Éditions À La Flamme : Entretien avec Frédéric Boudet
Présences d’Esprits : Comment perçois-tu la place de votre maison d’édition dans le paysage de la SFFF en France ?
Frédéric Boudet : Je m’exprime seul mais il va de soi que ma voix est triple, elle est également celle de Jean-Hugues Villacampa et de Jérôme Verdier, (ndlr : cofondateurs avec Frédéric Boudet des éditions À La Flamme).
Pour l’instant,
à la flamme vient tout juste de produire ses premières étincelles. Sa place dans un paysage donné n’est donc pas encore définissable. Ce serait présomptueux. Nous savons qu’elle la trouvera. Cela dit, nous ne sommes pas certains de se ranger derrière l’acronyme SFFF – à moins d’y adjoindre des ++. La dimension littérature de l’imaginaire, oui ; le genre, non. Sachant que, si vous traquez le moindre texte écrit, vous n’en trouverez aucun qui ne se situe ailleurs que dans une dimension parallèle à la réalité, dans un imaginaire, donc. Le reste c’est des étiquettes sur des curvers, pour s’y retrouver, comme dans un congélateur. Ledit congélo, àlf – à la flamme – risque de lui faire subir un coup de chaud…
PdE : Si tu devais résumer la ligne éditoriale àlf en une phrase, que dirais-tu ?
F.B. : En une phrase ? J’y renonce et je reformule la question : quels titres aurais-je aimé éditer, parmi mes dernières lectures ? Eh bien, voyons… Edgar Mittelholzer, pour Eltonsbrody. Juan Rulfo pour Pedro Páramo. Johanne Lykke Holm pour Strega. Des titres qui expriment une indéniable forme d’imaginaire, tout en se plaçant hors genre. Et édités par des maisons qui ne s’arrêtent pas à la catégorisation.
L’idéal de àlf est peut-être de surprendre le lecteur en quête d’indéfinissable. Comme lorsque vous tombez sur Horatio Quiroga, Mark Z. Danielewski, John Boyd, John Cowper Powys, Yōko Ogawa ou Nina Allan. Ou lorsque le lien se fait, dans votre esprit curieux, entre Vermillon sands de Ballard et L’Incroyable et Triste Histoire de la candide Erendira et de sa grand-mère diabolique de Gabriel García Márquez… Je me souviens avoir découvert Olga Tokarczuk avec son recueil d’Histoires bizarroïdes au rayon imaginaire, et devoir chercher ses autres titres au rayon littérature générale… Bref. La ligne directoriale de àlf tentera de susciter ce genre d’émerveillement. Je suis très heureux qu’Argyll réédite Richard Cowper, par exemple, et peut-être àlf éditera à son tour One Hand Clapping de Colin Murry…
Un auteur àlf à venir parle, dans son texte, de ce lectorat doté de créativité cher à Alfred Bester […] qui dénigrait la SF, mais chérissait l’aptitude des amateurs à ne pas être ahuris et paumés devant une œuvre conçue par une imagination débridée. Il a vu juste.
Autre indice qui aiderait à définir àlf : chaque ouvrage publié se referme sur une citation comportant une occurrence du mot « flamme ». Rassemblées avec patience, elles fourniront une approche de la chose – un raffinement des microdonnées, en quelque sorte.
PdE : Y aura-t-il des collections spécifiques ?
F.B. : Non. L’affinité entre titres d’un éditeur n’a pas besoin de compartiments. À la rigueur, cela aide le libraire à rassembler ses titres comme on ordonne un troupeau.
PdE : Qu’est-ce qui vous a amenés à travailler dans ce domaine ?
F.B. : Ce domaine, j’y travaille depuis les années 70. Libraire, commercial Inter Forum, maquettiste, éditeur de fascicules, auteur – les noms Robert Darvel et Le Carnoplaste doivent encore résonner sous quelques crânes. Et surtout, essentiellement, je me suis laissé guider par les rencontres, par les amitiés suscitées au fil de ces activités. Une belle manière de vivre une belle vie, comme dirait ma fromagère.
Jean-Hugues a été bouquiniste, chroniqueur, et créateur d’un salon des littératures de genre ; et Jérôme, directeur de publication pour Pax Elfica ; tous deux sont très investis dans le monde de l’édition cthulhu-esque, brrrr, celle du jeu de rôle. Nous avons nos curiosités singulières, ce qui fait vibrer chacun aux curiosités des deux autres.

PdE : Combien de personnes collaborent à l’entreprise et, parmi elles, combien sont salariées ?
F.B. : Salariées ? Aucune. Nous sommes en SAS et assumons les tâches à trois, président-directeur littéraire-conseiller éditorial-traducteur-maquettiste-relation libraires, ainsi que les mille autres choses nécessaires à la bonne marche de l’affaire. Mireille Rivalland parle d’artisanat, pour L’Atalante. Il y a de ça chez àlf.
Bien entendu, nous rémunérons ceux que nous sollicitons pour les traductions, postfaces, etc. Nous nourrissons même un comptable ! Ni stagiaires utilisés comme dans Marionnettes humaines, ni bénévoles téléguidés comme dans Body Snatchers… Nous-mêmes serions les seuls corvéables, si l’entreprise était une corvée, ce qu’elle n’est pas.
PdE : Quelles parties de la production externalisez-vous (corrections, maquettes, illustrations, etc.) ?
F.B. : Nous externalisons la correction des textes. Pour cela, nous faisons appel à une professionnelle de l’ACLF, dûment rémunérée, pour traquer jusqu’aux anacoluthes indésirables, et qui, heureux hasard, travaille également pour le mook Métal Hurlant – revue, dans sa version historique, où mon imaginaire et ma curiosité se sont abreuvés, en sus des écrivains, cinéastes et illustrateurs dont je vous laisse deviner l’identité.
Quant au reste – cohésion graphique, maquette, iconographie, etc. – nous produisons en interne, avec une façon qui se réserve la liberté d’évoluer comme bon nous semblera. Nous ne reprenons pas les codes de SFFF ni ne lorgnons vers la titraille anglo-saxonne, le détail de tableau de maître libre de droits, ou le fond de sauce tout numérique. La voie est donc très large et positivement riche. Sachant que, par une sorte d’exigence de contrebandiers, nous avons le désir, autant que faire se peut, de placer nos ouvrages sur la table de littérature générale.
Nous sommes distribués par Pollen, mais nous assurons la liaison avec les libraires.
PdE : Acceptez-vous uniquement des auteurs francophones ou éditez-vous aussi des textes traduits ?
F.B. : Pour l’heure, francophone et anglo-saxon. Par la suite, nous irons où souffle le vent de l’imaginaire. C’est-à-dire, lorsque les aides à la traduction nous seront accessibles, en Estonie, en Islande, au Tibet via la Pologne. Nous irons outre-Atlantique et au-delà. Nous avons nos liens, nos réseaux, nos attirances.
PdE : Combien de manuscrits recevez-vous en moyenne chaque année et répondent-ils à ce que vous en attendez ?
F.B. : Bien qu’ayant stipulé n’en accepter aucun, nous avons bien entendu eu droit à quelques manuscrits indésirés. Nous allons vers les textes, vers les auteurs et leur territoire.
PdE : Comment est organisée la collecte des manuscrits ?
F.B. : La question ne se pose donc pas pour l’instant.
PdE : Les manuscrits soumis sont-ils d’abord examinés par un comité de lecture ?
F.B. : Chacun sollicite l’approbation des deux autres quant à la sélection d’un texte.
PdE : Comment s’organise le processus de retravail avec les auteurs ?
F.B. : D’une manière propre pour chaque auteur, chaque texte, voire chaque traduction. Certains écrits sont aboutis ; d’autres ont besoin d’un travail de joaillerie, des fois selon une exigence digne d’un savoir-faire néandertalien, ou nécessitant une finition contemporaine. Pour le dire mieux, chaque texte suscite son outil.
PdE : Une anecdote à nous raconter ?
F.B. : Ah. La question où il faut faire preuve d’un esprit léger, facétieux, second degré… Je réserve ma réponse, le temps de faire appel à, comment doit-on le nommer aujourd’hui ? un prête-plume, un écrivain fantôme…
PdE : Combien de nouveautés (inédits) publiez-vous chaque année ?
F.B. : Trois titres par an, les trois premières années.
PdE : Peux-tu nous donner une idée du tirage moyen d’un titre ?
F.B. : 1000 exemplaires.
PdE : Procéderez-vous à des réimpressions ? Des rééditions ?
F.B. : Réimpressions, pas encore : nos premiers titres viennent de sortir. Rééditions, l’un d’entre-eux, oui, qui avait été imprimé à 50 exemplaires… (60, selon l’auteur, 62 selon Jean-Hugues.)
PdE : Quelles sont vos stratégies de diffusion que ce soit en salons, en ligne ou en librairie ?
F.B. : Essentiellement librairies, sur notre site, et gros travail des collègues sur les réseaux sociaux, avec ce que l’exercice comporte de vaine séduction auprès de bookstragrammeuses, d’arrachage de cheveux, d’envie de pendre ou de se pendre, mais également de rencontres où un titre et un auteur de blog matchent comme sur Tinder… Pour l’heure, chacun de nos auteurs aura son réseau, sa stratégie, auxquels nous apporterons un élargissement. Nous composons un cercle de libraires via des prises de contact directes. Nous étudions la possibilité d’une diffusion via Pollen par la suite, sans jamais renoncer à privilégier le lien direct avec les libraires.
PdE : Appliquez-vous le dépôt légal des livres auprès de la BNF ?
F.B. : Bien entendu. Aucune confusion à avoir : nous sommes professionnels, raisonnablement ambitieux et avertis de la prolifération de structures éditoriales diverses, qui engendre la confusion amateur-dilettante-professionnel. Nous agissons en professionnels à chaque instant du processus. Même au niveau de la gestion GREP sur InDesign, dirait encore ma fromagère…
PdE : Les titres sont-ils proposés sur des formats autres que broché (poche, audio, numérique…) ?
F.B. : Pour certains titres, le numérique est à l’étude, avec externalisation de l’alchimie nécessaire à proposer un epub parfaitement abouti. Nous verrons plus tard la nécessité d’une collection de poche.
PdE : Quelle est votre présence sur les salons et festivals, et quelle importance accordez-vous à la communication pour la maison d’édition ?
F.B. : Salons, festivals, oui, lorsque le catalogue se sera étoffé. Nous avons été présents à Angers cette année. Le lancement de Gertrude & Cie de Claudine Londre s’est fait dans une belle librairie parisienne, celui de Épicènes est prévu dans une autre, dans le sud de la France. Et Une camionnette qui servait de volière aura droit à tout cela.
La communication, oui, resserrée aux médias doués de réelle prescription.
PdE : As-tu des infos exclusives à partager sur de futures parutions ou évolutions ?
F.B. : Les titres à venir ? Un post-apo victorien subtil, avec ajout de textes inédits en français, postface du médiéviste William Blanc, et contextualisation de Mark Frost, universitaire d’Édimbourg et spécialiste de l’écrivain ;
un indéfinissable roman de conquistador et de rouille, récit qui s’annonce « tracassier, chaotique et discordant » selon l’auteur ;
un ensemble de chroniques où le lecteur rencontrera, entre autres joyaux poulloulèles, le fémur de Guillaume le Conquérant.
Par la suite, nous irons du côté de Béla Bartók, de Bevis, sans doute irons-nous visiter un Vieux païen, un auteur de théâtre anglais, une autrice contemporaine, américaine, voire deux, ainsi que d’autres merveilles. Et, ne désespérez pas, peut-être même un véritable récit de SFFF. ++, il va de soi.
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