« L’altermonde » de Jean-Claude Albert-Weil

altermonde-weilAttention O.V.N.I. Méchant !

Ce recueil de 3 romans de Jean-Claude Albert-Weil n’est pas à mettre entre toutes les mains. D’abord parce qu’il est épais, ce qui présuppose de s’y jeter pour un bon moment. Ensuite parce qu’il est relativement ardu. On y reconnaît l’influence majeure de Louis-Ferdinand Céline et de ses 3 points de suspension.

« L’ALTERMONDE » est L’Uchronie, la basique, celle exemplaire du « Maître du Haut-Château » de Philip K. Dick. La 2ème guerre mondiale a donc bien été gagnée par les nazis. S’en est suivie une suite de führers qui ont amplifié le cauchemar nazi tout en le transformant, en lui donnant des aspects lisses et égalitationesques dans un gigantesque Empire européen.

Trois romans composent ce recueil :
« Europia » (paru sous le titre « Sont les oiseaux… » en 1996), « Franchoupia » (2000) et « Sibéria » (2004).
L’auteur a bossé pour la TV, pour laquelle il a produit quelques émissions de Jazz. Cet homme est en effet musicien de jazz et a écrit en 1965 un roman intitulé « Jazzmosphère ». Et d’atmosphère littéraire, il n’est question que de ça ici.

« L’ALTERMONDE » est l’enfant bizarre autant qu’étrange de la littérature dîte « générale », Célinienne en particulier, et du Jazz . Le lecteur est plongé, immergé dans un verbe très spécial, où les phrases peuvent être simples ou tarabiscotées, classiques ou improvisées à base de mots inventés, triturés, quasi torturés, pour décrire un monde qui ne l’est pas moins. La moindre occasion peut être prétexte à une source volubile de mots, d’expressions, de mots-valises, d’énumérations à tiroirs. Le plaisir de l’écriture de l’auteur est évident. Encore faut-il que le lecteur soit sur la même longueur d’onde.

Le personnage principal d’« Europia » est Carl Gessler, parfaite création de cette société totalitaire, sans la moindre pitié, fermée à tout ce qui dévie de ses préceptes. Cette plongée dans l’esprit d’un petit fils de nazi est dérangeante. On se demande (et c’est très certainement le but recherché) où Albert-Weil veut en venir. On s’inquiète de ces/ses dérives terribles… dérapages effroyables dans lesquelles tout cela nous englue. D’où la relative difficulté de cette épopée fasciste, où le verbe coule comme les sexes de toute une population plus ou moins soumise, plus ou moins consentante.

Activités sexuelles, confondues en différentes déviances et perversions diverses sont assez crument décrites. Là aussi, le lecteur est perplexe face à cet étalage, face à une systématisation (promotion ?) de la pédophilie.

Hormis ce postulat uchronique de base, vous ne trouverez en « Europia » d’autre chose que du verbe. Albert-Weil impose son pamphlet politique sans le « noyer » sous une apparence de SF. Le sujet en lui-même (celui du livre comme son personnage principal) est le livre.

Le personnage principal de « Franchoupia » est Claude AnathèmeVercor. Partant du même principe, ou point de vue extrême-droite, nous plongeons dans ce qui est notre monde d’aujourd’hui, appelé ici « Franchoupia ». Il s’agit en fait de la Guyane, territoire qui n’a pas suivi la France dans son absorption par l’Empire. Cette France libre s’est jetée corps et âme dans l’univers ultra-libéral à l’américaine, où la pub est reine, où le profit est roi, où la propagande est intense, constante, vomissante.

D’où une nouvelle difficulté pour le lecteur, son inconfort à se positionner face à cette critique de notre monde « pourri », où l’image « people » pollue l’image politique. Politique toujours et encore, dérangeante, irritante : les qualificatifs sont à la fois justes et injustes. La prose de Albert-Weil est riche, assurément. Le choix de se complaire à demeurer coûte que coûte sur le fil du rasoir (mais y reste t’on avec ces incessantes poujadistes attaques contre la fonction publique) devient écœurant. Tout opposant à l’immonde Amérique y est forcément pro-Empire. La fatigue, cumulée à la taille du roman, outrepasse parfois largement les limites de la lassitude. Car la redondance n’est pas le moindre des tics de ce second roman. Ce qui était encore tolérable dans « Europia » l’est assurément moins dans « Franchoupia ». Que le style soit original, fasse sourire ou gémir, l’affaire est acquise. Il faut pourtant pouvoir, sans pudeur, parvenir à plonger avec l’auteur.

Dans « Sibéria », nous retrouvons Carl Gessler devenu Empereur-Conducteor et toutes ces sortes de choses. Dans son combat contre la vilenie américaine, il veut étendre son idéal de dictature à toute l’ancienne URSS (comme on l’appelait dans notre réalité). Comme dans « Franchoupia », tout ce qui compte comme opposant à l’hégémonie capitaliste américaine est forcément pro-Empire. Et les délirivagations politico-philosophique de Gessler tombent dans le systématique, l’incessant, l’abusif. Les bonnes intentions, si tant est qu’il y en ait eu, finissent par s’engloutir dans un miasme nazifiant, violent, raciste, phallocrate, tout ça sous couvert d’un « existancisme » dont l’humour ne parvient plus à décaper la peste brune qui en sourd en permanence.

Ces trois pavés incommodent, révulsent, usent le lecteur patient qui, certes, parvient parfois, encore, à apprécier quelque envolée de vocabulaire, mais retombe conclusivement et abusivement sur du malsain, loin de toute provocation. Un livre se comprend, deux versent dans l’acharnement, trois vous propulsent vers l’infini et au-delà du supportable.

Chronique de Vincent Delrue

Editeur Panfoulia
Auteur Jean-Claude Albert-Weil
Pages 1274
Prix 24€

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