« Desolation Road » de Ian McDonald

desolation-road-ian-mac-donaldPlanète Mars, en cours de terraformation. Le professeur Alimantado, rejeté par sa communauté, parcourt le grand désert martien. Il y rencontre un petit être vert (si, si !!) qui lui explique qu’il peut se déplacer à sa guise dans le temps, alors que le digne professeur de chronodynamique se trouve présentement perdu au milieu de nulle part.

La créature guide alors le malheureux jusqu’à une oasis artificielle oubliée. Une orphe mourante (une énorme chenille mécanique douée de conscience) appartenant à la toute puissante ROTECH (Recherche Opérationnelle en Terraformation et Écosystème sous Contrôle Hyperspatial) lui fournit tout le nécessaire pour se bâtir un abri et démarrer des cultures. Le chemin de fer de la Bethlehem Ares Corporation arrive dans le voisinage, amenant M. Jericho, chef mafieux en fuite puis Rajandra Ras, ancien clochard à qui il suffit de « caresser » une machine pour qu’elle fonctionne ; suivra la famille Mandella, dont les deux jumeaux deviendront respectivement le plus grand joueur de billard que l’Univers ait connu et une fervente mystique. S’ajouteront la grand-mère Babouchka et le jeune Mikal, écartelé entre sa femme, sa mère et sa maîtresse.

N’oublions pas les triplés charmeurs qui épouseront la même femme, Persis Tatterdemalion, pilote clouée au sol qui se reconvertira en tenancière de bar, et puis familles ennemies Staline et Tenebrae, dont les rejetons se révéleront des monstres dopés à la violence. Que dire enfin de Ruthie Blue Mountain, enfant très laide mais capable d’absorber la beauté pour la réémettre ensuite dans un flash d’une beauté insoutenable ? Ou encore de Jean-Michel Gastineau, dont les sarcasmes sont si puissants qu’ils peuvent blesser physiquement ? Naturellement, nous nous garderons d’oublier les voyageurs de passage : Fleur du Lothian et son Spectacle Itinérant d’Éducation Génétique, ou Adam Black et son Extravagant Théâtre Éducatif Intelligent. Rajoutons maintenant une locomotive douée de conscience, des cyborgs désireux de se débarrasser de leurs derniers lambeaux de chair, un fantôme prisonnier d’une bulle temporelle, des guitaristes se livrant un duel mortel à coup de mélodies survoltées…

Voici pour les personnages (enfin, une partie…), passons maintenant aux enjeux : dans cette société, le capitalisme triomphant s’incarne dans une idéologie officielle, le Féodalisme Industriel, sorte de dictature du prolétariat mâtinée de fascisme rampant (il ne fait pas bon peindre sa porte en vert quand toutes les portes doivent être marron !), tandis que des groupes armés fomentent attentats et guérillas de libération, quand ils n’en profitent pas pour régler leurs comptes ou assouvir leur soif de pouvoir. Comme si cela ne suffisait pas, des querelles spirituelles complètent le tableau, portées par les Dumbletoniens mais aussi les adeptes de la Bienheureuse Dame de Tharsis…

On pourrait aussi faire la liste des inventions et des techniques qui parsèment l’histoire, des classiques lasers à infrarouge, des miroirs géants, des locomotives à vapeur, des spatiovoiliers déversant des millions de voyageurs, des tripodes de guerre qui font irrésistiblement penser à La guerre des mondes.

Pour couronner le tout, Ian McDonald saupoudre son œuvre de néologismes, rebaptise les planètes du système solaire, les mois et mélange allégrement le tout !

Indigeste ? On pourrait le penser, et sans doute la lecture du pavé susdit demande une bonne dose d’attention, mais au final, la densité et la richesse de l’œuvre sont autant d’atouts, servis par une indéniable maîtrise de la langue et de la construction.23 ans s’écoulent entre la fondation de Desolation Road par le professeur Alimantado et sa destruction, 23 ans de bruit et de fureur, 23 ans au long lesquels Ian McDonald nous trimballe du sérieux au comique, de la tragédie à la farce. Les trajectoires des habitants, puis de leurs descendants se mêlent en un réseau inextricable, qui surprend sans cesse, jusqu’au final en apothéose, à condition d’accepter le goût immodéré de l’auteur pour la surenchère permanente et le délire total.

Laissez-vous prendre par la main, goûtez à la poésie qui s’échappe parfois, tremblez dans la violence des guerres fratricides, et vous suivrez avec délectation les aventures de ces personnages foutraques, dans un univers extravagant. N’oubliez pas toutefois de déposer au vestiaire le cartésianisme et la logique !

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A propos de Syl

Fervente adepte des cultures de l'imaginaire (et des autres), curieuse de tout (et du reste), boulimique du verbe (qui a dit, mais pas que ?), enfin et accessoirement présidente du concours Visions du Futur (pots de vin acceptés).

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