Auteur français de fantasy largement reconnu, et récompensé par un prix aux Imaginales, Adrien Tomas situe sa nouvelle saga, Le Chant des Épines, dans le même univers que La Geste du Sixième Royaume et La Maison des Mages, mais à une époque antérieure. Le récit est bien construit, comme un puzzle. Il alterne les personnages focalisateurs, qui, venus tous d’horizons et de classes sociales très diverses, vont se retrouver unis dans le but d’unifier une mosaïques de petits États en guerre perpétuelle les uns contre les autres pour pouvoir lutter contre les projets conquérants de l’empire de Séi.
Le lecteur est amené à faire ce que fait Vermine (Eh oui, c’est le nom de l’une des protagonistes, et c’est elle qui l’a choisi !) quand on lui demande d’analyser la situation politique des Marches : « Peu à peu, divers fragments d’informations, des restes de conversations et de leçons, des détails observés et rangés dans un coin de son esprit, fusionnèrent pour former des blocs de données, puis s’imbriquèrent devant ses yeux jusqu’à constituer une immense mosaïque élaborée, encore constellée de trous béants par endroits, mais globalement compréhensible ». Trous béants, car bien sûr, comme le dit La Locuste, bizarre messager d’Ithaen, cynique et antipathique, où serait le plaisir de la surprise ?
L’auteur, évidemment, garde en réserve des révélations pour les autres tomes de la série. On se demande qui est le monstre que La Locuste, justement, nourrit du sang des traîtres, pour un but qu’il cache avec soin. En tout cas, il semble bien informé sur l’évolution des Immortels, dont le vampirisme n’est apparemment qu’une maladie infantile. Un personnage qui apparaît dans le premier chapitre disparaît, mais on en parle, et il est à parier qu’il réapparaîtra. Et surtout, d’où vient Vermine, la sorcière sauvageonne rebelle et peu avenante qui pourtant peut toucher sans dommage l’Orbe de l’impératrice, un artefact elfique réservé à l’usage d’une Élue promise par la prophétie ?
De quel mystérieux projet qui semble lié au nain rebelle Nashgar fait-elle partie ? Son père était-il son père ? Qui est sa mère, et en a-t-elle seulement une ? Ce même Nashgar a créé (création blasphématoire pour les nains, esclaves aveugles de leurs traditions) un ange de fer capable de penser et de transmuter l’énergie matérielle en énergie spirituelle. Pour quel dessein ?
On voit encore quelques personnages excentrés du propos principal, mais on sent qu’ils ne vont pas tarder, eux aussi, à se mettre en orbite autour du même centre que les autres. Et le plan qu’on voit petit à petit se dessiner pour l’avenir promet d’être complexe dans sa réalisation et voué à de nombreux ajustements, donc à des surprises pour le lecteur. Comme dans la série « Le Royaume de Tobin » de Lynn Flewelling, ce premier tome tient du roman d’éducation, et une bonne partie de l’action se concentre sur les rapports entre cinq jeunes gens dont aucun n’a passé dix-sept ans et leurs divers formateurs.
Vermine étant la seule personne d’origine apparemment roturière et au statut d’esclave, trois autres des héritiers des grandes maisons des Marches, censément otages de la maison dominante, (du moins provisoirement) et la cinquième la princesse régnante sous tutelle de la maison en question. Même les royaumes humains sont jeunes, à l’échelle de l’histoire : il n’y a guère plus de cent ans qu’ils se sont affranchis de la domination des elfes et des nains dont ils étaient esclaves. Avec les nains, ils ont gardé des rapports pacifiques, un peu comme les colonies d’Amérique avec l’Angleterre, mais avec les elfes, la guerre a été à outrance, les anciens maîtres se sont retirés au plus profond d’une forêt.
Une corporation de sorcières, les Sœurs grises, vouent leur vie à veiller sur les royaumes humains et à combattre toute magie elfique les attaquant. Or, voici que l’une au moins des « abjections » que les elfes ont laissées derrière eux et que l’on croyait endormies pour toujours s’est réveillée : une mandragore, géant mi végétal mi insectoïde, piquant de partout et aussi venimeux qu’agressif physiquement et psychiquement… Imaginez un Emt maléfique combiné à un Détraqueur, vous aurez une petite idée de la créature, effroyable à souhait.
Bref, en attendant de tout comprendre, entre leçons, bagarres, procès, coup d’État, complots, assassinats réussis ou ratés, ni les personnages ni les lecteurs n’ont le temps de s’ennuyer ! Même les runiques, chroniqueurs invisibles enregistrant tous les faits et censément impassibles, pourraient entrer dans le jeu…
Chronique de Marthe ‘1389’ Machorowski
Nous en pensons
Notre avis
3,9
Le récit est bien construit, comme un puzzle. L’auteur, évidemment, garde en réserve des révélations pour les autres tomes de la série. Bref, en attendant de tout comprendre, entre leçons, bagarres, procès, coup d’État, complots, assassinats réussis ou ratés, ni les personnages ni les lecteurs n’ont le temps de s’ennuyer !