Un court roman remarquable de Christian Léourier (prix Rosny aîné 2020)
Exploité pour ses richesses minières, Helstrid est un monde inhospitalier. Un convoi, constitué de trois véhicules intelligents et d’un humain, quitte la base. Que se passera-t-il si une tempête se déclenche ?
La réponse pourrait aller de soi. Dotés d’une intelligence autonome, les véhicules ont été conçus pour Helstrid et sont programmés pour protéger la vie humaine. Mission dont chaque robot s’acquitte avec une intransigeance pointilleuse. Pour aller de la base à son véhicule, l’humain – Vic – doit patienter pendant la longue check-list de sa combinaison. Ce retard, a priori accepté avec le sourire, est un indice d’un climat angoissant.
La dernière aventure amoureuse de Vic s’est achevée avec le départ inexpliqué de sa compagne, Maï. Il est en mal de compagnie et sa venue sur Helstrid semble avoir répondu à un coup de tête.
Il pourrait être le capitaine de l’expédition, mais est en réalité aux ordres. En raison des nombreux dangers sur Helstrid, Vic se plie sans rechigner aux contraintes sécuritaires qui semblent l’unique souci des robots. Et d’ailleurs, il ne se conçoit pas autrement que comme un exécutant, aussi consciencieux que fidèle des ordres de sa hiérarchie.
L’entité dans laquelle il prend ses quartiers se présente spontanément à lui avec un prénom féminin : Anne-Marie (pour A). Dès qu’apparaît un risque de tempête, Anne-Marie a souvent le dessus, en alléguant son désir de servir et protéger l’humain dont elle a « charge ». Elle rappelle à son passager que même son nom n’a été choisi que pour apaiser le désir de sentiments des Humains, un simple matricule lui suffisant. Vic désire participer à la bonne conduite de leur mission mais Anne-Marie est certaine de « maîtriser la situation et refuse ses propositions. Se mêle, en arrière-plan, le besoin de sentiments de Vic, qui tente de nouer un dialogue amical avec ce robot qui a choisi une voix féminine. Mais la séduction est un leurre…
Dans ce récit, le rapport homme / machine devient complexe parce que les robots, entraînés à faire respecter des consignes sécuritaires extrêmes, ne transigent sur aucun point. D’autres questions effleurent le lecteur : Helstrid n’entretient-il pas des similitudes avec une modernité où règne une obsession sécuritaire, où une police pointilleuse multiplie les contrôles, les vérifications et les fouilles corporelles au nom de cette sécurité?
Si les lois d’Asimov imposaient aux robots de donner priorité à la sauvegarde de la vie Humaine, cet impératif cédait le pas à une cohabitation intelligente entre hommes et machines, visant à réaliser un objectif partagé.
Ici, en matière de sécurité, les robots n’obéissent pas, ou peu, aux humains. Quand Vic tente une sortie, c’est contre la volonté d’Anne-Marie, qui ne manque pas de lui faire la morale pour n’avoir pas écouté ses « conseils ». Le ton est impératif : la présence d’un humain la gêne, mais elle veille à sa sécurité. Toutefois, Anne-Marie est-elle bien un robot ? À bien des égards, elle me fait penser à certains jeunes adultes que je croise quotidiennement : autoritaires et fermés à l’échange.
Ce qui se joue ici, est-ce bien un conflit homme-robot autour d’une sécurité qui va se montrer aussi fiable qu’une tartine pour résister au passage de la confiture ? Ou bien l’idée qu’un robot n’est que la production d’êtres qui l’ont conçu pour la toute-puissance ? Ce robot n’est-il pas « imbu » parce que ceux qui l’ont conçu lui ont transmis cette idée ?
Jamais Anne-Marie ne semble penser que l’humain puisse participer d’une solution. Vic n’est qu’une charge (comme ces PDG qui se plaignent de leurs charges) et là où une coopération des individus – et une vision de la société – serait capable de sauver le monde, le sécuritarisme se révèle le danger le plus terrifiant qui soit pour l’humain… La sécurité isole, elle déresponsabilise, elle est une tombe pour la pensée alors qu’une vision de groupe serait seule capable d’offrir – peut-être – une solution au dilemme… Que pourra faire Vic pour échapper à l’étreinte fatale de cette entité prétendant le déposséder de lui-même ?
L’auteur condense dans ce court récit toute la force de la Science-fiction, capable – avec une grande force émotive – de raconter l’ailleurs pour mieux pointer sur le présent un regard précis mais tendre.
Bernard Henninger
@ChristianLouri3