Votes pour le match d’écriture Imaginales 2016: « Ma progéniture veut m’éliminer »

« MA PROGÉNITURE
VEUT M’ÉLIMINER »

Vous ne verrez plus la transmission de vos gènes de la même manière après le traitement de ce thème par nos auteurs amateurs et pros 🙂

  • La stase
  • Au secours, ma progéniture veut m’éliminer !!!
  • Le Maître des vers mi-sots
  • Le conteur des étoiles
  • Mes chers enfants…
  • L’oeuvre de la bibliothèque
Contrainte 1 Un caisson d’hibernation

LA STASE

  1. Paris. 13h52.

Un message d’Ève surgit devant mes yeux. Selon elle, il me reste très exactement trois minutes pour me rendre dans le caisson si je ne veux pas louper le coche. J’acquiesce mentalement et la phrase disparaît aussi vite qu’elle est apparue, me laissant simplement l’espace d’une fraction de seconde un « à tout de suite » en réponse. Au bout du troisième protocole de stase, je pense que l’on peut dire qu’elle et moi savons que je ne suis pas du genre à essayer de me soustraire à la loi, même si c’est toujours difficile de laisser en plan sa vie et sa famille pour un an.

― Anna, Chris, ça y est, c’est l’heure. Maman va devoir partir très vite, venez me faire un câlin.

Aussitôt, ces deux derniers fondent sur moi dans un concert de protestations et une véritable avalanche de câlins s’abat sur moi. Je compte jusqu’à trente avant de les repousser doucement. A dix et douze ans, ils sont capables de comprendre l’intérêt de l’hibernation pour la régulation de la population mondiale, et ils savent pertinemment qu’Ève me laissera revenir une fois la simulation terminée, comme elle l’a fait à chaque fois. Ils ne doivent pas s’habituer à rechigner face au protocole, d’ici quelques années, ce sera à leur tour de se soumettre pleinement pour le bien de l’Humanité et ils devront être parfaitement préparés à accepter pleinement cette contrainte qui n’en est pas vraiment une, au demeurant.

― Soyez sages, écoutez bien votre père pendant mon absence, travaillez bien et venez me parler tous les jours. Vous savez que maman vivra des choses fabuleuses tout à côté de vous, je vous promets de tout vous raconter à mon retour si vous ne faîtes pas de bêtises durant l’année à venir. Oh, et venez me faire un bisou sur la vitre tous les jours, aussi.

― Mais, maman, tu nous a dis qu’on entendait rien du monde extérieur une fois qu’on entrait dans le caisson et qu’on fermait les yeux !

― C’est vrai. Mais faîtes-le quand même. Maman ne veut pas que vous finissiez par la prendre pour un objet debout dans un coin du salon.

En réalité, malgré mes recommandations, je ne me fais pas de soucis pour eux. Je sais qu’ils seront exemplaires durant mon absence, nous avons la chance d’avoir des enfants plutôt calmes et sages. Par contre, j’ai réellement peur qu’ils finissent par me considérer comme une pièce parmi les meubles, au fil des jours. J’ai toujours eu peur de cela, à chaque stase, à chaque époque de ma vie où j’ai été obligée de laisser derrière moi les gens qui comptaient. Malgré le conditionnement dès mon adolescence à accepter cette directive d’Ève. Je crois que nous gardons tous cette angoisse nichée au fond de nous, en dépit de la meilleure volonté du monde.

― Clarisse ? Tu ferais mieux de te dépêcher, il te reste une minute. Les enfants, laissez maman.

Fred a raison, comme toujours. Je n’ai pas tellement de temps à perdre en pensées sinistres alors que les minutes défilent impitoyablement, elles. J’embrasse rapidement mon mari avant de me diriger vers la caisse métallique qui trône dans notre salon, en ouvre d’un geste assuré la porte vitrée et me place dans le rectangle exigu. Fred vient refermer la porte tandis que le décompte du temps apparaît en périphérie de mon champ de vision. À dans un an, même heure, même endroit, me dit-il.

Je me focalise sur le compte-à-rebours. Cinquante secondes. Vite, je boucle les trois sangles autour de mon corps et attrape l’unique câble présent dans le sas pour le connecter à mon implant temporal, la respiration calme et le regard résolu. Un léger vertige me saisit, comme à chaque fois que je rejoins le réseau virtuel créé par Ève à destination des hibernants. Dans quelques minutes va débuter la simulation qu’elle a sélectionnée pour moi, en fonction de mon profil psychologique, simulation qui va me permettre d’endurer cette année de pause sans même la sentir passer, et de vivre des choses incroyables, des choses que jamais je ne pourrais vivre dans notre réalité augmentée. Non, vraiment, la stase est peut-être un inconvénient sur certains points mais c’est un mal nécessaire pour le bien de tous et il y a pire comme paradis artificiel, je suppose.

Dix secondes. Mon champ de vision commence à s’obscurcir petit à petit, signe que je commence à sombrer. Un dernier sourire pour ma famille et c’est le black-out.

*

Quelque chose ne va pas. Je ne suis pas dans une simulation, je ne suis pas dans un univers inventé de toutes pièces loin de mon quotidien. Je vois Chris, Anna et Fred, comme si je ne les avais jamais quittés. Je les vois œuvrer, jours après jours, sans pouvoir pour autant interagir avec eux. C’est comme si je regardais le film de leur vies dans la réalité, sans moi. Ève me projette ce que je ne pourrais voir normalement durant la stase. Elle m’a transformée en spectatrice impuissante, est-ce à cause des angoisses qui m’ont envahie juste avant la stase ? Il est vrai que l’IA est en permanence reliée à notre conscience et tous, ou presque tous, nous avons tendance à l’oublier… est-ce une façon de me punir de sa part ? Pour m’être plainte de manière détournée ? A-t-elle peur que je communique cette angoisse à mes enfants au fil du temps ?

Il me semble que cela fait deux jours que je suis là, à les observer. En tout cas, la nuit est tombée deux fois dans le salon. Tout semble parfaitement ordinaire à ceci près que Chris a un comportement étrange. Je le vois fréquemment jeter un regard plein de colère vers le caisson. Il semble plus sombre qu’à l’ordinaire, comme s’il gardait rancune de mon départ. Et il ne m’a pas dit un mot durant ces deux jours. C’est pourtant la deuxième fois qu’il vit le programme, et son père aussi est parti deux fois. Je n’ai pas remarqué un tel comportement précédemment.

Pour l’heure, il est seul à la maison, Anna est à l’école et Fred n’est pas encore revenu du travail. Je le regarde goûter, les yeux fixés sur moi. Soudain, il se lève et se dirige vers moi, l’air résolu. L’espace d’un instant, je pense qu’il va venir me parler comme je leur ai demandé mais au lieu de ça, il bifurque légèrement et se penche vers l’alimentation du caisson. Non. Non. Pas ça. On dit qu’il ne faut jamais interrompre un protocole de stase avant la fin, sinon l’hibernant meurt. Mais est-ce que Chris le sait ? Veut-il vraiment me tuer ou pense-t-il que cela va simplement me faire sortir de ma stase ? Je ne peux pas croire qu’il veuille que je meurs. Non. Même s’il est en colère. Je retiens ma respiration. Black-out.

*

Un message se déroule en moi. Ève.

« Ta simulation est terminée. Tâche de ne pas te plaindre du protocole la prochaine fois. Étant connectée à tous, je peux aisément manipuler qui que ce soit afin de débrancher le caisson, provoquant une sorte de court circuit dans ton système nerveux qui entraînera ta mort cérébrale. Il te reste une seule chance. Ne la gâche pas.»

Sous le choc, je ne sais que lui répondre mais Ève n’attend pas de réponse. Elle m’expédie du réseau et mes yeux s’ouvrent brutalement sur le salon, tel que je l’ai laissé, et sur Anna, Chris et Fred qui attendent patiemment devant le sas. Mon année de stase est terminée. Je n’ai plus le droit à l’erreur.

Contrainte 1 Un astro / aéroport de commerce

AU SECOURS, MA PROGÉNITURE VEUT M’ÉLIMINER !!!

31 janvier 2020

6H55

Nous sommes à l’université de sciences de Londres, l’une des plus grandes universités du monde, là où travaille un des plus grands savants de toute l’histoire scientifiques : Le Professeur Hantmann. L’homme qui a malheureusement créé le voyage dans le temps.

Hantmann se trouvait dans un pub typiquement londonien. Il commanda comme à son habitude un thé et des pancakes en lisant son journal. Il était presque 7h00 et le savant tomba sur un article qui semblait faire la une de ce journal

« LA TERRE DEVIENDRAIT-ELLE UNE PROIE  POUR LA  GALAXIE ? »

 Le fameux Arthur BLAKE ne se rend pas facilement et est bien décidé à faire un « nouveau monde » sur Mars et anéantir pour de bon la Terre et les Terriens. La CIA enquête pour en savoir plus et connaître ses éventuels complices. Ils auraient trouvé un bon moyen de connaître son passé en empruntant la ligne B34 de l’astroport de Londres.

Les agents gardent encore leurs informations confidentielles.

Affaire à suivre…

Hantmann fixait cet article en se remémorant sa première rencontre avec Arthur Blake, le 12 septembre 2009. Jamais il n aurait pu s’imaginer que l’homme le plus cher a ses yeux, qu’il considérait comme son fils, auquel il avait passé la moitié de sa vie à enseigner l’histoire des sciences de la chimie, avec qui il avait passé des années à tenter de voyager dans le temps et créer une vie sur Mars, pour enfin y arriver et pouvoir séjourner communément sur cette planète, jamais il n’aurait pu croire que cet homme pourrait devenir si cruel et tyrannique, au point de vouloir l’éliminer, lui et tous les terriens.

Arthur était un ancien élève du savant. Ils avaient ensemble réussi à créer l’astroport permettant de voyager dans le temps et dans l’espace comme sur Mars. Mais lorsque leurs travaux furent achevés et fut un grand succès, Arthur en voulait plus et décida de créer un « humain » martiens : capable de vivre et de se reproduire sur Mars. Aujourd’hui, Mars s’était considérablement développé et continuait chaque jour à créer de nouvelles technologies avec pour but précis d’envahir Terre et de dominer la galaxie. Le chef de cette planète est bel et bien Arthur Blake  un homme extrêmement puissant et assoiffé de pouvoir et d’argent.

Hantmann fut brusquement sorti des ses pensés par la sonnerie de l’université qui annonçait le début des cours il finit rapidement son thé et ses pancakes devenus froids, prit son sac en posant un billet sur la table et sortie du pub, des pensées et des souvenirs pleins la tête…

1er février 2020

19h40

Hantmann écoutait les informations toujours basés sur l’affaire de destruction de la Terre qui faisait la une des journaux , des postes de radio et de télévision. Lorsqu’il se gara devant chez lui il resta un moment dans sa voiture. Apparemment la CIA avait décidé de dévoiler leurs découvertes sur Blake, suite au voyage dans le temps, car plusieurs journalistes et photographes venus du monde entier attendaient devant sa porte pour savoir comment il avait rencontré Arthur. Il prit une grande inspiration et décida de faire demi-tour et de se rendre à son pub préféré, le « Cordrockcafé ». Il connaissait bien les propriétaires qui l’avaient beaucoup aidé financièrement pour ses découvertes scientifiques, mais depuis qu’Arthur était devenu ce qu’il est aujourd’hui, ils ne s’étaient pas revus et Hantmann n’avait plus ou très peu de vie sociale. Sa femme l’avait quitté pour un autre homme, un homme sûrement plus dévoué et moins travailleur que lui, mais cela ne l’avait étonnement pas affecté plus que ça. Il en avait très peu de famille, quelques tantes et oncles éparpillés dans le monde mais avec lesquels il n’avait pas créé de liens particuliers.

Le professeur commanda un burger et sorti quelques copies qui trainaient dans son sac.

Quelques dizaines de copies plus tard, la fatigue commençait à le dominer mais il regarda quand même les informations pour en savoir plus sur cette histoire qui lui tenaillait l’esprit. Un fort sentiment de culpabilité l’empêchait de vivre ces derniers temps. Après tout, s’il n’avait pas rencontré le tyran, à cette heure-ci les informations parleraient plutôt des élections politiques ou du taux d’obésité en hausse chaque année. Il commença alors à réfléchir à un plan pour pouvoir accéder à sa machine a remonter le temps pour éviter sa rencontre avec Arthur, mais est-ce-que cela suffirait à éviter toutes ces catastrophes ? Est-il si facile de rivaliser avec le destin ? Ça, il n’en savait rien mais pour l’instant la seule chose qui le préoccupait était de faire tout son possible pour éviter une catastrophe nucléaire…

Il savait que son astroport se trouvait à environ a 10 Km de Londres. Avec les embouteillages et la circulation il en avait environ 20 minutes maximum, il arriverait là-bas environ 1h00 avant la fermeture des « portes ». Il déposa alors un billet sur la table et prit route le plus vite possible.

Sur la route, Hantmann réfléchissait où et quand avait eu lieu sa rencontre avec Arthur. Sa première rencontre avait eu lieu le jour de la rentrée lors d’un cours banal mais c’est là qu’Hantmann avait repéré cette homme qui, se souvenait-il, paraissait exceptionnellement doué et intéressé par la sciences, l’astronomie etc… Ils s’étaient parlé pour la première fois dans le parc des étudiants, où les élèves mangeaient régulièrement et où Hantmann aimait bien corriger ses copies lorsque le bar était fermé.

Hantmann arriva à l’astroport et acheta un billet pour la navette la plus rapide. Il en prit une qui passait a 20h10. En attendant il s’assit sur un siège et commença à somnoler.

20h 10 il fut reveillé brusquement par l’annonce de sa navette, entra dans le vaisseau et traversa les années…

2009

12 septembre

8h00

Son cours se passa comme il l’avait prévu.

Les voyages dans le temps avait pour particularité de ne pas « doubler » le voyageur : Le hantmann qui avait voyagé prenait directement la peau du Hantmann et il n’y avait pas un Hantmann du futur et un du présent.

2009

12 septembre

12h00

Hantmann ne s’aventura pas dans le parc des étudiants et ne parla pas avec Arthur Blake. Cela empêcha la rencontre avec Arthur, ce qui annula l’invention du voyage dans le temps et supprima l’invention de L’Homme martien.

Hantmann décida de ne plus se consacrer autant à son métier, ce qui permit le poursuite de son mariage et il retrouva une vie paisible.

Contrainte 1 Une empreinte de dodo fraîche

LE MAÎTRE DES VERS MI-SOTS

Le Maître des Vers tira son poignard d’obsidienne et traça le signe devant lui, puis sur l’assistance. Les têtes squameuses, les appendices gluants, s’inclinèrent devant le signe impie. Les dizaines d’yeux clignèrent avec révérence. Les multiples bouches murmurèrent les incantations de plus belle :

« F’taghn yog azagog F’taghhn. »

Leurs voix grinçantes, désagréables, roulèrent en murmure sur les murs de la caverne ; les flammes d’une lumière blafarde léchèrent les parois. Une vague allait et venait sur les centaines de créatures assemblées là : c’était leurs têtes qui hochaient en chœur.

Le Maître des Vers se tenait devant eux. Il était le plus massif, le plus déformé, le plus impossible de tous les enfants rassemblés là. Le plus ancien des Fils, le Premier. Il répéta d’une voix plus forte

« F’taghn yog azagog F’taghhn. »

Ça allait être à moi.

Je n’avais jamais bien compris ce que tout ce charabia voulait dire. Lui non plus, je pense. Mais c’était plus sympa que de dire : « Allez, grouille-toi de rappliquer, zut. »

Il faut dire que parfois, elles m’ennuyaient un peu, toutes leurs cérémonies. Est-ce qu’on avait vraiment besoin de tout ce décorum ? La caverne cyclopéenne, à mille pieds sous terre, le château aux tourelles d’obsidienne, bâti dans une architecture à quatre dimensions, impossible à appréhender pour un œil humain…

Parce que moi, j’étais plutôt un ver simple et sans histoires. Je ne sais même plus comment je m’étais retrouvé dans cette situation. Tout ce qui me plaisait, dans mon palais du  fond du fond des abîmes, au bout des dix marches des cents paliers des mille escaliers, dans la fosse la plus reculée des entrailles chtoniennes, tout ce qui me plaisait, c’était de roupiller, ou bien de lire un bon bouquin.

Et l’autre fiston qui s’époumonait : « Ftag’n ! »

Oui, bon, on y va, on y va…

Il traça le signe à nouveau, de sa dague maudite trempée dans le sang de mille victimes, et pouf ! Je fus là. Mal réveillé. Une empreinte de dodo fraîche encore imprimée sur la joue.

« Viens à nous, Père ! Viens à la rencontre de tes misérables enfants, permets-nous de contempler ta sombre grandeur.

— Mais puisque je te dis que je suis là… »

Et je fus là. Une limace de taille moyenne, la peau plutôt rose et fraîche, avec un double menton, et un gros nuage de cheveux fous autour de la tête. Moi, le Grand Ver. Le Père de la Corruption, le Maître des Abîmes. Le Père de Tous les Rampants. Etc, je connais pas tout mon CV par cœur.

« Père, il est écrit qu’un jour, les abîmes s’ouvriront, que nous irons à la surface de la terre, que nous nous répandrons comme une peste maudite, et que le monde tel que les humains le connaissent, ne sera plus…

— Oui oui. Voilà, tout à fait. Je peux y aller, maintenant ? »

Le Maître des Vers était mon enfant, mon premier-né. Il était, sans doute, celui qui croyait le plus en moi. Mais le moyen de croire à quelqu’un, quand ce quelqu’un ne croit à rien ?

***

« Mes frères, cela ne peut plus durer… »

Le conjuré avait un cheveu sur la langue, mais il s’arrangeait pour tourner des phrases qui ne comprenaient pas trop de S.

« Cela ne peut plus durer. Quand irons-nous enfin à la surface, quand nous répandrons-nous sur terre comme une douleur immonde, si Papa ne nous suit pas ? »

Les autres vers, autour, approuvèrent avec des bruits gluants et convaincus.

« Si notre père, notre souverain, notre dieu ne nous écoute pas, s’il ne nous conduit pas à la surface, si son plus grand plaisir est de lire des Bibliothèque Rose à plat-ventre sur ses coussins, que pouvons-nous faire ? Qui va nous amener là-haut et nous offrir la fin du monde annoncée par nos sombres prophètes ?

— Si ce n’est lui, c’est donc son fils…

— Qui a dit ça ? »

Un ver s’avança au milieu des conjurés. Il portait une vaste cape sombre comme l’éther, mais il l’ôta d’un geste théâtral, et tout le monde le reconnut :

« Vous ? Le Maître des Vers ?

— Oui, moi. J’en ai assez qu’Il nous bafoue, qu’il se moque de nous et de notre foi. Qu’il s’essuie les pieds sur nous comme sur un paillasson d’obsidienne. »

Ce qui est une image, ces créatures abyssales et inénarrables n’ayant pas plus de pieds, à elles seules, qu’un bûcheron unijambiste maladroit et ivrogne.

« Bref, fit le zozoteur, qu’est-ce que tu proposes, Maître des Vers ?

— Tuer papa. Le remplacer.

— Éliminer notre géniteur ?

— Ben oui. Tuer le père. »

***

Je dors. Je dors, et lorsque je m’éveille, tremblent les âmes mortelles et immortelles. Enfin, je crois. Depuis quelques temps, il y a du mou dans la gâchette. Mes enfants m’évitent, dans les couloirs de mon palais aux formes non euclidiennes. Il y a moins de cérémonies immondes et solennelles. Et quand l’un de mes yeux innombrables croise un de leurs yeux encore plus innombrables, il y a comme une gêne, un non-dit. Bref, Je crois bien que ma progéniture veut m’éliminer. Un père sent ces choses-là…

***

« On n’a qu’à l’ensevelir sous du  sel. Le sel, c’est notre kryptonite ; Il ne s’en relèvera pas. »

Le Maître des vers haussa les épaules :

« Bien joué, Yog-Zozoth. Et sinon, où tu le trouves, le sel ? Ici, il n’y a que de l’obsidienne, à gauche, à droite, en haut, en bas ; pire que des fleuves au Mexique.

« Ben alors, essaya un autre conjuré, un coup de pelle ? Une grosse pelle dans sa gueule. Hein ? Hein ? Une pelle géante ! Et chtonienne !

— Bah. »

Le Maître des Vers se creusait la tête. Il était impatient de se débarrasser du père, et de pouvoir bâtir une société plus forte, plus ambitieuse… Avec un ver plus compétent à sa tête, un ver fort, décidé, un ver… comme lui.

Qu’est-ce qui pouvait éliminer à coup sûr le Paternel, sans risque pour eux tous, et sans que cela leur coûte tous les yeux de la tête ? Comment le cueillir, le Grand Couillon, là où il s’y attendait le moins ?

« Je sais ! »

***

J’aimais bien traîner pour prendre le petit-déjeuner. De toute façon, je me levais quand je voulais. C’est l’avantage d’être le père de toute la bande. Je pouvais faire ce que je souhaitais, ils étaient mes enfants, ils n’avaient rien à me dire.

Je me souvenais encore des premiers temps, quand j’étais arrivé ici, dans les abysses. Chassé par les humains qui n’étaient plus tout à fait des singes. De ma lente descente, blessé, affaibli, à travers les replis secrets de la terre. Des mille périls que j’avais surmontés pour arriver à la caverne. Tout cela, avec mes œufs dans mes entrailles. Ces œufs qui allaient devenir l’armée de mes enfants. Ces enfants qui étaient tout prêts, maintenant, à me renier.

Il y eut trois coups discrets frappés à la porte de ma chambre. On ne me réclamait plus guère, en ce moment…

« Oui ?

— C’est l’heure, monseigneur…

— Pardon ?

— Je veux dire que c’est moi, votre Premier.

— Ah ; entre. »

Le maître des Vers pénétra dans la chambre. Comme toujours, il jeta un regard écœuré à mes coussins répandus. Eh bien oui, j’avais le derme sensible, et alors ?

Mon cher fils tenait, entre deux pseudopodes, un petit plateau d’argent. Avec, dessus, un petit paquet.

« Qu’est-ce donc ?

— Une petite surprise. De la part de tous vos adorateurs. C’est la fête des pères, aujourd’hui, vous le savez ?

— Oh, ça me fait bien plaisir…

— Tout le plaisir est pour nous, père. Bien bien, je vais vous laisser découvrir la surprise.

— Tu ne restes pas ?

— Non, je sais ce qu’il y a dedans, alors… »

Et avant que j’aie pu en dire plus, il avait disparu, me laissant seul avec mon cadeau.

Qu’est-ce que cela pouvait être ? Une cravate ? Peu probable.

Je défis le paquet. C’était un livre : Le Club des Cinq et la bande à Ktoulou. Chouette, je ne l’avais pas, celui-là…

Je l’ouvris en me pourléchant de toutes mes langues…

Boum.

***
Le Maître des Vers entendit l’explosion alors qu’il se hâtait dans les couloirs du palais. Il avait calculé la charge largement. Il faillit être brûlé par le souffle. Mais il sauva de justesse ses fesses grenues et dérélictueuses.

S’il avait été humain, il aurait tapé du poing dans la paume :

« F’taghn ! »

(Ce qui voulait dire, dans certains contextes, « Yes ! »)

***

Le tyran était mort. On avait dû, pour lui donner une sépulture, racler ses petits bouts sur cent mètres carrés. Il était mort et bien mort.

Le Maître des Vers triomphait. Il y avait eu un vote. Parce qu’on a beau être des créatures hors du bien et du mal, on n’est pas des bêtes.

Ils avaient fait des élections, donc. Pour savoir qui serait la nouvelle entité Suprême des Abysses Infernales. Il y avait un seul candidat. Le Maître des Vers y avait veillé…

Et donc, à présent, c’est lui qui avait hérité de la bibliothèque et de la chambre aux coussins.

Bien entendu, il avait déjà tout viré, et il avait fait installer, à la place, des braseros, des tentures couvertes de runes maléfiques… Il avait fait graver dans la pierre du sol des sigylles infernaux. Il y avait même une citation du Nécronomicon, encadrée au-dessus du lit.

Et maintenant, ils étaient là, tous ses frères ; impatients, comme lui, de déferler tout là-haut, dans le monde des humains. Assoiffés de destruction, tout prêts à instaurer au-dessus le règne de l’en-dessous.

« Bon ! On y va ! F’taghn !

F’tagnh, répondirent les frangins, comme un seul ver.

Par où on passe, chef ? »

Le nouveau Grand Ver regarda l’autre avec dédain :

« Tu ne sais pas quel est le chemin ?

Ben, non. Et vous ?

Moi non plus. »

Ils se regardèrent, et ça faisait beaucoup d’yeux.

Personne ne connaissait le chemin qui menait à la surface ?

Personne.

Enfin si, il y avait quelqu’un.

Quelqu’un qu’ils s’étaient mis d’accord, tous ensemble, pour éparpiller façon puzzle.

Le Grand Ver se prit la tête entre les pseudopodes :

« Et meeeerde ! »

Contrainte 1 Une ultrapoche
Contrainte 2 En plein milieu d’une fête foraine

LE CONTEUR DES ÉTOILES

« Je m’appelle Xavi Yamato, mais on me connait plutôt sous de pseudonyme de XY. Je suis né dans le nuage du Cygne d’un père humanoïde et d’une mère stellane. D’une certaine façon, cette combinaison improbable me permettait d’être à la fois accepté par la majorité humaine des habitants du nuage et de bénéficier des facilités de dématérialisation luminique des Stellans.

Bien sûr, de ces origines, il ne me reste rien. Contre nature, s’il en est, mon existence ne pouvait être autre chose qu’une curiosité pour les scientifiques et les dirigeants de notre monde. De ce que j’en sais, mes parents furent éliminés peu de temps après ma naissance. Quant à moi, on m’enferma à fin d’expérimentation pendant les vingt premières années de ma vie.

Ce ne fut pas, comme on pourrait le penser, une longue série d’épreuves et de tourments. Les techniques cygnanes permettaient des explorations de mon corps sans me laisser la moindre séquelle ni me prodiguer une quelconque douleur. Le plus difficile fut de m’amener à traverser une paroi pour la première fois.

En fait, j’allais sur mes cinq ans quand les chercheurs qui me contrôlaient décidèrent de tenter l’expérience. Une simple paroi en papier tels qu’il en existait dans les demeures anciennes du Japon de Vieille Terre servit alors à révéler mon pouvoir. Mon attirance pour les sucreries d’Orion fut le catalyseur de ce test. Je m’exprimais certes déjà dans leur langage, mais la notion de dématérialisation m’était alors trop vague pour que j’en comprenne la teneur.

Dans une salle sans issue, un mur était constitué de ce papier et, par transparence, j’apercevais et entendais très bien cette chercheuse, une certaine Yolanda qui avait toujours été là pour moi. Elle me disait « XY, vient chercher ta friandise, mais ne touche pas le papier ». Pour l’enfant que j’étais, ignorant tout de la logique des adultes, je m’approchai de la paroi, fermai les yeux et me retrouvai aussitôt de l’autre côté. La délicieuse barre sucrée d’Orion dans la main. Puis je remarquai d’abord le papier se consumant et entendait les gémissements de Yolanda en qui je m’étais rematérialisé.

Ils réussirent à m’extraire de celle qui fut pour moi une mère de substitution sans pour autant la sauver, elle. De là naquit durablement le sentiment d’être un monstre, une créature maudite qui ne pouvait que causer le mal autour de lui. Devant le danger que je pouvais représenter, il fut décidé de me détruire. Les diverses tentatives pour le faire échouèrent, car je me dématérialisais avec une aisance naturelle qui n’eut de cesse d’émerveiller les chercheurs. M’affamer fut vain également, car je me nourrissais des neutrinos – et je ne le savais pas encore – que l’espace dispensait.

Finalement la base d’expérimentation fut abandonnée, déclarée zone de danger imminent et on n’échangea plus avec moi qu’au travers du système de communication où une intelligence artificielle du doux nom d’Alphee se chargea de m’éduquer dans la culture cygnane.

Vers ma quinzième année, alors que j’avais montré des dispositions dans la création d’homuncules à partir de matière inerte, l’Armée de Défense Cygnane décida d’utiliser mes dons pour me former à la génétique galactique. Cinq années durant, je créai des êtres humanoïdes ou non qui répondaient aux exigences stipulées dans les cahiers des charges des militaires. Mes origines stellanes me permettaient de catalyser la génération de créatures de plus en plus complexes.

Non que j’eusse alors la science infuse, Alphee me donnait des cours théoriques de génétiques qui me permettaient de résoudre les problématiques qui m’étaient alors proposées. Je créai de tout. Tant pour les équipes du génie qui souhaitaient des hommes-castaupes capables de forer des tunnels ou de bâtir des ponts en un temps record que pour les forces aériennes avec des mutations qui annulaient la gravitation pour les éclaireurs ou les explorateurs.

Quand il s’agit de créer les premiers soldats mutants, les choses commencèrent à me déranger. Le premier fut un homme capable de résister aux balles ennemies. Ce ne fut pas tant sa résistance qui causa sa perte que l’effondrement systématique de ses poumons devant les effets de blast de plus en plus fort que l’empire végan, avec qui nous étions alors en guerre, déploya alors, réduisant la planète sur laquelle le combat avait lieu en poussière galactique.

Puis vint le tireur absolu. Sa vision, ses bras transmutés en fûts tirant des rafales de balles à l’uranium appauvri, en faisait une arme redoutable qui permis au Consortium Galactique de l’emporter dans de nombreuses batailles. Piratant les bases de données d’Alphee, elle-même m’avait enseigné la technique, je découvris que tous ces guerriers n’étaient en rien volontaires, mais plutôt des prisonniers de longues peines qui pouvaient bénéficier d’un allégement au service du Consortium avec ces mutations définitives et souvent mortelles.

Lorsqu’on me demanda de créer une mutation qui transformerait un humanoïde en bombe, je décidai d’en finir une bonne fois pour toute avec ces manipulations qui n’avaient plus du tout d’intérêt pour l’Humanité, mais qui allaient peu à peu la transformer à marche forcée en une collection de créatures uniquement utilitaires et parfois destructrices.

Profitant d’une de mes sorties dans la cour intérieure de la base, je me concentrai, me chargeai de photons, et me dématérialisai pour réapparaître sur une petite planète, à un millier d’années-lumière de là. C’était le jour de mes vingt ans.

Petite planète, cela peut vous sembler bien vague, mais c’était bien le cas alors. A l’écart des grands empires galactiques et de leurs voies commerciales, elle s’appelait Celestia et n’était peuplée que de reptiliens qui avaient développés une civilisation se limitant à l’agriculture vivrière. Ils avaient des villes, des routes, des rites et des dirigeants, mais tous n’étaient que des créatures paisibles, heureuses de profiter du temps qui s’écoule, qui m’accueillirent parmi elles sans me demander quoi que ce soit.

Auprès d’elles, j’ai appris à vivre tout simplement, sans me demander ce que je devais à cette société pour ce qu’elle m’avait apporté. Et puis un jour, on ne change pas ses habitudes aussi facilement, voyant un vieux reptilien peiner à tirer sa carriole, j’ai commis l’irréparable. Je me suis enfermé quelques jours dans ma demeure au cœur de la forêt et ai modifié des plants d’arbres locaux. J’ai créé un nouveau règne, entre le végétal et l’animal.

J’ai attendu la grande fête foraine de Celestia pour leur proposer ces nouvelles plantes. Taillées par un menuisier de talent, elles pouvaient s’animer seules, utilisant l’énergie du soleil pour créer l’énergie nécessaire à une carriole pour se mouvoir, mais tant d’autres applications étaient alors possibles.

Les anciens furent les plus sceptiques, mais les plus jeunes virent là un moyen d’améliorer leur vie qui n’avait pas changé depuis que l’intelligence avait vu le jour sur Celestia. Contre toute attente, ils restèrent pacifiques et chaque année je leur offrai de nouvelles plantes pour améliorer leurs conditions de vie.

Trente ans après mon arrivée soudaine sur Celestia, plus personne ne me cherchait, j’étais heureux parmi eux et c’est pourtant là que je fis la pire des erreurs. Ils avaient un considérable besoin d’eau pour toutes ces plantes, mais une nappe, une ultrapoche d’eau qui les auraient durablement mis à l’abri du besoin, se trouvait à plusieurs kilomètres sous leurs pattes.

Le seul moyen de l’atteindre était de recourir à une chose qui leur était inconnus : des explosifs. J’avais observé une plante qu’ils appelaient le boum boum. Je sais, cela peut sembler ridicule, mais elle avait pour particularité d’exploser avec un grand « boum » quand elle arrivait à maturité, répandant tous ses spores à des kilomètres à la ronde.

Pour la fête foraine suivante, je leur amenai donc mon dernier bébé, un boum boum mutant qui allait creuser la forêt pour eux et leur donner l’accès à l’eau pour toujours. La planète entière était en joie et nous l’amenâmes tous, chantant des hymnes traditionnels, dans la clairière où il allait exploser.

Le moment venu… l’explosion fut au-delà de mes espèrances. Par reflexe, je me matérialisai trois planètes plus loin et je vis Celestia s’effondrer sur elle-même, pour absorber ensuite leur soleil tout proche.

Voilà les amis, ce qui m’a amené parmi vous. Passant de planète en planète, avec de plus en plus de peine à voyager loin vu mon grand âge, pour vous conter de place de village en place de village mon triste destin, fuyant une progéniture funeste, bien décidée à me tuer. Je suis XY et je vous remercie de m’avoir écouté. »

La foule qui m’entoure applaudit à tout rompre. Encore une fois, ils ont apprécié mon histoire. Une femme à la belle vêture, me jette une bourse pleine de pièces d’or. Je m’incline et salues. Les applaudissements redoublent, c’est devenu mon seul plaisir ici-bas que de donner un peu de joie à tous ces condamnés.

Déjà leur soleil s’étire, le trou noir commence ici son œuvre, je leur adresse un clin d’œil et disparaît pour une autre planète. Je saisis furtivement la surprise sur leurs visages. Pauvres gens.

Contrainte 1 Dans une maison close

MES CHERS ENFANTS…

Au moins deux mille hommes et femmes dans le grand salon de l’astroport de Zyrt…

Ils me regardaient avec une telle intensité que j’ai cru être victime d’une hallucination post saut temporel. Étant le seul arrivant du jour, je me suis surpris à penser qu’ils étaient tous venus m’accueillir. Une idée stupide : je ne connaissais plus personne sur cette planète où j’avais fait escale vingt années Vitesse-Vaisseau plus tôt. Ceux et celles que j’avais croisés avaient vieilli de cent cinquante ans pendant que je bourlinguais dans un coin de la galaxie. Ils étaient probablement morts maintenant. Ce monde pelé et glacial n’offrait pas d’autre intérêt pour moi que de refaire le plein d’énergie et de continuer ma route jusqu’à Estrell. J’avais gagné suffisamment d’argent pour m’offrir une petite maison au bord de l’océan Saphir et couler des jours paisibles sous la chaleur douce de Phobus, la naine rouge du système.

J’ai marqué un temps d’hésitation avant de franchir la porte du grand salon : je décelais une hostilité sourde dans les yeux de la multitude entassée derrière les vitres monumentales. J’ai haussé les épaules et continué mon chemin. Ils attendaient certainement un autre vaisseau, d’autres passagers. Mais, lorsque je me suis dirigé vers la sortie, les deux mille se sont mis en mouvement avec un étonnant synchronisme et se sont rapprochés de moi, comme une vague immense sur le point de m’engloutir. Pendant que les uns me bloquaient le passage, les autres se répartissaient autour de moi, me laissant au centre d’un cercle de quelques mètres de diamètre. Je me suis senti tout à coup dans la peau d’une proie au milieu d’une horde de prédateurs. L’un d’eux, un homme d’une soixante d’années, s’est avancé vers moi. Il portait une longue barbe noire et des vêtements blancs qui l’apparentaient à un prêtre de l’une des innombrables religions de la galaxie.

Aucun employé de l’astroport ni androïde gardien en vue. Étrange. Je me souvenais pourtant d’un monde où l’ordre et la sécurité régnaient en maîtres.

« Es-tu Elbor Vanian ? » a demandé l’homme barbu.

J’ai acquiescé d’un hochement de tête, déconcerté par le fait qu’il connaisse mon nom.

« Bienvenue chez toi », a continué l’homme.

Des éclats menaçants dans sa voix pourtant douce, le tranchant d’une lame affûtée dans un fourreau de velours.

« Ce monde n’est pas le mien ! ai-je répliqué sans parvenir à masquer mon agacement.

— Tu y as laissé de nombreuses traces pourtant… »

J’ai failli forcer le passage à coups d’épaule, puis je me suis rendu compte que plusieurs hommes vigoureux s’étaient placés de manière à m’interdire toute possibilité de fuite.

« Je ne vois pas de quoi tu parles. »

L’homme barbu a désigné les autres d’une ample geste du bras.

« De nous. »

Je me suis retenu de dégager mon flingue de la poche de ma combinaison et de tirer dans le tas.

« Père, a ajouté l’homme barbu, dont le sourire odieux a creusé les rides de quelques millimètres.

—  Tu débloques ! ai-je grogné. Laisse-moi passer. »

Je me suis rué sur les premiers rangs de la foule, personne ne s’est écarté. La peur s’est répandue dans mes veines comme un venin glacé.

« Ce n’est pas de cette façon qu’un père parle à sa progéniture.

— De quoi parlez-vous, nom de Dieu ! Je n’ai pas… »

Je me suis interrompu. Une image est remontée à la surface de mon esprit, une maison entièrement close, un laboratoire, un androïde prélevant mon sperme à l’aide d’une pompe aspiratrice, rien d’agréable, un contrat paraphé en toute hâte et scellé par un échantillon de mon ADN.

« Tu as procréé, a repris l’homme barbu.

— Si tu veux parler de ce contrat que j’ai signé avec la Généco…

— Tu nous a vendus à la Généco, père ! a crié une femme à la chevelure d’un même blanc immaculé que la mienne.

— Tu as fait de nous des serfs, père ! a renchéri un homme jeune aux yeux d’un même mauve que les miens. »

En un éclair, la situation m’est apparue dans toute sa réalité : vingt de voyage pour moi, cent cinquante sur ce monde en vertu de la relativité, un siècle et demi pendant lequel la compagnie Généco avait multiplié mes descendants comme des petits pains.

« Comment… comment avez-vous su que je reviendrais sur Zyrt ? ai-je bredouillé.

— Nous n’avions aucune certitude, nous avons seulement espéré ton passage, a précisé l’homme barbu. Nous attendions que tu signales ton arrivée en stratosphère  aux contrôleurs de l’astroport, ce qui nous laissait une journée pour nous rassembler et t’attendre.

— Qu’est-ce que vous voulez au juste ? »

Ils n’ont pas répondu, ils se sont serrés autour de moi, et la peur m’a cette fois glacé de la tête aux pieds. J’ai plongé la main dans la poche latérale de ma combinaison, ils ne m’ont pas laissé le temps de sortir mon désintégreur, un homme costaud m’a bloqué le bras tandis qu’un autre me ceinturait et m’immobilisait. Une femme au visage creusé a saisi le flingue, une arme très ancienne mais toujours aussi efficace, et l’a pointé sur mon front.

« Eh, j’avais un besoin urgent de fric, ai-je plaidé. Et le Généco m’a bien payé pour…

— C’est tout ce que nous sommes pour toi ? a sifflé la femme au visage creusé. Du fric ?

— Si vous voulez, je rachète le contrat et…

— Inutile : la Généco a cessé d’exister depuis une cinquantaine d’années.

Ils… ils vous ont rendu votre liberté… Vous n’allez tout de même pas me flinguer pour ça ! »

La floraison de sourires autour de moi ne m’a guère rassuré.

« Suis-nous », a ordonné l’homme barbu d’un ton sans réplique.

Ils m’ont poussé vers la sortie de l’astroport.

« Où me conduisez-vous ?

— Un endroit que tu connais bien… »

Ils m’ont escorté jusqu’à Zebid, la seule ville de Zyrt, distante de six kilomètres. La pesanteur me donnait l’impression d’avancer avec un sac de cent kilos sur les épaules. Après ces semaines passées en apesanteur, il m’aurait fallu une dizaine de jours locaux pour m’habituer à la gravité. Ils ne m’ont pas permis de souffler. Je n’ai pas reconnu grand-chose de l’agglomération ; elle semblait avoir été la proie de l’un de ces ouragans dévastateurs qui déferlaient régulièrement sur la planète. Des images ont traversé mon esprit affolé, le visage d’une maîtresse occasionnelle, le marché aux épices, un canal gelé,  quelques instants de paix au cœur d’une existence agitée…

J’ai reconnu en revanche le labo de la Généco surnommé la maison close. Même position dominante au sommet d’une colline, mêmes parois lisses dépourvues d’ouvertures apparentes, même impression d’hostilité. Mes « enfants » marchaient en silence, les mâchoires serrées, le regard grave, l’air déterminé. Cette expédition ressemblait étrangement à une procession funèbre.  Mes tripes se sont nouées, et j’ai failli régurgiter le dernier repas pris dans la cabine de mon vaisseau.

Nous avons gravi l’escalier de pierre conduisant au labo. Je me suis demandé comment ils comptaient entrer dans un lieu en principe inviolable. La réponse m’a été donnée lorsque j’ai aperçu les portes béantes sur la façade principale.

Ils m’ont entraîné à l’intérieur du bâtiment. J’ai guetté la première occasion de leur fausser compagnie, elle ne s’est jamais présentée. Nom de Dieu, je n’allais tout de même pas… La voix tranchante de mon fils barbu a interrompu le cours de mes pensées.

« C’est ici que tout a commencé, c’est ici que tout finit. »

Ils m’ont arraché mes vêtements, puis ils m’ont couché et sanglé sur une table métallique.

« Écoutez, ai-je crié avec l’énergie du désespoir. Je regrette profondément ce qui s’est passé… »

Ils se sont approchés à tour de rôle de la table et m’ont touché du plat de la main avec une délicatesse surprenante. J’ai ressenti une étrange sensation à leur contact, quelque chose qui ressemblait à de l’amour. Je me suis senti vibrer tout à coup d’un sentiment paternel.

« Ceux de la Généco, que sont-ils devenus ? ai-je demandé.

— Ils sont subi le même châtiment que toi.

— Quel… quel châtiment ? »

Ils m’ont posé sur le bas-ventre un objet que j’ai immédiatement identifié : une pompe aspiratrice. Elle a gobé mon sexe dans un curieux bruit de succion, puis elle a commencé à m’aspirer, doucement au début, puis avec une puissance qui est allée grandissant.

Le bourdonnement de l’appareil a incisé le silence sépulcral qui ensevelissait le lieu.

« Adieu père », a psalmodié mon fils barbu.

La pompe m’a arraché les organes génitaux dans un grondement rageur. La douleur m’a transpercé de la tête aux pieds. Mon hurlement n’a servi à rien. Je me suis vidé de mon sang à une vitesse effarante. Une dernière pensée m’effleuré avant de perdre connaissance : je n’avais pas été un bon père.

 

L’OEUVRE DE LA BIBLIOTHÈQUE

Samarcande, le 29 mars 2317, email télépathique engagé à 17h34

Chère Alessandra,

La Grande Bibliothèque de Samarcande apparaît encore plus immense que je l’imaginais. Le puit central s’enfonce de mille lances dans les profondeurs du désert, abîme de livres, codex et de vélins, à perte de vue dans un abîme sans fin. Le grand Conservateur Esocratès m’a affirmé qu’elle prédatait les guerres nucléaires, remontant à l’époque de Babel et des croyances antiques, et que les meilleurs néohistoriens de l’Empire Australien avaient utilisé la pointe des technomémoires cybernétiques pour réimprimer en 3D temporelle toutes les œuvres jamais rédigées dans l’histoire humaine.

Et je suis là, moi, Yldan Maximilien Tvolossov, frais émoulu de l’académie littéraire de Moscou, mandaté pour raconter son histoire.

J’ai hâte que tu puisses me rejoindre, mon amour. la ville est splendide toute en jardin et fontaines, nous y serons à notre aise, je te le promets.

Samarcande, le 4 avril 2317, email télépathique engagé à 18h34

Chère Alessandra,

J’ai commencé à expérimenter les technomémoires, c’est fabuleux. Plus grand que l’homme, plus grand que Dieu, maître du temps et du savoir ; voilà l’impression que l’on en retire. Esocratès a lu mes premiers relevés, il semble aux anges.

Je suis le plus heureux des hommes.

Je te rejoindrai ce soir dans notre nid douillet. Que penses-tu de la vue du balcon sur le désert de sel ?

Samarcande, le 8 mai 2317, email télépathique engagé à 19h34

Chère Alessandra,

Je sais que je ne suis pas rentré à la maison depuis trois jours, je m’excuse, je te promets que je me rattraperai. Tu sais, j’ai réussi à réimprimé un codex du XIV ° siècle pour rédiger le Grand Œuvre de l’Histoire de la Bibliothèque. Mes investigations, montrent que sa localisation a curieusement varié au cours des âges. Comme si elle avait la faculté de… Non, je préfère ne pas t’en dire plus pour l’instant, ce ne sont que suppositions et conjectures.

En tout cas, Esocratès est fasciné par mes avancées et il encense mon écriture.

Je sais qu’il fait chaud et que tu supportes mal l’éloignement de Moscou, mais je te le jure, je ferai en sorte que tu sois heureuse.

Samarcande, le 21 octobre 2317, email télépathique engagé à 20h34

Chère Alessandra,

Mon amour, je suis si content que le médscan ait révélé des jumeaux. C’est merveilleux. Toi qui espérais tant. Je souhaite tellement que tu sois aussi comblée que moi.

Ce que je devinais se confirme peu à peu, la bibliothèque de Babel, celle d’Alexandrie, celle de Constantinople, la sublime porte d’Istambul et la Grande Bibliothèque de Londres, sont des reflets d’un seul et même lieu. Est-ce nos propres explorations temporelles qui ont débouché sur cet incroyable ricochet des réalités ? Je l’ignore.

Mais le livre que j’écris sur son histoire en est déjà à son troisième tome. Parfois j’ai presque l’impression de donner naissance à une réalité passée alors même que ma plume cours sur le vélin.

Pardonne-moi, ma chérie, nous pourrons nous voir demain, je te le promets.

Samarcande, le 25 décembre 2317, email télépathique engagé à 21h34

Chère Alessandra,

Je t’en supplie, ne m’en veux pas, je t’aime, je t’en donne ma parole.

Samarcande, le 12 mars 2318, email télépathique engagé à 22h34

Chère Alessandra,

Ce que tu me demandes me paraît pure folie. Les andromédecins ne commettent plus d’erreur depuis longtemps lors des accouchements programmés. Ma présence n’apportera rien de plus.

Tu comprends, je ne peux abandonner mes explorations pour de simples peccadilles.

Genghis Khan en avait une également ! Des rouleaux, des milliers de rouleaux… je me demande…si ce que j’appelle l’essence de la Bibliothèque n’a pas une sorte de grand plan d’ensemble. Je sais que l’idée paraît stupide, mais je crois être à même de le démontrer. As-tu conscience que l’œuvre que je rédige à ce propos fera date dans l’histoire de l’humanité toute entière ?

Nous pouvons bien y sacrifier une petite année de notre bonheur n’est-ce pas ?

Je t’en prie, dis-moi que tu me pardonnes.

Samarcande, le 28 mars 2318, email télépathique engagé à 23h34

Chère Alessandra,

Je suis le plus malheureux des hommes.

Ne m’abandonne pas. Je saisis ton désarroi et comprends ton départ pour revenir à Moscou, mais tu es ma vie, mon cœur, j’ai besoin de ta force, de tes encouragements.

Je…je trouverai une solution.

Tu pourrais m’amener les jumelles une fois tous les deux ou trois mois ?

Je ne peux me permettre de quitter le puit. Pour tout dire, je soupçonne Esocratès de s’apprêter à voler mes travaux. Je l’ai surpris avant-hier, sur un de mes terminaux.

Je, mange de moins en moins et ne dors quasiment pas. Mais j’ai l’impression de ne plus en avoir véritablement besoin.

Samarcande, le 2 septembre 2317, email télépathique engagé à 00h34

Chère Alessandra,

Je suis épuisé. Tes messages me manquent tellement.

L’âme de la Bibliothèque est d’une beauté diabolique. Je, je suis à deux doigts de découvrir son ultime vérité. Toutes les grandes civilisations, les unes après les autres. Elle les a toutes « visité ». A chaque fois elle participe à leur montée en puissance, à leur gloire et à leur succès, s’enrichit de leur génie et de leurs découvertes. Comme un vampire en quête de fluide vital. Puis elle génère une ombre d’elle-même ailleurs, dans les arabesques mystérieuses de la capitale d’un autre peuple. Et participe secrètement à l’effondrement de l’ancien empire dont elle avait créé l’apogée !

Je te jure que je ne suis pas fou !

Je me suis enfermé dans la tour du puit, au plus profond, pour éviter les demandes insistantes d’Esocratès ! Plus que deux explorations à Johannesbourg en 2216 pour étudier les archives de l’Impérium d’Afrique Australe et mon œuvre sera achevée. Mon enfant. Chair de mon encre. Je dois faire vite. J’ai le sentiment que l’âme de la Bibliothèque m’observe. J’ai l’impression qu’elle me sourit et qu’elle boit mes expériences. C’est. C’est ma fille. Et je crois que je suis son œuvre. Le soixante neuvième tome touche à sa fin. Tout est sur papier, mais j’ai réalisé un fichier infranumérique, j’y ai mis les preuves, j’y ai mis…

Samarcande, le 3 septembre 2317, email télépathique engagé à 1h34

Madame Tvolossov,

Mon nom est Philipp Esocratès, Conservateur de la grande Bibliothèque de Samarcande.

J’ai le regret de vous informer du décès de votre époux, Yldan Maximilien Tvolossov, à la suite d’un incompréhensible enfermement de deux jours à l’intérieur de la tour du puit. J’ignore comment, mais il était parvenu à bloquer les sas de la Bibliothèque de l’intérieur, mais il a été impossible aux forces de sécurité de le déloger avant qu’il ne commette l’irréparable. Il a pratiqué deux explorations chronotemporelles à la suite ce qui est strictement interdit et a probablement provoqué sa distorsion mentale. Sans compter le manque de nourriture. Ses derniers temps, il se montrait de plus en plus incohérent. Parlant de notre institution comme il parlerait de son propre enfant et faisant mystère de tout.

Je crois savoir qu’il était père de deux petites filles. Veuillez acceptez, vous et elles, de la part de la Bibliothèque, nos condoléances les plus respectueuses. Il va de soi que le ministère vous fera parvenir les émoluments de votre mari, ainsi que la prime d’assurance prévue dans ce genre de cas.

Veuillez agréer, madame, l’expression de mes sentiments les plus respectueux.

Samarcande, le 3 septembre 2317, email télépathique engagé à 1h34

Conservateur Dags Novosk,

Je suis ravi de vous informer de l’achèvement du projet de technocopies des archives secrètes de la Bibliothèque de Samarcande. L’Empire Antarctique y trouvera matière à enseignement, j’en suis certain. Un nouvel âge commence. Quant à notre ami, Yldan Maximilien Tvolossov, les expériences qu’il a menées se sont en définitive mal terminées. Il a perdu la vie lors de son dernier voyage. Ce qui m’étonne, c’est que l’ensemble des vieux livres et parchemins qu’il avait réunis pour rédiger l’œuvre que nous lui avions commandée sur le passé de notre institution ont été retrouvés entièrement vierges.

Il paraît pourtant impossible que quelqu’un ait pu les effacer.

 

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