Votes pour le match d’écriture Convention Nationale SF 2016 : « Surmourir »

« SURMOURIR »

Comment ? De quoi de qu’est-ce ? Mais ça n’existe pas ce mot ! Où c’est qu’ils vont chercher des thèmes aussi tordus. Y’a plus qu’à espérer que les auteurs soient tout aussi tordus …

  • Les chagrins d’amour ne durent que le jour
  • Neuf vies
Contrainte 1 Un verre à larmes

LES CHAGRINS D’AMOUR NE DURENT QUE LE JOUR

Samedi 9:47

Dans la cuisine, les chiffres rouges de l’horloge lumineuse le regardent et le narguent.

Comme chaque samedi. Il reste encore quelques minutes, mais il est prêt, que peut-il faire de plus ? S’il reprend un café, il sera trop nerveux et il l’est déjà bien assez.

Mais elle ne sortira pas de chez elle avant 10:00. Elle n’est pas du matin. Elle ne sort jamais avant 10:00.

Elle descend jusqu’au marché aux fleurs, dans l’idée de s’acheter un bouquet puisque personne ne lui en offre jamais. C’est là qu’il l’abordera. Sous un prétexte futile. Il en a plein en stock et, au final, s’il change d’un samedi sur l’autre, ce n’est que pour lui puisqu’elle…

Il la bouscule par hasard et il est vraiment désolé. Ou il lui sourit en croisant son regard. Ou…

Il a réalisé que ce n’était au fond pas très important parce qu’il lui plait et elle a envie de se laisser faire. Pour elle, cela fait désormais plusieurs années qu’elle n’a pas eu d’histoires et elle le regrette assez pour être moins farouche.

Alors…

Alors il va l’aborder, il lui offrira les fleurs qu’elle est venue s’acheter, ils prendront un café puis ils se baladeront le long de la mer, tout à côté, sauf l’été car le soleil tape un peu trop fort et elle ne veut pas bronzer.

Vers midi, il l’invitera à déjeuner. Il sait bien sûr ce qu’elle aime, mais il essaie de varier un peu les restos, déjà pour que les serveurs ne s’habituent pas trop à eux. Il s’est d’ailleurs toujours demandé ce qui se passerait si l’un d’eux les interpellait, genre reconnaissait les « amoureux » qu’il voit souvent le samedi midi.

Chaque après-midi ensuite est un peu différente.

Parfois, au printemps par exemple, ils montent la colline du château et s’assoient sur un banc. Ils regardent la mer, les bateaux, la ville qui s’étend et se répand sur les collines alentour.

En décembre, elle doit faire les boutiques car elle a tant de gens à gâter. Elle a si grand cœur. Elle doit trouver le cadeau idéal pour ses deux neveux qu’elle adore, mais aussi pour des oncles et tantes, des copines chéries, des collègues appréciés…

Il aime sa générosité, son sourire quand elle parle des gens qu’elle aime.

Elle se confie très vite, « comme s’ils se connaissaient depuis toujours » et il aime ça, à chaque fois. Il connaît par cœur le nom des membres de sa famille, de la collègue du bureau d’en face, du petit voisin qui sourit tout le temps, des chats du 2e étage…

Il la connaît si bien, mais il l’écoute toujours comme s’il découvrait, il repose les mêmes questions, il rit aux mêmes remarques…

Il l’aime. Chaque samedi un peu plus.

Chaque samedi, il se lève avec cette même anxiété : et si elle se levait plus tôt ? Ou si elle ne se levait pas car elle avait fait la fête la veille au soir et s’était couchée trop tard ? Si elle ne descendait pas au marché aux fleurs ? Si elle ne répondait pas à son sourire ?

Si elle avait rencontré quelqu’un cette semaine-là ?

C’est déjà arrivé, d’ailleurs, qu’elle s’absente de la ville pour quelques jours. Qu’elle ait la grippe et ne sorte pas.

Ces samedis-là, il a compris que ne pas la voir était forcément bien pire que de recommencer. Ne pas la voir. Ne pas savoir si…

Une fois par semaine.

Pas plus.

Le samedi.

Pourquoi le samedi d’ailleurs ?

C’était un samedi, déjà, la première fois.

Il l’avait rencontrée au marché aux fleurs.

Il sortait d’une histoire et, sur le moment, il aurait bien juré que c’était une rupture « difficile » dont « on ne se remet pas ». Il a dû le jurer d’ailleurs.

Il n’a pas dû faire que jurer…

Qui a-t-il offensé ?

Il s’en souvient, le con, on n’oublie pas ce genre de choses.

Qui a-t-il apostrophé ?

« L’amour n’existe pas ! Ca n’est qu’un leurre ! Plus jamais ! »

On est si définitif quand on pleure.

Il était tout juste 10:00, c’était un samedi d’automne et les rideaux métalliques des commerces grinçaient, comme de vieilles dames qui s’étirent d’une nuit trop courte.

La boutique était au bout du marché, la première quand on arrivait, mais il ne l’avait jamais remarquée avant ?

Il est entré parce que, dans la vitrine, on lui promettait des remèdes miracle et des grigris et qu’il était un de ces jours où on doit croire un peu tout et n’importe quoi, et surtout n’importe quoi.

Il a demandé un « truc pour ne plus jamais aimer ».

Le vieux monsieur, derrière son comptoir, lui a vendu cet affreux verre un peu kitch, forcément inoffensif au vu de sa laideur. Un « verre à larmes ».

« Quand il sera vide, vous n’aimerez plus. »

Était-ce le jeu de lumières ? La boutique mal éclairée ?

Le verre semblait effectivement rempli, ce qui était d’autant plus impossible qu’il l’a rapporté chez lui en l’ayant transporté toute la journée dans son sac en bandoulière.

Et il s’est « vidé » (sérieusement ? N’a-t-il abusé de rien?) tout au long de la semaine jusqu’au samedi où…

C’est donc ce samedi même où il a acheté ce stupide et affreux verre qu’il l’a rencontrée la première fois. Plus exactement, ils se sont tamponnés parce qu’il est sorti trop vite de la boutique et…

Le coup de foudre, c’est vraiment un truc qui n’existe pas, absurde, idiot, mais il l’a tamponnée, a bafouillé une excuse et… elle a juste souri.

Elle a juste souri et…

Parce qu’il sortait d’une histoire « dont il ne pouvait pas se remettre » ?

Il l’a invitée à prendre un café, puis a déjeuné, puis…

Ce soir-là, il l’a simplement raccompagnée chez elle. Il n’était pas si tard, mais il n’avait pas besoin de plus car, après un samedi aussi merveilleux, elle allait forcément le rappeler et n’avaient-ils pas tout leur temps ?

La semaine a passé, le verre a commencé à se vider, elle ne l’a pas rappelé.

Elle ne l’a jamais rappelé.

Il n’a pas voulu pleurer parce que « ne te raconte pas d’histoires, tu la connais à peine ! »

Mais quelques larmes ont coulé, au coin des yeux, rapidement, et le verre n’a jamais été vraiment vide.

Puis, un samedi matin, au marché aux fleurs…

Elle ne l’a pas reconnu.

Honte ? Regret ?

Elle ne le connaissait vraiment pas !

Il a commencé à lui parler. Elle se moquait ?

Elle l’avait oublié…

Il l’a laissé là, meurtri, blessé, il est rentré et a beaucoup pleuré.

Puis il a voulu oublier et, le samedi suivant, au marché aux fleurs, il l’a croisée.

Il lui a souri, elle a répondu à son sourire… comme s’ils se rencontraient pour la première fois. Il lui a offert un café, puis ils ont déjeuné…

Ce soir-là, il a conclu, parce que, bon, pas le premier soir ? Et pourquoi pas le premier soir ?

Il n’est reparti de chez elle que dans l’après-midi du dimanche.

Elle ne l’a pas rappelé.

Elle ne l’a jamais rappelé.

Son cœur est mort. Encore. Il a beaucoup pleuré.

Il a laissé passer quelques samedis et, un matin, au marché aux fleurs…

Elle ne l’a pas reconnu. Elle ne se souvient pas de lui.

Elle ne se souvient jamais de lui.

Une maladie ? Un souci de mémoire à court terme ? A long terme ?

Elle n’a aucun souci !

Elle vit heureuse, elle a des amis, une famille aimante, un bon job.

Elle regrette juste d’être célibataire depuis quelques années maintenant, elle ne fait jamais de rencontres.

Le lundi matin, au boulot, quand chacune raconte son week-end autour du premier café, elle parle de ses vendredis soirs, parfois de ses dimanches…

Le samedi ? Honnêtement, elle ne se souvient plus. Elle a forcément dû faire quelques courses et le ménage, car voilà bien ce qu’on fait le samedi, mais elle a oublié, ça ne devait pas être bien important. Ou elle est peut-être allée au ciné ?

Chaque samedi, il la rencontre. Il lui sourit, il la fait rire, il la séduit.

Il lui fait découvrir de nouveaux restos, il lui offre des fleurs, parfois même une petite robe ou…

Ils vont au cinéma, ils font et refont le tour de la ville. Elle se souvient du film qu’ils ont vu, mais… n’était-elle pas seule ?

Parfois, le samedi soir, elle lui ouvre sa porte et… oh… Il a beau la connaître, il a beau savoir tout ce qu’elle aime…

Qu’il reparte le matin, à midi ou le dimanche soir… elle ne rappellera pas. Elle ne le rappelle jamais.

Tous les dimanches soirs, il meurt.

Le chagrin le dévore et lui brise le cœur. Le verre à larmes, posé près du micro-ondes comme s’il avait été oublié lors de la dernière vaisselle, se remplit.

Il meurt. Il ne pourra pas se relever, il a trop mal, comment peut-on survivre à pareil chagrin ? Comment peut-on verser autant de larmes et se relever ?

Lundi 6:00

Le réveil sonne. Il est temps de se préparer pour partir au boulot.

Elle ne te rappellera pas ! Sèche tes larmes et passe à autre chose !

Elle ne peut pas se souvenir de toi !

Samedi 9:47

Dans la cuisine, les chiffres rouges de l’horloge lumineuse le regardent et le narguent.

Comme chaque samedi. Il reste encore quelques minutes, mais il est prêt, que peut-il faire de plus ? S’il reprend un café, il sera trop nerveux et il l’est déjà bien assez.

Mais elle ne sortira pas de chez elle avant 10:00. Elle n’est pas du matin. Elle ne sort jamais avant 10:00.

Elle descend jusqu’au marché aux fleurs, dans l’idée de s’acheter un bouquet puisque personne ne lui en offre jamais. C’est là qu’il l’abordera. Sous un prétexte futile. Il en a plein en stock et, au final, s’il change d’un samedi sur l’autre, ce n’est que pour lui puisqu’elle…

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