« Royal » de Paula Alexander et Hedgye Canyon

Royaume de France 2030. La Révolution française n’a jamais eu lieu, étouffée dans l’œuf par l’aide providentielle de l’empereur d’Autriche à Marie-Antoinette.

Pendant des siècles, le pays n’a donc presque connu aucune évolution, tant au niveau du régime politique que du mode de vie. La société est toujours divisée en trois ordres : noblesse, clergé et tiers état. Le roi domine toujours l’État. L’aristocratie est toujours favorisée par une forte richesse héréditaire et d’importants privilèges.

Par souci de « préserver les traditions », on continue à s’éclairer à la bougie et à envoyer des pigeons voyageurs, même si le pays a bel et bien connu la révolution industrielle. Une fois par an, un rituel matrimonial est organisé : le rituel de Pan. Il s’agit de donner leur chance d’accéder à la noblesse à plusieurs jeunes hommes du tiers état. En se battant pour obtenir la main d’une série de jeunes aristocrates, ils auront ainsi l’occasion de gagner leurs titres et leurs statuts.

À cette occasion, deux personnes que rien n’appelait pourtant à se croiser seront amenées à se rencontrer : d’un côté, Arthur, fils du boulanger royal, petit bourgeois ambitieux, élève d’une prestigieuse académie militaire, qui espère tirer du rituel de Pan la chance de s’élever dans la société, mais aussi la possibilité d’aider sa sœur malade ; de l’autre côté de l’échelle sociale, Aliénor, rejeton insoumis de l’une des familles nobiliaires les plus importantes du royaume, est pourtant en contact secret avec la rébellion, appelant de ses vœux une Révolution qui, pourtant, la priverait de ses privilèges.

Cette uchronie est construite autour de l’idée que ce n’est pas tant les hommes et les femmes qui font l’histoire que l’Histoire qui fait les hommes et les femmes. Enfants d’une société qui a fait d’eux ce qu’ils sont, Arthur et Aliénor seront façonnés par les choix qu’ils feront lorsqu’elle se mettra à évoluer. Et ces choix seront rarement faciles. Dans quelle mesure la loyauté envers leurs idéaux les forcera à abandonner la loyauté envers les leurs ? Quelles compromissions seront-ils prêts à accepter pour obtenir des avancées ? Que faire si la colère légitime sur laquelle ils essaient de s’appuyer déborde et échappe totalement à leur contrôle ?

Cette tentative de réinvention d’une période charnière de l’histoire bénéficie d’un bon rythme narratif, riche en péripéties et en rebondissements, malheureusement parfois affaiblie par des faiblesses et incohérences dans la construction de l’univers. Comme beaucoup d’œuvres SFFF portant sur la Révolution française, Royal manque parfois de subtilité, comme en affirmant que les aristocrates détenaient l’écrasante majorité de la richesse mobilière et immobilière de France avant 1789 (c’est faux), ou en assimilant l’aristocratie à la cour de Versailles alors que l’immense majorité des nobles étaient de petits propriétaires terriens, que seuls un titre et des exemptions d’impôts séparaient du reste des paysans riches.

On peut aussi regretter le manque de précision sur le développement technologique exact de la France : des technologies actuelles voire futuristes, comme les hologrammes, sont mentionnées, mais le pays semble accuser un retard sévère.

On nous parle d’électricité, mais les trains sont à vapeur. On nous parle d’armes à feu, mais Versailles est défendue par des soldats se battant à l’épée. Un parti pris plus clair des autrices, sur cette question comme sur plusieurs autres, aurait donné plus de force à ce qui reste une fiction enlevée et agréable à lire, dédicacée à « ceux et celles qui veulent faire changer les choses ».

Chronique de Louise ‘1822’ Janin