Pour les lecteurs de Présences d’Esprits qui auraient aussi le bonheur ultime d’être abonnés à AOC, Phil Becker n’est pas un inconnu : il a en effet publié pas moins de huit nouvelles dans la revue en une grosse quinzaine d’années.
C’est donc un auteur rompu à l’art du récit court, publié dans beaucoup de revues amateur (Ténèbres, Brins d’éternité, Géante rouge). Et le panel de nouvelles présenté ici – vingt-six textes tout de même – est suffisamment large pour donner un aperçu de son talent.
Phil Becker maîtrise l’art de la chute, qui forme assez souvent une boucle narrative : ses héros voient leur destin futur leur passer sous les yeux (Mille et une portes, le onzième étage, L’Affaire de la cave) ou on les y précipite alors qu’on cherche justement à ce qu’ils y échappent (Le Volontaire…). Quand ils ne sont pas jeunes et pleins d’ardeurs, ses personnages sont souvent dominés par leurs envies et leur rancœur (Abyssale partie de pêche, L’Amiral nu…).
Les amours, d’ailleurs, sont soit contrariés (Le Chevalier, Le Pirate et La Princesse électrique) soit non partagés (Le Dernier Lama Exterus), soit déséquilibrés (Les Coureurs de temps). Ses thèmes sont très variés, mais on sent une attirance pour les concepts d’habitats originaux (Via Mundi, Le onzième étage), et de sociétés utopiques/dystopiques (Acier froid sur les poumons), voire au seuil de l’apocalypse (Le rêve de glace, Retour vers Asgard, Un appartement pour Jerry…).
L’auteur sait clairement raconter des histoires, et possède une diversité de thèmes impressionnante. Space opera mythologique (Retour vers Asgard), post-apocalyptique, sociétés en déliquescence, alternance de tons graves et complètement décalés, idées un peu folles comme des gens vivant toute leur vie sur d’immenses autoroutes (Via Mundi) ou le dézingage de zombies comme étant à la dernière mode chez les jeunes (Le Spot de la mort).
Et même s’il a des thèmes de prédilection, l’auteur n’utilise quasiment jamais le même canevas d’histoires : ses idées, ses personnages, la progression de son récit – toujours à la troisième personne d’ailleurs – sont très variés, chacune des vingt six nouvelles nous emporte d’une façon différente et ne nous lâche pas avant la fin.
On referme le recueil en étant satisfait d’avoir lu de franchement bons textes ; je n’ai personnellement pas souvenir d’un recueil, d’un ou de plusieurs auteurs, d’un tel niveau depuis plusieurs années. Un bémol, quand même (outre une couverture assez moche) : ce serait bien, de temps en temps, de nous offrir une fin un peu optimiste…
Chronique d’Olivier ‘1091’ Bourdy