Votes pour le match d’écriture des Utopiales 2023 :  « Héritage éphémère »

Bien loin des programmes politiques, « Héritage éphémère » nous propulse en plein dans la transmission au sens le plus pur … a priori. Attendons de voir comment nos auteurs ont traité cette question complexe, à la base de toute la chaîne de la vie telle que nous la connaissons.

  • Idées perdues
  • La Boîte de Pand’air
  • Convection, conduction, rayonnement
  • 07700334959YX9G
  • Le dernier fruit de mes entrailles
  • Souvenirs partagés

IDÉES PERDUES

Mia regardait la lampe et les ombres projetées des différents objets sur son bureau, elle ne regardait plus le papier que celle-ci éclairait. Ses pensées avaient pris le dessus. Encore une fois. C’était de toute façon plus réjouissant que de se rappeler qu’elle était enfermée dans un immeuble impersonnel aux tons gris bétons. Un papillon de nuit aux ailes miteuses alla se poser sur la tasse en carton qu’elle avait abandonné. Boirait-il le fond de café ?

Elle s’adossa en arrière avant de se lever. Il y avait trois jours qu’elle n’arrivait plus à travailler et elle en avait mal à la nuque. Les autres n’avaient pas l’air de le voir, mais elle le savait et c’était suffisant. Ce sentiment de se dire qu’à tout moment, quelqu’un allait le découvrir, la dénoncer et son aventure au sein de ce département de science se terminerait. Elle ferma la fenêtre avant d’éteindre la lumière, laissant le papillon seul dans le noir.

*

Mia se glissait doucement de ruelles en ruelles, au rythme de la musique dans son casque. Elle aurait cru depuis le temps que l’humanité existait qu’on aurait inventé mieux. Mieux que tout ce qui se trouvait autour d’elle. Mais entre les projections holo sur les murs et la réalité augmentée, on avait toujours pas fait mieux que les vieilles technologies. Pour son esprit ingénieur cela allait même plus loin : toutes les idées étaient les mêmes, on avait juste amélioré la technique et les outils. Certains auraient pinaillé sur les détails, mais les détails étaient ce qu’ils étaient, des détails. Mais les meilleures inventions étaient intemporelles, et son travail était justement d’inventer le demain.

Elle poussait une porte en bois à vitres et entrait dans le dojo. Comme tous les mardis (parmi les inventions intemporelles, les jours et le découpage du temps étaient ses préférées), elle s’habilla et participait au cours d’arts-martiaux. Un cours se composait généralement d’échauffements, du sport de renforcement en somme et des étirements, d’applications et de formes. Ces dernières étaient sa partie préférée. Des chorégraphies martiales à retenir, techniques et dynamiques. Avec bien sûr un but derrière chaque mouvement. Et avec un peu de chance le disciple en charge du cours venait vous corriger un infime détail pour vous mettre sur le chemin. Ce qui était toujours mieux que le vieux maître qui était plus cryptique qu’autre chose dans ses explications.

« Le poing est plus bas. Après ce mouvement, tu reviens ici et tu frappes avec le revers. »

— Il ne serait pas plus efficace en étant porté un plus haut ? »

—  Le poing est plus bas dans le style, c’est comme ça. » répondit le disciple en haussant les épaules.

Toujours après la séance, elle se rendait dans un petit boui-boui. Le genre dont on se demandait pourquoi les services de l’hygiène ne l’avaient pas encore fait fermer. « Chez Ming » était un petit vendeur de soupes de nouilles en haut d’un immeuble. La vue donnait sur d’autres immeubles, d’autres ruelles aux néons lointains. C’était surtout calme.

Quelques insectes volaient au-dessus des marmites et des woks. Ming (elle n’était pas sûre qu’il s’agisse là de son vrai nom), faisait de la magie noire avec les ingrédients pour vous servir toujours la même nourriture. Moyenne. Au moins, elle avait l’avantage de ne pas vous coûter un bras. Le bouillon bon marché avait quelque chose de réconfortant après le sport.

« Tu as air … préoccupée. »

Mia sourit. Il avait toujours cet air de gentillesse qu’on prête à quelqu’un d’un peu simple et gentil. Et même s’il se faisait un accent asiatique prononcé, elle savait que celui-ci était faux, elle l’avait déjà croisé parlant parfaitement normalement.

« Comment … », elle laissa sa phrase en suspens, elle ne savait pas trop ce qu’elle pouvait lui dire ou lui demander en fait. « Je crois que les gens ne lisent pas mon travail. En fait, je crois que personne n’en a rien à faire. »

Il attrapa sa barbichette et la lustra d’un geste répété, l’air de réfléchir. Comme les sages dans les films. En fait, c’était tout un air à se donner qu’on trouvait dans le personnage de Ming.

« Pourquoi ? »

Pourquoi ? Elle n’en avait aucune idée. Elle jouait avec ses baguettes et la conversation n’alla pas plus loin. Quand on ne répondait pas, Ming ne revenait pas à la charge.

*

Si tous les jours se ressemblaient, il suffisait d’un détail pour avoir l’impression qu’un jour était différent. En allumant la lumière, elle retrouva son compagnon de la veille, le papillon. Il avait passé la nuit enfermé et grignotait à la trompe les cristaux de sucre d’un sachet éventré près de l’écran de l’ordinateur.
Mia posa son sac et s’assit sur sa chaise. Après cinq minutes à la faire pivoter de gauche à droite, elle décida de se lever, il était hors de question de rester à un bureau à rien faire une journée de plus. Quelques détails administratifs plus tard, elle se retrouvait au sous-sol du bâtiment à fouiller dans des cartons de dossiers vieux comme le monde. La poussière et une ou deux blattes. En fait, personne ne venait jamais aux archives. Une partie d’elle s’excitait à la moindre trouvaille, il y avait là le contenu rédigé d’autres auteurs, scientifiques, ingénieurs. Des personnes qui avaient voulu partager ce qu’ils faisaient, et qu’on avait fini par reléguer dans une vieille boîte sur une étagère métallique.

Une fois posée sur son bureau, la boite cracha un jet de poussière. Le dépouillement minutieux pouvait commencer. Comment pouvait-on inventer si on ne savait pas ce qui se faisait déjà ? Il y avait un paradoxe à voir tous ses collègues travailler, mais jamais chercher. Ils étaient les inventeurs des technologies futures, mais passaient leur temps à créer, à avancer sans se retourner.

« Pourquoi ? » se demanda-t-elle.

Elle ouvrit la première chemise et en tira une feuille jaunie.

*

La joie qu’elle éprouvait résonnait dans la musique qu’elle avait choisi ce soir-là. À deux pas du « dojo » (le terme n’était pas adéquat mais tout le monde appelait ça comme ça), elle remarqua une bande. C’était toujours des bandes. Qui embêtaient (le mot réel qui occupait ses pensées était ici plus vulgaire), un commerçant. Il ne fallut pas très longtemps pour qu’en s’interposant, la situation dégénère et qu’après avoir été poussée l’altercation démarra en bagarre.

Un combat est beaucoup plus rapide que ce que l’on imagine. L’adrénaline monte et tout devient presque réflexe. Parade. Frappe à la mâchoire. Un adversaire de moins. Esquive. Parade. Frappe basse dans les côtes. Crochet dans la tempe. Noir.

Mia se réveilla quelques secondes après que tout le monde fût dispersé. Le temps de se remettre debout, elle récupéra son casque cassé au sol et se glissa jusqu’au « dojo » sous l’œil des passants inquiets. Il était fermé. Elle avait oublié. Elle s’assit sur les marches pour respirer et vérifier qu’elle n’avait rien. Le maître s’assit à côté d’elle. Une question lui vint naturellement. « Tu viens de te battre et tu penses vraiment à ça ? » se sermonna-t-elle.

« Dîtes … pourquoi c’est une frappe basse » dit-elle en se levant et en illustrant sa parole du geste.
Le vieil homme écrasa sa cigarette sur la marche et se leva à son tour. C’était un petit homme voûté aux yeux très plissés, comme s’ils cherchaient la lumière. Ses mouvements étaient nets, précis, répétés. Puis quand il arriva à la partie concernée, il s’arrêta et leva son bras. Il répéta le mouvement une, deux, trois fois : son épaule n’arrivait pas à se lever plus haut. Puis il reprit une cigarette.

Par respect, elle ne dit rien, mais dans son esprit elle éclatait d’un rire nerveux. Un vieil homme n’arrivait pas à lever son bras haut et tout le monde recopiait sa technique. Combien d’autres mouvements avaient étés déformés par le temps et les interprétations ? Elle était contente que les cigarettes n’y soient pas entrées.

Elle le remercia et rentra chez elle.

*

Elle était à son bureau quand on frappait à la porte. C’était un collègue qui tenait dans sa main un dossier marron, peut-être un peu jauni par le temps.

« Tu sais qui a déposé ça sur les bureaux ? »

« Aucune idée, j’en ai aussi reçu. » répondit-elle avec un petit sourire. Il repartit.

Elle avait fait sa petite distribution ce matin et chacun avait reçu un cadeau adéquat à ses problèmes posé devant son ordinateur. Ça leur éviterait de ré-inventer inutilement. Peut-être. Bien sûr, elle s’en était aussi offert. Elle se retourna vers son écran, renversant un gobelet à quart plein de café froid sur un vieux tas de papier. Sans réfléchir, elle les mit à la poubelle. Heureusement, la flaque n’avait pas atteinte son propre dossier constitué, elle devait l’avouer, d’une dose d’idées volées mais nettement améliorées selon ses standards.

En s’adossant dans son siège, elle n’était pas pleinement satisfaite. Sa lampe projetait sa lumière sur un pauvre papillon décédé. Elle le jeta aussi à la poubelle. Elle se leva en emportant le dossier qu’elle avait constitué, fraîchement imprimé.

Que pouvait-on espérer de mieux que d’écrire quelque chose qui finirait sur une étagère, qu’on oublierait. Que quelqu’un lirait peut-être un jour avant de renverser du café dessus ?

Après tout … « Pourquoi pas ? »

LA BOÎTE DE PAND’AIR

Debout derrière la vitre blindée, une tasse de café fumante à la main, Lucie observait la boîte en silence. Qu’il était étrange de voir un si petit objet, et si vieux, suspendu dans les airs par quelques artifices de la technologie moderne. Lucie n’en était pourtant pas à son coup d’essai, elle qui passait le plus clair de son temps en laboratoire, à analyser, décrypter, les prélèvements réalisés sur le terrain. Mais jamais elle n’avait bénéficié d’installations comme celle dans laquelle elle se trouvait. Jamais elle n’avait eu à poser ses doigts sur un appareil de reconnaissance digitale, ou à effectuer un prélèvement de salive hebdomadaire, pour accéder à son lieu de travail.

À la veille du 22ème siècle, tout ce qu’avait accompli l’humanité, depuis les premiers trains à vapeur, ne trouvait tout simplement plus grâce aux yeux d’une population qui devait payer les erreurs – et le mot était gentil – des précédentes générations. L’archéologie, et en particulier la branche qui étudiait la civilisation post-industrielle, apparaissait alors comme une science passéiste, inutile et chronophage. Contraints de vivre reclus, ses représentants survivaient en marge des systèmes universitaires, au sein de structures plus ou moins légales financées par de riches mécènes en quête d’objets de prestige. Lucie ignorait le nom de l’homme, de la femme ou même de l’IA pour laquelle elle travaillait. Jusqu’à présent, son seul contact avec son employeur se limitait à des petits virements réguliers, en réalité des perfusions, pour financer les activités de son petit labo clandestin, ainsi qu’une poignée d’expéditions minables à l’extérieur des Zones Habitables.

— Je t’écoute, Darius, murmura-t-elle en portant sa tasse à ses lèvres.

Elle avait senti le terminal vibrer dans la poche de sa blouse.

— Le département de linguistique avancée confirme ta traduction : il s’agit bien d’un vers tiré de l’Odyssée d’Homère.

Lucie ne put s’empêcher d’examiner les murs autour d’elle, essayant de deviner les pièces, les bureaux, les salles qui se cachaient derrière.

— Le département de linguistique avancée ? Nous sommes dans une université ?

— Information confidentielle, répondit la voix préenregistrée de l’IA, depuis sa poche.

— Je te taquinais.

Pas de réponse.

Son Darius, celui dont elle avait patiemment programmé l’humour au fil des ans, avait bel et bien disparu.

Lucie repensa à la façon dont elle avait atterri ici : des hommes, en tenue de commando, pénétrant dans son labo clandestin en pleine nuit, la tirant de la banquette sur laquelle elle avait pris l’habitude de dormir, et plaçant une cagoule sur sa tête. Sur le moment, la colère lui était plus facilement venu que la peur : elle avait pourtant dit aux membres de son équipe de ne rien communiquer sur leur découverte. Les capsules temporelles étaient des objets précieux, qui excitaient les convoitises.

Elle s’était réveillé dans cette même pièce, face à cette grande vitre aussi épaisse que son doigt (sans le sens de la longueur), pour découvrir que l’on avait non seulement passé la capsule au peine fin pendant son sommeil, mais que l’on avait piraté son assistant virtuel pour en faire le porte-voix de son mystérieux hôte.

Cette fois-là, en dépit de la tristesse qu’elle avait ressenti en constatant que Darius était retourné à ses paramètres d’usine, elle n’avait pu s’empêcher de rire. Tous les résultats des scans étaient formels : la capsule était vide. Elle ne contenait aucun objet d’aucune sorte, aucun liquide, aucun appareil informatique dormant. La seule information qu’elle portait, ironie suprême, figurait sur la partie extérieure de sa coque, et faisait référence à l’épisode de l’Odyssée où Éole, soucieux de voir Ulysse rentrer chez lui, lui fait don d’une outre contenant tous les vents de la Terre.

Il n’y avait évidemment pas de vent, dans la capsule temporelle ; en tout cas rien qui puisse les générer. En revanche, les analyses spectroscopiques montraient bien qu’elle contenait de l’air, ainsi qu’une ribambelle de composés chimiques volatiles apparemment inoffensifs pour l’Homme.

Lucie n’était pas dupe : elle savait pourquoi elle se trouvait dans cette pièce, et cela n’avait rien à voir avec la paternité de sa propre découverte. Si elle portait une blouse, c’est uniquement parce qu’elle s’était endormie avec, la nuit dernière. Il en allait de même pour le reste de ses habits, ainsi que le terminal dans sa poche. Quant à la tasse de café, il fallait y voir un geste d’humanité, une sorte de dernier vœu accordé par les personnes qui la retenaient. Darius, le véritable Darius, celui qui l’assistait dans ses travaux depuis maintenant vingt ans, et qui connaissait chacun de ses faits et gestes, avait sûrement été contraint de leur révéler sa dépendance à la caféine de synthèse.

— Je suis prête, annonça-t-elle en reposant la tasse sur la table.

Il n’y avait pas de reflet, dans la vitre. Sans doute ne s’agissait-il pas d’une vitre, mais d’un écran. Elle ne préféra pas y penser : même si la seule fenêtre dont elle disposait montrait une autre pièce close, c’était toujours une fenêtre, une ouverture vers autre chose.

— Vous êtes priée…

— …de décrire tout ce que je vais expérimenter, je le sais.

— Votre famille recevra une compensation financière, en cas d’accident.

— Piètre consolation. Je déteste ma sœur. Utilisez plutôt cet argent pour offrir des recycleurs d’air à des gens qui en ont besoin.

Elle prit une grande inspiration.

— Bien, ouvrez le sas.

Il y eut un bruit de dépressurisation, puis une brusque une sensation de froid se déposa sur ses lèvres.
Lucie entra dans la pièce avec un mélange de curiosité et de méfiance, ce qui correspondait bien à l’idée qu’elle se faisait d’un scientifique face au défi de l’inconnu.

La boîte, en réalité la capsule temporelle, était toujours suspendu au centre, à peu près à mi-hauteur.

Pareille à une amphore dans la forme, l’on ne devinait son origine historique qu’à ses matériaux, et à la façon dont elle avait été fabriquée. Début du 20ème siècle, songea Lucie en l’observant une fois encore. Sans doute du sud de l’Europe.

— Écartez-vous légèrement, la prévint le faux-Darius en augmentant son propre volume sonore, un laser va ouvrir la capsule.

Lucie obéit, et recula d’un pas.

Elle sut, au moment où elle vit le faisceau du laser s’abattre sur la paroi de la capsule, que l’air mis sous pression à l’intérieur s’était probablement déjà répandu dans la pièce. A peines quelques secondes plus tard, l’amphore était coupée net, et ses deux morceaux séparés l’une de l’autre par l’action des rayons déflecteurs.

— Que ressentez-vous, Docteure ? lui demanda le faux-Darius, depuis sa poche.

Lucie ouvrit la bouche pour répondre, lorsqu’un de ses sens lui renvoya une information inattendue…

— Dr. Delaunay, que ressentez-vous ?

Cette fois, la voix de synthèse provenait de quelques haut-parleurs dissimulés dans les parois.

— Nous avions convenu que vous nous décririez vos sensations ! s’alarma l’IA, toujours plus insistante, avant de notifier : Votre rythme cardiaque s’emballe. Nos appareils ne détectent la présence d’aucun composé nocif pour l’être humain, vous ne devriez pas…

— Je ne crois pas avoir jamais respiré un air aussi…

Lucie fronça les sourcils.

— Aussi quoi, Dr. Delaunay ?

Il y avait des effluves de pin et d’eucalyptus, d’humus, d’iode, dans des proportions telles qu’elles paraissaient trop maigres pour couvrir l’odeur de plastique caractéristique des recycleurs d’air.

Ils savaient, pensa-t-elle aussitôt, ils savaient que nous ne pourrions plus respirer un air naturel, dans le futur. Ils l’ont mis dans cette boite pour l’offrir aux générations futures.

— Aussi pur, déclara-t-elle alors, et le sentiment d’urgence succéda à celui de plénitude : je crois, cher ravisseur, que vous venez de m’offrir le plus merveilleux cadeau qui soit.

Contrainte Temps/Lieu/Évènement
Le dernier été

CONVECTION, CONDUCTION, RAYONNEMENT

S

i je n’étais pas devenue archéologue je ne sais pas ce que j’aurais pu faire dans ce monde bien pourri. Depuis quelques décennies, je pensais qu’on nous baratinait avec ces histoires, et puis on a vu le monde changer inexorablement, les températures ont arrêtées de diminuer en hiver, les saisons devenaient une grosse bouillie uniforme de chaleur. Et puis, l’année dernière, on nous l’a annoncé, la planète avait atteint une atmosphère stable et aucun évènement climatique n’était prévu pour refroidir l’atmosphère. Depuis quelques années déjà les glaces avaient fondu avec leurs lots de montées des eaux et de disparition d’îles du Pacifique. On était maintenant dans un été perpétuel, l’unique et le dernier, sans possible retour d’automne. Au début on faisait avec, on se disait que ça aurait pu être plus grave, on essayait de se convaincre en se disant que, au moins ça ne pouvait plus évoluer. Mais en fait, nous nous sommes rendus compte que ça devenait insupportable : plus de moyen de se rafraîchir, les nuits et les jours s’écoulaient sous une même chaleur de plomb.

J’ai toujours aimé écouter les histoires des gens d’avant, et franchement je crois que c’est la seule chose qui m’empêche de m’enfuir de cette planète en surchauffe. Tout ce qu’il me restait de précieux en ce monde c’était les témoignages que je recueillais en fil de mes voyages dans le pays,. Je les gardais précieusement comme des trésors et j’avais tellement peur de les perdre, de perdre tout le fruit de ce long travail de transmission que j’avais entamé depuis quelques années. Je glanais ça et là des bribes d’information sur les personnes à contacter, en général des vieilles personnes qui se morfondaient dans leur maison médicale, suant à grosses gouttes sous l’air conditionné si ils étaient chanceux et qui n’essayaient même plus de cacher leur envie d’en finir. Mais malgré leur aspect misérable et pathétique quand je les observais, lorsqu’ils me racontaient leurs histoires, leurs souvenirs d’enfance, les fables qui se transmettaient de génération en générations, au sein de leurs familles, leurs yeux brillaient. Souvent de larmes il faut l’avouer, mais aussi, habités d’un regain nouveau d’excitation. Toutes leurs aventures se rejouaient au fond de leurs yeux. D’un coup ils redevenaient ces enfants espiègles qui jouaient dans la neige au nouvel an.

Parce que moi, ce qui m’intéressait au plus haut point c’était ça. Leur rapport au froid, à la neige, à la glace, aux hivers. Quelque chose que je n’avais pas pu connaître dans mon enfance, que je ne pouvais que m’imaginer en lisant les vieux manuscrits conservés comme trésors archéologiques dans nos laboratoires. J’avais cette vision d’une blancheur immaculée, d’une texture inconnue, d’un contact sur la peau qui était décrit en précision par les auteurs mais que je ne pouvais jamais expérimenter moi-même. Alors j’amassais ces témoignages de façon compulsive, me disant que je vivais par procuration cette douce froideur perdue. Mais ma liste de personnes à contacter se réduisant d’années en années, je devais me rendre à l’évidence, bientôt personne sur cette planète ne saurait plus être en mesure de me partager cet héritage de l’eau sous état solide. J’enrageais de connaître à ce point la théorie moléculaire, de pouvoir fermer les yeux et de me rejouer le mécanisme de cristallisation de l’eau par cœur, mais de ne jamais l’observer.

J’avais contacté mon prochain rendez-vous par l’intermédiaire de sa femme. Celle-là était climatologue avant tout ça, et je me réjouissais de pouvoir discuter avec elle des bouleversements climatiques et échanger sur ces phénomènes complexes avec une experte. Malheureusement, elle était décédée quelques mois auparavant, en laissant à son compagnon une note à mon sujet. Pour moi l’affaire était perdue mais il me contacta il, et le message qu’il avait laissé me rendait perplexe : « Venez le plus rapidement possible, j’ai découvert quelque chose d’important je pense ».

Je me rendis donc à son domicile, à une heure de route de la frontière, une petite maison aux murs blanchis et aux fenêtres condamnées, comme beaucoup de constructions de la région, pour éviter l’intrusion de chaleur. Il ouvrit en me pressant de rentrer vite. La pièce était dans le noir. Il s’en excusa, une coupure de courant, une centrale en surchauffe, on en avait l’habitude. Puis il continua :
« Suivez-moi, il faut que je vous montre ça. Je vous préviens, je ne sais pas ce que ça vaut, mais je pense que vous êtes plus à même de décider ça. »

Il s’engouffra dans le couloir sombre et ouvrit une porte du couloir, celle-ci menait sur un escalier descendant à l’étage inférieur. Au sous-sol, l’air sentait le renfermé et on trouvait toute sortes d’objets d’un temps ancien, sans aucune utilité aujourd’hui, des écharpes tricotées et des manteaux rembourrés de plumes. Je me souvins avoir vu d’anciennes photos où les gens portaient ce genre d’habits au sommet de montagnes enneigées. Dans un coin, une station de travail comme on pouvait en voir dans les anciens laboratoires de chimie, une paillasse, un microscope à lampe. Un groupe électrogène vrombissait dans un coin de la pièce, au milieu de chaussures et d’outils de jardin.

« Je l’avoue, je ne mettais jamais les pieds ici, c’était le royaume de ma femme, et quand la coupure de courant a eu lieu, je suis descendu pour chercher de quoi m’éclairer, j’ai entendu un bruit de moteur et j’ai découvert ça. »

Aux côtés de l’installation électrique se tenait un grand bac avec deux pinces épaisses qui le maintenaient fermé, une réserve de liquide à ces côtés. C’était un bac à azote, je n’en avais jamais vu moi-même, je savais juste qu’on utilisait ce genre de dispositif en cuisine autrefois.

« Qu’est-ce qu’on en fait ? », me demanda-t-il inquiet ?

Je regardais la réserve, presque vide. C’était la panique dans ma tête. Je pris les gants isothermes qui traînaient par terre, et ouvrit le bac. À l’intérieur, une lame mince.

« Vite ! Allumez la lampe ! »

Le vieux monsieur se précipitait sur la paillasse, tandis que j’amenais avec précaution notre trouvaille au-dessous de l’objectif du microscope. Je réglais le grossissement et tentait d’observer le contenu de la lame. Et enfin, je le vis, transparent sur fond blanc. On distinguait à peine ses contours. Mais je le reconnaissais, j’en voyais enfin un. Un flocon. Un assemblage symétrique et magnifique de molécules d’eau sous forme solide. Je jubilais.

« Venez voir ! C’est superbe ! Quelle magnifique redécouverte pour l’humanité !»

Je tirais à moi l’homme et il ferma l’œil droit et le plissa, exacerbant les rides de son visage. Il restait immobile, la bouche ouverte d’étonnement. Il se tourna vers moi, les yeux humides. Une larme roula au creux des rides de son visage.

« Il est fondu. »

Contrainte Temps/Lieu/Évènement
Dans un marécage
Contrainte Objet/Personnage
Un moulin à vent

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U

n meunier avait trois fils.

Sur sa couchette de mort, il promit à l’aîné son moulin à vent, au cadet l’âne qui lui servait à transporter les sacs, au troisième son chat.

Tout le monde attendait que le vieux clamse. Personne n’était content de la distribution des biens. Peut-être le vieux meunier, mais ça, on ne le saura jamais, puisque l’histoire que je vous raconte ne m’est pas arrivée. Je l’ai juste entendue raconter, en partie tout d’abord dans le rade de cette vieille Clash’t sur Aldérion, où j’ai mes habitudes. Puis, à force de recherches, de glanages, de coups payés dans les tripots interlopes de Vinalia – oui, à votre expression, je vois que vous connaissez – eh bien, j’ai reconstitué l’ensemble.

Et ça, ça me fait une sacrée histoire à raconter.

Le vieux s’appelait Wak ou Wax, un nom comme ça.

Ce n’est pas le plus important du récit.

Comme il était à moitié Terrien, Wax, par sa branche maternelle, on peut supposer – je dis bien, c’est une possibilité – que tout ce cirque de donner à ses enfants, c’était une tradition tardive, un résidu de bonnes manières perdurant comme des manies. Toutes les familles en ont. Donner à chacun son dû par ordre de naissance. Sacrée idée. Le vieux était content. Lui, ça lui semblait équitable. Et comme il n’en avait rien à faire de ses fils, qu’il s’en était toujours moqué, même quand le cadet avait développé des tentacules mal placées, même quand le petit dernier s’était enrôlé dans la Légion Verligienne sur un coup de tête, pour lui, Wax, c’était un souci de moins.

L’autre, c’était de mourir.

Comment ? Ben, par son père, il était Knuglien, et vous savez la longévité de cette race. Ça chrysalide à tout va, un jour ça vit, l’autre ça cane et on met des années à s’en rendre compte, à cause de la carapace. Sauf votre offense, parce que je vois bien que vous aussi, question carapace, vous êtes équipé. Passons.
Vous voyez la scène ? Le vieux, dans sa gangue végétale, qui prend toutes les couchettes du bord, et les fils, qui sont là, debout, qui le regardent, qui s’interrogent. On fait quoi ? Je vous parle de ça, c’est récent, pas plus de cent années terrestres, pour vous et moi, c’est rien. Mais pour eux ? Ils avaient du sang terrien, je vous rappelle, bon, pas grand-chose avec le mélange des races, tous les trois avaient une mère différente. Ils vieillissaient plus vite que la normale. Il fallait qu’ils s’organisent et vite. Pour eux, la répartition était mal faite.

Bien sûr, posséder un moulin à vent stellaire est un privilège, et 07700334959YX9G une planète suffisamment petite pour bénéficier de la meilleure exposition. Pile dans un courant de magnétude Hollow-Winfern 282, bien ancrée dans le sol tourbeux qui recouvrait l’intégralité des terres, idéalement située sur la route intergalactique reliant Waspanour-16 à Gonash, à deux encablures d’Orion. Mais qui voulait vraiment vivre dans un marécage, hormis un Knuglien, même sang-mêlé ? Les fils aussi avaient des origines diverses. Tenez, l’aîné était Probusien de naissance, il avait cette corne, vous savez, qui caractérise l’espèce, juste au-dessus de leur œil unique. Le cadet avait été conçu avec une Arestirienne, lors d’un voyage d’agrément du père – une autre histoire, ça, comment elle lui avait ramené l’enfant juste après son sevrage aux 15 000 mamelles – et le dernier tenait du molosse, mais là, je ne connais pas trop ses origines, à lui. Il avait les dents au niveau du poitrail, un peu comme les Xogloths, mais la bouche plus en coeur et pas de troisième bras. Un brave gars, c’est lui qui, au final, m’a proposé l’affaire, avant d’aller bêtement se faire tuer dans les Guerres Exytiannes. Autre grand gâchis, mais bref. C’est pour ça que je suis dans la rangée trois, en ligne directe.

Alors, ils sont là, à se serrer contre les parois, parce qu’une chrysalide knuglienne, ça prend vraiment de la place, et ils se disent : non, pas possible. L’aîné a des affaires sur Aldérion – à l’époque, il est livreur de mlout, et ça lui rapporte suffisamment – ; le cadet, comme tous les Astériens, c’est un bellâtre, toujours à se lisser les cheveux, à se frisotter sa moustache et à s’attirer la foudre de tous les maris de ce cadran de l’univers et le troisième ne rêve que de combats et de cannibalisme. Un Xogloth, quoi, en plus raffiné quand même.

Un moulin à vent stellaire, un âne, un chat.

Le tout dans un marécage puant.

Maintenant, ça a été nettoyé. Le précédent propriétaire, celui avant vous, le quatrième, a bien fait les choses. Il a amené, vous savez, oh, zut, le nom m’échappe… Oui, c’est ça, des Niveleurs de Vazalis. Ces plantes, là, ça te remue un bourbier en un clin d’oeil. Six clapsecs à tout remodeler sur les quatorze qu’il a pu vivre. Incroyable, non ? Ah, c’est sûr, maintenant, c’est plaisant, y’a pas à tortiller. Ça donne envie d’installer une chaise devant l’entrée du moulin, de se prendre à rêver, d’imaginer la vie, d’extrapoler un instant.

Un instant seulement.

Oui, oui, je vous ennuie, je sais, mais j’aime à raconter cette histoire. Et puis de toute manière, faut attendre, non ? Autant causer. Alors, oui, évidemment, c’est facile pour moi, venant de Jaïdidor, vous vous demandez même laquelle de mes trois cent bouches parlent, hein ? C’est vrai qu’on est réputés pour ça, le bavardage, la bonne chair. Le commerce, oui, aussi. Le baratin… Tant pis, on va se taire, et puis c’est tout. Vous ne saurez jamais comment j’ai eu vent de ces trois-là, le cornu, le bellâtre et le molosse. Le molosse. Feu Glagfan. En plus de lui, je connaissais très bien une autre héritière. On a un peu fricoté, un temps. Elle a eu le moulin, elle aussi. C’était la troisième. Bon, moi, j’ai moins de chance, mais c’est vrai, j’ai hésité. On est d’accord, c’est une affaire unique, mais j’ai pris mon temps, je n’ai pas peur de le reconnaître. Il faut bien peser le pour, le contre, il y a des conséquences, ce n’est pas rien. Le molosse, lui, c’est vrai, il avait plus de patience, il maîtrisait mieux le chat, il pouvait attendre. Attendre que je me décide enfin.

Tenez, vous, vous êtes là, vous attendez, comme moi, que les papiers soient signés. Vous, vous allez avoir le moulin, c’est bien, ça va vous rapporter, mais rappelez-vous, vous allez devoir vous occuper du père. Celui d’avant vous, celui qui a reçu comme nous tous cette part en donation universelle selon les lois en vigueur sur 07700334959YX9G – qui dépend de l’Autorité Mongrobienne, je vous le rappelle – il a eu bien du mal à l’empêcher de renaître. Je vous conseille la graisse de sfax, en application directe sur la carapace, ça ralentit l’évolution, paraît-il. Bon. La jeune personne qui se dandine sur ses tentacules, là, devant la porte du moulin, attendant que ça ouvre aussi, hé bien, elle, elle va hériter de l’âne, et ce n’est pas une mauvaise option, cela dit, même si elle est la cinquième à en hériter. C’est surtout de la maîtrise, l’âne, mais les Stronglons comme elle se débrouillent plutôt bien. Peut-être tiendra-t-elle vingt clapsecs ou plus. Peut-être qu’elle pourra même survivre. Les portails dimensionnels type « âne » demandent beaucoup de diplomatie, c’est connu. La marchandise n’arrive pas toujours à destination. Parfois elle revient et ça vous détruit tout. Dévier un vent stellaire, ça peut faire de sacrés dégâts. Regardez, on voit encore les traces sur la structure du moulin. Là, les rayures.

Moi, j’ai le chat.

Mais, je l’ai déjà dit, non ?

Pardon ? Si je suis suicidaire ? Non, j’ai tout prévu : la garde-robe, les bottes, les souris, même un répulsif. Je m’asperge de salacium, il paraît que ça marche. Dixit Glagfan.

Le chat, oui, c’est quitte ou double. Il est retors. La taille, aussi, vous avez raison, mais j’ai prévu une grande soute. Mon vaisseau est là, juste derrière. Le plus massif. Une troisième main, il est un peu lourd à la manœuvre, mais j’habite dans le système stellaire d’à-côté. Comment ? Ah, sur le trajet ? Oui, c’est vrai, la plupart meurent là, avant de le ramener chez eux. Vous voulez m’effrayer, c’est ça ? Inutile, je suis terrorisé. Je suis comme tous les Jaïdidoriens, je meuble, je cause, mais j’agis peu. Je tremble. Mais j’ai besoin de cet héritage, vous comprenez ? Même éphèmère. Oui, vous comprenez, je le vois à votre front qui palpite. Vous aussi, vous avez besoin de vous refaire. Vous aussi, vous avez besoin de vous sentir aimer. Vous aussi, vous auriez aimé que les trois fils vous donnent directement à vous cet héritage, au lieu de le réunir dans ce jeu stupide, qui fait de nous pour un temps limité leurs héritiers directs, et cela tant que leur père reste mort. Parce qu’après sa renaissance, il ne sera plus jamais question d’héritage.

C’est lamentable, lamentable, je suis d’accord.

Oui ?

Bien sûr que je peux vous aider.

Vous n’avez pas réussi à trouver d’héritier pour vous succéder ?! Vraiment ? Et vous osez vous présenter quand même ?!

Mais c’est grave, très grave, vous savez ? C’est contraire au règlement ! Vous risquez le bannissement, ou pire ! Vous avez signé !

Si j’ai un nom ? Oui j’ai un nom, mais il est imprononçable dans votre langue !

Oh, la porte du moulin s’ouvre, le notaire sort, ça va être à nous. Faîtes de moi votre héritier, vite. Je pourrai peut-être survivre au chat, qui sait ? J’ai du répondant et je compte bien m’en servir pour résoudre ses énigmes ! Mais, vous, vous, par pitié, graissez le père !

Contrainte Objet/Personnage
Image générée par Midjourney

LE DERNIER FRUIT DE MES ENTRAILLES

T

abellion a fait ce voyage des milliers de fois, son visage est las et creusé par le temps, la lumière stellaire a durci ses traits mais son regard reste noir profond.

Son vaisseau arrive enfin en approche de la planète Chinensis autrefois, brillante comme une bille vert émeraude dans l’espace aujourd’hui parsemée de tâches noires. Cette planète abrite la civilisation des Dusii, une race d’être végétaux qui se nourrissent d’eau et des rayons du soleil.

La surface de cette planète est recouverte d’un entrelacs de racines immenses, branches, lianes pas un espace n’est visible entre ces végétaux. Tabellion pose son vaisseau sur cet amas de lianes, il sort, un vent chaud et sec lui fouette le visage, les pieds nus il s’avance sur les premières racines immenses qui se trouvent autour de lui. Il est difficile de distinguer où commence et se terminent ces racines, certains végétaux immenses jaillissent de cet entrelacs mais rares sont ceux qui portent encore des feuilles. Un virus les ronge de l’intérieur. L’eau, élément vital pour leur croissance, est de plus en plus rare, les périodes de sécheresses se succèdent et seuls les végétaux qui ont réussi à plonger leurs racines assez profondément résistent.

Tous les deux cent ans, Tabellion se rend sur cette planète pour la cérémonie des jeunes pousses. Il est le conteur des mondes, sa mémoire contient la naissance, l’apogée et la fin de toutes les civilisations de cette galaxie.

À travers ses pieds nus qui s’avancent sur ces racines, il perçoit de faibles courants électriques sur sa peau, il sent les végétaux communiquer, il est le bienvenu, la cérémonie va commencer, il accélère le pas. L’écorce autrefois douce et humide sous ses pas craquelle.

Devant lui se dresse un dôme de lianes et de racines impénétrables, une branche énorme vient percer ce dôme et l’inviter à pénétrer à l’intérieur.

Au centre du dôme un cratère tel un volcan duquel s’échappe une fumée, cette fumée s’échappe vers le haut du dôme ou un rai de lumière pénètre éclairant le centre du cratère.

Les pieds de Tabellion s’avancent vers le centre du cratère la terre est chaude et humide, les parois du dôme vibrent. Les vibrations s’intensifient puis s’arrêtent brusquement. Après plusieurs tremblements des petits tentacules commencent à sortir des entrailles de la terre recouvert de terre fraîche.

Un seul noyau rouge couvert de petites piques jaillit. Le dernier pousse de la civilisation Dusii vient de naître. Il a déjà de petites racines qui sortent du noyau. La grande racine qui avait permis à Tabellion de pénétrer dans le dôme vient déposer ce jeune pousse dans les bras de Tabellion. Ils savent que cet enfant est le dernier de leur race à naître. Avec lui s’éteindra leur lignée et la vie sur cette planète.

Contrainte Temps/Lieu/Évènement
Une journée merveilleuse

SOUVENIRS PARTAGÉS

C’

est le son strident de l’alarme qui la réveilla, vite éteint d’un coup de poing.
Joa ouvrit les yeux. Il faisait encore nuit, un rayon de lune aventureux traversait la pièce. Les yeux engourdis de sommeil, elle se leva et prit connaissance de la notification qu’elle venait de recevoir :
« Rosalie – à Crouneau avec Clainnide – à Bridot. »

Sa prochaine mission était donc lancée. Elle valida la notification, puis commença à se préparer.

Elle fit sa toilette rapidement, ne prenant même pas le temps de faire chauffer l’eau. On comptait sur elle pour sa rapidité, elle était donc toujours déterminée à donner la priorité à ses passagers. Une tranche de pain entre les dents, elles regardaient rapidement les cartes à sa disposition. Elle les connaissait par cœur, mais passait de manière rituelle par cette étape. La première étape se ferait à Crouneau, assez proche de sa localisation actuelle, avant de longer la côte pour rejoindre Bridot. Elle avait été informée de certains problèmes ferroviaires à la sortie de Crouneau, mais trouverait un moyen de traverser la zone.

Les différents objets personnels de Joa disparurent promptement, empaquetés en vitesse, et elle sauta sur son véhicule. Elle l’avait entièrement repeint la semaine dernière, et ses couleurs flamboyantes illuminaient la nuit. Les rayons des deux roues étaient recouverts de lampes incandescentes et multicolores. La place passager, qui se trouvait entre le guidon et la roue avant, A l’arrière, le bric-à-brac de Joa tenait tant bien que mal à l’aide de sangles diverses. Les premiers mètres de pédalage furent un peu dur, puis ses articulations se déverrouillèrent, ses muscles se réveillèrent – elle était partie.

Il était 4h. Cela faisait 10 minutes que la mission avait commencée. Une bonne journée s’annonçait.

Les chemins étaient dégagés, toute la population dormait. Seuls quelques silhouettes s’activaient dans l’ombre, observant de loin cet animal étrange que formait Joa sur son deux-roues. Elle passa chez un voisin épicier, qui ne dormait jamais, et qui lui donna de quoi sustenter plusieurs estomacs, ainsi que de l’eau chaude qu’elle glissa sans la poche ventrale de son véhicule. Cela permettrait de garder au chaud la place passager. Elle quitta l’impressionnante bâtisse qui abritait la plaque noire permettant de chauffer l’eau au contact des rayons lumineux, lui promettant de revenir rapidement pour l’aider à installer sa toute dernière cuve, trouvée abandonnée dans un village voisin. Assez vite, elle aperçut l’ombre de l’ancien clocher de Crouneau au loin. Elle vit à l’entrée de la ville, une femme qui attendait sur le bord de la route, assise.
« C’est moi qui vous ai sollicité. J’ai préparé mes affaires, je suis prête ! Un ami m’a aidé à venir jusqu’ici. Vous êtes Joa ?
— Oui.
— Rosalie, enchantée. »
Joa serra la main fine et frêle qui lui était tendue, puis aida sa nouvelle passagère à s’asseoir sur le siège prévu à cet effet. Elle tendit une couverture autour de l’assise, qui permettait de conserver la chaleur.
« Vous êtes installée confortablement ?
— C’est parfait, merci. Pas besoin de mettre le toit couvrant, j’aimerais profiter du paysage et du vent.
— En route. »
Le ciel se dégagea, et des aurores boréales apparurent. Des éruptions solaires avaient lieu en ce moment, rendant le ciel étoilé coloré. Joa transmis ce qu’elle connaissait à Rosalie, lui laissant aussi le plaisir de savourer en silence la beauté qui se mouvait devant ses yeux. Puis, elles furent gratifiées d’un lever de soleil tout en couleur, visible au-dessus de la cime des arbres qui leur faisait face.
« Et qu’est-ce que vous voulez transmettre à Clainnide ?
— C’est ma petite-fille. Je ne la vois que peu car je ne peux plus me déplacer, et que nous vivons loin l’une de l’autre. J’aimerais la revoir. Et lui raconter cette journée, où j’étais à la mer, assez récemment, entourée de mes amies et d’une partie de ma famille. J’aimerai lui transmettre ce que j’ai ressenti cette journée, j’ai l’impression d’y avoir beaucoup appris sur moi et ma vie. C’est ça que je souhaite lui laisser. »
Un silence s’installa.
« C’est agréable de voyager, cela faisait longtemps que je n’avais pas fait ça. C’est splendide. Ça va vous ?
— C’est agréable pour moi aussi. 
— Et vous faites ça depuis longtemps ?
— Assez oui. »

Si les gens la contactaient, c’est parce qu’elle était une des meilleures du coin.

Elle proposait aux personnes de pouvoir, quand elles le souhaitaient, quand elles étaient prêtes, léguer une partie de leur vie, prendre le temps de partager les souvenirs d’une journée particulière pour elles, pour la revivre et la partager avec quelqu’un de leur choix. Le nouveau système complet Héritage de Souvenirs® permettait de rendre cette transmission extrêmement réelle et vivante. Si de plus en plus de personne utilisait cette fonction – certains le faisant de plus en plus tôt en devançant la disparition de l’être aimé – Joa était attachée à permettre à tout le monde d’y avoir accès à tout le monde de partager ses souvenirs, même aux personnes ne pouvant plus se déplacer ou étant éloignées l’une de l’autre t donc à permettre leur réunion. Et ce malgré les difficultés et les kilomètres parfois nombreux à parcourir, surtout en cette période suivant les différents chutes d’astéroïdes et tempêtes.

Elles traversèrent une zone plus chaotique, la route étant parsemée de branches et de racines : une tempête et se vents violents avaient fait quelques dégâts le mois passé. Elles firent une pause alors que le soleil était à son zénith, savourèrent les tartines récupérées le matin même. Quand ce fut temps, que Rosalie eut pris sa dose de soleil, elles se remirent en route.

Connaisseuse des petites combines, Joa proposa de prendre un voilier, qui permettait d’éviter une zone assez venteuse, assez pénible sur son véhicule, mais agréable en bateau. Elles se rapprochèrent donc de nouveau de la côte. Joa y croisa Anouk, qui proposait régulièrement des sorties en mer. Elle accepta de les déposer de l’autre côté de la baie. Elles s’installèrent, elles et leur équipement, et Joa en profita pour se reposer. Elle aperçut Rosalie qui pour la première fois testait de barrer un voilier, un grand sourire éclairant son visage.

Elles arrivèrent quelques heures plus tard à un petit port bondé de voilier et de personnes. Un groupe de musique profitait de la fin de l’après-midi pour proposer un concert en plein air, un marché était en place où l’on trouvait profusion de légumes, fruits mais aussi objets en bois artisanaux et vêtements divers. Joa tomba sous le charme d’une tôle d’acier coloré qui ne payait pas de mine mais qui irait, après quelques coups de peintures, à ravir à l’arrière de son bolide roulant. Elle l’acheta et se promit de l’installer dès que possible.

Rosalie s’installa de nouveau sur la place passager du vélo de Joa, et le voyage continua.

Le soleil laissa doucement place à la lune, presque pleine, et les étoiles devinrent de plus en plus nombreuses. Au bout de plusieurs kilomètres de trajet silencieux, à profiter du spectacle, Joa ralentit et s’arrêta devant une petite maison en terre.

« Nous sommes arrivées. »

La porte de la maisonnette s’ouvrit, et une jeune femme en sortit, toute de noire vêtue. Un sourire apparut sur son visage.

Rosalie se retourna, salua Joa : « Merci pour ce voyage. J’ai savouré les paysages, de ressentir le vent dans mon visage, le balancement du déplacement. » Elle descendit doucement de son siège, et son attention se porta ensuite entièrement vers Clainnide. Elles s’embrassèrent – dans le sens premier du terme, se prenant dans les bras l’une de l’autre, prirent place dans le salon. Elles partagèrent un thé et prirent un repas, profitant de la compagnie l’une de l’autre, se racontant leurs dernières histoires. Puis, elles s’assirent face-à-face, se prirent les mains. Joa mit en place les différents branchements, commença doucement à pédaler pour alimenter le système, invita les deux femmes à fermer les yeux, à enfiler leurs lunettes et leurs casques. Le visage de Clainnide s’apaisa, et elle commença à raconter cette journée merveilleuse qu’elle souhaitait partager, transmettre à sa petite-fille. Pour qu’elle puisse comprendre, apprendre, se souvenir.

Pour Joa, la mission était accomplie. Le sourire sur les lèvres de sa compagne de voyage était ce qui la rassérénait, l’animait. Elle repartait la tête pleine de souvenirs de ce nouveau voyage – merveilleux car partagé.

 

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A propos de Mia-

Membre du Club depuis 2005, Magali participe au comité de lecture d'AOC et s'occupe activement des matchs d'écriture, qu'elle colporte dans plusieurs festivals dédiés à l'imaginaire. Accessoirement, redoutable mouche du coche professionnelle :)

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2 commentaires

  1. des challenges relevés avec finesse et justesse. merci aux écrivains pour ce moment de partage.

  2. Difficile de choisir, beaucoup de talents chez chacun de ces participants. Bravo

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