Dans ce nouveau livre de Peter Watts, on suit Sunday, la narratrice, qui fait partie des trente mille êtres humains qui vivent de manière très discontinue à l’intérieur de l’astéroïde Eriophora, transformé en vaisseau spatial à trou noir.
Depuis soixante millions d’années, ils parcourent l’espace infini sous la houlette de l’IA « stupide », baptisée Chimp. Ils font des tours et des tours de la galaxie pour l’équiper de portails qui utilisent des trous de ver, dépouillant pour cela les astres locaux de leur roche et leur glace. Jamais ils ne s’arrêtent, jamais ils ne regardent en arrière, jamais ils n’en franchissent un. Ils les sèment derrière eux comme un collier de minuscules bulles vouées à la diaspora humaine.
Chimp peut accéder aux perceptions de chacun de ses ouvriers biologiques et communiquer avec eux à tout instant. Mais l’IA n’a pas besoin de viande pour chaque chantier, elle ne sort donc de leur sommeil que quelques équipes de temps à autre, quand c’est nécessaire, si bien que pour les humains, il ne s’est écoulé que quelques années, voire décennies en temps de vie subjectif. Or l’Humanité ne les a jamais rappelés, n’a jamais mis fin à leur mission : existe-t-elle encore seulement, l’Humanité ?
Lian, que Sunday considère comme une amie, craque un beau jour et Sunday découvre petit à petit que Chimp leur cache des choses. Qu’elle la réveille, elle, plus souvent que la moyenne. Et que la viande dysfonctionnelle disparaît, par exemple. Bientôt, une révolution larvée s’organise… que Sunday refuse d’abord de voir.
On retrouve dans ce court roman – que Peter Watts dans ses remerciements insiste pour considérer comme une novella – son goût prononcé pour les protagonistes extrêmophiles et pour les environnements très hostiles. En outre, le lecteur retrouve le même univers que dans les trois nouvelles à ce jour traduites en français que l’auteur a consacrées au vaisseau Eriophora (lisibles dans son recueil Au-delà du gouffre, paru chez le même éditeur).
Le roman peut sans problème être lu indépendamment des nouvelles. Ce space opera aux dimensions cosmiques est avant tout un huis clos oppressant. Il met en scène d’une manière renouvelée les relations complexes et ambiguës entre l’humain et la machine, tout comme les questions de la perception du temps et de l’espace, des limitations humaines et surtout du pouvoir politique. L’intrigue est bien menée et fait avaler sans peine la hard science qui nourrit le texte, la vulgarisation scientifique étant un des nombreux talents de l’auteur.
La préoccupation première de Peter Watts semble d’ailleurs être d’ordre politique : peut-on confier la responsabilité d’un projet aussi pharaonique qu’essentiel à la survie de l’espèce à des êtres humains, irrationnels et émotifs ? Peut-on la confier à un programme informatique, si sophistiqué, adaptable et bourré de redondances soit-il ? Une lecture vraiment stimulante pour qui adore la SF !
Chronique de François ‘767’ Manson