Votes pour le match d’écriture des Utopiales 2017 : « La petite marchande de temps »

Un titre qui n’est pas sans rappeler une autre marchande dont l’histoire ô combien joyeuse aura probablement bien inspiré nos équipes de 3 auteurs.

A noter, pour ce thème peu d’auteurs ont choisi plusieurs contraintes, alors que l’on a souvent constaté qu’elles étaient source d’inspiration. Cela jouera-t-il sur la qualité des textes ?

  • Dernier buffet avant la paix
  • Grüdüg au Pink Dwarfette
  • La marchande de quatre saisons
  • Tic Toc
  • Temps mort
  • Je suis un rouage grippé
Contrainte 1
Pendant une réception mondaine
Contrainte 2
Des rations de survie indigestes

DERNIER BUFFET AVANT LA PAIX

La paix était signée, les deux États-Majors allaient débarquer dans la grande salle de la base dans moins de deux parsecs, et tout ce que le Chef-Cuistot avait à leur proposer pour le buffet, c’était des rations de survie.

Ration de survie type 03 sur lit de ration de survie type 05 à la sauce de ration de survie type 02. Il allait être beau, le buffet de célébration.

Cette guerre durait depuis tellement longtemps que tout le monde avait oublié comment elle avait commencé, et à cause de lui elle allait peut-être redémarrer. Mais que pouvait-il faire, à part servir la seule chose vaguement comestible qui restait en stock ? Le Général allait le tuer, en voyant cela. Les rations de survies étaient d’horribles boites de viande séchée et de poudre sans saveur. Souvent, les soldats les plus affamés préféraient manger leurs bottes ou le cuir de leurs sièges plutôt que d’y toucher. Certains prétendaient qu’il était moins dangereux de courir s’empaler sur les lasers ennemis plutôt que d’en manger.

Et aujourd’hui, ils avaient peut-être raison, vit-il en vérifiant les dates inscrites sur les rations. Toutes les boites étaient périmées depuis plus de 20 mégaparsecs. Il en ouvrit une au hasard. La viande était tellement sèche et noire qu’elle ressemblait à un pneu de navette spatiale après combustion. La poudre était verte, et en ajoutant de l’eau dedans tout ce qu’il obtient fut une odeur pestilentielle et une soupe qui semblait ronger les bords de la casserole.

Un problème, officier cuisinier ?

George se retourna. La Petite Marchande de Temps le regardait par en dessous, un regard qui le mettait comme à chaque fois mal à l’aise. Personne n’aimait Marie Chantemps, mais personne dans la base ne pouvait se passer d’elle, donc tout le monde restait poli et accommodant en sa présence. Après tout, c’était elle la seule médecin de la base, la seule habilitée à utiliser le caisson de régénération, et donc la seule qui pouvait sauver vos fesses si vous reveniez amoché du champ de bataille. Tout le monde ressortait du caisson frais comme jamais, membres arrachés mystérieusement repoussés, souvenirs traumatiques totalement effacés – tous les souvenirs depuis la blessure effacée, en fait. Et personne, à part elle, ne savait comment marchait ce foutu engin. Mieux valait rester de son bon côté. Marie Chantemps était ratatinée, acariâtre, insupportable, et faisait ses étranges marchés terrorisaient vaguement tout le monde, mais elle recevait des cadeaux, des attentions, du respect de la part de toute la base. Même des plus hauts gradés. Même du Général.

Oui, officier médecin. Je dois réaliser un buffet mondain pour les hauts gradés des deux camps, et tout ce que j’ai leur offrir, c’est d’indigestes rations de survies périmées. Les jardins n’ont rien produit cette semaine, et les sources d’approvisionnement classiques ont été coupées pour laisser la place aux émissaires qui négociaient le traité de paix.

Ho, ce n’est que ça ? Je peux vous aider, officier cuisinier… Si le cœur vous en dit. Tout ce que je vous demanderais en échange, c’est un tout petit peu de votre temps.

Et voilà. Pile ce qu’il avait craint, ce que tout le monde craignait dans la base. L’offre de la Petite Marchande de Temps. Personne ne l’appelait la petite Marchande de Temps en face. Mais elle méritait son surnom, et pas seulement à cause de sa taille. Marie Chantemps passait son temps à proposer des deals comme celui-ci à tout le monde pour tout et rien. Tout ce qu’elle demandait en échange, c’était à chaque fois « un peu de temps » : un peu de temps dans le caisson de régénération, « pour études scientifiques ». Quand on entrait dans le caisson en bonne santé, on en ressortait quelques milliparsecs plus tard avec ses souvenirs, et inexplicablement plus mal qu’on y était entré. Personne ne savait définir ce qui se passait, mais tout le monde s’accordait à dire que quoi qu’elle vous fasse, mieux valait l’éviter. Il y avait de noires rumeurs sur Marie Chantemps, des histoires de prisonniers de guerre qui disparaissaient mystérieusement…

Je n’ai pas de temps, Officier médecin, ils attendent le buffet d’un instant à l’autre, et je ne peux rien leur amener.

Vous pensez qu’ils vont vous accuser de mal avoir géré les stocks ?, demanda la Petite Marchande de Temps sur le ton de la conversation.

Il n’y avait pas pensé, mais oui, on l’accuserait. Il faudrait un responsable, et ce serait lui, pas l’ordinateur qui lui avait assuré qu’il y aurait à manger pour tout le monde, pas le type qui n’avait pas renseigné les dates de péremption en entrant ces rations dans le stock des éons auparavant et qui était sûrement déjà mort, pas les soldats qui volaient de la nourriture pour éviter d’avoir à manger ces infâmes rations. Lui, et personne d’autre.

J’aimerai accepter votre offre, mais très honnêtement, je ne vois pas comment vous pourriez m’aider…

Faites-moi confiance, officier cuisinier, et dépêchez-vous d’amener ces rations à l’infirmerie.

Le caisson de régénération ressemblait à un cercueil. À peu près tous les soldats étaient passés dedans une ou deux fois. Mais pas George. Le cuisinier de la base n’avait pas le poste le plus exposé, c’était même pour cela qu’il avait postulé pur ce poste, après avoir manqué les examens d’officier infirmier.

Entrez, et relaxez-vous. Ça ne prendra que peu de temps.

La vitre se referma sur lui comme celle d’un gigantesque micro-onde, et le caisson vibra et émit une lumière trop intense pour être réelle, et c’était fini.

Et quand George sortit du caisson, il se sentit… mal. Quelque chose avait changé en lui, et il ne savait pas quoi.

Qu’est ce que ça m’a fait ?

Rien du tout, rien du tout, je collecte juste des données, dit Marie Chantemps. Mais vous voyez, cela n’a pris vraiment que peu de temps. Laissez-moi vos rations, maintenant, je vous les ramène tout à l’heure.

Qu’allez-vous faire ?

Ho, rien du tout, rien du tout, quelques piqûres, quelques analyses, quelques ajouts de produits chimiques, et quand vous reviendrez, j’aurais déterminé quelles rations sont encore comestibles sans risques malgré la date de péremption dépassée, et peut-être même un peu amélioré le goût. Allez allez, dehors, je m’occupe de tout, je viendrais vous ramener cela d’ici quelques miniparsecs. Retournez en cuisine et préparez ce que vous pouvez, en attendant.

Il y avait deux portes dans l’infirmerie, la principale, que Marie Chantemps ferma à clé derrière lui, et celle de secours, par laquelle Georgel revient en prétextant avoir oublié de lui donner certaines rations de survie.

Sur la table de l’infirmerie, deux bassines trônaient, l’une de viande séchée et l’autre de poudre. Marie Chantant avait ouvert et mélangé toutes les rations. La viande était d’un brun-rouge peu appétissant, mais semblait mangeable. La poudre était blanche et ne semblait pas ronger les bords du récipient.

Et Marie Chantemps sortait du caisson de régénération, un grand sourire aux lèvres qui disparut quand elle le vit.

Que faites-vous ici ? Je vous avais dit que…

Je connais votre secret, dit George, et cela la fit taire. Des analyses et des piqûres… Je n’ai peut-être pas eu mon diplôme d’infirmier, mais je sais très bien qu’aucun additif ne permettait de rattraper les rations que je vous ai amenées, dans l’état où elles étaient. Ce n’est pas un simple caisson de régénération que vous avez là, hein ? C’est une machine à manipulation temporelle. Mon père travaillait sur ce genre de chose, il y a longtemps, mais je croyais que ça avait été arrêté, trop instable… La Petite Marchande de Temps, hein ? Et vous vous marrez en vous baladant dans les couloirs quand on murmure ce nom sur vos talons, sans savoir à quel point c’est vrai… Combien de temps m’avez-vous pris ? Et vous, quel âge avez-vous, au fait ? Je suis sur cette base depuis 20 Standards, et je ne vous ai pas vu vieillir. Le ratatinage de taille, c’est un effet secondaire de ceux qui utilisent la machine trop souvent ? Parce qu’à ce niveau, on vous donnerait facile 200…

Quand la Petite Marchande de prose se jeta sur lui, elle avait un bistouri à la main.

George avait prévu quelque chose de ce genre, c’est pourquoi il avait gardé caché dans son dos l’un des Pacificateurs que les geôliers utilisaient sur les prisonniers.

Le choc envoya l’infirmière au sol. Quand elle se releva, elle était calme et docile, volonté annihilée, une bonne prisonnière prête à obéir à tous ses ordres sans discuter.

Montrez-moi comment cette machine temporelle marche, ordonna-t-il.

Les hauts gradés et les politiques adorèrent le buffet, et personne ne lui demanda où il avait trouvé des légumes frais et de la viande qui semblait sortir tout juste de l’abattoir. Personne ne vint non plus s’enquérir des bruits de cochon qui venaient de l’infirmerie, quand il laissa l’une des rations un peu trop longtemps dans le Modificateur Temporel, que la viande séchée redevint cochon vivant, et qu’il fallut le massacrer sur place à coups de bistouri parce que l’animal ne voulait pas retourner dans la boite. Personne ne fut étonné, non plus, quand plus tard on retrouva La Petite Marchande de Temps morte dans son lit. Elle paraissait vieille, et elle devait en effet l’être, vu que selon ses fichiers personnels elle avait plus de 342 Standards – un bug des fichiers, conclut le Général, et il avait l’air un peu embarrassé en disant cela, et pour la première fois George se fit la réflexion qu’il était petit, comme ratatiné, et qu’il semblait difficile de lui donner un âge, à lui aussi…

Elle devait être douée en maquillage, hein, mon Général ?, dit George. Elle m’a toujours paru assez jeune, jamais je ne l’ai vue changer, jamais une ride… Un peu comme vous, en fait.

Suivez-moi, officier Cuisinier, ordonna le Général.

George le suivit, sur ses gardes, et au premier tournant de couloir, le Général se retourna et lui déchargea un Pacificateur en plein visage. Le choc le mit au sol, et quand il se releva, il sût qu’il était foutu. Il n’arrivait même pas à vouloir se rebeller, ou désobéir.

Vous pensez que c’est la première fois que notre secret est découvert, hein ?, chuchota le Général dans son oreille. Vous pensez que c’est la première fois que vous, vous le découvrez ? Mon pauvre cuistot… Et à chaque fois, vous vous contentez d’utiliser cette superbe invention pour nous servir des produits frais. Je vais vous dire quelque chose, Officier Cuistot, quelque chose que même Marie Chantemps n’a jamais su, malgré l’accord que je passe avec elle à chaque fois pour avoir accès au Caisson… Cette machine peut ramener ce qui entre dedans à un point du temps précédent, ou lui voler son temps en l’envoyant plus loin. Mais il y a un autre mode de fonctionnement, un mode que même Marie Chantemps ignore à chaque fois, un mode qui permet de modifier le temps à l’extérieur de la machine… Je vais vous expliquer comment mettre en marche ce mode, et je vais entrer dans ma machine, et vous et moi, nous nous reverrons il y a vingt standards, et vous aurez oublié tout ceci. Et moi, j’aurais de nouveau des prisonniers à utiliser, et toute une vie supplémentaire à vivre…. Jusqu’à ce que l’on signe une nouvelle paix, et que vous décidiez encore de vous en mêler.

Cette guerre durait depuis tellement longtemps que tout le monde avait oublié comment elle avait commencé. En posant le pied pour la première fois sur le sol de l’astroport de la base, George se demanda combien de temps il resterait ici. Pas trop longtemps, il espérait. Il n’avait aucune envie de passer sa vie ici.

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