Votes pour le match d’écriture des Imaginales 2018 : « La nuit en fermant les yeux »

Évasion ? Rêve ? Horreur ? Policier de l’imaginaire ? Coquineries au coin du feu ? Tous les univers sont ouverts avec un tel thème. Je vous laisse explorer les cerveaux de nos participants 🙂

  • Egon
  • Tu honoreras tes parents
  • Un si long sommeil
  • Journal de bord
  • L’Euphraise
  • En route avec Hubert
Contrainte 1
Une chenille géante
Contrainte 2
Au cirque

EGON

Un nouveau jour, une nouvelle horreur. Sa fille, sa femme, son boulot, ses rêves, le tout effacé, disparu, perdu, inaccessible. Sans l’ombre d’un espoir en vue, il errait au cœur de la ville, les yeux dans le vague, reflet de ses pensées morbides. Indifférent aux néons des clubs, à l’odeur étouffante des restaurants exotiques, au bruit des voitures aéroportées, ses pas le portaient sans but précis.

Contournant un androïde aux courbes sensuelles, son corps se retrouva à l’entrée de la tour verte. Cet entassement de parcs naturels l’appelait, comme une lampe appelle la mouche rassasiée par l’abondance d’ordures. Il passa le ruban d’inauguration et pénétra le bâtiment. Un silence profond l’accueillit au milieu des arbres, surpassant le vacarme de la ville que ses oreilles ne voulaient plus entendre. Là il serait bien cette nuit.

Une main s’écorcha sur une pierre tandis que l’autre s’enfonça dans une couche moelleuse de mousse. Aucun doute, ses muscles voulaient en rester là, son âme elle-même n’avait plus la force de continuer. Peut-être demain la lumière reviendrait, peut-être demain il se rappellerait son nom. Pour l’heure il s’abandonna à ces odeurs de terre synthétique, ferma les yeux, et cette familière inconscience le gagna. Il s’endormit.

*

— J’ai quelque chose !

Trois visages se tournèrent vers Jack. Lui qui habituellement contemplait ses graphiques derrière ses lunettes et ingurgitait café sur café, voilà qu’il parlait maintenant.

— On t’écoute vas-y. Mais passe les détails, ok ?

— Ok ! Bon depuis le premier cas à la tour verte, on a cherché des mobiles, des suspects, des coupables… Pourquoi on ne chercherait pas plutôt une explication environnementale.

Les trois autres se regardèrent, incrédules. Karl, le dirigeant de cette cellule d’enquête soupira bruyamment, laissant échapper la fumée de son cigare.

— Je sais ce que t’as en tête l’intello… Je pense que c’est une perte de temps, mais au point où on en est…

Il se leva et inspecta le tableau d’ensemble.

— D’abord la tour verte il y a trois jours, la veille de l’inauguration : deux morts et des dégâts considérables. Puis le canal le lendemain : asséché et rempli des corps de cinq cents personnes. Hier six personnes embrochées en haut d’un gratte-ciel. Et aujourd’hui : une centrale à fusion portée à un état d’instabilité à la limite de l’évacuation massive.

Le dirigeant s’assit face au scientifique. Il inspira à nouveau sur le cône de tabac roulé et souffla au visage de Jack.

— Va les voir… t’as accès à tout ce qu’on a comme preuve et comme autorisations. Mais je te préviens, t’as jusqu’au prochain cas avant de laisser ces cinglés à leurs expériences loufoques et inutiles. C’est clair ?

— Mais… Le prochain cas, ce sera peut-être ce soir…

— Raison de plus pour que tu te dépêches.

*

Egon. Un prénom étrange que ses parents lui avaient donné, y voyant un présage de modernité et de force. S’ils avaient su. Lui y trouvait une toute autre image : celle du dragon, abattu par la science et la modernité qui brise toute notion d’imagination et de rêve. Les preuves formalisées par informatique, et les inférences de probabilité redressent en permanence toutes pensées qui ne suivent pas le carcan de la réalité.

Un pied devant l’autre sur le pavé qu’il partageait avec une foule d’enfants surexcités. La musique claironnante aux cuivres, entrecoupées d’annonce édictées par le nez, répondait à leur rires enjoués. Une compilation d’odeurs parvenait aux sens de l’homme : barbes à papa, popcorn et friandises, mais aussi sueur, terre retournée et excréments d’animaux. C’est eux qui intéressaient le dragon déchu.

Partager sa peine avec eux, comprendre leur mal-être de prisonniers et tenter de trouver un réconfort dans leur présence. Egon contourna le chapiteau de sang et d’or, théâtre des martyrs qui rendent heureux, et s’installa dans un recoin entre les cages, attendant patiemment le voile du sommeil.

 Une nouvelle nuit, un nouveau cauchemar.

*

Jack sortit du bureau des pièces à convictions sous le regard inquisiteur du gardien de nuit qui ferma la porte derrière lui. Il se dirigea vers le groupe d’une dizaine de personnes qui s’activaient autour d’une grosse machine cubique posée sur une planche à suspension et tendit trois fioles de sang à une femme vêtue d’un bleu de travail.

— Tiens Yonna, voilà les échantillons de sang des victimes.

Elle se saisit des échantillons, les inséra dans un orifice de l’engin qui les absorba sans broncher. Puis elle et deux autres membres du groupe activèrent quelques boutons tandis que les autres pianotèrent sur les écrans holographiques qu’ils avaient aux poignets. Après quelques minutes la femme revint vers lui.

Elle sortit un petit instrument semblable à un stylo, appuya dessus et le chariot projeta une carte sur le sol. Un point lumineux pulsait quelque part dans le nord-ouest de la ville.

— Voilà où est ta concentration d’aberrations. Je t’accompagne pour les comptes rendu.

— Vous êtes efficaces… Vous aviez déjà eu affaire à ce genre de cas ?

— Jamais. Mais contrairement à ce que tu penses, le gouvernement ne file pas de l’argent au département du paranormal pour qu’on se tourne les pouces.

*

En entrant dans le chapiteau, Yona et Jack frissonnèrent. Le vent dans les toiles et le grincement des trapèzes ballottés, s’ajoutait au froid de la nuit et à l’odeur de sang séché. Comme souvent dans ce genre d’établissement, des animaux étaient mis à mort, et le cadavre d’un ours décapité gisait sur le bord de la piste en terre. Sans prêter attention à la  tâche sombre qui maculait le sol, Yonna ressortit son instrument pour affiner certains réglages.

Alors qu’elle modifiait ses valeurs, un vacarme assourdissant emplis l’espace et les gradins s’animèrent. Les disques de lumières projetés par leurs lampes projetaient des ombres arachnéennes et déchirées qui couraient les murs à une vitesse vertigineuse. Les armatures se fondirent à cette masse de métal et de bois grandissante et soudain un regard se posa sur les deux enquêteurs. Le regard insectoïde d’une immense chenille à l’apparence mécanique.

Reculant à tâtons, Jack cherchait une issue, la derrière il y avait une sortie, il le savait. Des larmes roulèrent sur ses joues, son souffle tremblant laissait échapper des saccades de condensation. Il allait courir. Il courut. Un mètre, deux, trois, puis une excroissance de l’horreur vint le faucher au vol. Brisant ses os et éclatant ses organes ressortis sous l’impact.

Yonna en avait profité pour s’enfuir. Elle déboula entre les cages et alors qu’elle allait prendre la direction de sa voiture, elle vit un homme couché.

Elle hésita.

Prise par la peur elle se posa une seule question : une vie valait-elle la sienne ?

Oui.

Sous le tonnerre métallique des mouvements de la monstruosité, elle saisit cet étranger et le secoua.

— Monsieur, réveillez-vous ! Vite !

*

Egon ouvrit les yeux et découvrit une femme apeurée. Dans le silence de la scène elle paraissait abasourdie, perdu, terrorisée.

— Madame, pourquoi m’avez-vous réveillé ?

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One comment

  1. Alexandra Bertrand

    Pas facile comme sujet, mais de chouettes trouvailles.

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