Votes pour le match d’écriture des Utopiales 2017 : « Le soleil ne se déplace plus »

Un thème pour le moins étonnant. Qu’entend-on par « Le soleil ne se déplace plus » ? Une vision du monde qui change ? Un arrêt soudain d’un mouvement du système solaire ? Qu’auriez-vous imaginé, compris, et surtout écrit !

Voici le résultat des différentes équipes de ce jour.

  • La compagnie d’argent
  • Courage
  • Point de vue
  • Et pourtant elle tourne
  • Le soleil ne se déplace plus
  • Système binaire
Contrainte 1
Une sculpture de miroirs
Contrainte 2
Un tremblement de terre

LA COMPAGNIE D’ARGENT

Ils appellent ça l’héliostase. Le jour où le Soleil a stoppé sa course. Bien qu’en réalité ce soit la Terre qui a cessé de tourner sur elle-même. Ça ne s’est pas fait en un jour, évidemment. Si tant est que la notion même de jour ait encore un sens… Elle n’en avait déjà presque plus lorsque tout a commencé. Un léger ralentissement de la rotation, quelques minutes en plus d’ensoleillement… Mais en été quoi de plus normal ? Personne n’y a prêté attention au début.

Et puis la température s’est mise à grimper. En journée seulement. Les nuits, elles, sont devenues glaciales, polaires… Les cultures brûlaient au soleil et gelaient sous la lune. Les gouvernements n’avaient même plus à se soucier des émeutes qui avaient secoué les différents états de la planète au début de l’héliostase – les changements de températures terrassaient les plus virulents, obligeant chacun à se terrer dans les moindres structures souterraines qu’il était possible de trouver : grottes naturelles, réseau d’eaux usées, lignes de métro… les variations y étaient beaucoup moins marquées.

Plus tard « les scientifiques », comme disaient les journaux, avaient mis l’évènement sur le compte d’un tremblement de terre enregistré sous la cordillère des Andes quelques semaines avant le premier ralentissement perceptible.

Cela n’a plus vraiment d’importance. Quand bien même nous aurions pu le prévoir, nous n’aurions rien pu faire pour le contrecarrer.

À quoi bon chercher un coupable.

Les cycles jour-nuit avaient vite dépassé de très loin les vingt-quatre heures. Et de par le monde des religions en tout genre naissaient, vouant un culte au Soleil ou au contraire le diabolisant. Fanatiques ou rationnels acharnés, tous se lançaient dans leurs propres spéculations quant à l’arrêt final de la rotation, la dernière station sur la ligne, le « terminus tout le monde descend ». C’est finalement tombé sur l’océan indien (comme s’il n’était pas déjà le plus chaud du globe) … Pas tout à fait au-dessus cela dit : ce qui était à l’époque l’Australie en a pris un sacré coup, la Chine a dû évacuer son milliard d’êtres humains au plus vite, relocalisant au milieu du Sahara maintenant emprisonné sous d’épaisses couches de neige, sans parler de la Mongolie, de l’Inde et des petites îles du pacifique ouest tombées sous le joug de la fournaise.

Quant à l’autre face de la Terre… Une véritable ère glaciaire.

La seule partie du globe encore tempérée ne représente plus qu’une mince bande circulaire courant à la surface des terres et des mers, traversants les différents parallèles, tropiques et cercles polaires. Une fine ceinture luxuriante à la lisière de l’enfer sur Terre, dos aux océans de glace. Le nouveau grenier du monde. Et le lieu de rencontre des touristes les plus riches de la planète – sortie en motoneige le matin et plongée dans des eaux à trente-sept degrés le soir, avec un petit passage par le terrain de golf vert émeraude. La destination de rêve pour tous les jeunes mariés – un coucher de Soleil perpétuel, ou lever, à votre guise.

Nous autres, le bas peuple, nous vivons dans les déserts de glace de l’Europe de l’ouest. Les villes ne s’élancent plus vers le ciel comme jadis. Les bâtiments les plus bas ont été totalement isolés du froid, les rues principales ont été recouvertes de dômes en plexiglas renforcé quadruple vitrage, autorisant un passage sûr entre les points d’intérêt au sein des cités. Et les étages au-delà du troisième ont été abandonnés, jugés impropres à une quelconque activité humaine – terminé l’âge d’or des gratte-ciels. Au lieu de cela, nous creusons. De véritables complexes sous-terrain courent à présent sous ce qui était il y a soixante ans les mégalopoles d’autrefois. Une véritable manne pour les compagnies islandaises qui ont vendu leurs technologies d’exploitation de la géothermie pour la production d’électricité. Elles règnent à présent sur la distribution mondiale (hémi-mondiale) d’énergie, un parfait monopole.

Mais là n’est pas le vrai potentiel. Ce n’est ni la géothermie, ni les stations balnéaires de Somalie, ni même les champs de soja de la ceinture.

Non, le vrai potentiel c’est nous, la Compagnie, qui le possédons.

Nous apportons le Soleil d’autrefois aux foyers enneigés du futur. Les gens appellent ça les champs d’argent. Un réseau titanesque, tentaculaire de miroirs, prismes et autres surfaces réfléchissantes pour courber la puissance du Soleil à la surface de la Terre. À vrai dire, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. Les champs d’argent ne sont là que pour asseoir la notoriété de la Compagnie, installés pour nous par des travailleurs tirés du milieu carcéral – un double service rendu à la population – après tout, qui d’autre pourrait être assez fou pour s’aventurer sous les rayons perpétuels du soleil. Et puis, au bout de cinq années de service, ceux qui ont survécus ont l’autorisation réintégrer la société pour une vie presque normale. Ils ne sont de toute manière plus en mesure de nuire à qui que ce soit pour très longtemps, ben souvent ils succombent à des infections de leurs brûlures ou à des cancers métastasés provoqués par une exposition prolongée aux ultra-violets.

Le corps de la Compagnie, la partie immergée de l’iceberg de feu, ce sont les hélioducs : d’immenses câbles optiques enfoncés dans la croûte terrestre, véhiculant les rayons solaires depuis la zone où l’astre est à son zénith planétaire jusque dans les villes prisonnières de leur gangue de glace à l’autre bout du monde. Vu du ciel, le point de captage ressemble à un monstrueux globe oculaire, quasi insectoïde, constitué d’une myriade de demi-sphères de la taille d’un stade olympique – les extrémités dénudées des câbles optiques. Le tout entouré des champs d’argent s’étirant vers l’hémisphère froid comme une toile d’araignée de cristal.

C’est ça, la Compagnie d’argent : le Soleil à portée de tous, mère la Terre changée en un œil scrutateur posé sur l’astre du jour, un iris de verre au travers duquel se déverse la puissance de ses rayons vers la rétine de l’humanité.

Louée soit la Compagnie.

Louée soit l’héliostase.

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