R. : J’ai deux listes de sujets que j’aimerais aborder dans mes anthologies : l’une de thèmes jugés steampunk/XIXe siècle et l’autre qui regroupe des préoccupations ou problématiques actuelles. Le choix d’une nouvelle thématique implique une grosse séance de brainstorming pendant laquelle je pose déjà les sujets sur lesquels j’ai envie de lire et les sujets d’actualité qui m’ont interpelée dernièrement. Par exemple pour Gastronomie et exploitation coloniale, l’idée m’est venue en tombant sur un reportage de Secrets d’histoire (de mémoire) qui parlait de la naissance des restaurants au XIXe siècle. J’ai dû voir plus tard une autre vidéo qui montrait combien beaucoup de nos produits consommés au quotidien sont issus du colonialisme (café, thé, chocolat, canne à sucre…). Je trouvais intéressant que quelque chose d’aussi énorme ne nous saute pas aux yeux et important de faire une piqûre de rappel. 

Idem pour l’anthologie à paraître, Consumérisme et haute couture ; l’apparence est une part importante du steampunk, on le voit dans les costumes des vaporistes, mais en parallèle l’impact écologique, social et économique de la fast fashion m’effraie beaucoup aujourd’hui. Mettre la fast fashion actuelle en regard de la slow fashion de l’époque et en même temps revenir aux sources du prêt-à-porter m’apparaissait très intéressant. 

Appel à texte littératureEt pour l’AT en cours, Oligarchie et sciences occultes, j’avais envie de lire des histoires de fantômes, d’ésotérisme, de flirter avec le mystique ; et d’un autre côté j’étais choquée par le salut nazi de Musk, très inquiète de la montée en puissance des extrêmes droites dans le monde et je trouvais donc que la thématique de l’oligarchie était raccord entre le XIXe et aujourd’hui. Par contre, je ne voyais pas comment relier les deux. C’est Paul, mon mari, qui m’a parlé de l’ordre de Thulé, une société secrète allemande cherchant des reliques aryennes censées prouver la supériorité de la race blanche. Elle se basait sur des mythes racistes qui ont inspiré le nazisme. Et voilà, le lien était trouvé ! 

Une fois les deux visages de la thématique définis, vient le choix des mots. Il faut trouver un titre qui sonne bien, avec le même rythme que les autres et qui évoque bien ce que je souhaite qu’on trouve dans l’anthologie. En résumé ; j’ai des listes de thèmes, je reste attentive à l’actualité, aux reportages historiques, et je brainstorme avec ma team secrète ! 

PdE : Qu’est-ce qui t’a amenée à travailler dans ce domaine ? 

C.R. : Mes études et une bonne conseillère d’orientation ! J’étais étudiante quand j’ai découvert le métier d’éditeur. J’avais déjà une licence de droit et je reprenais une licence d’Arts Plastiques sans vraiment savoir où ça allait me mener. Quand j’ai découvert l’édition, j’ai su que je voulais faire ce métier : le parfait combo entre littérature, art et droit ! J’ai donc raccroché une licence de Lettres Modernes et orienté le reste de mes études vers cet objectif.

 

PdE : Combien de personnes collaborent avec toi et parmi elles, combien sont salariées ? 

C.R. : Oneiroi est une entreprise individuelle (EI), je suis donc seule à la barre, je n’ai pas de salariés. Par contre je travaille avec beaucoup de monde : auteurs, illustrateurs, graphiste, imprimeurs… J’ai également un comité de lecteurs bénévoles qui m’aide à faire mon choix sur les textes et une équipe de correctrices bénévoles qui chassent les coquilles des livres publiés. Et je bénéficie du soutien de ma famille et de mes amis ! C’est une chance d’être si bien entourée ; sans toutes ces personnes les publications d’Oneiroi ne seraient pas aussi qualitatives car la maison n’a pas les moyens financiers de payer tous ces services (je ne me rémunère pas moi-même correctement). 

 

PdE : Quelles parties de la production externalises-tu (corrections, maquettes, illustrations, etc.) ? 

C.R. : Je fais le gros travail de correction moi-même, en allers-retours avec l’auteur, puis je passe le relais à mes correctrices. Je suis aussi formée sur la mise en page donc je la fais en interne. Pour la couverture, je travaille soit avec un illustrateur et mon graphiste (pour les romans), soit seulement avec mon graphiste (sur les anthologies steampunk). En fait, tout ce que je peux faire moi-même, je le fais. J’externalise les postes pour lesquels je n’ai pas les compétences. 

 

PdE : Acceptes-tu uniquement des auteurs francophones ou édites-tu aussi des textes traduits ? 

C.R. : Je ne publie que des auteurs francophones. Le steampunk est un genre qui s’est développé en Angleterre puis aux Etats-Unis. Des maisons d’édition françaises ont traduit certains titres mais ça reste anecdotique dans leur catalogue. Mon objectif avec Oneiroi est de développer le steampunk français, héritage de Jules Verne, pas de reprendre ce qui a déjà été fait ailleurs. Le terrain est vierge et je trouve passionnant de contribuer à la construction d’un genre émergeant, d’en définir les formes, d’en explorer une branche puis une autre, de pousser les auteurs dans des recoins oubliés de l’histoire de l’industrialisation. Avec la publication originale, l’éditeur a la chance de pouvoir travailler avec l’auteur sur le texte, d’y apporter sa touche, de proposer des pistes de développement, etc. ; ce qu’on ne peut pas faire dans la traduction où il faut rester fidèle au texte d’origine. 

 

PdE : Combien de manuscrits reçois-tu en moyenne chaque année et répondent-ils à ce que tu en attends ? 

C.R. : Hors appels à textes, j’en reçois très peu car j’ai fermé mes soumissions faute de pouvoir donner une réponse dans des délais convenables. Et aussi parce que je publie très peu, il ne m’est pas nécessaire de recevoir des centaines de manuscrits dans l’année. Malgré tout, je reçois quand même régulièrement des textes et souvent ils ne correspondent pas à ma ligne éditoriale. Aussi, on m’envoie des manuscrits dits steampunk mais dès que je les ouvre ou que je lis le résumé, je me rends compte que c’est plutôt de la fantasy et ce n’est pas ce que je recherche. 

Lors des AT pour les anthologies, je reçois en moyenne une quarantaine de textes et je n’en garde que quatre. Là, peu de surprises, les textes respectent pratiquement tous la thématique. Le choix se fait sur l’originalité, l’axe choisit pour aborder le thème, le respect des consignes de soumission aussi. 

 

PdE : Comment est organisée la collecte des manuscrits ? 

C.R. : Je fais un appel à textes chaque année pour l’anthologie steampunk suivante, sur une thématique donnée. Par exemple, l’AT de 2025 pour l’anthologie de 2026 est Oligarchie et sciences occultes et actuellement, je travaille à la préparation de Consumérisme et haute couture (à paraître en 2025). Les auteurs qui veulent proposer un texte ont jusqu’au 30 novembre pour m’envoyer leur nouvelle. 

Côté roman, c’est différent. Comme je le disais, mes soumissions sont fermées. Des auteurs déjà publiés chez moi ont des projets de romans et je les traite en priorité s’ils me les soumettent. Autrement, il se peut que j’accepte un envoi de manuscrit dont j’ai discuté avec un auteur lors d’un salon par exemple. 

 

PdE : Les manuscrits soumis sont-ils d’abord examinés par un comité de lecture ? 

C.R. : Mon comité de lecture étant composé de bénévoles dont le temps est précieux, je ne lui soumets que des textes que j’ai préalablement sélectionnés. Je ne publierai pas un texte qui ne me plaît pas personnellement donc j’effectue d’abord un premier tri. Le comité me permet d’avoir des retours de lecture différents du mien, d’avoir un aperçu de la réception du texte par les lecteurs. Pour les romans, ça me permet de valider ou non mon choix. Pour les anthologies, ils m’aident à trancher pour ne garder que quatre textes. Et croyez-moi, ce n’est pas toujours évident ! 

 

PdE : Comment s’organise le processus de retravail avec les auteurs ? 

C.R. : Une fois le texte sélectionné et le contrat signé, j’engage les corrections sur le fond et sur la forme. Concrètement, je reprends le document sur Word en activant le suivi des modifications et je fais mes corrections, propose des remplacements, ajoute des commentaires… Je vérifie les règles de grammaire, d’accord, de typographie, etc., mais aussi certaines informations techniques, historiques ou de vocabulaire. Par exemple, j’ai déjà contacté un ami couvreur pour savoir si l’emploi du mot « lauze » était correct dans le contexte de l’histoire et la nature du bâtiment ; ou fait des recherches sur les diligences pour savoir si elles avaient effectivement des vitres aux fenêtres (non, elles n’en avaient pas car elles casseraient sur les chaos du chemin, à la place elles avaient des sortes de stores). C’est une étape très enrichissante. Le texte fait plusieurs allers-retours entre l’auteur et moi, on débat au besoin, parfois sur des détails que le lecteur ne remarquera même pas mais peu importe ; l’objectif est de sortir le texte le plus abouti possible. 

 

Politique de diffusion 

PdE : Combien de nouveautés (inédits) publies-tu chaque année ? 

C.R. : Entre une et deux nouveautés par an. Une anthologie tous les ans, plus parfois un roman. 

 

PdE : Peux-tu nous donner une idée du tirage moyen d’un titre ? 

C.R. : Autour des 1000 exemplaires. Les anthologies se vendent très bien donc je fais des tirages à 1500 exemplaires si ma trésorerie me le permet. Pour les romans, ça dépend mais je pars généralement sur un tirage de 500 exemplaires et je réimprime au besoin. Je préfère être prudente avec ma trésorerie. Et puis, côté logistique, étant auto-distribuée, je dois stocker tous les livres chez moi… 

 

PdE : Procèdes-tu à des réimpressions ? Des rééditions ? 

C.R. : Oui, j’ai déjà fait plusieurs réimpressions depuis le lancement de la maison. Les anthologies steampunk sont réimprimées régulièrement. Par exemple, le premier volume, Écologie et folie technologique, a déjà été réimprimé deux fois : un premier tirage à 500 exemplaires, puis de nouveau 500 et enfin 1000 exemplaires sur le dernier tirage… qui est déjà presque écoulé !

Le roman de Norman Jangot, Le Septième continent, a également été réimprimé. 

Pas de rééditions pour le moment par contre. Les réimpressions se font à l’identique. 

 

PdE : Quelles sont tes stratégies de diffusion que ce soit en salons, en ligne ou en librairie ? 

C.R. : Je suis très présente en salons et festivals, j’adore aller à la rencontre des lecteurs. C’est toujours un moment fort de pouvoir discuter des textes avec le public ou de provoquer la rencontre avec les auteurs de la maison. Les salons sont aussi un vecteur de lien en interne, avec les auteurs et entre eux. 

La vente en ligne est plus complexe. J’ai bien une boutique mais ça demande d’avoir déjà des clients qui nous connaissent. Le flux est régulier mais pas encore suffisant. Par contre, la VPC permet de mettre en place des campagnes de précommandes efficaces auprès de nos clients fidèles. C’est à la fois un moyen d’engranger de la trésorerie en amont de l’impression mais aussi de prendre la température quant à la réception d’un livre. 

Côté librairie, c’est compliqué car je suis auto-diffusée. C’est-à-dire que je démarche moi-même les libraires pour leur proposer les livres de mon catalogue. C’est un travail qui demande énormément de temps et dont les retombées sont très aléatoires. Il faut aussi être rigoureux sur le suivi des dépôts par la suite. Globalement, on trouve les livres d’Oneiroi principalement dans les librairies de la Bretagne nord, de Brest à Rennes, et aussi dans plusieurs librairies en Normandie. Cela dit, tous nos titres sont référencés sur les bases de données des libraires (Electre et Dilicom) ; donc même s’ils ne sont pas présents physiquement, vous pouvez les commander depuis votre librairie préférée ! 

 

PdE : Quelle importance accordes-tu à la communication pour ta maison d’édition ? Et sous quelle forme ? 

C.R. : Comme je le disais, je tiens un stand sur beaucoup de festivals ; c’est mon canal de vente principal. Outre les rencontres qu’on peut y faire, c’est aussi un moyen très efficace de développer ses compétences commerciales. Les salons m’ont appris à dépasser ma timidité, j’ai gagné en assurance lors de la présentation de mes livres, ce qui, derrière, facilite aussi le contact avec les libraires ou autres professionnels du secteur. Les salons sont également des lieux d’échanges professionnels, que ce soit avec des collègues éditeurs (on s’échange pas mal d’astuces, on partage nos expériences professionnelles…), des libraires, des bibliothécaires et des éditeurs poche. Cela permet d’entretenir son réseau et de briser la solitude du quotidien. 

Concernant la communication, j’essaye d’asseoir ma présence sur les réseaux sociaux principalement. J’ai une communauté très engagée et réactive qui m’apporte beaucoup de soutien. D’ailleurs, cette communauté se construit aussi en festivals, ce sont des personnes avec qui j’ai souvent eu le plaisir de discuter IRL. Par ailleurs, je tâche de nouer des contacts avec des influenceurs qui peuvent permettre la mise en lumière des livres de la maison. Et je ne néglige pas non plus la presse plus classique (journaux locaux ou nationaux). Encore une fois, chargée de relations presse, c’est un métier à part entière pour lequel je ne suis pas formée donc j’apprends sur le tas et je saisis les opportunités quand elles se présentent. 

 

PdE : Appliques-tu le dépôt légal des livres et des périodiques auprès de la BNF ? 

C.R. : Bien sûr, le dépôt légal est obligatoire. 

 

PdE : Tes titres sont-ils proposés sur des formats autres que Broché ? (Poche, audio, numérique…) ? 

C.R. : Pas pour le moment. J’ai démarché plusieurs éditeurs poche pour les romans mais jusqu’ici rien n’a abouti. Concernant le numérique, c’est en réflexion : n’étant pas formée à la fabrication d’un livre numérique, je devrais externaliser la tâche, ce qui a un coût. J’ai contacté plusieurs entreprises qui font ce travail mais je n’ai pas encore donné suite. J’ai très peu de demandes et je ne suis pas certaine que l’investissement vaille le coup pour l’instant. 

 

PdE : As-tu des infos exclusives à partager sur de futures parutions ou évolutions ? 

C.R. : Hum… Il se peut que la collection Voyages Oniriques évolue un peu prochainement. J’aimerais y proposer des textes courts, sur le même format que les anthologies steampunk mais avec des novellas. J’ai quelques auteurs qui travaillent là-dessus et j’ai hâte de voir ce que cela va donner. 

Et il est possible aussi qu’Oneiroi voit enfin la sortie d’un roman steampunk mais il y a encore du travail de ce côté-là. Affaire à suivre ! 

 

 

Les éditions Oneiroi sont situées à Guingamp. Voici leur site : Editions Oneiroi

Découvrez un autre entretien de Présence d’Esprits : Flatland Éditeur

 

A propos de Xavier FLEURY

Matelot du fanzine Présences d'Esprits, chargé des demandes de Services Presse pour les nombreux chroniqueurs de la cabine Livres.

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