« Heptagone » de Georges Panchard

heptagone-georges-planchardInternet nous apprend que Georges Panchard est né en 1955 à Fribourg. Juriste auprès de la Direction de l’Aéronautique civile suisse, il est l’auteur de nouvelles qui ont régulièrement reparu dans les meilleures anthologies, et d’un roman publié en 2005 dans la collection Ailleurs & Demain : Forteresse.

Bref, un auteur francophone encore relativement débutant qui nous propose deux romans situés dans le même univers. Mais débutant ne veut pas dire inintéressant, bien au contraire. Forteresse, qui raconte le meurtre machiavélique du dirigeant d’une méga corporation dans un futur cyberpunk, a reçu un très bon accueil de son public. Heptagone vient enrichir la description de ce futur à travers sept points de vue différents, sept personnes plus ou moins liées entre elles et plus ou moins influentes dans les milieux de pouvoir.

Ce roman est censé pouvoir se lire indépendamment du premier, mais le fait que nos sept personnages soient apparus dans Forteresse et qu’il soit fait allusion aux événements décrits dans ce premier livre rend quand même la compréhension d’Heptagone parfois un peu malaisée. C’est pourquoi il est préférable de lire Heptagone après Forteresse. Cela évitera aussi de connaître la fin surprenante de Forteresse avant de l’avoir lu.

Pour le contexte, Forteresse se déroule en 2038 et 2039, alors qu’Heptagone démarre pratiquement aujourd’hui et se prolonge jusqu’à 2040. Les grands événements de ces trois décennies sont la guerre civile de quatre ans en Europe entre « européens de pure souche » et immigrés musulmans qui aboutit à l’expulsion musclés de ces derniers ; la prise de pouvoir aux États-Unis par un parti ultrareligieux qui rebaptise le pays Union of American Biblical States (excepté New York et la Californie qui ont fait sécession !) et instaure Montgomery comme nouvelle capitale ; et la déliquescence des gouvernements qui laissent petit à petit le contrôle aux mégacorporations qui n’hésitent pas à se livrer ouvertement à l’assassinat et aux attentats terroristes pour gagner des marchés.

Forteresse, trop concentré sur l’enquête du dirigeant de Haviland Corporation, a décrit ce monde tel qu’il est en 2040 sans s’attarder sur sa genèse. Heptagone comble cette lacune. Plus qu’un roman, il s’agit d’un recueil de nouvelles peu liées entre elles. Évoquant la structure éclatée dans le temps et l’espace de ces nouvelles, de nombreux critiques parlent d’une « précision digne d’une montre suisse », mais les aller-retour incessants entre passé et futur, qui nécessitent de bien faire attention aux dates mentionnées au début des courts chapitres, a plus comme conséquence de déconcerter le lecteur et de l’empêcher de s’immerger dans le récit que de l’éblouir. Heureusement, cette même structure en chapitres courts lui permet aussi de s’arrêter dès que ses paupières tombent d’ennui…

Et c’est bien dommage, car Heptagone fait partie de ces livres d’anticipation qui nous font fortement réfléchir sur notre présent et notre avenir. Certaines remarques peuvent paraître humoristiques, comme le fait que les Américains soient obèses à 80% et que le tour de taille soit même devenu un standard et un symbole de dévouement au nouveau pouvoir en place. Mais le ton général de l’œuvre n’est pas aussi léger : la guerre civile qui a permis en Europe de chasser les musulmans, menée par des civils excédés par la passivité de leurs gouvernements n’osant pas prendre de décision face à cette « invasion rampante » nous renvoie aux reportages où des gangs de jeunes, souvent présentés comme immigrés, font la loi dans des cités où la police n’ose plus pénétrer. L’UABS fictif ne paraît pas si improbable quand on lit des extraits des discours des candidats républicains récents à la présidence américaine. Quant à l’évolution des multinationales, c’est une idée qui nous est devenue tout à fait habituelle depuis Neuromancien, entre autres.

Mais que l’on ne s’y trompe pas : Georges Panchard n’est pas raciste ou antichrétien : il critique simplement mais vigoureusement les religions et leurs excès, n’acceptant aucun fanatisme, que ce soit l’application stricte de la charia ou le puritanisme intolérant de certains américains.

La seule question qui reste en suspens est : Georges Panchard a-t-il forcé le trait pour mettre en évidence ce qu’il dénonce ou bien a-t-il sous-estimé les dangers qui menacent notre avenir ?

Que chacun se fasse son opinion !

Chronique de Frédéric Bonneville

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