D’emblée, Sue Burke nous plonge au milieu d’un monde nouveau, à la fois magnifique, mystérieux et dangereux pour les quelques dizaines de colons qui l’ont choisi et baptisé Pax.
Une cinquantaine d’hommes et de femmes au départ, triés sur le volet, mais tous animés par une volonté farouche et utopiste : créer une nouvelle société loin de la Terre exsangue, en évitant de reproduire les erreurs d’une humanité qui court à la catastrophe.
Mais pour l’instant, en fait d’utopie, c’est plutôt de survie qu’il s’agit. Tous ne se sont pas réveillés d’un siècle et demi d’hibernation, et une partie d’entre eux ont péri lorsque leur atterrisseur s’est écrasé. Et si l’air est respirable, le climat vivable, et si certaines plantes sont comestibles, la faune comme la flore sont radicalement autres. Tout doit être analysé, vérifié, testé. Tout est compliqué et harassant, et les choses s’aggravent encore quand les fruits jusqu’à présent comestibles d’une liane empoisonnent trois femmes.
Ils découvrent alors que les plantes se font la guerre. Et que les animaux leur servent de nourriture… Ce qui fait la force de ce roman, c’est sa narration à la première personne, qui saute de génération en génération, et de narratrice en narrateur. Le lecteur se retrouve donc au plus près des préoccupations des personnages et voit la colonie évoluer.
Mais ce qui est souvent frustrant dans ce type de narration, c’est qu’on doit abandonner un personnage une fois qu’on s’est attaché à lui. Il n’en est rien ici, car si l’on change de personnage narrateur une bonne demi-douzaine de fois, cela ne nous empêche pas de retrouver les précédents, encore présents comme protagonistes ou personnages en retrait. Ce lien tissé entre les individus et les récits contribue à la richesse de l’ensemble.
Pour survivre, les humains vont devoir comprendre comment fonctionne la nature. Mais ils doivent aussi vivre ensemble, préserver les idéaux qui ont motivé leur départ et qui forment leur Constitution. Et dans les épreuves, la peur, la volonté de pouvoir, la rancune ou la haine peuvent facilement remonter à la surface et sinon balayer, du moins contrarier durement les nobles ambitions.
Sue Burke nous parle d’espoir, de dialogue, de cohabitation, d’enrichissement culturel mutuel, et de tout ce qui fait la beauté de la vie, qu’il faudrait préserver partout, car l’intelligence est si rare. On ne peut pas lire ce beau roman sans songer à L’Enchâssement de Ian Watson ni à Xénocide d’Orson Scott Card. Les biologistes et les amoureux de la nature seront comblés, tout comme les amateurs d’histoires de premier contact et de planet opera. Pour un premier roman, c’est une réussite.
Chronique de François ‘767’ Manson