« Les Manteaux de Gloire » de Sébastien de Castell

L’auteur nous offre une superbe épopée tout en mettant à mal les clichés du genre. La féodalité ? Un ramassis de tyrans refusant que quiconque vienne prétendre leur imposer une loi et les empêcher d’opprimer à leur guise. Les chevaliers ? Des fer-vêtus arrogants et sans états d’âme, sbires dévoués des seigneurs dominants, prêts à humilier, à exploiter et à broyer les humbles. Les justiciers sans peur et sans reproche ?

Oh certes, ils sont tout dévoués au roi Paélis et à son idéal de justice et de protection, ses magistrats itinérants issus du peuple. Ils sont aussi de redoutables combattants et stratèges, aux surnoms glorieux, Lame du Roi, Flèche du Roi. Mais, le croirait-on, c’est en chantant qu’ils enseignent au peuple les lois qui le protègent. Et même au temps de leur gloire, l’échec était fréquent, se soldant avec un peu de chance par une fuite, sinon par la mort.

Le héros positif sûr de lui et de son bon droit ? Pas d’homme plus vulnérable, plus meurtri, plus incertain de ses capacités que Falcio val Mond, Premier Cantor des Manteaux de Gloire, Cœur du Roi… et narrateur du récit. Heureusement pour les surprises finales, de taille, malgré toute sa sagesse et sa lucidité amère, il n’est pas non plus extrêmement perspicace…

Le Roi Élu et glorieux ? Paélis se surnomme lui-même Le Pathétique. Haï par son père dès sa naissance à cause de sa faiblesse corporelle, il a grandi et survécu séquestré, affamé, affaibli systématiquement pour qu’une mort « naturelle » débarrasse son géniteur d’un héritier encombrant sans enfreindre le tabou superstitieux visant le meurtre d’un être de sang royal.

Des combats glorieux ? On est très loin de La Chanson de Roland où un seul coup d’épée vous dégomme une petite dizaine de Sarrasins et un rocher en prime ! Jamais Falcio ne fanfaronne. Toujours il est à deux doigts d’être vaincu, et l’est parfois. Prisonnier, torturé, il se tire d’affaire non par ses capacités de combattant, mais par la force des mots et avec l’aide d’une prostituée sacrée.

Falcio et l’auteur croient très fort au pouvoir du langage, des mots, des livres, de l’amour et de l’amitié contre la barbarie. Ce sont les livres que la mère de Paélis a réussi à lui faire passer en prison qui lui ont donné l’énergie de survivre et inspiré son grandiose projet. Projet mort et enterré au moment où le roman commence. Paélis ne vit plus que dans les souvenirs de Falcio. Les grands féodaux révoltés (les « ducs ») ont déjà planté sa tête au bout d’une pique. Falcio a dû, sur l’ordre même du roi, imposer à ses compagnons de déposer les armes et d’accepter une Convention garantissant leur survie.

Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Aussi les Manteaux de Gloire passent ils maintenant pour des lâches et des traîtres, giflés par les surnoms de Trattaris ou Cache-misère. Ils survivent en vendant leurs services comme mercenaires, voire en brigandant. Aucune lueur à l’horizon. Certes, le roi leur a légué une vague quête de « gemmes » qu’il a cachées dans le royaume, mais que sont-elles au juste, où les trouver et comment pourraient-elles à elles seules redresser une situation pourrie ? Par magie ?

Certes la magie existe. Mais non sans aménagements par rapport à la tradition. D’une part, des mages de second ordre aux ordres des seigneurs, bricolant à leur service. D’autre part, une magie plus subtile, difficile à cerner, par exemple dans les pratiques érotiques des Sœurs de la Lumière Clémente. Et que sont au juste les Saints invoqués aux surnoms pittoresques (De Saint Caveil-qui-fend-les-vagues à Sainte Laina-la-catin-des dieux en passant par Sainte Werta-quichevauche-les-vagues) ? De quels pouvoirs est dotée la Tailleuse qui confectionne les fameux Manteaux d’humble apparence, mais aux immenses ressources ?

Comment le Sage aveugle a-t-il su qu’il fallait Appeler sur le Rocher Aline, l’enfant protégée par Falcio ? Comment Falcio et elle ont-ils réussi à établir une communication avec une jument Fey que la duchesse Patriana avait savamment transformée en monstre en torturant jusqu’à la mort ses petits, sous ses yeux ?

Car s’il est un élément épique traditionnel présent dans ce roman, c’est bien la présence haïssable de méchants auprès desquels Sauron, Dark Vador ou Voldemort font figure d’enfants de chœur. Patriana en tête, bien sûr. Extrêmement intelligente, sadique et totalement dénuée de la moindre compassion. Son acolyte le duc Jillard ne vaut pas plus cher, mais avec moins d’inventivité et de raffinement dans la cruauté. On peut en citer bien d’autres, mais le mal contamine aussi les gens ordinaires, car les lois aberrantes d’un tyran peuvent transformer une ville en enfer sur terre.

La sympathie pour le juste calomnié ou l’innocent persécuté, torturé ou assassiné, l’indignation contre calomniateurs, persécuteurs, bourreaux et assassins, l’angoisse quant à l’issue proche et lointaine de toutes les luttes menées, voilà de très puissants ressorts narratifs, que Sébastien de Castell emploie avec maestria.

Et la confrontation du passé au présent, qui pourrait nous sortir de la lecture, se fait sans heurts, renforçant encore notre attachement aux personnages et notre intérêt pour l’action. Et bien que le roman nous offre une conclusion satisfaisante pour cet épisode, on se réjouit d’avoir à attendre une suite…

Chronique de Marthe ‘1389’ Machorowski

A propos de Christian

L'homme dans la cale, le grand coordinateur, l'homme de l'ombre, le chef d'orchestre, l'inébranlable, l'infatigable, le pilier. Tant d'adjectifs qui se bousculent pour esquisser le portrait de celui dont on retrouve la patte partout au Club. Accessoirement, le maître incontesté du barbecue d'agneau :)

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