Match d’écriture Utopiales 2025 – « Vous reprendrez bien un peu de gravité ? »


Un peu de gravité ? Avec plaisir, mais entendons-nous. De quoi parlons-nous exactement ? C’est que ce terme a bien des sens possibles! 

Gravité : n. f. 

Acoustique : Caractère d’un son grave.
Physique :  
Phénomène d’attraction d’un corps vers le centre de la terre.
(Centre de) : Point d’application de la résultante des forces de pesanteur s’exerçant sur tous les points d’un corps

Abstrait:
Caractère d’une personne grave, d’apparence très sérieuse; air, maintien grave.
Caractère de ce qui est très important, d’une grande portée, qui peut avoir de graves, de lourdes conséquences. 

ça en fait des possibilités… 

 


  • Histoire de Japhet
  • Pollen Massif
  • Au royaume des aveugles
  • Le dernier Nostalgique
  • N° 78
  • Le poids de vivre.
  • Vous reprendrez bien un peu de douceur.
Contrainte 1 A droite après le pont
Contrainte 2 Papy à louer

 

 

 

Histoire de Japhet

C’est la troisième fois en une semaine que Japhet me fait venir dans son nid. Ça sera la troisième fois cette semaine que je lui dirai qu’il ferait mieux de le quitter, que le mois prochain il n’y aura plus rien à faire. Il ne veut rien entendre. Il fera tout pour rester le plus longtemps possible là-bas, collé à la nacelle flottante de la coque E600, celle qui est la plus proche de l’extérieur. Les chocs avec les débris déstabilisent trop l’empilement hasardeux de ses poutres de fers rouillés, qui forment un cocon tout rond dans lequel il vit. Mais il y tient. Je sais que c’est là-bas qu’il a installé son nid avec sa femme, il y a presque 30 ans, mais je ne le comprends pas. Toutes habitations dans l’arche LIBERO dans ces années ressemblaient à la sienne, trop fragiles, trop dangereuses, ils ne savaient pas encore comment bien les faire. J’en ai réparé des dizaines, mais beaucoup devraient être abandonnées. Leurs fers pourraient nous être utiles, surtout pour les gens comme moi qui en vivent. Je parle évidemment des habitations irrégulières, celles dans la salle des moteurs, près de la cale et même dans la quille. En haut, les pieds-creux ne vivent pas dans ces cosses flottantes, entassement crasseux où un mouvement trop brusque vous entaille. Mais eux avaient de quoi se payer un vrai ticket. Japhet et Noctis non, mais ils voulaient embarquer avec le LIBERO (qui ne le voulait pas). Ils ont donc sauté sur l’occasion lorsqu’ils entendirent Belfoss lors de sa fameuse prise de parole lors du T.C.S à Los Angeles que vous connaissez déjà. Je ne vous réciterai pas le speech, mais il a dit quelque chose du genre : “ Puisque je serais trop ignoble de laisser des gens trop pauvres pour s’acheter l’une de mes habitations sur mon arche, je leur permets de s’installer à leur frais dans les poubelles infectes de celle-ci ”. Parfait pour lui. Nous nous occupons de l’entretien de chaque moteur, de chaque rouage, de dérouiller chaque bout de métal sans jamais être payé. Nous sommes moins bien nourris que leur chien, car nous récupérons leurs restes

Je me dirigeai vers son nid, m’appuyant et me poussant sur les rebords des poutres, des tiges et en évitant les coups des grands bras des rouages impitoyables qui en avaient tué plus d’un. A chaque geste, comme toujours, je sentais chaque organe de mon corps qui flottaient à l’intérieur de moi, mon estomac qui touchait ma chair, mon rein gauche qui rentrait en collision avec mon foie, mon cœur qui s’envolait à chaque poussée. Je n’en pouvais plus de flotter tout le temps. Je voudrais une fois, juste une fois, sentir le poids de mon corps, mes organes à leur place, voir ma chair qui tombe. J’aimerai reperdre l’équilibre comme cela m’arrivait souvent à 5 ans avant que j’embarque sur ce foutu bateau spatial. Grommelant, me retenant de vomir à chaque mètre, je croisai Japhet à quelques mètres de son cocon, pleurant et flottant.

— Japhet ? Je venais justement te voir. Tu as pu rééquilibrer ton nid comme je l’ai dit ?

Il ne s’arrêta pas de pleurer, les mains sur son visage. Il avait des coupures sur ses mains, ses larmes étaient rouillées. Elles venaient tacher sa belle barbe blanche. Il m’expliqua qu’il avait essayé de réparer seul sa cabane, qu’il avait voulu commencer par déplacer les plus petites poutres intérieures, mais qu’à peine il toucha à l’une des cordes, tout se dispersa petit à petit, et qu’à chacun de ces gestes, il perdait un peu plus de sa maison. Je ne savais comment le réconforter. Cela faisait plusieurs fois que je lui avais dit qu’il n’y avait plus rien à faire, que je lui avais dit de se trouver un nouvel endroit, il aurait dû s’y attendre. Alors plutôt que de lui apporter du réconfort je lui apportai une solution. Il vint s’installer chez moi.

 

Très peu de temps après, Japhet était un nouvel vieil homme. La zone E était une zone un peu plus dangereuse, les premiers free-riders ne savaient pas encore choisir les bons arbres ni bien construire leurs nids. La zone C ne payait pas de mine certes, mais elle était plus sûre, moins de mécanisme tordu, de rouage pervers qui vous surprennent. Aussi, les moteurs principaux étaient plus proches, il y faisait donc bien plus chaud. Mais il s’y habitua vite. Il put manger de meilleurs repas, puisque c’était également ici que nous avions la meilleure agricultrice du Dessous, Amalthée. Avec les biodéchets des pieds-creux elle arrivait à faire pousser n’importe quoi. La zone C était donc une zone bien plus peuplée que la zone E. Il était terrifié au début, mais je lui expliquai que tant qu’il restait dans entre l’espace 0 et 400 il ne craignait rien, mais qu’il devait se méfier des zones plus profondes. Plus en bas des champignons s’étaient mis à pousser, des champignons que même Amalthée ne connaissait pas. Affamés, ceux plus bas commencèrent à en manger. La lueur bleuâtre des champignons se mit à briller dans les veines de ceux qui les mangeaient. Ils se mettaient à flotter catatoniques, rêvant d’ailleurs, et lorsqu’ils revenaient à eux, voulaient repartir. Je ne savais pas s’ils étaient réellement dangereux mais je voulais surtout l’éloigner de ce qu’on appelait le “ blue nightlight”. Il se mit à sortir, à me suivre dans l’atelier des ferrailleurs et nous regardait travailler. Il discutait avec mes collègues et s’entendait bien avec eux. Il leur racontait ses histoires de jeunesses, celle qu’il vécut sur Terre et celle qu’il vécut en Free-rider. Mais nous préférions les histoires d’avant le LIBERO, celles où il marchait, courait, sautait, les pieds collés sur le sol, la tête toujours pointé vers le ciel. Il se fit souvent inviter dans les familles pour conter ses histoires, pour le petit prix d’un repas. Les enfants l’adoraient, il était rare pour eux de voir des free-riders aussi vieux, avec une barbe aussi longue et blanche. On se mit à l’appeler “Papy” et tout le monde voulait l’avoir pour invité. Cela le faisait rire et plaisanter souvent en disant qu’il était un “papy à louer”. Chaque soir il mangeait ailleurs, mais il passait chaque nuit chez moi, et me racontait sa soirée en rigolant, lumière dans les yeux. Nous discutions de long moment, et je ne pouvais m’empêcher de lui parler de la gravité, du plaisir que ce serait de simplement marcher. Ses yeux s’écarquillaient d’autant plus, heureux de pouvoir raconter de nouvelles histoires et d’avoir un auditeur aussi passionné.

 

Un soir, alors que j’utilisais mes magnets pour mon exercice physique pendant que Japhet me racontait son dernier repas, il me parla pour la première fois d’un ami à lui, un des premiers free-riders, qui lui aussi accablé par l’absence de gravité, avait cherchait dans toute les zones un accès au-dessus, afin de redécouvrir le poids de son propre corps. Stupéfait qu’il ne m’en ait parlé avant, je me mis à l’interroger sur cet ami. Je sentais qu’il ne voulait m’en dire plus, qu’il était gêné, qu’il en avait trop dit. Mais profitant de l’ivresse de son dîner, je pus le convaincre de m’en dire plus. Ce free-rider s’appelait Marco, il avait 25 ans lorsqu’il embarqua sur le LIBERO pour la zone E et il en avait 30 lorsqu’il ne supportait plus de flotter à tout va. A 32 ans il essaye de monter par la CORNE, l’endroit par lequel arrivent tous les déchets des pieds-creux. L’entreprise la plus dangereuse qui peut être entreprise étant donné que sa bouche de 4 mètres de diamètre se referme immédiatement après avoir vomi ses restes qui bouche absolument tout passage. Il se prit en pleine figure plusieurs centaines de kilos de déchets projeté à grande vitesse pendant plusieurs secondes. Il survécu à ses 5 tentatives, qui furent toutes infructueuses. Il se mit donc à la seconde solution, qui, bien que moins dangereuse, serait bien plus laborieuse : Chercher une brèche au niveau zéro qui mènerait au Dessus. Pendant 15 ans il chercha cette brèche, et à chaque fois qu’il repassait dans la zone E, il allait faire un coucou à Japhet et Noctis dans leur nid d’amour. La dernière fois qu’il le vit, il lui dit qu’il avait entendu parler d’un endroit, près de la zone B, au plus proche des moteurs, au-dessus du 4ème pistons du moteur 2, collé contre la coque il y avait un pont qui avait servi lors de la construction de ces dits moteurs. À droite après le pont, il y avait un petit interstice qui permettait de se mettre au-dessus de ce moteur qui colle pourtant le plafond. Il s’agit en fait du moteur qui permet la gravité artificielle. Il partit donc pour cette zone, mais ne revint pas raconter le reste de son histoire. Japhet pense qu’il est mort écrasé par un de ces pistons, il me supplia donc de ne pas y aller. J’étais convaincu qu’il avait trouvé cet endroit et qu’il s’y était installé, marchant dans son cocon, se confrontant à son propre corps à chaque seconde. Le rêve. Dès le lendemain, à la première heure, pendant que Japhet récupérait de sa beuverie de la veille, je fonçai vers la zone B. Et en effet, l’endroit était plus dangereux. Je faillis me faire écraser plusieurs fois, et la chaleur était de plus en plus insoutenable. Mais au bout de quelques heures, je fus enfin au moteur 2, je montai, et m’approchai du 4ème piston. Je voyais le pont ! Mais pas d’habitation. Je m’approchai précautionneusement. Je suais à grosses gouttes. Le bruit des pistons qui frappait le métal était assourdissant. Toujours pas d’habitation. Je voyais l’interstice. Rien. Juste un long couloir dans le noir. Je m’en approchai en nageant lentement. Puis je la sentis petit à petit. Je tombais vers la nacelle, vers le sol ! Mes pieds touchèrent le métal brulant. Mais je continuai. Je marchais ! Enfin pas tout à fait, je flottais encore un peu, mais je m’approchais de plus en plus de cette allée sombre. J’hésita avant de m’y engager. Puis je me rappelai toutes les histoires et descriptions de Japhet. Le sourire qu’il avait lorsqu’il me les racontait. Je m’y engouffrai. Je fus immédiatement plaqué sur le sol. Je sentais toute ma chair au contact de celui-ci qui brulait, l’odeur de la chair cuite. Mais surtout j’étais écrasé, je ne pouvais plus bouger, mes os craquaient, mes muscles, malgré mes entraînements aux magnets étaient trop faibles. Je ne pouvais plus bouger. Je hurlais de douleur mais mes cris étaient couverts par le fracas du métal. Je ne voulais plus de la gravité. Je voulais être léger de nouveau. M’échapper.

Contrainte  Ça manque de plantes

 

 

Pollen Massif

Le vaisseau de forage minier Red Iron était inexorablement attiré par la monstrueuse singularité gravitationnelle qui envahissait le panorama visible depuis le cockpit. Le pilote faisait de son mieux pour redresser la barre, tandis que les réacteurs crachaient toutes leurs puissances, boostés au plutonium exotique qu’ils avaient miné et raffiné sur le dernier astéroïde extra-galactique sur lequel ils avaient fait étape. Cette fois malheureusement, ils s’étaient aventurés trop près du monstre, et ils étaient inéxorablement attirés par lui.

«Arrache-nous d’ici Bob ! on va tous y rester ! » cria Reny, la cheffe d’équipe en proie à un début de panique.

« On est à fond Ren’ ! Je peux rien faire de plus ! » hurla le pilote pour toute réponse.

« On a qu’à larguer du leste pour être plus léger » suggéra Todd, le mécano, dont la transpiration faisait dégouliner le cambouis de son visage.

« Ҫa peut pas marcher, Tod, si on diminue notre masse, on diminue aussi notre inertie ! On est pas dans une montgolfière mon pote ! » coupa Bob, tirant sur le manche à balai comme un malade mental.

« Quoi ! J’ai rien compris à ce que t’as dit Bob ! »

« Y reste du jus de pulsar ? » demanda Reny en tremblant.

« Quoi?! » demanda Todd en haussant les sourcils.

« Tu sers à rien Todd ! Le jus de pulsar, le super carburant qu’on a acheté cinq milles solaris sur la planète Roma Ultima ! »

« Aaaah ! Le jus de Pulsar, celui dont la densité de matière est t-elle qu’on a été obligé de dériver une partie de notre énergie de propulsion pour l’empêcher d’imploser ! »

« Oui ! » crièrent Reny et Bob en coeur.

« Bah oui, on l’a jamais utilisé, il nous en reste au moins un décilitre. »

Le pilote et la cheffe d’équipe se regardèrent bouches bées quelques secondes. La peur reflua de leurs visages pour laisser place à un soupçon d’espoir. S’ils injectaient le jus de pulsar dans le mix énergétique servant à la propulsion polynucléaire du Red Iron, ils pourraient sans doute dégager suffisamment d’énergie pour échapper au trou noir. Il y avait un risque cependant, et non des moindres. La puissance libérée était susceptibles de faire exploser les réacteurs et avec eux le vaisseau dans son intégralité. Reny et Bob se consultèrent mutuellement du regard, et sur un hochement de tête commun, Reny ordonna au mécano.

« Balance le jus Todd ! »

« À tes ordres ! »

Ce dernier couru en direction de la salle des machines, et libéra le super carburant dans le circuit d’alimentation du vaisseau en pianotant rapidement sur un écran.

« Le jus de pulsar est dans les tuyaus les amigos ! » cria t-il à l’adresse de ses deux coéquipiers.

Presque immédiatement la puissance de la propulsion décupla. Un bruit de tonnerre envahit le vaisseau, et sa carlingue vibra d’une manière dangeureuse.

« On va y arriver ! » cria Bob pour se faire entendre malgré le chaos qui régnait dans le cockpit « On va y arriver les frérots ! »

Le Red Iron commençait en effet à s’extraire du champs gravitationnel de la singularité. Reny observait leur progression sur le carte spatio-temporelle qui s’affichait en hologramme au-dessus d’elle. Les vibrations étaient terribles cependant, la coque de métal semblait se tordre sous l’effet d’une pression titanesque.

« C’est le fond du tonneau les amigos ! »

Le mécano dériva le reliquat d’énergie vers les réacteurs en priant Cthulu « Amen ! »

Une dernière secousse, et le vaisseau échappa à la violente force d’attraction du trou noir.

« Yeah ! YEAH ! » hurlèrent les trois passagers en coeur.

La joie passée, Reny lança un scan de l’intégrité physique du vaisseau. Ce n’était pas très bon. Les dégâts sur les moteurs étaient significatifs. Il devait s’arrêter dès que possible pour faire les réparations nécessaires.

« Là, Bob ! Une planète ! » dit Reny

« C’est une planète ou une planète naine ? Parce que je voudrais pas dire mais elle est pas bien grosse ta planète. Elle ressemble limite à une patate. Moi je dirais que c’est un astéroïde géant, ou à la rigueur, une planète naine… »

« On en a rien à faire que ce soit un astéroïde, unr planète naine ou une crotte stéllaire Tod ! On va s’y arrêter illico, et tu vas nous réparer les carburateurs en deux temps trois mouvements. » répliqua Bob encore sous pression.                                                                                                     

Le pilote actionna différentes manettes et pédales, et le Red Iron décrivit une superbe courbe en direction de la mystérieuse micro-planète. Les trois passagers observèrent l’astre grossir peu à peu au travers la vue panoramique du cockpit, un peu trop même, jusqu’à ce que sa surface désertique grisâtre sature la vue panoramique du cockpit.

« Oh Oh… » souffla Bob laconique en consatatant que les rétro-propulseurs étaient endommagés.

« Qu’est-ce qu’y a Bob ? » demanda Todd fébrile.

« On a un problème amigo, on va se cracher. Accrochez-vous. »

Ses deux coéquipiers ne se le firent pas dire deux fois. Ils se jetèrent sur les sièges adjacebts à celui du pilote et s’arrimèrent au moyen des harnais.

« Paré à mourir écrabouillé sur une planète naine, sergent ! » déclara Todd en sortant une cigarette goût houmous de sa poche.

« On va pas mourir Todd, on va attérir et tu vas réparer ce foutu engin ! »

« S’il reste quelque chose à réparer ! »

« On y est ! » beugla bob en tirant sur le manche à balai comme un fou pour que leur précaire trajectoire soit la plus tangeant possible au sol.                                             

L’astronef percuta la surface solide de l’astéroïde en glissant, un réacteur et une demi-douzaine d’ailerons s’arrachèrent de la nef du vaisseau en frottant sur les reliefs.

« On va mourir ! «  hurla Todd d’une voix clair.

Pour les passagers le choc avait été terrible bien évidemment, mais il était encore en vie. Enfin pour le moment. Le Red Iron finit sa course au fond d’une sorte de grotte creusé par je ne sais qu’elle processus géologico-stellaire, s’immobilisant finalement dans l’obscurité.

Les trois membres de l’équipage prirent un moment pour reprendre leur souffle. Aucun ne parla, chacun tentant de reprendre ses esprits, apaisé par les ténèbres ambiantes. Reny brisa finalement l’omerta :

« Tu vois, Todd, on est pas mort. »

« Je vois rien du tout Reny. Et je sais pas si je suis vivant, mais en tout cas je t’entends. »

Bob appuya sur un interrupteur, et les puissants phares de l’astronef s’allumèrent, illuminant la cavité dans laquelle ils avaient achevé leur course.

« Wahoo ! C’est quoi ? » s’exclama Todd mi-curieux mi-inquiet.

Dans la grotte fondamentalement stérile et minérale en effet, se trouvait une plante géante majestueuse, dont la fleur unique tranchait avec la pauvreté de l’environnement.

« Ҫa se voit pas ? C’est une fleur. » répondit todd qui s’affairait déjà à faire un inventaire des commandes fonctionnelles.

« Ouais, mais c’est quoi comme fleur ? »

Celle-ci était d’un exotisme purement extraterrestre évidemment, difficilement descriptible. On pouvait n »anmoins en dire qu’elle ressemblait dans la forme à un lis, en beaucoup plus gros et pas blanc du tout en revanche. Elle était de couleur très sombre, où se mélait le noir, le pourpre et le violet, de petit motifs ocellés se dessinant sous son apparence duveteuse.

Reny et Bob discutaient de l’état du vaiseau quand Todd les interpellla.

« Hé ! Hé ! Y a des bulles qui sortent de la fleur ! »

«  Quoi ? » s’agacèrent ses deux coéquipiers.

Todd, pas rancunier répéta :

« Hé ! Hé ! Y a des bulles qui sortent de la fleur ! »

À travers la vitre, le trio observa la fleur extra-terrestre avec plus d’intérêt. Ils constatèrent effectivement qu’une multitude de petite bulles noires s’échappaient trranquillement de l’intérieur de la fleur, en file indienne, voletant paisiblement en direction de la sortie comme une sorte de pollen.

« Waouh ! C’est hyper beau ! » s’enthousiasma Todd.

« Euh ouais » concéda Reny avec circonspection.

Curieusement, l’une des bulles s’émancipa de la file indienne et voleta dans leur direction.

« Je lance un balayage de l’espace » dit Bob.

Une onde électromagnétique à réverbération amplifiée fut émise, dessinant progressivement une cartograhie de l’espace sur plusieurs unités astronomiques. La précision de la sonde était phénoménale. L’astéroide se dessina sur l’hologramme dans les moindres détails. On pouvait même suivre l’itinéraire des petites bulles qui s’échappaient de la fleur en un infin chapelet.

« Hé, c’est curieux » dit Reny « On dirait que le pollen bizarre parvient à s’échapper de l’attraction de l’astéroïde. Il  se dirige vers le trou noir. »

«  Oui, c’est bizarre » reconnu Bob en voyant la carte holographique croitre à mesure que la sonde électromagnétique rendait les informations glanées à travers l’espace-temps.

Après quelques minutes supplémentaires, ils eurent la confirmation que les petites bulles pétroloïdes nourrissaient le disque d’accrétion de la singularité gravitationnelle.

« C’est dingue » dit Reny «Si j’y connaissais rien en astrophysique, je dirais presque que la plante alimente le trou noir. »

« Ouais » ajouta Bob « On pourrait croire que cette plante est la mère de ce monstre »

« Hé, les amigos ! On a un pollen qui vien nous faire coucou. » les interpella Todd.

Les regards se tournèrent vers la vitre, de laquelle s’approchait lentement une sombre bulle brillant sous les phares.             

« Attention ! ça va faire ploc. » dit le mécano sur le ton de la plaisanterie.

Lorsque celle-ci toucha effectivement le verre du cockpit, elle n’éclata pas tout de suite . Elle s’aplatit lentement en émettant un bruit étrange à travers le matériau transparent. Un bruit semblable à celui d’une rondelle métallique en train de tournoyer sur un support plat et rigide. L’équipage observa le phénomène en écarquillant les yeux. Ҫa faisait :

woooowoooowoooowooowooowooowooowoowoowoowoowoowoowowowooooooouuuuuuuuup !

 

Contrainte 1 Complètement déconnecté•es
Contrainte 2 Une fausse impression

 

 

 

Au royaume des aveugles

« Planquez-vous ! Ils arrivent ! La vache, ils sont nombreux. J’ai jamais vu un essaim pareil !

— Cheffe, Harold vient d’y passer !

— C’est pas le moment de chouiner, Sergent. Les aliens sont à nos portes. Remue-toi le derche et va me chercher cette foutue mitrailleuse, c’est un ordre !

— Cheffe, regardez ! Ils… »

Simulation terminée. Veuillez retirer votre casque et vous diriger vers l’hôte de caisse.

Marcus retira son casque et se dirigea vers l’hôte de caisse, comme on le lui avait demandé.

Marcus n’était pas du genre contrariant.

« Bonjour, M. Mello. Avez-vous apprécié votre expérience, aujourd’hui ?

— Oh, oui, Elio, c’était parfait.

— Pour quelques euros de plus, vous pourriez profiter de la fin de la simulation. Vous avez manqué la partie la plus intéressante.

— Oh, ce n’est rien Elio, c’était très bien comme ça. Il ne faut pas abuser des bonnes choses. J’ai ma dose de gravitas pour la semaine, répondit Marcus en appuyant sur le mot.

— Elle est très bonne, M. Mello, très bonne, dit l’homme en tendant la main pour récupérer les billets. Savez-vous que nous allons bientôt ajouter de nouvelles expériences ?

— Oh ? »

Marcus n’était pas de ces hommes qui font varier de trop leur vocabulaire.

« Oui, notre cher Knorg est actuellement en train de calculer une expérience inédite. À vous, je peux le dire : nos prompteurs et prompteuses l’aident à créer une simulation dans laquelle un petit groupe d’hacktivistes – vous savez, ces personnages dont les fictions du XXe siècle raffolaient – essaient de détruire notre belle entreprise.

— Détruire Gravitas ? C’est amusant. Mais quel prétexte leur ont-ils trouvé ?

— C’est justement ce sur quoi nos prompteuses et prompteurs travaillent. Knorg n’arrive pour le moment pas à calculer une raison crédible et la simulation manque de panache.

— Eh bien, je vous souhaite bien du courage. Gravitas nous apporte tellement. Je me demande bien comment vos équipes vont s’en sortir pour trouver une motivation à ces personnages, oh ça oui. Ce petit frisson qui parcourt mon échine, cette tension dans mon ventre, cette boule dans ma gorge à chaque fois que je me connecte sur l’une de vos simulations. Ah, ça, c’est bien beau, ce que nous offre Gravitas, c’est moi qui vous le dis.

— Merci, Monsieur. »

L’hôte encaissa les 4 284 € (et 99 centimes) de Marcus et le salua.

« M. Mello, l’apostropha-t-il alors que l’homme franchissait les double-portes blindées de l’entreprise. Votre lacet, Monsieur, il est défait.

— Oh, ce n’est rien de grave, Elio. »

Marcus n’était pas du genre contrarié.

 

Les portes de Gravitas se refermèrent en grinçant. Sur la porte de droite, des traces brunâtres encore fraîches dégoulinaient sous une sorte de bille en acier encastrée dans le métal. Cela ne dérangeait pas Marcus, qui voyait ce type de traces un peu partout sur son trajet quotidien.

Le chemin qui menait jusqu’à chez lui était plutôt agréable. Marcus croisa une poignée de personnes, toutes bien aimables. Une femme dans un grand manteau noir, le bruit de ses bottes de cuir résonnant joliment sur le pavé. Un groupe de personnes dans de beaux habits cintrés, portant de longs bâtons qui bâtaient leurs cuisses. De-ci, de-là, des hommes, des femmes et, oh ! même quelques gentils enfants, qui avaient installé qui un matelas, qui un simple duvet juste-là, sur le côté du trottoir.

C’était charmant, vraiment.

Bien sûr, de part et d’autre de la rue, défilaient des hommes et des femmes habillés de grands panneaux aux couleurs de Gravitas. Le logo de l’entreprise mariait à merveille le rouge, le noir et le blanc, dans une composition symétrique et fort agréable à l’œil. Les panneaux avaient le grand mérite d’être animés et de permettre ainsi à tous les passants d’admirer les expériences proposées par Gravitas. Entre deux invasions aliens, un putsch mené par ce personnage de fiction connu sous le nom d’Agent orange et une catastrophe énucléaire, des personnes de tous âges, tous genres, toutes tailles et toutes couleurs de peau déclamaient le slogan de l’entreprise : « Votre dose de gravité quotidienne, c’est Gravitas ».

Sur tout le trajet retour, Marcus chantonna la petite musique du slogan qui s’était imprimée dans sa tête tout en se disant que, tout de même, ils avaient de la chance de vivre dans un monde où on les autorise à ressentir de temps en temps toutes ces émotions. Elles ne servaient à rien, certes, mais c’était fichtrement divertissant. Et puis, tout de même, il pouvait s’offrir huit minutes de simulation tous les six mois grâce à son salaire. Ce n’était pas rien !

Marcus se demandait parfois comment faisaient les gens, avant Gravitas. Il était bon de vivre dans un monde déserté par l’inquiétude et la peur, par la tristesse, par le… pouçpon… souçpon.. spounçon… par le manque de confiance. Bref, par toutes ces émotions étranges qui n’avaient pas leur place dans la vie de tous les jours. Mais enfin, sans Gravitas, est-ce que tout ça ne serait pas un peu monotone ?

Peut-être. Marcus n’en savait rien et, au fond, il s’en fichait. En dehors de Gravitas, ce genre de questions ne l’intéressait pas vraiment. Son emploi ne lui causait aucun tracas, il lui permettait de se loger dans un très bel appartement au regard de ses revenus qu’il trouvait bien confortables, il ne côtoyait que des gens agréables. Il s’était même récemment octroyé quelques mètres carrés supplémentaires qui lui faisaient défaut. Que demander de plus ? Vraiment, Marcus était bienheureux.

Il gravit les sept étages qui menaient à son appartement, content de l’occasion qui lui était donnée de s’offrir un peu d’exercice depuis que l’ascenseur de l’immeuble avait été définitivement condamné. Il arriva devant sa porte légèrement essoufflé, mais satisfait de son effort. Il mit la clef dans la serrure, donna un petit coup d’épaule contre la porte qui peinait un peu à s’ouvrir depuis que le voisin du dessus avait laissé sa baignoire se vider sur le sol de sa salle de bain. Mais Marcus n’en voulait pas à son voisin, dans la mesure où celui-ci avait été retrouvé tout gonflé dans sa baignoire après trois jours de débordement.

Et puis, un peu d’humidité, c’était bon pour les plantes.

Un petit picotement dans les narines décida Marcus à ouvrir la fenêtre. Il faisait un temps radieux dehors et la petite brise qui ne manquerait pas de s’infiltrer dans le salon-cuisine-chambre aller en un rien de temps rafraîchir l’atmosphère intérieure.

Il fallait bien avouer que l’odeur laissée par Henrietta, Antoine et Macha n’était pas des plus agréables. Mais Marcus ne pouvait pas vraiment le leur reprocher, maintenant qu’ils ne pouvaient plus rien y faire. Peut-être devrait-il les descendre dans l’arrière-cour, un de ces jours. Mais les encombrants ne passaient que le 10 du mois (de novembre) et Marcus ne voulait pas risquer une amende pour dépôt non autorisé. Cela rognerait de trop sur ses économies, et il avait très envie d’essayer cette nouvelle simulation dont lui avait parlé Elio. Il hésita un instant, puis se dit qu’il pourrait bien attendre dix petits mois. L’odeur finirait bien par s’atténuer. Ou son odorat à s’y faire. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y avait donc pas lieu de s’en faire.

Marcus allait s’offrir un bon verre d’eau tiède au robinet quand il réalisa qu’il y avait fort longtemps qu’il n’avait plus pensé à vérifier le courrier. Il reposa donc son verre et profita de quelques instants pour apprécier l’idée de refaire encore un peu d’exercice.

Marcus descendit s’élança donc gaiment dans l’escalier. Il y croisa un fort bel homme et une fort belle femme, tous deux drapés dans un élégant manteau de cuir noir, comme la jolie dame croisée plus tôt dans la rue, qui escortaient deux de ses voisins vers la sortie de l’immeuble. Ils tenaient à la main une enveloppe sur laquelle un mot était tamponné en rouge. Ses voisins les suivirent de bonne grâce.

Malgré lui, Marcus descendit l’escalier un peu plus vite. Ce faisant, il se félicita de ses progrès sportifs. Il était arrivé devant sa boîte aux lettres en un rien de temps. Il remarqua vite qu’elle avait débordé. Ce n’était pas bien grave, se disait-il : cela lui permettait de récupérer son courrier plus facilement !

Il remarqua vite une enveloppe semblable à celle que tenaient les deux jolies personnes qui accompagnaient ses voisins, quelques étages plus haut. Une, deux, trois enveloppes, même ! Eh oui, se dit-il. Son propriétaire n’avait peut-être pas été très heureux de ne recevoir plus qu’un quart du loyer. Marcus aurait dû y penser avant de libérer ses colocataires de leurs obligations pécuniaires.

Eh bien, pensa-t-il, cela n’était pas bien grave. Il décida d’aller faire une petite balade pour réfléchir à ses options. Il devrait peut-être repousser sa prochaine simulation chez Gravitas de quelques mois, voire de quelques années et, au fond, c’était bien cela qui l’embêtait le plus. Comment diable allait-il pouvoir ressentir ce frisson que lui apportaient les simulations, cette sensation étrange et agréable que seules les situations rocambolesques que lui proposait l’entreprise pouvait lui offrir ?

Tant pis, se dit Marcus. Et il s’élança vers les frontières de la ville. Autant s’élancer à la découverte de nouveaux espaces, et Marcus n’avait jamais franchi les frontières de son quartier. Cela serait d’autant plus facile, maintenant que les chars qui gardaient la ville étaient vides.

Marcus arpenta donc les pavés, observant la ville, ses habitants, les vitrines vides et les trottoirs pleins. Il marcha ainsi peut-être vingt minutes, s’émerveillant de la beauté de ces quartiers qu’il n’avait jamais parcouru. Les voitures de toutes les couleurs et de toutes les formes, en fonction des impacts qui les avaient formées et déformées, les vélos à une roue, sans roue, avec de belles tâches de rouille, les nuées d’insectes et les animaux errants, tout cela donnait un caractère unique à cette partie de la ville.

Bientôt, Marcus arriva aux abords de la ville. Derrière le grillage, défoncé, une colline lui cachait la vue. Il se demandait ce qui pouvait se trouver, là, derrière. Alors, comme il avait le temps, Marcus décida d’aller voir par-delà la colline.

Il mit longtemps à l’escalader et arriva tout essoufflé en haut de la pente rude – un peu d’exercice supplémentaire lui ferait sans doute le plus grand bien.

Du haut de la colline, la vue était vraiment très intéressante. Marcus aperçut un grand grillage et se demanda s’il y avait donc une autre ville, si proche de la sienne. Il s’élança pour découvrir cette autre municipalité, se demandant si elle était aussi jolie et aussi agréable que la sienne. Sur les flancs de la colline, Marcus découvrit des pancartes brisées, des banderoles déchirées. Il s’amusa à en reconstituer quelques-unes. La première le surprit un peu. « À bas Gravitas », c’était tout de même un peu fort, se dit-il. Mais enfin, certaines personnes n’appréciaient pas un bon divertissement. Les pauvres devaient bien s’ennuyer.

Il lui fallut quelques heures pour retrouver quel bout de pancarte allait avec quel bout de pancarte, quel morceau de tissu complétait quel morceau de tissu. Il fut bien content de lui quand il eut terminé et qu’il put enfin lire le résultat de son travail. Et, alors qu’il lisait des slogans tels que « Écran de fumée », « Mensonge d’État », « Abrutissement des masses » et autres « Gravitas a du sang sur les mains », Marcus se dit qu’il avait une énigme à résoudre. Il crut reconnaître le type de traces brunâtres qu’il apercevait sur certaines pancartes, la forme des trous qui crevaient a plupart des banderoles.

Marcus ne savait pas quand il pourrait s’offrir une nouvelle simulation. Essayer de comprendre ce qui s’était passé de ce côté de la colline pourrait être divertissant, se dit-il. Alors, Marcus rassembla les morceaux de banderoles – les pancartes étaient trop lourdes pour être transportées – et s’élança vers le grillage.

De là où il se trouvait, il entendait une clameur enthousiasmante, ainsi que quelques détonations tirées à intervalles irréguliers.

« Oh, se dit Marcus. Ça va être une belle aventure ! »

Contrainte 1 Intolérant à la musique
Contrainte 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le dernier Nostalgique

Ariane me disait souvent que le tintement scintillant de la navette était comme une musique à ses oreilles. J’ai toujours détesté la musique. Leur musique. Martin, lui, parlait de vrombissement méditatif. En bref, ils étaient tous deux faits pour cet Exode. Il y avait bien une musique qui émanait du vaisseau : un son désagréable, dénaturé, synthétique issu de ses moteurs, de ses valves, de ses ordinateurs et de toutes ces autres affreuses machines.

Je déposais l’avant dernière caisse, celle comprenant les derniers livres et tableaux que j’avais poépeints cette semaine-là. La dernière semaine.

En sortant de la navette, je les voyais d’abord tous les deux en train de s’affairer. Ariane était une pilote émérite, belle comme une jeune étoile dans sa fluide tenue en Lyocell – une fibre composée de pulpe d’eucalyptus friggien. Elle était en train de télécharger les dernières données de navigation du centre d’Exode. À côté d’elle, Martin courait dans tous les sens, des éprouvettes s’entrechoquant dans sa petite sacoche de biologiste. Il énonçait à voix haute tous les prélèvements qu’il lui restait à faire dans ces vingts dernières minutes.

Les vingts dernières minutes sur Frigg, notre satellite. Notre maison. Ou plutôt notre ancienne maison. D’ailleurs, Frigg était le nom d’une ancienne divinité terrienne représentant le foyer. Du moins c’est ce qu’on nous avait appris petits.

Cela faisait maintenant une trentaine d’années que nous avions lancé l’Exode, et nous étions les trois derniers êtres à quitter le système pour revenir sur Solaire. Les trois derniers à devoir piloter l’une de ces navettes tintinnabulantes.

Je levais alors les yeux vers le ciel. Ou plutôt vers le sommet du Dôme qui donnait sur le ciel d’encre que composait la fin de notre système. Cela faisait déjà un an que, comme l’avaient annoncé les prévisions, notre étoile était devenue un magnifique trou noir. Nous avions eu le temps, bien sûr, de nous préparer à la fin du rayonnement, de la chaleur – notamment à travers la fabrication des Dômes et des tunnels de transit. Ce que nous ne savions pas à l’époque, c’était la masse finale qu’atteindrait cette Singularité cosmique. Quelle allait être la gravité contre laquelle nous devrions lutter pour retourner sur le système d’origine de notre espèce ?

Il s’était avéré que nous avions de la chance. Lors de la formation du trou noir, nos analystes nous apprirent qu’ils nous resterait une année presque complète pour finir l’Exode. Après cela, nos vaisseaux ne pourraient plus s’éloigner à une vitesse suffisante pour ne pas être aspirés dans l’obscurité. Certains puits gravitationnels sont si massifs que notre satellite et la planète autours de laquelle il orbitait auraient pu être avalés en seulement quelques minutes. Et alors ça serait devenu compliqué de finir l’Exode dans les temps. Mais en un an… on en eut largement le temps. Et il ne resta rapidement plus que quelques équipes scientifiques, parfois accompagnées d’un Nostalgique comme moi : un artiste.

Je retournais dans l’immeuble à l’abandon où nous avions stocké les derniers échantillons ainsi que les dernières caisses de matériel artistique à transporter sur Terre. Le bâtiment ressemblait à un squat cet après-midi là. Il avait autrefois abrité des appartements luxueux donnant sur les beaux jardins exotiques du Dôme. Mais des débris et de grandes flaques d’eau en parsemaient maintenant le sol. Et je fis une grimace incontrôlée en remarquant que ma dernière caisse de matériel semblait avoir pris l’humidité. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il ne s’agissent pas de toiles ou de parchemins hydrosensibles.

Je soupirais en portant la caisse qui grinçait dangereusement, donnant l’impression qu’elle allait se briser à n’importe quel moment. Les gouttes d’eau s’écoulant du plafond parvenaient encore à m’apaiser, à me rappeler que j’étais en sécurité. Mais en ressortant, la mélodie de la navette se rappela trop vite à moi.

Ariane avait fini de préparer les moteurs assourdissants et, pire que tout, j’entendais l’un de ses disques. Pendant l’entrainement, j’avais déjà du subir de nombreuses fois les symphonies de Bach ou de Beethoven. Ça la calmait me répétait-elle alors que je me retenais toujours de justesse d’éteindre le tourne-disque intégré. Par dessus les bruits artificiels du moteur venaient sans arrêt s’incorporer ces sons discordants et factices, si opposés à la douceur des sons du dehors, de la nature de notre beau satellite.

Alors que j’attendais là, profitant une dernière fois de chaque seconde de cette nature apaisante et bien-aimée, cela commença. Ce fut d’abord comme une sensation, imperceptible mais dont notre esprit est certain que c’est en train d’arriver. Martin courait dans tous les sens, il savait, il s’inquiétait, s’époumonait. Mon communicateur grésillait : Arianne essayait de me dire quelque chose. Et bien évidemment je l’avais coupé pour mieux entendre ce qui valait vraiment le coup : c’est-à-dire autre chose que sa voix chantante.

Mais nous nous étions entraînés tous les trois, alors je décidais de tout de même l’écouter :

– Il ne nous reste que deux minutes Alias ! Ramène cette foutue caisse et on décolle de là !

Et c’est à ce moment que je la sentis.

C’est étrange, car finalement, on sent tout le temps la gravité autour de nous. Nous sommes attirés, et même scotchés au sol. Et Frigg, lui, tournait autour de sa planète, qui elle même tournait autour de son étoile – enfin autour de son trou noir à ce moment-là. Mais ces mouvements, de même que lorsqu’on saute dans un train en marche, sont imperceptibles. Et pourtant… A ce moment-là, on la sentit tous les trois. Nous étions les trois derniers humains du système, et nous avions la chance de sentir que nous étions irrésistiblement attirés vers la Singularité. C’est comme lorsqu’on ne s’attend pas à tomber. Il s’écoule cette demi seconde où l’on cherche le sol sous notre pied. Ou lorsque l’on monte dans des montagnes russes. Cette même impression de boule au ventre qui nous indique que bientôt nous ne contrôlerons plus rien du tout.

J’observais le ciel noir, à travers les pales transparentes du Dôme. Et je sus. Je sus que j’étais trop attaché, attiré par Frigg, de cette même attraction qui allait le faire finir dans une obscurité absolue très bientôt. Je ne pouvais pas monter dans cette navette.

Mais je n’étais pas égoïste non plus. Je ne pouvais pas garder mes compagnons attachés à notre foyer avec moi. Il fallait que je les laisse s’envoler.

Alors je les regardais, plus longuement que la prudence n’aurait voulu. Arianne me faisait des signes exaspérés depuis le poste de commandement de notre vaisseau. Martin était à la porte. Pour une fois il s’était arrêté, dans cette dernière minute de fin du monde, alors que nous sentions que Frigg quittait son orbite. Il me regardait, avec un air stupéfait. En fait, en les regardant, je compris qu’ils avaient compris. Peut-être avant moi. Peut-être avant même qu’Arianne ne m’apostrophe. Peut-être parce que pendant toute cette année, ils m’avaient vu de plus en plus trainer des pieds.

En fait, je n’eus pas besoin de parler. On le savait – c’était dans le manuel – qu’il arrivait que certains renoncent. Que certains, trop accrochés à leurs racines, à leurs foyers, préféraient ne pas rejoindre l’Exode. Il paraissait même que certains habitants avaient élu domicile cette dernière année dans l’un des Dôme abandonnés à quelques kilomètres d’ici.

Aussi, sur leurs visages, la surprise et la contrition s’effaça. Et – comme c’était aussi indiqué dans le manuel – lorsque je leur fis un signe de la main (qui voulait dire « au revoir »), ils me sourirent et fermèrent les portes.

D’abord, ce fut cette horrible musique classique qui s’arrêta. Je voyais les turbines et autres machineries du vaisseau peiner à décoller. Il s’était déjà passé beaucoup de temps. Il n’était pas dit qu’ils parviennent à quitter le Dôme, le satellite, puis l’orbite du trou noir. Il n’était pas dit qu’ils survivent.

Mais moi, j’étais pressé qu’ils s’envolent loin, avec le tintement et le vrombissement artificiels qu’ils aimaient tant et qui polluaient encore mon environnement sonore.

Le vaisseau parvint à décoller. Et petit à petit, alors que s’effaçaient vibrations et sifflements, résonnaient petit à petit la clapotis d’une rivière au loin dans les jardins, le hululement d’une chouette, un craquement provenant des bâtiments abandonnés.

En tant que Poeintre, c’étaient ces sons qui m’inspiraient, ces bruits et musiques naturelles.

Aussi, alors que le poids sur ma poitrine se faisait de plus en plus lourd, je m’assis sur les marches devant lesquelles j’avais posé ma dernière caisse et j’entrepris de la rouvrir.

A l’intérieur, au milieu des pinceaux, des carnets d’écriture et de dessin, il y restait bien une petite toile. Elle avait un peu pris l’eau. On aurait pu s’en douter.

Alors que je tentais de la sortir sans plus l’abîmer ni la déchirer, j’entendis un bruit dans mon dos. Au milieu des fougères et des autres plantes sauvages, une petite souris se frayait un passage, curieuse, vers moi. Je me retournais et tirait ma dernière œuvre de son sarcophage.

Et étrangement, je ne me souvenais plus alors de ce que j’avais voulu représenter, car comme attirée vers le lointain, elle s’étirait, se déformait étrangement. Moi même je voyais mes doigts s’effiler, et grandir. Bientôt, la petite tête de la souris était devenue longue, longue,longue à mesure que nous nous sentions lourds. Le sol se distordait, craquait. L’eau perdait sa substance plate et devenait spongieuse et aérienne.

Je me mis à rire, si fort.

Tout cela est l’effet de la gravité, ou plutôt sa perturbation voyez vous. La physique semble  alors perdre tout son sens et rejoindre une ancienne croyance que les terriens appelaient magie.

Si vous aviez eu la chance d’apercevoir ce petit tableau, car maintenant je m’en souviens et je peux vous le décrire, vous auriez certainement réagi comme certains de mes contemporains. Vous n’auriez pas compris l’étrangeté que j’avais voulu représenter.

Les Nostalgiques, qu’ils soient Poeintres ou Musartificiens, sont souvent incompris aujourd’hui dans notre société. Ils inventent, créent, mêlent des choses singulières au réel. Mais voyez vous, ils sont surtout les annonceurs de ce qui va advenir. Dans le futur je veux dire.

Sur ce tableau il y avait, sur un fond d’un noir absolu, une souris distordue semblant zigzaguer d’un bout à l’autre de la toile. Entre une nature en friche et une rivière s’envolant vers les ténèbres, j’avais peint un tout petit vaisseau qui s’envolait, dans un coin de la toile.

Un tout petit vaisseau dans lequel ne s’envolerait pas le dernier des Nostalgiques.

 

Contrainte 

 

 

 

 

 

 

 

N° 78

 

Jour 1 – 6h54

Nous enfilons la lourde combinaison qui nous servira de bocal et d’armure pendant les dix prochaines heures. Lentement, l’ascenseur nous conduit vers le haut de la base de lancement. J’inspire une dernière fois l’air matinal d’automne avant de m’engouffrer dans notre minuscule cockpit. Quand j’écris nous, je parle de Lilith, Oleg et moi. Nous sommes l’équipe n°78.

 

Jour 3 – 11h26

Nous sommes arrivés dans la station il y a à peine vingt-deux heures, et je sens déjà une certaine tension entre notre équipe et les autres. Ça ne pose pas de problème car la plupart de la journée nous devons effectuer nos tâches quotidiennes. Mais, aux heures conviviales, ils préfèrent vaquer à leurs tâches ou dormir dans la salle de repos alors que nous mangeons dans la partie commune.

 

Jour 15 – 14h19

Aujourd’hui nous avons reçu un message d’alerte nous prévenant d’une tempête solaire imminente. Même si chacun connaît par cœur la procédure d’urgence,  personne n’avait jusque-là dû l’appliquer. C’est la panique, tout le monde se précipite vers les capsules de survie. J’essaye de retrouver Oleg mais l’équipe n°71 me pousse sur le sol. Je me fais emporter par cette masse de gens.

 

Jour 16 – 17h06

Je sens le sol froid au contact de mon visage. J’entends mon cœur battre. J’essaie de me relever mais une douleur lancinante à l’épaule m’arrête dans mon geste. Autour de moi le monde tourne, se déforme et se disloque. Une douce chaleur me lèche le dos. J’essaie de m’asseoir en faisant attention à ne pas m’appuyer sur mon épaule blessée. Le monde se stabilise peu à peu et je découvre le double vitrage du vaisseau brisé par endroits. Mais surtout derrière les vitres j’aperçois des volutes de fumée rouge sang et des nuages de lave. Le vaisseau est en pleine tempête solaire !!

Contrainte 1 Sympa, mais un peu collant
Contrainte 2 Un jeu de chaises musicales

 

 

 

Le poids de vivre.

42 cycles à attendre. Si près du but, toujours si loin. À voir les autres accomplir ce rêve, le rêve d’une vie, être choisi. C’est dans ces moments d’anticipations hypnotique que le doute devient le plus vicieux. Tant de sacrifice, tant de temps perdu, d’espoir détruit et pourquoi… pour le privilège de gouter.

 Comme les 442 êtres en procession dans l’espace devant le BarTerre, je compte les étoiles du chantier rituel. Huit étoiles sur les 442 orbes du chantier. La prière fait résonner ma texture. Cette clameur lamentable, reflet de toute la désespération d’un groupe, qui ne vie que dans l’espérance d’y gouter.

Être choisi, c’est le premier test. 4 fois par cycle la prière s’arrête. 4 fois par cycle une vibration de peur se répand, contagieuse, traverse les corps immatériels de la foule et cette illumination de joie que laisse s’échapper les individus qui ont la chance d’être sur un orbe étoilé.

Ce cycle sera peut-être mon dernier. Et si… et si la chance ne me choisissait pas. J’aurais perdu ma vie à attendre de vivre. Dans cette triste considération, je mets un temps superflu à m’apercevoir que la prière sait tu. C’est moi…. Je suis choisi. Je vais y gouter, je vais vivre ce moment tant espéré.

 Je me déplace vers la porte, beaucoup plus rapidement que mon âge m’en croirait capable. Traversant l’antre du bar, le changement du luminosité me surprend. Pourtant bondé, l’espace est sombre comme si tout le monde dormait, leurs corps dans la teinte rosé du sommeil profond et leurs gestes, presque imperceptibles, dans une lenteur surnaturelle. Je me dirige au fond de la pièce, dans une des alcôves libres. Une voix douce émane de la paroi « Bonjour, et félicitation pour votre chance. Pour votre sécurité nous vous suggérons de commencer au niveau le plus bas». Je sélectionne l’opérateur avec l’indication recommandé. Une buée opaque s’accumule lentement dans l’alcôve et m’enveloppe.

Un picotement intense s’empare de mes cellules. Elles se contractes les unes sur les autres avec une telle force que je n’arrive plus à respirer. Tranquillement je prends forme. Mon être se défini, mes membres se développe. Quelque chose se met à circuler en moi. Quelque chose de chaud et salé, propulsé par un écho jamais entendu et qui pourtant émane de mon centre.

La voix retentie autour de moi, « Vous reprendrez bien un peu de gravité? ». Fébrile et intrigué, je sélectionne la commande. Je suis alors propulsé avec une puissance cataclysmique, mon nouveau corps étouffé par le poids pendant un temps qui me semble infini, puis un souffle, un cri, le froid, la brillance. Je suis recouverte d’un enduis rouge et blanc. Des bras… un sentiment d’amour et de paix qui m’embrasse. Je suis finalement heureuse et accompli.

Ce n’est pas tout à fait ce que j’avais imaginé. La gravité c’est très sympa, mais un peu collant.

Contrainte 1  
Contrainte 2  

 

 

 

Vous reprendrez bien un peu de douceur.

L’horlogre sonna 16 heures. Malgré ses journées bien remplies, elle avait toujours particulièrement tenu à l’heure du goûter. C’était son moment sacré, celui qui lui assurait au moins un peu de douceur dans la journée. Habituée à trouver LE lieu qui saurait la satisfaire, elle avisa une enseigne qu’elle ne connaissait pas : Le goût comme écosystème. Elle s’approcha, sur la carte positionnée à l’extérieur, il était précisé « sans gravité ». Les fautes d’inattention de ce type avaient tendance à l’agacer, mais puisque c’était ce petit salon qui lui avait attiré l’œil, et que ce n’était de toutes façons pas la saison pour siroter un granité, elle décida d’entrer.

Il n’y eut aucun bruit lorsqu’elle ouvrit la porte, pas même un carillon. Le lieu qui se présenta à elle était très sobre, il n’y avait pas plus de décorations que de clients, ni de serveur s’étonna-t-elle. C’était parfait, elle avait besoin de calme. Elle s’assit à une table, un bol de petits gâteaux secs y était disposé, certainement pour faire patienter les clients. Sous sa dent, la pâte craquait et s’effritait, avant de fondre sur sa langue. Elle perçut un léger goût de cannelle et attrapa la carte qui était élégamment disposée sur la table, contre un bouquet de fleurs de tempête, ses préférées. Les miettes du gâteau irritaient sa gorge sèche, elle se servit donc un verre d’eau en se félicitant de la présence de la carafe à côté du vase.

Boire un peu l’apaisa, elle héla le serveur afin de commander un thé à la pêche. En levant la main, elle se sentit suer à grosses gouttes, dégouliner même, et en se caressant le cou elle réalisa qu’elle était trempée. Son inquiétude se dissipa lorsqu’on lui apporta son thé, le serveur, tout comme les clients, ne semblait rien remarquer. Les multiples tableaux accrochés aux murs étaient également rassurants : on y voyait une multitude de personnes, toutes différentes, apprécier leur goûter peu importe leur origine, leurs habits, leur apparence peu commune… Elle était à sa place même humide, et elle avait bien mérité sa boisson chaude.

Elle se sentit envahie par la douceur et la chaleur du liquide. Cela lui insuffla soudain une grande confiance en elle. Elle était capable de donner vie, de faire naître tout ce qu’elle voudrait par sa seule force. Comme pour se féliciter elle-même, elle se caressa le bras, il était particulièrement doux, « une peau de pêche » se réjouit-elle. Lorsqu’elle reposa sa tasse, elle s’attarda sur un cadre plus grand que les autres, une personne lui ressemblant légèrement était peinte, si elles avaient des traits similaires, la femme du tableau avait la peau recouverte de brins d’herbes tout juste sortis de terre. Elle allait par réflexe regarder sa propre peau quand le serveur passa et remplit à nouveau sa tasse en ajoutant: « Vous prendrez bien un dessert pour accompagner votre thé ? » En effet, elle n’avait toujours pas  commandé de quoi manger, et l’heure devait tourner.  Son choix se porta sur l’île flottante.

Elle profita de l’attente pour continuer d’observer ce lieu charmant, elle était baignée par la chaleur du soleil, qui passait par l’ouverture située juste au-dessus de sa table. Quelle chance d’avoir choisi cette place sans y faire attention. Elle se sentait étrangement fertile quand on lui apporta son île flottante. Elle la dégusta avidement, jamais elle n’avait goûté des blancs en neige si onctueux, et une crème si fondante. Le tout formait un délice parfait, sucré sans trop l’être, synonyme de plaisir et de légèreté. Elle se laissa emporter par cette douceur, celle qu’elle recherchait désespérément tous les jours. Recroquevillée sur elle-même, rêvant à tout ce qu’elle pourrait créer, elle s’éleva doucement. Lorsque l’horlogre sonna 17 heures, elle ne pouvait plus l’entendre.

 

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A propos de Mia-

Membre du Club depuis 2005, Magali participe au comité de lecture d'AOC et s'occupe activement des matchs d'écriture, qu'elle colporte dans plusieurs festivals dédiés à l'imaginaire. Accessoirement, redoutable mouche du coche professionnelle :)

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