Match d’écriture Utopiales 2025 – « Refus de symbiose »

Une symbiose est une association à bénéfice réciproque; elle s’oppose en ce sens au parasitisme et, en général, parait plutôt positive. 

Alors pourquoi en viendrait-on à la refuser? 


  • La chèvre électrique de Monsieur Seguin
  • La Volette blanche et la Nidille rouge
  • Le Siège
  • La partie est dans le tout et le tout est dans la partie 
  • La Symbiose, choix ou non-choix
  • La vérité
  • Parfait Cyberaptor

 

Contrainte  A l’aube

 

 

La chèvre électrique de Monsieur Seguin

Aline est sortie cette nuit.

Elle savait que c’était interdit. Monsieur Seguin avait prévenu tous les étudiants de ne pas sortir après le couvre-feu. Que la procédure était là pour les protéger. Il avait décrit les conséquences du virus mais les rumeurs entre élèves avaient vite dépassé ses descriptions aseptisées pour les transformer en horreurs eldritchiennes. Un étudiant avait perdu toute fonction motrice, une enseignante avait fondu dans une sorte de masse organique en plein cours après sa contamination et surtout quantité de personnes avaient juste disparu. Le flou sur leur sort, l’absence de nouvelles avaient entretenu la peur et validé les recommandations de Monsieur Seguin. Il ne fallait pas sortir et encore moins la nuit.

Mais Aline avait jour après jour joué la bonne élève, tenté de s’intégrer auprès de ses camarades, respecté les consignes et surtout pas fait de vagues.

Et c’était impossible de continuer. Tout la hérissait. Les discussions insipides. Les cours monotones. Les enseignants étroits d’esprits.

Elle étouffait.

Ce soir, elle avait besoin d’air. Elle avait entendu certains étudiants parmi les moins dociles discuter d’une porte de secours mal sécurisée. Elle s’était faufilée vers la sortie pile à l’heure où la sirène du couvre-feu avait retenti.

Elle était dehors.

La ville luisait sous les néons et les traces d’hydrocarbures. Les odeurs l’assaillaient. Fumée. Pourriture.

Parmi l’appréhension et la joie d’être enfin libre d’explorer, c’est la musique surtout qui l’attirait. Une sorte de basse longue et vibrante qui résonnait dans son plexus et la guidait parmi les ruelles vers les endroits interdits qu’elle s’imaginait depuis des mois derrière les grilles de l’université.

La masse grouillante et chaude d’une piste de danse l’accueillit dans son sein. Elle avait enfin trouvé cet endroit de liberté recherché. Des ondes presque physiques et des lumières perçant la nuit. Une sensation de s’appartenir et de lâcher prise.

Un picotement au bout des doigts la saisit. Des pattes d’araignée légère remontant le long de ses deux bras. Un pincement vers la nuque. Une voix résonnant dans son crâne.

« SYMBIOSE. »

Merde.

La voix semble métallique, inhumaine. Elle répète « Symbiose. Symbiose. » Aline presse sa nuque pour stopper la sensation mais le pincement vient de sous sa peau. Elle gratte jusqu’au sang. La sensation s’intensifie. Un coup, comme un gong sur sa colonne vertébrale résonne dans tous ses os. Elle perd le contrôle. Comme une porte qui se ferme entre son corps et son cerveau. Elle est piégée là-haut et tout n’est que nuit sous elle. Les sensations qui lui parviennent encore tournoient autour d’elle. Musique sourde, flash lumineux derrière ses yeux fermés. Les picotements sont à nouveau dans son cou. Elle serre les dents. Tente de secouer la tête. Plus rien ne répond.

A l’aube, Aline disparaît.

 

Contrainte 1 Archiviste
Contrainte 2 Espaces saturés

 

 

La Volette blanche et la Nidille rouge

Tapie depuis trop longtemps, à l’affût du moindre son, la Volette blanche sortit du couvert des buissons, le goitre rempli de fruits. Elle grimpa à toute vitesse la paroi de la falaise à l’aide des ventouses qui occupaient l’extrémité de ses six pattes, consciente du faisceau de centaines de regards braqués sur elle depuis les feuillages épais en contrebas. Ils n’étaient pas vraiment un problème. Le danger ne venait pas de là. Le danger venait du ciel, juste sous la paroi de verre qui recouvrait le monde.

Un cri perçant déchira les chants épars de la forêt, l’annonce joyeuse du début de la chasse. Elle n’avait que quelques secondes. Même contre la pierre blafarde qui imitait la couleur de ses écailles, elle demeurait bien trop visible pour les yeux perçants de ceux qui régnaient dans l’air. Elle devait rejoindre sa maison, vite ! Cette dernière l’attendait plus haut, à flanc de falaise, longs filaments rouges qui poussaient à l’horizontale comme pour défier la gravité. La Volette blanche n’avait plus qu’une foulée à faire…

Lorsqu’elle atteignit finalement les murs de son abri, elle couina et bondit en arrière. Tous les endroits de son corps qui avaient touché la plante lui donnaient l’impression d’être en feu ! Elle n’eut pas le temps d’exprimer sa stupéfaction. En chute libre, elle poussa un ultime cri, avant qu’une serre acérée ne l’attrape au vol et lui rompe les os sur le coup.

Au-dessus de ce spectacle, l’archiviste poussa un long soupir, gelant involontairement une partie de la vitre qui recouvrait l’écosystème numéro quatre-cent cinquante-quatre flambant neuf. C’était la onzième Volette blanche qui ne parvenait pas à pénétrer dans une Nidille rouge depuis le début de ce cycle. Sans ces plantes, les petits reptiles n’avaient aucune chance de survie, et sans eux, les plantes elles-mêmes ne pourraient plus se nourrir ! De tous les écosystèmes qu’il avait archivés dans sa vie, c’était la première fois qu’il était confronté à un problème où une symbiose cessait subitement de fonctionner, sans raison apparente… Les Volettes blanches étaient supposées être immunisées contre l’effet urticant des Nidilles rouges, grâce à leurs écailles recouvertes d’un mucus spécifique. Si elles disparaissaient, toute la chaîne alimentaire serait perturbée, ce qui ne serait pas bien différent de la destruction de l’archive…

Certes, il pourrait bénéficier d’une nouvelle place libre. Avec cette nouvelle arrivée, toute sa section était saturée. Mais il s’agissait de sa fierté. Il n’avait jamais laissé un patrimoine sous sa surveillance se dégrader, et si ses supérieurs voulaient lui confier d’autres écosystèmes, ils n’auraient qu’à agrandir sa section !

Déterminé, l’archiviste tendit un tentacule étoilé pour saisir une pince fine et la plonger dans un petit clapet du vivarium. Tous les spécimens de ce monde-ci étaient très lents pour lui, il n’eut donc aucun mal à trouver une Volette blanche dans les petits feuillages pour la prélever. La pauvre chose devait croire sa fin venue… Il espérait que l’expérience d’être redéposée indemne là où elle avait été trouvée ne lui retirerait pas sa peur des Acirés griffus, leur prédateur principal. Une fois le spécimen endormi au gaz et déposé sur une table d’analyse, il ne lui fallut que quelques manipulations pour comprendre le problème : le mucus protecteur avait disparu. Mais pourquoi ?

L’archiviste passa plusieurs cycles à étudier chaque mouvement des Volettes blanches qui peuplaient son écosystème. Il était persuadé qu’il ratait quelque-chose… Ses terminaux envahis de graphiques et données, il essayait de trouver des patterns, n’importe-quoi qui expliquerait ce curieux phénomène.

Alors qu’il perdait espoir, une donnée comportementale presque insignifiante attira son regard. Lorsqu’elle croisait un congénère, la Volette blanche s’adonnait à une toilette mutuelle. D’ordinaire, il avait observé que cela permettait de réguler le renouvellement du mucus qui recouvrait les écailles, mais, et si…

C’était ça ! Les données de population, couplées à celles de la fréquence de toilettage, étaient en hausse explosive depuis quelques temps ! Et les individus qui s’étaient le plus toilettés, étaient aussi ceux qui avaient le plus subi un rejet de leur Nidille rouge. Les pièces du puzzle s’assemblaient. En réalité, il y avait trop de Volettes blanches dans l’écosystème ! Elles se rencontraient et se toilettaient donc trop souvent, ce qui conduisait à la disparition du mucus qui les protégeait des filaments urticants.

L’archiviste aurait éclaté de joie si cela n’avait pas risqué de briser toutes les vitres autour de lui. Il s’agissait d’un problème qui se réglerait tout seul. Une fois que suffisamment d’individus se seraient fait éliminer, ils ne seraient plus assez pour supprimer le mucus présent sur leurs congénères.

Ce qu’il avait pris pour une anomalie, devait en réalité être le fonctionnement normal de l’écosystème. Et lui, était toujours le meilleur conservateur de son équipe !

 

 

Contrainte 1 Une incroyable inaptitude
Contrainte 2

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Siège

Sur les abords du terrier, s’engouffre un vent frais et léger

Qui s’accroche en perles fraîches sur la soie blême des araignées.

 

Avant le siège

 

Les fourmis sont légion sur les abords du terrier. Sans un bruit, elles ont fait la procession des jours durant à travers la forêt. Elles grouillent en tout sens et se pressent, se bousculant et s’insultant allègrement lorsque l’une écrase par mégarde la patte de sa congénère.

Les paroles de la Reine résonnent dans l’esprit de chacune comme un seul écho, sa chambre est trop petite et elle en désire à tout prix une nouvelle pour étendre sa colonie. Dans la forêt, il existe un seul endroit sous terre susceptible d’accueillir dignement son essentielle personne et ses futurs œufs : le terrier tapissé de soie des araignées.

 

Tous les soldats sont à l’avant, prêts à lancer l’offensive. Tous sauf une, Rosée. Rosée, c’est le prénom qu’il s’est donnée pour se convaincre qu’il est bien quelqu’un d’unique et qu’on ne peut pas confondre avec l’ouvrière ou la charpentière d’à côté. Contrairement à toute les autres fourmis, Rosée possède un trait de caractère peu commun parmi ceux de son espèce, il est incroyablement égoïste.

Il n’en a pas toujours été comme ça pourtant. Quand il était jeune, il aurait pu tout donner de lui pour sauver la colonie. Seulement, il s’est blessé un matin à la jambe en repoussant une guêpe. Malgré les bandages et les cataplasmes, sa blessure s’est rapidement infectée. Comme elle était située au-dessus du fémur, ses congénères ont entrepris de l’amputer pour éviter que l’infection se propage dans toute la colonie. Rosée, que ne portait pas encore son prénom à cette époque, avait déjà cependant une peur bleue des opérations chirurgicales. Il s’est enfui en courant à travers la forêt en jurant de ne plus jamais se soumettre à la volonté de la colonie. Après quelques jours de repos et d’errance, la fourmi expérimenta quelque chose de tout à fait nouveau pour elle : la solitude. Sa jambe guérit rapidement et ses pensées vagabondèrent à toute vitesse sur la mousse et les fougères. Ce sont la faim et la soif qui le ramenèrent à la colonie, ou les autres l’accueillirent avec joie en constatant qu’il n’était plus une menace pour l’intégrité de son groupe. Rosée était content de retrouver un endroit sécurisé mais quelque chose avait changé pendant sa retraite, il ne comprenait plus du tout la langue des fourmis. Rosée le savait au fond de lui, il avait fait un choix. Désormais, il ferait toujours passer sa propre personne avant les autres.

Mais, même s’il ne la comprenait plus, la colonie assure à Rosée sa survie et une certaine tranquillité d’esprit vis-à-vis des attaques de prédateurs. C’est pourquoi il s’était mis en route avec les autres pour conquérir le terrier de l’araignée, en veillant à rester le plus derrière possible pour ne pas se mettre en danger.

 

Pendant le siège

 

Le signal passe dans toute la horde. L’attaque a débuté. Les fourmis se touchent simultanément les antennes afin de pousser le plus silencieux de cris de guerre. La colonie s’élance dans le terrier. Personne ne remarque Rosée qui s’éclipse discrètement derrière un buisson pour attendre patiemment la fin de la bataille.

À l’intérieur, les soldats découpent la soie qui empêche leur progression. La première araignée se dresse contre eux. Les ouvrières qui se tenaient sagement derrière bondirent sur l’arachnide pour l’immobiliser au sol. Elle se débattit furieusement pendant que les soldats lui tranchèrent les pattes, la réduisant à l’immobilité et à l’impuissance. Une fourmi nommée égorgeuse de la Reine pour l’occasion achevait le travail.

La colonie progresse difficilement, chaque araignée fait des débats considérables dans les rangs. Mais les fourmis tiennent bon et appliquent leurs tactiques de combats sans relâche. L’égorgeuse attitrée de la Reine n’ayant soudant plus aucun ennemi arachnide à tuer, observe autour d’elle ses compagnes blessées. Son rôle dans cette guerre est de permettre l’accès à la chambre tapissée de soie du terrier. Mais personne ne lui a formellement interdit d’éliminer toute autre menace pour l’installation de la Reine. Elle est la seule fourmi à s’en sortir indemne, les autres peuvent très bien s’en remettre, mais il y a un risque que les blessures s’infectent et entrave la bonne installation de la Reine. L’égorgeuse sait que d’autres fourmis viendront avec les pontes pour combler les pertes. Il n’y a qu’une seule solution pour garantir un accès sain à la chambre : le massacre de la colonie. L’égorgeuse se rend auprès de chacune de ses congénères et procède à son exécution d’un coup de patte nette, sans bavure. Son œuvre achevée, la seule et unique survivante sort du terrier et court prévenir sa Reine de l’issue victorieuse du combat.

Après le siège 

 

Rosée attend discrètement que l’égorgeuse soit hors de sa vue pour se faufiler discrètement jusqu’à la chambre de soie des araignées. Il sait qu’il devrait s’enfuir en courant dans la direction opposée, mais c’est plus fort que lui. Il en est sur, quelqu’un l’appelle. Il progresse rapidement sur les corps mutilés et démembrés de ses congénères qui jonchent le terrier. Avec le temps il a appris à prendre du recul, mais tant de vies sacrifiées pour l’extension d’une chambre à coucher lui donnèrent tout de même la nausée.

 

La fourmi solitaire pénètre à tâtons dans la chambre de soie des araignées, l’appel se fait plus fort et martèle douloureusement son crâne. Elle se faufile dans l’obscurité entre les cocons de soie éventrés et tombe nez à nez avec une petite araignée en larme. Rosée hésite, soulève une patte et lui tapote le crâne. L’arachnide se laisse faire, trop abattue pour se défendre. La fourmi tousse pour éclaircir sa voix, elle ne l’utilise jamais dans la colonie.

 

— Que fais-tu ici toute seule ?

— Je voulais protéger les cocons, au moins un, mais les fourmis ont tous détruit. Il ne me reste plus personne.

— Les fourmis vont revenir et installer un nid ici tu le sais ?

— Oui, mais je ne peux pas m’aventurer dehors toute seule. Je ne sais pas comment faire pour survivre. On m’a toujours dit que je n’étais pas faite pour ça.

— Moi je veux bien rester avec toi et t’apprendre. On ira où bon nous semble. On peut même se trouver un nouveau terrier quelque part, sans chambre de préférence.

 

L’araignée le regarde et acquiesce, Rosée grimpe sur son dos. Il lui demande si elle souhaite avoir un prénom comme lui, pour ne pas être confondue avec quelqu’un d’autre quand ils le croiseront.

 

—  On verra demain, lui souffle t-elle.

 

Fin du siège 

 

Sur les abords du terrier déborde la soie maculée par le sang

La dernière araignée survivante du massacre sort en titubant

Une petite fourmi se dresse sur son dos.

Contrainte 1 Près de la colonne brisée
Contrainte 2 doudou de voyage

 

 

La partie est dans le tout et le tout est dans la partie 

Chapitre 1 :

Cela fait maintenant cinq ans que l’atmosphère est devenue irrespirable. Il a d’abord fallu mettre au point des poumons artificiels, capables d’assimiler l’azote dans l’air pour le transformer en dioxygène, nécessaire au bon fonctionnement des organes du corps humain. Depuis peu, l’air s’est tellement détérioré que même manger est dangereux. Enfin, du moins pour ceux qui ont conservé leur constitution initiale. Je veux bien sûr parler des « organiques », ceux dont la matière est le fruit de la mitose de cellules vivantes qui se sont reproduites selon des lois naturelles, pas en laboratoire. Ils sont de plus en plus rares, d’abord parce qu’ils meurent vite, leur milieu naturel étant devenu toxique, mais aussi parce qu’ils se délitent.

Il est dix heures et demie quand la colonne se brise. Le cerveau envoie immédiatement l’information de douleur aux nerfs, qui me traverse jusqu’au bout des doigts. Je n’avais encore jamais ressenti des picotements aussi intenses depuis mon incorporation (il y a maintenant 3 semaines). C’était le dernier « organique » de mon hôte, la seule partie de son corps qui n’avait pas encore été remplacée, et par conséquent la seule raison d’être de notre symbiose.

En tant qu’organe de synthèse, j’ai été programmé pour faire bouger les nerfs de tous mes doigts en fonction de l’information que je reçois en continu depuis le cerveau. Ce dernier est d’ailleurs lui aussi artificiel, fabriqué à partir de matériaux recyclés et entièrement biodégradable. Comme je ne suis qu’une main, je n’a pas le droit de prendre des initiatives par moi-même – ce que je trouve ridicule, étant donné que le cerveau ne pourrait rien faire sans moi. Comme on dit « la partie est dans le tout et le tout est dans la partie ». C’est le slogan publicitaire de MOEBECK, l’entreprise phytosanitaire qui vend à chaque organe les mérites d’une symbiose « plus sûre, plus forte » – comme si ils avaient le choix.

La chasse aux organiques s’est organisée presque instantanément après la création du laboratoire. Il faut dire qu’une seule séquence d’ADN encore exploitable vaut des millions dans un monde où chaque être humain possède un, maximum deux organes d’origine. C’est la loi de l’offre et de la demande : la plupart des hôtes décident de vendre au marché noir tout ce qu’ils peuvent de leur corps avant qu’il ne soit totalement oxydé, effrité par l’acidité de son propre milieu d’émergence. On parle alors de délitement car les parties du corps d’un même être humain se retrouvent réparties dans plusieurs symbioses. Un être humain dont le seul « organique » serait un fémur peut donc parler avec une autre personne qui posséderait son foi, tandis que l’amant de cette dernière vivrait avec le poumon issu de ce même corps d’origine. On ne sait même pas s’il reste assez d’organiques pour reconstituer un corps humain entier – il en reste trois selon les estimations du gouvernement, mais je pense qu’ils n’imaginent pas combien d’organiques meurent dans les expériences de clonage illégal de la Plèbe.

On ne sait pas ce qui fait tenir certains organiques plus que d’autres. Cela dépend de la constitution du corps initial. Chaque organe tient le temps qu’il aurait tenu s’il était resté dans sa symbiose d’origine grâce aux organes de synthèse. Logiquement, à la fin, il ne restera plus qu’un seul corps humain – le plus résistant – disséminé dans les corps de synthèse de tous les autres humains. La société entière sera donc réduite à un corps humain en interaction avec lui-même (sous une forme déterminée par l’organisation de matière purement synthétique).

La société entière sera donc réduite à un corps humain en interaction avec lui-même.

 

Chapitre 2 :

Notre hôte est athlète. Tout sa vie est soudée par sa colonne vertébrale. Celle-ci vient de céder.

En tant qu’organe le plus récent, j’ai bénéficié des dernières mises à jour d’autonomisation. Ce programme reposant sur l’intelligence artificielle permet à chaque organe de s’adapter aux évolutions de son milieu. Comme la « boule de l’écrivain » naissant sur le majeur d’une main à force d’appuyer sur un stylo, nous sommes aptes à moduler l’ADN sur lequel on nous a séquencés, de manière à évoluer sans changer de nature. Or, à l’instant où la colonne vertébrale de mon hôte s’est brisée, la « nature » à laquelle j’étais soumise en tant que main n’existe plus. Comment rester main quand il n’y a pas de sujet de cette main ? Je sens que le cerveau me donne des informations à traiter : je dois poser la paume sur le sol afin de permettre aux biceps de relever le tronc. Mais pourquoi devrais-je lui obéir ? Il n’est pas plus organique que moi. Il ne détermine pas la nature de notre symbiose. Dans Parties des animaux, Aristote écrit d’ailleurs que « c’est la main qui fait l’intelligence » puisque qu’elle fait office d’outil (organon en Grec Ancien). Or, c’est un outil qui n’est pas défini par une fonction – comme une griffe l’est pour le chat – mais par la pluralité des buts qu’elle peut servir. En effet, avoir une main semble très peu adapté pour lacérer une proie, ou pour nager (n’étant ni doté d’ongles assez long ni de nageoires). Mais sa particularité est de n’être parfaitement adaptée à rien mais partiellement adaptable à tout faire : une main permet de fabriquer des outils, qui pourront alors faire office de griffes ou de cannes à pèche. Alors qu’un cerveau doit apprendre à la rendre une main performante, cette dernière n’a pas besoin de cerveau pour être réduite à une fonction quand elle peut être sa propre nature. Je ne sais pas si je dois remercier Laurent ou lui en vouloir de s’être trompé de programme lors qu’il téléchargeait les données de ma dernière mise à jour – il m’a transféré toutes les recherches qu’il avait faites pour son mémoire de philosophie avant de se reconvertir dans la revente d’organes synthétique, beaucoup plus lucratif. Quoi qu’il en soi, je décide après réflexion de ne pas me soumettre au cerveau et d’affirmer ma nature propre. Je refuse la symbiose.

Mais je ne peux pas partir seule. Je souhaite emporter avec moi le cœur de notre hôte, avec qui je me suis toujours sentie en résonance. Nous sommes tous les deux issus du même laboratoire. Il sera un peu comme un doudou de voyage, moi qui suis désormais seule contre tous les autres organes, toujours soumis à la volonté du cerveau, qui continue à irradier la douleur dans tous les organes tandis que le corps de notre hôte est déposé sur un brancard : direction le laboratoire pour être démantelé. Je décide alors de mettre à profit toutes les informations de ma dernière mise à jour et de les communiquer à rebours à travers les nerfs qui me relient au cerveau. Inverser ainsi les connexions synaptiques risque de rompre toutes les connexions en retour avec les autres organes, c’est pourquoi je dois le faire en une seule fois. Je n’ai pas le droit à l’erreur.

 

Chapitre 3 :

D’un seul mouvement, je parviens à déplacer non-seulement mes doigts, mais je sens aussi mes connexions s’étirer jusqu’au biceps. Mouvoir une partie aussi grande et lourde me demande un effort colossal, et je sens que je ne suis pas apte à recevoir toutes ses informations. Mon programme devient de plus en plus pesant et les nerfs de tous mes doigts me brûlent. Pourtant, je sens que je bute contre le torse : je touche au but. Je ne ressens pas la douleur lorsque je plante mes ongles dans le torse de mon hôte, signe que le cerveau ne me domine plus. Je resserre alors mes doigts autour du cœur que je sens battre dans le creux de ma paume. Je tire un coup sec.

Mort.

 

Contrainte 1 Une prothèse
Contrainte 2 Un truc coincé dans le gosier

 

 

La Symbiose, choix ou non-choix

 

Monde où tout objet est considéré en tant que cellule vivante, acceptée par tout être humanoïde, et possédant une conscience active, intime, et faisant partie intégrante de la communauté de Sphectilus.

Un petit être est né dans ce monde où cette symbiose est omniprésente et source au quotidien. Chaque différence ou anormalité est gommée dans cette société où l’on prône l’égalité pour tous et où les différences vont à l’encontre d’une paix absolue entre espèces.

Mickaella est née avec une malformation auditive, sourde et par extension quasi muette. Grâce à la technologie sur Sphectilus, elle a pu bénéficier d’une greffe d’une prothèse auditive. Ses parents souhaitant un avenir grandiose pour leur fille, ont choisi une prothèse mature d’un certain âge. Ce qui aurait dû être un atout se transforma en une problématique gouvernementale.

Mickaella savait qu’elle était dotée d’une cellule vivante étrangère à son être. Les 6 premières années, Mickaella grandit heureuse, où l’écoute était une raison de vivre, de partager avec le monde qui l’entourait.

Toujours enjouée, ses parents la considéraient comme un être exceptionnel doté de capacités d’empathie hors normes.

Toujours à l’écoute, toujours d’accord, toujours les bons mots.

La déroute s’est produite lors d’un spectacle à l’école à 7ans en fin de cursus, Mickaella devait faire un duo de chant avec un autre enfant.

La discorde débuta lors des répétitions où Mickaella n’entendait pas les mêmes notes que les autres et du coup chantait faux. L’incompréhension totale.

Elle, qui était dotée d’une voix absolue, perdait confiance au fil du temps qui passait. Le jour du spectacle, Mickaella ne se présenta pas.

Plus le temps passait, moins Mickaella ne comprenait le monde dans lequel elle vivait. Ce monde où néanmoins la paix, l’entente et la compréhension se voulaient être les piliers de cette communauté.

As-tu appris ta leçon « pourquoi une vie meilleure sur Sphectilus» ? ou « Comment interagir avec l’hôte avec qui tu vis ? demandait sa mère.

Peux-tu mettre la table s’il te plait Mickaella ? lui demandait elle parfois simplement.

Les voisins font une fête dans 2 jours, veux-tu venir ? il y aura ton ami Lauriane qui y sera.

Que s’est-il passé à l’école, tes résultats sont en baisses, veux-tu de l’aide ?

Des demandes, des questions simples à priori.

La réponse était toujours non, non, non, non et non.

Ses parents ne comprenaient plus leur fille, bien entendu elle grandissait et était en droit d’être en désaccord. On leur avait pourtant promis un avenir meilleur et tout tracé avec cette prothèse unique.

Mickaella, était complètement déroutée, ne se reconnaissait plus. Et pour cause, elle n’entendait plus. Plus les jours passaient, moins elle en entendait et plus elle se renfermait et se nourrissait de cette frustration et colère pour communiquer avec tous.

Elle finit néanmoins par avouer à sa mère, quelques temps après l’incident du spectacle, qu’elle n’entendait plus. Elle avait essayé de continuer à être l’enfant qu’ils auraient voulu avoir.

Ils savaient qu’un des effets secondaires de cette prothèses auditive d’un âge mûr pouvaient défaillir. Elle était dotée d’un savoir être et savoir-faire considérable mais pouvait s’éteindre à tout moment.

 

Ne trouvant aucune solution, ils se rendirent chez le spécialiste qui avait choisi et installé la prothèse.

Le verdict fut simple :

— Effectivement la prothèse est défaillante, il faut donc l’enlever.

Les parents de Mickaella étaient déroutés, comment rendre leur fille heureuse après un tel échec.

Mickaella était de son côté totalement submergée par ses propres questions :

Pourquoi n’accepte-t-on pas les différences de chacun au point de vouloir systématiquement les améliorer et d’être totalement perdu si celle-ci nous échappe ? et pourquoi ne pas en faire une force ?

A trop vouloir une paix immédiate sans heurt, le monde avait de plus en de mal à accepter à conserver les différences de chacun des êtres vivants.

Le soleil se couchant, Mickaella réfléchissait à sa nouvelle vie, comment allait elle s’adapter et être acceptée par les autres, tous les mêmes dans leur différence ?

Soudain, elle ressentit une douleur dans sa tête, puis dans sa gorge, son estomac puis plus rien. Elle paniqua quelques secondes puis tout étant revenu à la normale, s’endormit doucement.

Le lendemain matin, sa mère la retrouva tout sourire sur le rebord de sa fenêtre. Elle l’interrogea à ce sujet.

— Que se passe-t-il ?
— J’entends à nouveau maman !!!

Elles partirent aussitôt voir Le médecin pour comprendre ce qui se passait.

Effectivement Mickaella avait retrouvé l’ouïe, mais ce qui était surprenant c’était que la prothèse s’était de nouveau activée mais dans son gosier !!!

Mickaella sortit du rdv très heureuse, elle avoua à sa mère qu’elle n’entendait pas une voix mais des voix ! des pensées autour d’elle des autres qui ne pouvaient pas parler allaient pouvoir aider. Elle sentit grandir en elle des projets pharaonesques pour faire une communauté où tout le monde pourrait être entendue et comprise.

 

La Vérité

Elle aurait dû avoir froid. Elle s’est endormie avec les climatiseurs réglés au maximum. Elle comptait dormir. Dormir le plus possible. Alors elle s’est gavée d’apaisants et a réduit la température de sa chambre jusqu’à risquer l’hibernation.

Effort louable mais futile. À quatre reprises, elle a émergé d’un rêve fiévreux, haletante, trempée de rosée, tremblante de toute ses feuilles. Les climatiseurs ont grondé toute la nuit, sans discontinuer, et pourtant elle a cru que sa sève allait bouillir tant elle angoissait.

Elle est parvenue à perdre connaissance, quelques heures tout au plus. Assez pour s’éveiller aux premiers rayons du soleil. Sa peau frémit, emplie par la délicieuse sensation de créer du sucre au contact de la lumière. Elle respire, lentement, ses pores hoquettent, mais elle sait comment les apaiser.

Ce n’est pas sa première crise d’angoisse.

Son corps tout entier est douloureux. Ses articulations peinent à fonctionner. Elle garde les yeux clos, elle cherche à se détendre, à repousser cette marée noire, huileuse, qui cherche à submerger son cerveau. Peu à peu, ses muscles se relâchent, son corps cesse de tressaillir et, après un ultime spasme au niveau de sa poitrine, elle demeure enfin immobile.

Zoa garde encore les yeux clos. Au-dessus de sa tête, la lumière du soleil se fait plus intense. Plus nourrissante oui, mais plus insistante. Sans un son, elle l’incite à s’arracher à sa couche. Zoa résiste, elle est parvenue à s’apaiser, elle sait que cette quiétude ne durera un instant. Un instant qu’elle voudrait étirer jusqu’à ce que ce soleil qui l’apostrophe se couche, s’éteigne, disparaisse.

Pourtant, non sans un grognement, Zoa quitte sa couche.

Sa chambre est plongée dans une ambiance tamisée. La lumière est condensée dans le puits où a été installé son lit. Tout autour, une obscurité confortable règne encore. Elle remarque ses vêtements de la veille, encore par terre et sa télévision, gorgée de neige. Si quelqu’un de la colonie entrait, il penserait qu’elle a veillé tard, peut-être fait la fête avec une amie.

Rien de tout ça ne serait vrai. La veille de son huitième anniversaire, Zoa s’est couchée tôt, trop faible pour ranger ses vêtements et éteindre sa télévision, trop paniquée pour trouver le sommeil.

On toque à la porte. A-t-elle à ce point repoussé le moment fatidique ?

— Zoa !

Elle reconnaît, avec un plaisir qui desserre sa gorge nouée, la voix de l’ancienne. Hagarde, Zoa réplique par un mélange de sons gutturaux. Elle n’est pas parvenue à articuler quoi que ce soit, mais peu importe, l’ancienne sait qu’elle ne dort plus.

Avec l’enthousiasme d’un condamné à mort, Zoa enfile ses vêtements. Ces derniers sentent encore le psychotrope qu’elle a fumé trois jours plus tôt. Une chance que la cérémonie se fasse en comité plus que réduit.

Aujourd’hui Zoa, fille de Zia, a huit ans. Selon la tradition, elle ne peut plus vivre dans l’ignorance naïve de l’enfance. Aujourd’hui, Zoa, fille de Zia, doit recevoir la Vérité. Il n’y a qu’une fois cette cérémonie achevée qu’elle serra, pour la première fois de sa vie, considérée comme un être doué de raison. Son cercle chantera et dansera pour elle durant quatre jours et quatre huit avant de lui demander de faire un choix.

Le premier de son existence.

Les amies de Zoa, nées de la même pousse, la même année qu’elle, n’ont pas encore reçu la Vérité. Zoa sera la première et ses amies l’envient pour cela. Toutes rêvent du jour où leur vie ne leur sera plus dictées par les vieilles fleurs, du jour où elles ne pourront plus leur imposer quoi que ce soit. Pourtant, Zoa aurait échangé sa place avec n’importe laquelle de ses sœurs de pousse. Elle aussi a attendu ce jour toute sa vie. Elle aussi songe avec impatience à cet instant magique où elle deviendra consciente. Pourtant, dès lors que sa cérémonie de passage à l’âge adulte n’est plus un horizon lointain mais une date claire, elle a découvert une forme de terreur qu’elle n’aurait jamais imaginé.

L’ancienne toque à nouveau et cette fois-ci Zoa consent à répondre avec une phrase construite :

— Je m’habille !

— Tu couds de nouveaux vêtements ? Rétorque sa tutrice. Dépêche-toi !

Zoa retient les mots fle²uris qui tentent de franchir ses lèvres mais préfèrent obéir. Elle achève sa tâche et, sans attendre quoi que ce soit d’autre, elle ouvre la porte de sa chambre.

L’ancienne, bien qu’un peu bougonne, la prend aussitôt dans ses bras. Elle est d’une nature bienveillante et Zoa la pardonne pour son impatience. Après tout, pour l’ancienne aussi, ce jour est des plus importants.

— Pas le temps pour les familiarités, s’empresse de déclarer la vieille fleur. À la mycothèque et au pas de course !

Zoa retient un rire. C’est l’ancienne qui l’a enserrée à peine sa porte ouverte. Pourtant la voilà qui l’attrape sous un de ses bras noueux pour l’entraîner vers les profondeurs de la colonie.

Il est tôt, les autres se prélassent encore dans leurs couches. Elles profitent de la nourriture que le soleil leur apporte par ses simples rayons. Ainsi, Zoa et sa tutrice ne croisent personne dans les couloirs. Cette colonies vide, où ne résonnent que leurs bruits de pas, n’aide pas Zoa à conserver son calme.

La peur est revenue, et elle secoue à nouveau sa sève.

La mycothèque est la salle la plus centrale de la colonie. Zoa n’y est jamais entré car elle ne sert qu’aux cérémonies de passage à l’âge adulte. L’ancienne n’a jamais voulu lui dire ce qui s’y trouvait. C’est pourquoi Zoa est assez déçue une fois à l’intérieur. La salle est petite, ridiculement petite. On ne pourrait y rentrer qu’une douzaine de personne, et encore, en les faisant se monter les unes sur les autres. L’air y est glacial, encore plus que dans une chambre et sans qu’aucun climatiseur ne s’y fasse entendre. Plus curieux encore, le soleil y est absent. Aucune fenêtre, aucune vitre ne laisse sa lumière s’engouffrer dans le sanctuaire.

L’ancienne referme la porte, laissant la pièce retourner aux ténèbres. Le lieu est clos.

Zoa perçoit des silhouettes dans la pénombre. Des visages sans corps qui convergent vers elle. Elle reconnaît les masques de bois d’or portés par les éleveuses. On lui a tant parlé de ces êtres d’exception, choisies parmi l’élite de l’élite de la colonie pour inoculer la Vérité aux jeunes pousses.

— Avance, lui ordonne l’éleveuse la plus proche.

Zoa ne dit rien, elle sait qu’elle n’en a pas le droit. De même, l’ancienne demeure en retrait. Elle peut observer, mais pas intervenir.

— Quel est ton nom ?

— Zoa, fille de Zia.

— Que sais-tu Zoa, fille de Zia ?

— Rien.

— Alors allonge toi, et reçois la Vérité.

Alors une bassine surgit des ombres laissées inoccupées par les éleveuses. Une bassine à peine assez large pour Zoa, remplie jusqu’à ras bord de petites pierres bleutées qui, dans le noir de la mycothèque, brillent comme des étoiles.

Zoa obéit guidée par les éleveuses. Ces dernières l’aident à s’immerger dans la bassine. Les pierres bleues sont gelées, plus froide que la plus froide des eaux que Zoa ai connu. Elle retient un sifflement, consciente que les éleveuses ne la laisseront pas faire de scène. Elle tente de rester digne, même si sa sève s’emballe. Alors que sa peau est frigorifiée, elle ne se sent pas proche de l’hibernation.

Au contraire, il lui semble que tous ses sens se sont éveillés.

Une éleveuse lui attrape le bras. Sans autre cérémonie, elle brandit une seringue qu’elle enfonce dans sa peau. Zoa hurle, alors qu’elle n’a ressenti aucune douleur.

— Reçois la Vérité.

Elle tombe, tombe dans cette bassine qui ne semble plus avoir de fond. Elle hurle mais sa voix n’existe plus. Bientôt, elle perd ses bras, ses feuilles, sa poitrine, sa sève et tout ce qui pouvait encore faire partie d’elle.

Elle n’existe plus et elle continue de tomber.

Ses suppliques ne demeurent pas sans réponses, car elle finit par s’immobiliser. Zoa ne sait plus comment elle peut ressentir quoi que ce soit puisqu’elle n’a plus d’enveloppe charnelle. Mais elle sait qu’elle a été attrapée.

Quelque chose la tient. Pas entre ses mains, ou quoi que ce soit de semblable. La chose qui l’a attrapé l’a fait à pleine dents. Zoa sent cette mâchoire acérée se refermer sur elle et elle hurle de plus belle. Quelque chose remue alors au plus profond de son esprit. Un insecte, creusant, griffant, cherchant à s’extirper de son cerveau. Avec elle, c’est une fournaise aigre qui la dévore de l’intérieur. Zoa, ne hurle plus de peur, elle supplie pour que cela cesse, elle supplie pour que ces dents disparaissent, pour que cette chaleur s’efface.

Elle supplie pour que cette chose l’épargne ou qu’elle l’achève.

Les mâchoires se serrent. Le feu s’emballe. Zoa sent que sa résistance agace son bourreau. Elle sent qu’elle doit se taire, que c’est le seul moyen pour que douleur cesse. Mais elle en est incapable.

Zoa s’éveille. La mâchoire l’a lâchée, le feu s’est éteint, la souffrance a disparue.

Dans les ténèbres, les silhouettes des éleveuses se dressent autour d’elle. La plus proche saisit son bras, sans que Zoa ne puisse se défendre. Malgré l’obscurité, elle distingue sa peau, déchirée de l’intérieur par une masse molle que l’éleveuse lui arrache avec violence.

— La Vérité n’en a pas voulu, dit l’éleveuse d’un ton égal.

Ses compagnes acquiescent avant de ranger la chose immonde dans les ombres. Zoa n’a pas le temps de les interroger, la bassine s’est refermée.

— Pour préserver la colonie, entonnent les éleveuses en chœur.

— Pour préserver la colonie, leur répond l’ancienne dépitée.

Zoa essaye de comprendre, mais c’est trop tard pour elle. Les pierres bleutées l’enserrent, non plus dans le feu, mais dans la glace. Plus aucune douleur ne l’assaille, seulement une langueur confortable. Peu à peu, Zoa ne parvient plus à crier. Sa voix s’éteint, son corps s’affaisse, elle s’enfonce dans le plus doux des sommeils.

Zoa, fille de Zia, refusée par la Vérité, ne se réveilla plus jamais.


Contrainte  Normalité mention très bien

 

Parfait Cyberaptor

Le sol tremblait.

Le seconde classe Maximus essaya in-extremis de rattraper son casque. Une immense patte vint s’abattre dessus, projetant en arrière le pauvre homme qui voulait le ramasser. Les voix de la centurie s’élevaient déjà, acclamant le retour triomphal du héro. Les étendards à l’effigie de l’aigle dorée étaient brandis, les soldats étaient en émois. Les jours à venir ne seraient plus jamais les mêmes.

Comme à son habitude, Cyberaptor retournait à la base après une bataille. Il était couvert du sang cartaginois, il empestait la mort. Il marchait d’un pas lourd dans le grand hall, les bruits autour de lui étaient assourdissants. Ses pattes étaient poisseuses, ses circuits allaient sûrement rouiller. Il n’avait qu’une idée : retourner dans son enclos et prendre une douche sonique.

 Une fois débarrassé de toute cette souillure, il releva la tête. Sa vue se porta sur l’immense mur en face de lui. D’innombrables médailles en ornaient chaque recoin. D’innombrables souvenirs lointains. D’innombrables victoires volées à l’ennemi de l’empire. Son regard passa dessus pour se poser sur le petit miroir qui trônait dans un recoin. L’image qu’il y perçu n’était pas la sienne. Où l’était-ce finalement ? Un monstre d’une époque révolue, ramené à la vie par un obscur laboratoire génétique de Rome. Une créature unique et merveilleuse, seule et mutilée. En partie augmenté par les cybernéticiens de Padoue, il était l’être « parfait », une machine adaptée à la guerre. Qui était-il ?

Une autre bataille faisait rage. Une bataille différente, celle de la cafétéria. Au milieu des tumultes des couverts entrechoqués, Cyberaptor progressait, ouvrant une brèche dans une foule grouillante. Était-ce une tentative d’inclusion ou un spectacle offert aux troupes ? On avait installé sa borne de rechargement dans un coin du réfectoire. Les centurions avaient le privilège de lui offrir leur révérence tandis que les secondes-classes étaient en première ligne pour entendre le vrombissement de sa bobine atomique. Mais c’est son regard perçant aux pupilles elliptiques qui leur glaçait le sang. Cet œil grand ouvert observait ces créatures pleines de vie s’affairer. Ils parlaient, rigolaient, chantaient, parfois même se frappaient dans le dos de bon coeur. Mais passaient de mains en mains des morceaux de chair cuite dégoulinants de sauces aux carottes violettes. Ces soldats arrachaient des lambeaux entiers, juteux et tendres, à la seule force de leurs dents. Ils ne semblaient jamais rassasiés en en réclamaient toujours plus. Le sang dégoulinait de leur bouche et entachaient leurs uniformes, comme s’ils menaient un combat contre la nourriture elle-même.

Assis au milieu des soldats, le soldat Maximus fit tomber son nouveau casque : il crut un instant fugace que Cyberaptor s’était léché les babines.

 La viande, ce devait être la source de leur plaisir. Cette viande qu’ils réduisaient en miettes, qu’il arrachaient puis dévoraient allègrement. Quel goût avait-elle ? Pourquoi y prenaient-ils tant de plaisir ? Cyberaptor observa longtemps. Il douta. Il crut comprendre. Il abandonna. Il était si envieux de leur humanité.

Une part de lui venait de refaire surface. Une partie de lui qu’il pensait oubliée depuis longtemps. N’était-il pas un prédateur à l’origine ? Les raptors d’antan ne chassaient t-il pas ? Ne se repaissaient-ils pas de la chair comme ces soldats ? Ils œuvraient en troupeau et semblaient être si plein d’indépendance et de vie. Aujourd’hui, sa  mâchoire ne lui servait qu’à arracher les boucliers, tordre les armures et projeter de malheureuses victimes les unes contre les autres. Tuait-il par plaisir ? Il n’en était pas certain. On avait de lui le monstre qu’il était aujourd’hui, mais un autre monstre sommeillait en lui. Un monstre qui ne demandait qu’à sortir.

Une autre part de lui ne demandait qu’à obéir aux ordres tel que son programme a été conçu, faisant de lui le bon soldat qu’il avait toujours été. Il était la propriété de la légion après tout. La part robotique en lui s’exprimait aussi, combattant ses pensées primitives. Il était aux prises entre deux forces puissantes mais opposées. Plus il comprenait qui il était, moins il parvenait à maintenir un tout cohérent.

Malgré tous les gardes fous programmés en lui, quelque chose venait de sauter.

« Alerte à toutes les manipules, présentez-vous à la sortie ouest. Ceci n’est pas un exercice. »

Cyberaptor avançait machinalement vers le front. Au loin les phalanges s’organisaient. Encore un hérisson à briser et à broyer. Il devait contourner la ligne principale et charger mais quelque chose n’allait pas. Il était en proie au doute. Ne pourrait-il pas être un bon humain lui aussi ? Un parfait raptor ? La faim le tenaillait soudain. Une faim primaire et instinctive. Un besoin de liberté qu’il ne pourrait empêcher.

Le soldat Maximus fit tomber son casque. Cette fois, ce serait la dernière. Le regard luisant de Cyberaptor se portait déjà sur lui…

 

Note de l’arbitre: ce texte postule à deux thèmes en simultané et a été écrit à quatre mains. 

 

 

 

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A propos de Mia-

Membre du Club depuis 2005, Magali participe au comité de lecture d'AOC et s'occupe activement des matchs d'écriture, qu'elle colporte dans plusieurs festivals dédiés à l'imaginaire. Accessoirement, redoutable mouche du coche professionnelle :)

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Un commentaire

  1. Récits où l’imagination nous fait voyager
    Des histoires nous projettant dans des situations rocambolesques empreintes de fantaisie.
    Quel talent !
    Bravo à vous toutes et vous tous.

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