Votes pour le match d’écriture des Imaginales 2021 : « Je ne comprends pas ce qu’on me dit »

Communiquer est, dit-on, essentiel. Mais entre ce que l’on dit et ce qui est compris, parfois, il y a un gouffre…

  • Un plan (presque) parfait
  • « 11 : 1-9 »
  • Savoir vivre
  • Je ne comprends pas ce qu’on me dit
  • Sur un malentendu
  • Epuration
Contrainte 1 Un psychopathe de pacotille
Contrainte 2 Il y a très longtemps à l’autre bout du monde

UN PLAN (PRESQUE) PARFAIT

Aujourd’hui, c’est le grand jour !

Le jour où je vais enfin pouvoir remonter le temps pour tuer Frank Herbert avant qu’il écrive Dune !

D’une part ça lui apprendra à crever avant d’avoir achevé sa saga en nous laissant sur un foutu cliffhanger de folie ! Non mais franchement c’est scandaleux, il l’a forcément fait exprès ! Pour faire chier ses lecteurs ! Ça mérite la mort direct !

D’autre part je pourrais publier Dune sous mon nom, devenir immensément riche et célèbre ! Et surtout offrir une fin digne de ce nom à ses… ou plutôt à mes lecteurs adorés.

Mon plan est parfait. J’ai passé des mois, que dis-je, des années à le peaufiner. J’ai rassemblé tout le matériel nécessaire et je sais que l’inventeur et propriétaire de la machine, le Professeur Von Mendeleïev, est parti négocier un contrat à l’autre bout de la ville. Je l’ai interrogé en me faisant passer pour un journaliste pour le savoir ! Et aucune chance qu’il me soupçonne, j’ai passé des mois à publier un faux journal sur le web pour avoir l’air crédible. J’ai même opté pour le format papier il y a quelques semaines ! C’est dire si je suis méticuleux.

Bref, il est temps de mettre mon plan parfait à l’œuvre.

Tout d’abord, passer le portail du manoir. Très Facile ! La clé magnétique, que j’ai payé une fortune à faire fabriquer fonctionne au poil.

Ensuite, ne pas alerter les chiens-robots. Facile ! J’ai fabriqué à la main des centaines de turbo-croquettes pour les amadouer, ils me les mangeront dans la main ! Comme prévu, les chiens m’approchent d’un air féroce, mais je disperse vite les turbo-croquettes et ils s’élancent à leur poursuite.

Puis, entrer dans le manoir en passant la reconnaissance oculaire. Moins facile ! J’ai passé un diplôme d’ophtalmologiste pour pouvoir prendre des photos hautes définitions du fond de l’œil de Von Mendeleïev, pour ensuite le reconstruire parfaitement grâce à une imprimante 3D que j’ai rachetée à la NASA… Mais toute la difficulté de cette tâche consiste à imiter le tic de tremblement du Professeur en agitant l’œil pile au bon rythme…

Ensuite, traverser l’entrée et le salon en esquivant les rayons laser. Pas facile ! Des années que je m’entraîne à la capoeira avec le meilleur enseignant du monde et que… Ah ben le générateur des lasers vient d’être détruit par une turbo-croquette égarée. La chance me sourit ! C’est un signe que mes actions sont parfaitement légitimes !

Après il ne me reste plus qu’à localiser le passage secret qui me mènera au hangar. Facile ! Un de mes drones-caméra infrarouge, racheté au marché noir à l’armée américaine, m’indique une cloison derrière le tableau d’un grand type barbu. Un tir de précision au bon endroit et… Aïe ! Le coin du tableau m’est tombé sur le pied. Mais ce n’est qu’un incident mineur sur ma route pour la victoire !

Esquiver les fléchettes empoisonnées, nager dans le bassin des crocodiles, courir pour ne pas se faire écraser par la boule de métal géante, tout cela n’est qu’un jeu d’enfant pour qui a fait son service militaire en Australie et regardé 57 fois Indiana Jones !

Enfin la machine ! Ouvrir la portière en tournant douze fois la manivelle dans le sens des aiguilles d’une montre, s’authentifier avec la reconnaissance faciale… Vraiment pas facile ! J’ai du décapiter le frère jumeau du professeur puis conserver sa tête dans une bouteille de formol et la garder dans mon sac à dos. Et là ça fait plus d’une heure que je m’efforce de la rafistoler aux agrafes parce que la bouteille s’est brisée suite à mes acrobaties. Camelote… Mais rien ne m’arrêtera ! Ma mission est sacrée ! Ce ne sont que des épreuves pour prouver ma détermination !

Ça y est ! La machine est à moi ! Je n’ai plus qu’à appuyer sur ce gros bouton rouge pour l’activer et c’est partiiiiiii !

Quelques instants plus tard, la machine s’arrête et les portières s’ouvrent. Je me jette dehors ! A moi les États-Unis des années 60 ! Sus à Frank Her… Minute. Pourquoi le sol est en terre battue ? D’où vient cette puanteur ? On dirait du crottin de cheval ! Pourquoi les gens sont ils habillés comme au moyen-âge ? Pourquoi les maisons sont-elles en bois et en torchis ?

C’est sans doute une petite fête à thème historique, ou un village de hippies, pas de quoi s’inquiéter, allons nous renseigner… J’interpelle un passant dans la rue.

— Dites-moi, mon brave, où puis-je trouver la demeure de M. Frank Herbert ?

— Izvinitié, ya nitchevo nié ponial, povtoritié posjalouysta ?

Je le fais répéter une dizaine de fois, je demande à quelqu’un d’autre, qui me réponds dans le même jargon incompréhensible, puis à un autre, et à un autre… Impossible de se faire comprendre, c’est à en devenir fou !

Soudain le doute m’assaille. Je repars en courant vers la machine. Oh merde. Oh ! Merde ! OOOH MEEEEEEERDE !

J’ai oublié de changer la date !

11 : 1-9

Mes racines sont profondes. Mes fondations sont implantées dans le cœur même de la terre. Les premiers hommes m’ont bâti dans la roche la plus dure afin que je dure mille ans. Et mille ans encore.

Et je me tiens là. Droit. J’essaye. Je chante encore pour les hommes, je leur rappelle encore qui ils sont. Je suis le souvenir qu’ils viennent regarder, les signes qu’ils cherchent à comprendre. Je suis là pour leur parler. Alors je parle. Je ne sais pas m’arrêter de parler. Je leur raconte tout. Le temps. Le passé. L’avenir aussi, parfois. Je leur parle d’eux. De leurs amours. De leurs morts inéluctables, moi qui ne vais jamais mourir. Je suis là pour rester.

J’ai vu naître le monde. Et j’ai compris ma première et singulière douleur.

— Toi, la jolie fleur qui pousse contre mes pierres, élève tes pétales. Le jour arrive. Mais prend garde, le froid aussi.

Silence.

La fleur me répond. Je ne comprends pas.

—  Ce n’est pas grave jolie fleur. Viens, je vais te couvrir d’ombre pour les jours de grand soleil. Et quand il fera froid, je ferais naitre la chaleur. Blottis-toi.

Me parle-t-elle ? Je ne sais pas. Je ne comprends pas.

 

Je ne comprends jamais. Un millénaire à parler des choses du monde, et jamais on ne vient me conter, à moi, ces choses-là. Les graines ont connu des vies qui me sont étrangères. Elles auraient tant à m’apprendre. Mais leur langage, je ne le connais pas. L’ai-je oublié ?

— N’ai pas peur l’oiseau, viens ! Je vais te parler de ton nid. Il y fait assez chaud pour ta prochaine portée. N’aie pas peur. Viens, et parle-moi, toi aussi.

Brouhaha.

L’oiseau reste sur mes tours. Elles sont hautes et toisent le monde. De là-haut, l’oiseau est puisant. Il voit aussi loin que moi, et dans son regard je sais qu’il veut me parler. Je sens son plumage s’agiter et son bec s’ouvrir. Je fais trembler mes pierres et il comprend que la tempête arrive. Il connait ma voix. Il sait la comprendre.

Brouhaha. Je ne comprends pas.

Me dit-il merci ? Ses ailes battent l’air et il s’envole. L’oiseau revient souvent. Il aime m’écouter parler. Mon savoir est immense et il saisi tout ce qu’il peut. Et il aime se reposer sur mes sommets : lui aussi peut toiser ceux d’en bas.

 

Le temps m’use. Ma voix résonne encore. Elle sera encore là pour les siècles à venir.

Mais qu’est-ce là ? Quatre pattes, un pelage brun, une démarche lancinante.

— Viens, approche, étrange créature. Comment t’appelles-tu ?

— Cghjk jhgc cgj cghj

Je ne comprends pas. Je ne comprends jamais. J’aurais tellement aimé discuter avec cet animal.

— Viens te blottir à l’intérieur de mes salles. J’allumerai de grands feux pour toi, je te chanterai des chansons. Viens et parle-moi.

— Cghjk jhgc cgj cgjhd

L’animal caresse mes pierres. Ses oreilles rondes et velues me chatouillent, j’en ronronne de plaisir. Il se met debout sur ses pattes arrières, être gigantesque, et de ses griffes puissantes lacère mes parois. J’aime moins. Le bruit me dérange. Mais au moins est-ce un bruit. Un son qui nous unit, moi et lui. Une connexion. Un lien. Nous avons communiqué. Je le protège durant tout l’hiver. Il se réveille au printemps suivant et me quitte. Je ne l’ai jamais revu. Mais d’autres comme lui sont venus. D’autres créatures, toutes plus belles les unes que les autres. Des œuvres vivantes qui se sont répandues sur la terre. Mais je ne les comprends pas. Je ne comprends pas ce qu’on me dit. Jamais. Qu’importe qui vient se frotter à moi. Nos langues divergent. Je suis seul. Et je parle. Entendez-ma voix. Répondez-moi. S’il vous plait. Répondez-moi.

 

J’ai vu passer les rois, les guerres, les morts et les gloires. Puis ce sont les saisons qui m’ont vu passer. Me flétrir. M’affaisser. Je tiens encore. Il le faut bien. Je dois rester, ainsi doit-il en être, et parler, pour qu’un jour, on me parle en retour. Mais je m’éteins. Je le sais. Je le sens au plus profond de mes entrailles. Même les pierres doivent s’étioler.

J’étais autrefois de ces palais merveilleux. Tantôt, mes tours de verres jouaient avec les rayons du soleil, tantôt elles dansaient avec la lune. Je me souviens de ma splendeur. Je me souviens du silence.

On venait des quatre vents du monde pour admirer ma beauté hyaline. Les hommes m’avaient donné un nom qui s’est perdu dans les âges. Je le sais, mais je ne l’ai jamais compris. Aujourd’hui, je ne suis plus que des ruines. Un sarcophage d’herbes et de fleurs. Un perchoir pour oiseaux. Une cicatrice sur la terre. Un souvenir qui s’estompe. Ma voix se perd. La leur, je ne l’ai jamais connue. Est-ce là ma punition ? Divine damnation pour avoir eu la prétention de toucher à l’immortalité ?

Un marcheur se pose entre les amas de pierres mousseuses. Sa barbe est sale, son dos vouté par le labeur et non le temps. Il tient en bride un âne gris. Ce dernier vient brouter les touffes d’herbes folles qui me poussent entre les pierres. Le marcheur s’étire, je le sens fatigué.

— Repose-toi, marcheur. Je suis là pour aider les âmes en peine.  

Il contemple le soleil et trésaille. A-t-il entendu ma voix ?

— Ge en afir sap tirez

Il converse. Je ne comprends pas. Mais je sais qu’il a entendu ma voix. Elle est encore là. Je souris sous la couche de terre et de poussière qui m’enserre. On entend encore ma voix. Il saisit du lierre et commence à tresser une couronne de ses doigts noueux.

— Raconte-moi le monde, marcheur. Je ne le vois plus à présent. Je connais les tréfonds de la terre, j’y suis encore. Mais mes tours ne caressent plus les nuages et ne voient plus par-delà l’horizon.

— El dem afir reil dep mour

— Ce n’est pas grave si je ne comprends pas. Parle-moi encore, marcheur. Parle. Parle et fais-moi vivre dans tes mots. Redonne-moi un nom. Redonne-moi une voix. Parle !

Le marcheur se tait. Il a mal au dos. Mes pierres sont trop dures. Il a fini de tresser sa couronne. Il y glisse des bleuets et des coquelicots. L’ensemble est beau. Je m’émeus de son ouvrage et je lui dis. Alors, il sourit et dépose la couronne sur ma plus haute tour, à hauteur de ses hanches. 

 Il s’en va.

— Reviens ! Reviens ! Je peux te donner de l’ombre et de la lumière. Je peux te montrer le monde. Je peux t’accueillir et refaire naître le feu ! Reviens !

Mais le marcheur s’en va, et il ne reviendra pas. Je le sais. Il comprend mes mots, mais il est las de notre échange. Il s’en va. Il me tourne le dos. Mais le vent m’apporte ses mots :

— Des dftruc hjtion Babel.

Contrainte 1 Le manuel du savoir-vivre
Contrainte 2 À table

SAVOIR VIVRE

Quatre assiettes. Trois verres. Trois fourchettes. Trois couteaux. Deux petites cuillères.

Tout cela pour une seule personne.

Doméric étudia sa place avec circonspection.

Les assiettes de fine porcelaine étaient de tailles et de profondeurs différentes, imbriquées les uns dans les autres. Les verres, taillés dans le plus transparent des cristaux, rappelaient les tours d’un château : un solide donjon, une haute et fine tour de guet, une tour d’angle tarabiscotée. Les couverts d’argent ouvragé étaient tous de tailles différentes.

Il compta – lentement, parce qu’il n’était pas très bon compteur.

— Quelle est donc cette diablerie, marmonna-t-il. Pas une seule fourchette ici n’a le même nombre de dents. Les finances du royaume doivent être bien mauvaises si le roi n’a plus un seul service d’argenterie complet.

— Vous semblez perdu, mon cher, dit une petite voix éraillée derrière lui.

Doméric se retourna pour découvrir la plus improbable des sorcières, qui le regardait par en-dessous. Doméric était grand, très grand, et la vieille dame qui l’avait interpellé était ratatinée comme un prisonnier oublié pendant quelques années dans la plus basse de plafond des prions du roi. Le chapeau qu’elle portait était typiquement un chapeau de sorcière, il en était sûr. Doméric n’avait jamais vu de sorcière, mais on lui avait dit qu’elles avaient de grands chapeaux sus lesquels pouvaient se cacher des rats ou des chauve-souris, et vue la taille de celui-ci, il pouvait probablement abriter un loup de bonne taille. Quelques fleurs et fruits se trouvaient d’ailleurs dessus. La robe n’était pas en reste : un instant, Doméric se demanda si un cheval ne se cachait pas sous l’improbable amoncellement de tissus divers qui recouvrait le corps de son interlocutrice.

Entre le haut de la robe et le bas du chapeau, il y avait un visage ridé comme un pruneau oublié et fardé comme un bouffon ivre.

— Comtesse de Rotschilde, pour vous servir, déclara l’arrivante.

Tout s’éclairait.

— Si vous êtes là pour servir, pitre, qu’attendez-vous pour aller chercher un flacon de vin ou quelque chose dans ce genre ?, gronda-t-il. Je meurs de soif !

La vieille bouffonne écarquilla les yeux en une hideuse grimace.

— Je… ne suis pas céans pour servir le vin, dit-elle. Je puis en revanche vous instruire dans l’art de le déguster. Ainsi que dans l’usage des différents instruments que vous voyiez sur cette table. C’est ce que je me proposais de faire. Voyez-vous, je suis connue pour avoir écrit un ouvrage que l’on considère souvent comme étant le livre de référence concernant le savoir-vivre et les arts de la table.

Doméric savait ce qu’étaient des livres, bien entendu. Il y avait le livre saint. Et il y avait les autres, qui se révélaient utiles quand venait le temps de passer aux latrines.

— Ces petites fourchettes, par exemple, continua l’invitée, je suis sûre que vous vous demandez à quoi elles servent.

— J’ai connu un coupe-jarret qui dissimulait ainsi de petites lames entre chaque phalange, répondit-il pensivement. Il appelait cela le « poing griffu ».

Joignant le geste à la parole, il saisit deux petites fourchettes pointues et les installa entre ses doigts.

— Cela fait une arme aussi perverse qu’efficace, qui permet de surprendre un adversaire qui ne s’attendrait qu’à un coup de poing, et de lui arracher les yeux avant qu’il ne puisse riposter, continua-t-il.

La sorcière se mit à rire, puis commença à déclamer un genre d’étrange poème qui très vite donna mal à la tête de Doméric, qui n’avait jamais été porté sur la poésie. Il y était question de coudes à ne pas mettre sur la table et de bonnes manières compliquées à respecter.

Distraitement, Doméric tendit la main pour saisir l’un des fruits sur le chapeau. Il avait faim, et peut-être était-ce ainsi que l’on servait les amuses-gueules, à la cour ?

— … Et c’est pour cela que j’ai écrit cette règle, chaque couvert doit avoir un unique usage, et chaque couvert doit être ainsi disposé pour que l’on s’y sache rapidement à quel usage il se destine.

— C’est donc vous qui avez mis disposé ainsi ces couverts, pantin ?, gronda de nouveau Doméric Vous deviez être ivre, certainement ?

— Un problème, Chevalier ?

Le nouveau venu était probablement un autre type de bouffon, vu son accoutrement chamarré. Le roi aimait habiller ses servants ainsi, supposa Doméric. Pourquoi, il n’aurait su le dire. Les us et coutumes de la cour étaient bien mystérieux. Les camps de soldats et autres champs de batailles avaient des règles plus simples, et des atours moins tapageurs.

— Regardez cette table, dit Doméric. Cela n’a aucun sens, et cette bouffonne maquillée comme une carriole volée essaye de me faire crorie que tout ela est délibéré ! Mais je ne goute guère la plaisanterie lorsqu’elle s’applique à mes dépends. Ce ne sont point des couverts que je vois là, mais certainement les instruments de torture de quelque bourreau. Qui aurait besoin d’autant d’ustensiles pour se restaurer ?

— Les gens bien élevés, monsieur. Monsieur… ?

Domeric attendit le reste de la phrase, qui ne vint pas.

— Monsieur… ?, reprit l’autre.

C’est bien ma veine, pensa Doméric. Voilà que je tombe sur un bègue. Il attendit de nouveau.

— Monsieur, quel est votre nom, enfin !?, fini par lâcher l’autre.

— Mon nom ? Je suis le Chevalier Doméric, dit Doméric le Dévot, soldat de la Foi et héros de guerre, et vous allez me parler sur un autre ton, saltimbanque !, s’emporta Doméric.

C’était la première fois qu’il était invité à la cour, et il s’était attendu à ce genre d’outrage. Ils les entendaient tous, murmurer dans son dos. Ils disaient qu’il n’était pas un noble. Pas vraiment un chevalier. Qu’un soldat, aussi doué soit-il, n’avait que faire à la cour.

Un attroupement s’était maintenant créé. Un attroupement de garde et de bouffons, constata Doméric. Il n’y avait là que des uniformes, ou des déguisements tous plus ridicules les uns que les autres, et ils commençaient à l’étouffer.

— Arrière, laquais. Vous m’insupportez. Quand donc vont arriver les autres invités ? Pourquoi suis-je seul au milieu de cette marmaille piaillante de serviteurs et de pitres ? Pourquoi ne m’a-t-on encore rien servi ? Je meurs de faim, et si je n’avais pas vidé un tonnelet avant de venir, je mourrais de soif ! Se moque-t-on de moi ? Je pense que le Roi en prendra ombrage. Je suis le héros de la bataille des Trois Rivières, ne l’oubliez pas !

— Monsieur, la porte est derrière vous, dit soudain un garde. Nous vous saurions gré de l’emprunter céans. Votre invitation était manifestement une erreur.

— Comment ça ?, dit Doméric ? Je ne suis pas à la bonne adresse ? Pas le bon jour ?

— Je pense que tu ne comprends pas ce que l’on te dis, le bouseux, reprit l’autre. Tu insupportes tout le monde. Dégage d’ici.

— Je ne comprends pas ce que l’on me dit ? JE NE COMPRENDS PAS CE QUE L’ON ME DIT ?

Le garde avança une main vers son bras.

Doméric lança un poing vers son nez. Le « poing griffu », celui dans lesquels il tenait, encore, une des petites fourchettes entre chaque phalange.

Deux respirations plus tard, les cris fusaient, les coups retentissaient, et Doméric, enfin, était de retour dans son élément. A ses pieds, le garde hurlait de douleur. Autour de lui, les pitres s’égaillaient en courant, les gardes accouraient, armes à la main.

— Ainsi donc c’était un traquenard ! cria Doméric. Le roi a donc si peur de l’aura de ma gloire qu’il préfère me faire supprimer dès maintenant ?

D’un coup de pied, il envoya valdinguer une chaise dans un garde. Avant de trouver la foi et de devenir Soldat Saint, il avait été brasseur dans le pire bar de la capitale. Ainsi appelaient-on les gens chargé de mettre dehors les clients qui déclenchaient des bagarres – parce qu’ils étaient le plus souvent d’une carrure suffisante pour arracher des bras à mains nues, lui avait-on dit. De cette période, il avait acquis une expérience certaines des combats d’auberge. Il n’avait pas d’arme ? Qu’importe, pensa t-il en se jetant sur les petits ustensiles éparpillés sur les tables.

Comme à chaque combat, il laissa son corps parler. Des assiettes et vases volèrent, des tables furent renversées, des assaillants furent lancés par les fenêtres et dans les escaliers. Ils étaient nombreux, certes, mais Doméric avait avec lui la rage des justes, et les Dieux, il en était certain. Un moment, il envisagea de massacrer toute la garnison et de s’approprier le trône. Le Roi lui avait tendu un piège, c’était sûrement la chose juste à faire, dans ce genre de cas ? Mais même pour le héros de la bataille des Trois Rivières, les opposants étaient trop nombreux, il s’en rendait bien compte. Après avoir fracassé une douzaine de crânes et moitié plus d’os divers, il opéra un retrait tactique – en fonçant en hurlant à travers une fenêtre.

Il fallut encore massacrer quelques gardes, deux garçons d’écurie et un cheval trop peu coopératif, mais quelques instants plus tard, Doméric galopait horx des murs du château. Dès qu’il fut suffisamment éloigné, il abandonna sa monture et alla se perdre dans les pires ruelles de la capitale. On le rechercherait, il le savait. On le traquerait. Sa vie serait celle d’un fugitif, d’un criminel. Ou plutôt d’un rebelle, décida-t-il. Le roi avait tenté de l’humilier, de l’assassiner ? Le Roi craignait sa réputation ? Le Roi avait bien raison ! Il lèverait d’abord une bande, une bande qui deviendrait une armée, une armée qui bientôt serait le peuple, et ensemble ils renverseraient ce roi corrompu et sa cour peuplée de sorcières peinturlurées et de bouffons emplumés.

Cela prendrait du temps, il le savait. Il lui faudrait se cacher dans les bois, manger ce qu’il chasserait, boire l’eau des ruisseaux. Cela ne lui faisait pas peur.

Mais avant de quitter la capitale, il voulait s’accorder un dernier plaisir.

Ses pas le guidèrent jusqu’à l’auberge ou, dans une autre vie, il avait officié comme brasseur. Une unique table, à laquelle une vingtaine de mines patibulaires étaient déjà assises, trônait au milieu de la salle enfumée.

Doméric s’assit sur un vilain tabouret de bois et fit signe à la matrone qui s’affairait près d’un grand chaudron fumant. Ici, les mots étaient inutiles. Il n’y avait pas de menu. La maison ne servait qu’une seule chose : une mixture qu’on appelait, d’après sa couleur, « bol de brun ». Dedans entrait à peu près tout ce que le patron avait pu se procurer et qui paraissait vaguement comestible.

Dans le bol que la matronne lui apporta, il reconnut des petits os, probablement du rat ou du pigeon. Il avait de la chance. C’était jour d’abondance.

Il saisit le bol à deux mains et engloutit le jus d’un trait, avant de piocher avec ses doigts les os sur lesquels quelques morceaux se trouvaient encore. Se battre avait encore creusé sa faim.

Quand il fit signe à la matrone de le resservir, il surprit quelques regards envieux. Un bol de brun ne coutait quasiment rien. Mais ceux qui venaient manger ici étaient des moins-que-rien, qui ne pouvaient pas se payer plus d’un bol par jour, quand ils avaient de la chance.

Soudain, il se rappela qu’il transportait sur lui une bonne partie de sa solde, qui lui avait été payée juste avant qu’il ne se rende au Palais. Il saisit sa bourse et l’envoya à la matrone.

— A table !, cria-t-il à la cantonade. Venez manger, tous, c’est moi qui régale, hurla-t-il en direction de la rue.

Une foule de mendiants et de miséreux ne tarda pas à se masser à la porte. Ces affamés, il le savait, étaient le premier contingent de sa future armée. Quand ils auraient le ventre plein, il leur ferait un discours. Doméric se saisit lui-même des bols pour les faire passer à qui demandait.

De simples bols de bois, grossièrement taillés. Pas même une cuillère pour aller avec. Autour de lui, il entendait les slurp et les gloups de ses invités qui se jetaient sur la nourriture.

Enfin des gens qui savent vivre, pensa-t-il.

Contrainte 1 Un top model non-modifié
Contrainte 2 Un banquet protocolaire

JE NE COMPRENDS PAS CE QU’ON ME DIT

Guillaume termina de désinfecter la cuisine avant de se diriger vers la salle de bain. En quelques minutes, il était lavé de toutes les saletés accumulées dans la journée, mais ses pensées demeuraient plongées dans un avenir très proche. Lorsqu’il passa devant le miroir, il ne prit pas le temps de se regarder. La voix de son épouse s’éleva depuis la salle à manger :

— Chéri ? Tu es là ?

— J’arrive !

Il enfila son smoking et vérifia son téléphone. Le cabinet du ministre lui avait déjà laissé un message : les ambassadeurs étaient arrivés. Il devait fournir la marchandise d’ici une heure. Lorsqu’il pénétra dans le salon, sa femme se lova contre lui, et il prit une profonde inspiration dans ses cheveux. Elle dégageait une odeur de lavande, et arborait son sourire en coin qui sublimait ses yeux de chat.

— Tu travailles, ce soir ?

Guillaume poussa un soupir.

— Oui… Le ministre reçoit des ambassadeurs pour un dîner protocolaire. Je m’occupe de la fin de la soirée.

— Ah. Il en veut combien, cette fois ?

— Quatre filles, et de la très haute qualité. J’ai déjà appelé Raphaël, il m’a dit que son agence pouvait me fournir des mannequins russes. Mais le ministre insiste pour qu’elles n’aient fait aucune chirurgie, tatouage, piercing ou modification corporelle.

Son épouse le toisa d’un regard indéchiffrable. Il leva ses épais sourcils noirs et lui fit un signe du menton :

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— J’aimerais que tu arrêtes. Les gens disent que tu es mac, et j’avoue que je ne sais pas bien quoi leur répondre…

Guillaume serra les poings et les muscles de son cou se tendirent.

— Ah non ! Arrête avec ça ! Je suis agent ! Les filles ne sont forcées à rien !

— Et les trois petites, il y a trois mois ? s’écria-t-elle.

Guillaume se tut. Après quelques secondes, il grommela :

— Elles sont rentrées chez elles.

Son épouse ne le lâchait pas des yeux.

— Personne ne les a jamais revues.

— Je te dis que ce n’est rien.

— Alors pourquoi tu n’arrives plus à te regarder dans un miroir ?

Elle quitta la pièce sans lui accorder une once d’attention pendant qu’il la suivait des yeux. Guillaume passa ses mains sur son visage et poussa un soupir. La soirée allait être longue.

 

Guillaume se tenait à côté de la Seine, à côté d’un mini-van aux vitres teintées, lorsque son téléphone sonna. C’était le numéro d’une des quatre filles que Raphaël lui avait dit de retrouver dans le 8ème arrondissement quelques heures plus tôt. Lorsqu’il décrocha, il n’entendit qu’une respiration rauque, un cri étouffé, puis plus rien. Quelques secondes plus tard, la communication fut interrompue. Guillaume regarda autour de lui et se rappela les règles qu’il avait fixées avec Raphaël : « on ne rentre jamais dans le bâtiment, on emmène et on ramène. S’il manque quelqu’un, on ne pose pas de questions, tant que le client paye ». C’était déjà arrivé qu’une ou deux filles restent avec un ambassadeur ou un consultant pour la nuit et qu’il n’ait pas à les récupérer. Mais le Ministre venait d’être nommé, et il ne l’avait pas souvent servi. Soudain, il fut frappé d’un horrible doute. Il remonta dans le mini-van et ouvrit la boîte à gants dans laquelle il trouva le registre. Après avoir remonté à trois mois, il trouva enfin le nom du client qu’il servait ce soir pour la deuxième fois. C’était chez lui que les trois filles avaient disparu. Son téléphone sonna à nouveau, le faisant sursauter.

— Putain, Raph, tu m’as fait peur !

— Je crois qu’on a un souci.

Guillaume fronça les sourcils. La voix de son associé était tendue, et cela le mit dans un état d’alerte maximal.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— C’est un petit peu délicat. Le Ministre veut que tu viennes… Nettoyer.

— Nettoyer ?

— Ouais… Écoute, il va payer cinq fois le tarif habituel. Tu peux aller voir ça ? Il a dit qu’il avait tout ce qu’il faut dans l’appartement. C’est au troisième.

 

Dans l’ascenseur, le cœur de Guillaume battait à la chamade. Il entendait frapper le rythme régulier dans ses oreilles, et repensait à l’altercation avec sa femme. Elle avait raison, sans aucun doute. Il aurait dû creuser l’histoire avec les trois filles disparues, mais Raphaël l’en avait dissuadé avec de belles paroles et une immense liasse de billets qui leur avait permis de partir en vacances en Grèce. Il arriva devant la porte du numéro 36. « Le client est déjà sorti par derrière. Tu seras seul », lui avait glissé son associé avant de raccrocher. Guillaume réprima un frisson. Au creux de son ventre, la boule qui lui enserrait l’estomac se fit encore plus lourde lorsqu’il entra dans le loft.

L’ampleur de la tâche était colossale : l’appartement était ravagé. Il essaya d’allumer la lumière, mais les plombs avaient sauté. En s’approchant de l’escalier, il glissa sur une tâche sombre au sol. Lorsqu’il se releva, il orienta la lampe de son téléphone pour voir ce sur quoi son pied avait ripé. Centimètre par centimètre, il suivit la traînée sombre avec le halo lumineux, jusqu’à la porte de la salle de bain. Lorsqu’il distingua enfin l’ouverture, sa bouche s’assécha et des larmes de terreur mêlée d’horreur lui brouillèrent les yeux.

L’une des quatre sublimes jeunes femmes qu’il avait emmené quelques heures plus tôt à la suite du banquet protocolaire entre le Ministre et la délégation sud-américaine se tenait dans l’encadrement de la porte. Mais elle n’avait plus rien d’une créature de rêve : c’était un monstre de cauchemar. Ses mains avaient été mutilées, à vif : sa peau avait été retournée et pendait au bout de ses doigts comme un gant de chair sanguinolent. Le sang qui coulait de sa gorge ouverte tachait sa robe bleu clair et ses yeux avaient la couleur que du marbre. On distinguait derrière le voile ce qui avait été sa pupille. Sa bouche entre-ouverte était édentée, et ses genoux brisés la tenaient à peine debout. Guillaume ne respirait plus. Sa gorge était nouée. Il aurait voulu crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. La morte pencha la tête dans un horrible râle et se précipita sur lui. Guillaume sortit enfin de sa torpeur et se jeta en arrière. Lorsque quatre autres mains lui agrippèrent les chevilles, il croisa le regard de deux des autres filles, elles aussi massacrées. La dernière sauta sur lui et passa ses jambes glacées et violacées autour de son cou. Leur odeur de charogne emplissait l’air, et Guillaume vomit. L’une d’elle le frappa à la tempe et il perdit connaissance.

 

Guillaume se réveilla sur le sol de sa salle de bain, chez lui. Il se releva d’un bond et se précipita en dehors de la pièce. Lorsqu’il vit son épouse, de dos, il fondit en larmes.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? répétait-il en boucle.

Elle parut troublée, mais le prit dans ses bras. Après quelques minutes, les sanglots se calmèrent. Il recula de quelques pas, et son épouse lui demanda :

Guillaume regarda son épouse sans comprendre le moindre mot.

— De quoi ?

Elle secoua la tête à son tour :

 

Mais Guillaume n’écoutait déjà plus. Son cœur battait à nouveau à la chamade. Derrière son épouse, sept ombres le fixaient de leurs yeux morts. Même si leur forme n’était pas la même que le soir précédent, il savait exactement qui elles étaient. Sa femme suivit son regard mais ne parut pas inquiète de ce qu’elle voyait. Elle le fut bien plus lorsqu’elle reposa les yeux sur lui, qui semblait aussi terrifié qu’un enfant devant un film d’horreur.

 

— Mais… Je ne comprends pas un mot !

Elle s’approcha de lui, la mine inquiète. Les sept ombres disparurent avant que sa femme ne l’atteigne. Il les vit du coin de l’œil, derrière sa fenêtre. Il s’écarta de la main tendre que son épouse lui tendait, pas à pas, avant de sortir de sa maison, sans dire un mot. Son voisin leva le bras et lui lança avec un sourire :

Guillaume lui lança un signe de tête hagard avant d’avancer dans son allée. Lorsqu’il arriva devant sa voiture, il vit juste derrière lui dans le reflet la mannequin morte qui se vidait de son sang sur sa robe. Il se retourna d’un saut, le cœur dans la gorge, et ne vit qu’une ombre disparaître aux confins de sa vision.

Il s’assit au volant, et prit une profonde inspiration.

— Ok… Bon. Tu dois être en train de faire un cauchemar. Un cauchemar très réaliste, mais un cauchemar quand même.

Il releva les yeux et aperçut son épouse qui le regardait à la fenêtre. Jamais il n’avait vu autant d’inquiétude dans son regard. Il prit son téléphone, mais se rendit compte qu’il n’arrivait pas à lire dessus. L’écriture lui apparaissait en miroir. Il releva la tête et se figea d’horreur. Les sept visages déformés, putréfiés et tuméfiés des cadavres le regardaient droit dans les yeux, juste devant le capot de sa voiture. Il entendit alors une voix cassée, éraillée, comme si elle venait de très loin et qu’elle n’avait pas parlé depuis des millénaires, lui ordonner distinctement :

— Venge-nous, ou meurs avec nous.

Il avala sa salive dans un effort démesuré.

— Qu’est-ce qui m’arrive ?

Les spectres disparurent un instant pour réapparaître à quelques centimètres de lui.

— Tu es de notre côté des limbes. Venge. Nous.

Puis elles disparurent.

Guillaume se tenait devant la porte du numéro 36. Enfin, il savait que c’était le 36, mais lui voyait le nombre en miroir. Il était parvenu à ne parler à personne depuis son départ de chez lui. Le peu de mots qu’il avait entendus lorsqu’il était rentré dans l’immeuble étaient restés un charabia incompréhensible. Il poussa la porte, s’attendant à revoir le chaos indescriptible qu’il avait laissé le soir précédent. Mais lorsqu’il entra dans le loft, tout était propre, rangé et nettoyé. Rien ne laissait imaginer que quelques heures auparavant, ce lieu avait abrité le meurtre sauvage de quatre jeunes mannequins. Un bruit s’éleva de la salle de bain, et Guillaume sentit son estomac tomber dans ses talons. La voix d’outre-tombe retentit à nouveau dans son esprit :

— Venge-nous ! Venge-nous ! Venge-nous ! Venge-nous ! Venge-nous ! Venge-nous ! Venge-nous !

Le bruit était assourdissant, à un point où même ses autres sens semblaient en être affectés. Sans même y réfléchir, il se dirigea dans la cuisine et saisit un couteau. Lorsqu’il se retourna, les sept spectres à la forme de cadavres tendaient le doigt vers la salle de bain. Le son lancinant lui vrillait le cerveau. Il s’approcha un pas après l’autre, raide, comme un robot, de la porte de la salle de bain. Elle s’ouvrit d’un coup, et Guillaume frappa. Il frappa encore. Et encore. Il frappa tellement que le sang lui gicla dans les yeux, lui rentra dans la bouche. Le goût métallique le fit vomir, mais il frappa encore.

— Venge-nous ! Venge-nous ! Venge-nous !

Soudain, les voix se turent. Guillaume se redressa et s’essuya les yeux du revers de la main. Il poussa un cri d’horreur. Massacré par ses coups de couteaux, son meilleur ami et associé, Raphaël, gisait dans une mare écarlate qui s’élargissait à chaque seconde, son regard vide fixé au plafond, sa bouche déformée dans un ultime cri silencieux. Les sept spectres formaient un cercle autour de lui.

— Tu nous as vengées.

Leurs yeux livides flamboyèrent, et Guillaume perdit à nouveau connaissance.

 

Il se réveilla à nouveau sur le carrelage bleu de sa salle de bain. Son crâne vrillait comme si on lui enfonçait des pics dans la tête, et il avait un goût métallique en bouche. Il prit son téléphone et composa le numéro de Raphaël. Aucune réponse. Il sortit de la pièce et trouva son épouse en train de prendre son petit déjeuner.

— Ça va mieux ?

Guillaume dût se retenir de ne pas sauter de joie.

— Oui ! Oh mon amour, je ne sais pas ce qui s’est passé hier, je ne comprenais rien à ce que tu disais…

Il s’interrompit.

— Comment je suis rentré, hier ?

Son épouse fronça les sourcils et plissa les yeux.

— Tu es rentré en voiture. Tu n’as pas décoché un mot, tu t’es mis dans la salle de bain et tu viens d’en sortir. Tu ne veux pas aller voir un médecin ?

Guillaume secoua la tête.

— Ça ira. Tu as des nouvelles de Raph ? J’ai fait un cauchemar cette nuit.

— Il a laissé un message sur le répondeur du fixe. Il a dit qu’il avait terminé de nettoyer le 36. Rien d’autre depuis.

 

Guillaume ne regardait plus son épouse. Il avait planté son regard dans le miroir accroché au-dessus de leur table à manger, derrière elle. Livide, le regard fixe, le corps lacéré de coups de couteaux et la bouche déformée, Raphaël venait d’y apparaître. Il pencha la tête et fixa Guillaume de ses yeux morts. Dans son oreille, une voix glaciale sans aucune émotion chuchota :

— Je serai dans chaque miroir. Tu les as vengées, mais qui me vengera ?

Son épouse capta son regard terrifié :

Une larme perla au coin de son œil, roula sur sa joue, et son cœur se déchira lorsqu’il lâcha dans un sanglot désespéré :

— Je ne comprends pas ce que tu dis.

Contrainte 1  Un traducteur paranoïaque

SUR UN MALENTENDU

Le service à bord laisse un peu à désirer. J’ai d’abord été enthousiasmé par la proposition de servir d’interprète à l’Omnipotent pour son premier voyage sur les Colonies Affranchies et rencontrer l’Émérite Leire-Dao, mais cet équipage ne connaît rien à l’étiquette. J’ose croire que c’est plus par incompétence que par volonté de nuire.

« Excusez-moi, Sa Seigneurie Omnipotente voudrait des cacahuètes. » L’hôtesse du vide me jette un regard méprisant. Je pense que pinailler sur le service m’a rendu impopulaire auprès de l’équipage.

« Sel ou paprika ?

— Pardon ? »

Son accent est épouvantable ; peut-être vient-elle de Murash. Les courbes de ses branchies laissent deviner une ascendance plutôt harsmu, et je sais que ces gens ont – et c’est viscéral – une défiance par rapport à notre seigneurie. Mais j’ai veillé au grain depuis notre envol : pas le soupçon d’une mutinerie à l’horizon. Et bien heureusement : s’il arrivait quelque chose à l’Omnipotent durant ce voyage vers les Colonies Affranchies, non seulement ce serait la guerre civile, mais en plus, ma tête décorerait le porche du Ministère des affaires intergalactiques, au bout d’une pique. Et moi, personnellement, j’ai le vertige.

« Nous avons des cacahuètes au goût sel et au goût paprika. »

Elle me nargue, l’harsmu.

« Nature, voyons. C’était dans le protocole.

— Tout de suite Monsieur Vanhalek. »

Cette façon de dire Monsieur, cet accent, vraiment, si j’avais su que des membres de l’équipage viendraient de ce système solaire, je m’en serais vivement opposé. Mais le service des Ponts Diplomatiques Interstellaires m’a assuré avant d’embarquer que la navette serait sûre.

Sûre !

Quelle farce ! Pas de tracing ADN, ni de bornage systématisé, la synchronisation entre nos balises intradermiques et le mapping de bord prend une plombe. Comment être certain que l’Omnipotent est en sécurité ? Un hacker pré-pubère pourrait cracker la clé de l’appartement présidentiel et j’ai dû faire des pieds et des mains pour renforcer la porte des omnipotentes toilettes qui n’était pourvue que d’un simple verrou. Pour le dernier voyage diplomatique de ma carrière, c’est un véritable défi d’accompagner cette cible vivante. Bientôt la retraite, et quelle retraite !

 

Les cacahuètes nature en main, je me dirige vers l’omnipotent appartement en surveillant le bornage de ma propre avancée, et je peste. « Les mises à jour du système auraient pris trop de temps », m’a expliqué le commandant de bord. Et quand je m’en suis plaint « Ce voyage aurait mérité d’être mieux planifié. »

Comme si c’était de ma faute si les Colonies Affranchies avaient déclaré leur indépendance ! L’Émérite Leire-Dao peut s’estimer heureuse que l’Omnipotent lui accorde une entrevue avant d’envoyer sa flotte martiale.

J’appose ma main sur le pad du verrou, la lecture prend jusqu’à cinq secondes. La porte s’ouvre enfin. J’aperçois l’omnipotente silhouette bedonnante se tournant sur elle-même, dans un nouveau costume d’apparat, qu’un tailleur retouche minutieusement. Il lisse d’une main manucurée sa frange de cheveux blonds, mettant ainsi en valeur son teint hâlé lors de ses récentes vacances au bord des Mers Visqueuses. Je rêve d’y emmener mes petits enfants ! Ce sera une nouvelle tradition familiale, une fois que j’aurai pris ma retraite. Soudain, Halvilia, son omniprésente assistante, me tend la main.

« C’est pas trop tôt ! »

J’y glisse le paquet de cacahuètes et je saisis l’occasion :

« À propos du discours, est-ce que je pourrais… » VLAN. La porte se referme sur mon nez.

 

Je suis à une mission de ma retraite, j’ai attendu cette opportunité toute ma vie, et en trois mois, quatre jours et seize heures, je n’ai jamais pu parler directement à l’Omnipotent. Comment suis-je sensé le traduire correctement ?

Si la mission n’était pas de catégorie urgence diplomatique de type 1 (c’est à dire, guerre intergalactique probable), je penserais qu’on essaie de m’envoyer au casse-pipe. Je me dis « Allez Vanhalek, encore quelques heures et tu prends ta retraite, et avec les honneurs, et qu’est-ce que ça fera beau sur ton poêle à plastique, un instantané entre l’Omnipotent et l’Émérite Leire-Dao. » L’homme le plus puissant de la galaxie rencontrant la femme la plus puissante des Colonies Affranchies.

« Reprends-toi, Vanhalek. » La vision du cadre – je le possède déjà, il est en écailles de jurais – me donne des forces. J’ai déjà traduit du iomensien. Rien de compliqué là-dedans, tout est une question de bien faire vibrer les voyelles.

 

La navette amorce son entrée dans l’atmosphère. La première planète-escale des des Colonies Affranchies est Tuzun, lieu propice à une mission diplomatique ; à la périphérie du système, habitée de créatures plutôt stupides, sans intérêt énergétique, pas très bien desservie. Peu probable qu’un révolutionnaire zélé s’aventure jusque-là pour abattre notre omnipotente seigneurie. L’entretien devrait être simple, sobre, rapide. Et retour à la maison en moins de temps qu’il faut pour le dire.

 

Est-ce que c’est de la sueur froide qui affleure sur mes paumes ? Je dois avouer que quand je stresse, j’ai les mains un peu moites. Je les frotte sur mon pantalon alors que la délégation me rejoint dans le sas d’honneur pendant que la navette se pose sur la terre ocre de Tuzun. Je crois que je vais m’étrangler quand j’aperçois par le hublot le nombre d’autochtones massés autour d’un podium. Sacre bleu… Il y a du public ! Je m’inquiète à l’oreille d’Halvilia.

« Est-ce qu’il ne faudrait pas renforcer l’omnipotente garde ?

— Vanhalek, vous êtes traducteur ?

— Oui.

— Alors contentez-vous de traduire. L’avenir de notre Omnipotente alliance repose sur vos épaules. »

Une auréole va se former sur mon pantalon à force d’essuyer mes mains dessus.

« Messieurs, Sa Seigneurie Omnipotente. » déclare Halvilia, et soudain, toute notre assemblée salue l’homme qui apparaît, dans son costume de cérémonie. Dehors, les forces spéciales se déploient, et soudain, la porte s’ouvre. Une passerelle est avancée. Habituellement, quand l’Omnipotent apparaît, la foule l’acclame. Là, c’est un silence de mort qui l’accueille. Halvilia me force d’un haussement de sourcils appuyé à lui emboîter le pas.

 

Je marche dans les traces de l’Omnipotent. Face à la foule rassemblée sur la piste d’atterrissage, je trouve que nos forces armées font pâle figure. Nous avançons sur l’estrade d’honneur. Pas de trace de l’émérite des Colonies. Halvilia s’agite en queue de cortège. L’Omnipotent prend place. Halvilia me fait signe de me tenir à sa droite.

Une ovation gagne à la manière d’un orage la foule d’autochtones. Sur un char traditionnel de la culture des colonisés, Leire-Doa s’avance, parmi des fleurs et des tissus aux motifs colorés. Elle porte la cape pourpre de son ethnie, dont j’ai oublié le nom, et que l’empire a voulu faire interdire. C’est une offense à notre Omnipotent.

Leire-Doa fait taire les acclamations de ses semblables d’un signe de la main quand elle arrive sur l’estrade. Elle se tourne alors vers l’Omnipotent, et prononce quelques mots. Sa seigneurie me regarde, attendant que je traduise. Tout ce à quoi je pense, c’est que je vais décéder… Parce que je ne comprends pas un mot de ce qu’elle vient de dire.

Il paraît que c’est juste avant sa mort que l’on voit redéfiler sa vie. Mais non, en fait, c’est aussi juste avant de se prendre une honte monumentale. Mes mains suintent. Vanhalek, ta tête va garnir le portail du Ministère des affaires intergalactiques.

Ce dialecte est probablement un dérivé de la langue vernaculaire iomensienne, pas du iomensien classique. L’un des composants de sa phrase ressemblant à un variant de « grosse merde », alors je traduis à l’Omnipotent « Bienvenue sur Tuzun », même si l’expression du visage de l’Émérite exprime tout le contraire.

Il reste assis, la regarde de bas en haut et déclare : « Elle est pas mal pour une sauvage. Mais il va falloir arrêter avec ces conneries d’indépendance et rendre sa grandeur à l’empire. »

Je déglutis. Dans un iomensien classique, je décide de traduire « Merci, vous aussi » qui plonge mon interlocutrice dans la plus grande méfiance.

« Dis-lui que je vais l’attraper par la minette et qu’elle fera moins la maligne. »

Je dois me fier aux personnes proches de nous pour bien prendre conscience qu’il a réellement prononcé cela. Je me tourne vers Leire-Doa, révolutionnaire émérite des colonies, qui a fédéré quatre cent nations et ethnies différentes, a mené au combat des milliers d’autochtones et bouté hors du système solaire les plus aguerris des généraux de l’empire avec ce qu’il restait de leurs armées. Et, soudain, je bégaie.

Je vois clair dans le piège qui m’a été tendu. De la sécurité lors du voyage qui a laissé à désirer, au discours que l’on ne m’a pas transmis, au départ précipité, aux foules révolutionnaires rassemblées autour de nous, trop nombreuses pour notre garde, à l’erreur sur le dialecte, et pour finir par les mots intraduisibles de l’Omnipotent, le camp ennemi a infiltré la mission ! L’histoire dira que tout a commencé par une erreur de traduction, et si ma tête décorera le portail du Ministères des affaires intergalactiques, au moins mon nom sera dans les manuels ! Est-ce que je dois essayer de traduire ces mots abjects ? Je baisse les bras.

« Pardon. Mais je ne parle pas ce dialecte-là.

— Il semblerait que nous ayons un problème de traducteur », conclut Halvilia. « Notre Omnipotent est épuisé par le voyage. Laissons les conseillers prendre le relai… »

La délégation se délite, le reste de la discussion se passera dans d’autres lieux.

« Halvilia, c’est une tentative d’attentat, on m’a tendu un piège, on veut me faire porter la responsabilité de la guerre civile !

Elle se tourne et soupire, dépitée.

« Mais non, Vanhalek. Si vous avez été choisi, c’est parce ce que vous êtes nul. »

Je les laisse monter dans leurs voitures aux plaques d’immatriculation diplomatiques et quitter l’aérodrome. Peut-être que parfois, il faut se refuser à traduire des mots indicibles. Je dirai à mes petits-enfants que je l’ai fait exprès.

Contrainte 1

La dernière épée

Contrainte 2 Banlieues rouges

ÉPURATION

« Alors, on daigne finalement nous écouter ? »

Pour la première fois de sa vie Célane ne comprenait pas, pourtant d’habitude tout lui apparaissait limpide. Chaque parole, chaque geste, chaque contraction du moindre muscle de ses interlocuteurs, autant de signaux que la plupart percevaient comme ambigu dans les échanges, mais pas pour elle, pas pour une Alphabète. Elle n’avait jamais eu à s’embêter à décrypter les intentions, à déjouer les quiproquos, ou à mesurer les tons. Toute tentative de communication se déliaient dans son esprit sans encombre, d’une évidence redoutable et d’une précision déconcertante. Comme tous les Alphabètes, son tracé de vie avait été dicté par le roi : elle était devenue négociatrice.

Mais aujourd’hui, elle ne savait pas discerner ce qu’on lui racontait.

« Euh… oui, le roi m’envoie pour vous écouter et qu’on trouve un arrangement »

L’homme à la peau couverte d’une couche d’argile cracha à ses pieds, probablement stressé. « Évidemment que vous venez, ça fait soixante ans qu’on se fait entourlouper avec vos petits tours de passe-passe magiques. Et vas-y qu’on arrondit les angles, on donne un peu de sous à un chef de clan, puis une position à un contestataire un peu trop virulent. Mais maintenant c’est fini on va pouvoir commencer à discuter.

– cher ami, le roi n’a jamais été fermé à la discussion…

– Ah ouais, ça rigole pas ! Sans votre petit tour, vous pannez rien à rien en fait… Bon allez viens. »

Célane avait été incertaine jusqu’ici, mais cette invitation était trop chaleureuse pour que quoi que ce soit de grave soit à l’œuvre, alors elle lui emboîta le pas en prenant garde au précieux paquet qu’elle conservait sous son long châle.

Déambuler ainsi entre les maisons de terre aux teintes rouges aurait pu paraître austère en d’autre circonstance, mais devant l’accueil qui lui était réservé, elle ne pouvait pas mal se sentir.

Autour d’elle et son guide s’amoncelait plusieurs centaines de personnes qui les acclamaient les sourcils froncés, les lèvres retroussées ; des faciès heureux. Les lèvres de l’Alphabète s’étirèrent pour découvrir ses dents d’un sourire rayonnant, et comme un écho à son ouverture, beaucoup tirèrent l’épée dans un chuintement enjoué.

Célane se retourna vers son guide et posa tout naturellement la main sur son épaule, qu’il retira vivement. Peut-être était-il blessé.

« Finalement ça va. Quand on m’a demandé de venir ici ce matin j’ai cru à quelque chose de vraiment grave, mais ça à l’air d’aller pas trop mal ici.

– C’est ça fiche-toi de moi. » L’homme lui jeta un regard en coin, sourcil froncé lui aussi, comme un amoureux timide. « Sérieux ? Non ça va pas, dindonne. T’as une audience avec le chef, c’est pas pour prendre des nouvelles, c’est pour qu’enfin on obtienne quelque chose de la part du royaume, parce qu’on ramasse dans les banlieues nous autre ! Comme tu peux voir bouffer de la terre rouge à longueur de journée ça rend pas les gens aimables. »

L’Alphabète ne sut pas quoi répondre. Est-ce qu’il y avait une menace, ou même une réclamation dans ce monologue ?

Elle regarda à nouveau la foule, qui apparemment n’était pas aimable. Une petite dizaine de personnes avaient le poing fermé et passaient leur pouce sur leur cou, comme pour se dessiner un second sourire. Non, le guide devait se méprendre. Personne ne mimerait un sourire par hostilité, c’est absurde. Elle sourit à nouveau de toutes ses dents et reproduit le geste plein de chaleur à l’intention du groupe, frissonnant au contact délicat de son ongle sur la gorge.

« Vous savez monsieur, je pense que vous surestimez l’animosité qu’il peut y avoir d’un côté comme de l’autre. Après tout je suis là, et j’ai un cadeau pour votre chef… » La paume du guide vint lui couper le souffle en plein dans le sternum. « … c’est… Pas… Gentil…

– La ferme ! Donne-moi ce cadeau. » Il lui arracha des mains le petit paquet et l’ouvrit. « Qu’est-ce que c’est ?

– Non arrête… Arrêtez ! Ne la touchez pas, sans quoi votre chef ne pourra pas l’utiliser. C’est la Dernière Épée, elle avait appartenu au grand roi Felinal III, le célèbre dirigeant du Dernier Empire. » L’homme regarda l’objet qui ressemblait effectivement à un pommeau muni d’une garde, mais il manquait la lame. « Je vous dis de ne pas y toucher. La prochaine personne la prendra en main y sera lié, et pourra faire de sa volonté une lame enchantée inarrêtable. »

Il observa la relique encore un temps puis referma le paquet.

« C’est bon, de toute façon si c’était un piège t’aurais vendu la mèche, hein, dindonne. »

Célane acquiesça, les joues rougissantes devant le surnom qu’il lui avait donné deux fois déjà. Ce n’était pas professionnel, mais il lui faisait des avances, et elle le trouvait plutôt à son goût.

Le guide repartit, la laissant le suivre sur la piste de terre rouge, le cœur palpitant et le sourire aux lèvres.

***

Après quelques minutes, ils arrivèrent devant une bâtisse un peu plus grande et défendue que les autres, mais toujours dans cette même terre d’argile ferreux qui donnait cette teinte et cette odeur caractéristique à ces banlieues. Elle fut fouillée à l’entrée et remarqua l’œil attentif du guide, vérifiant qu’aucun ne profiterait de celle qu’il convoitait. Depuis qu’elle avait compris les intentions de l’homme, elle se sentait sereine dans cette partie de la ville qui pourtant avait mauvaise réputation. Finalement ce n’était pas si difficile de vivre en non Alphabètes.

Une fois les vérifications faites sur elle et la relique, elle put accéder à une pièce qui ressemblait à s’y méprendre à la salle du conseil royal. Les portes furent fermées derrière elle et son guide, puis elle s’avança vers celui qui siégeait dans ce qui ressemblait le plus à un trône et tomba à genoux tendant le cadeau à bout de bras.

« Bonjour, Ô Garian, fédérateur des banlieues rouges, voici un modeste présent de la part du roi Leraï IV : la Dernière Épée, artefact ayant appartenu à l’empereur Felinal III. Puisse-t-elle donner corps à votre volonté et vous soutenir dans tous vos combats. »

Le chef se leva et empoigna l’objet magique. Une lueur jaune le parcouru, puis il regarda l’arme, et d’un coup une lame d’énergie pure flamboya là où elle semblait manquer quelques instants plus tôt. Le dirigeant sourit puis brandit la relique vers le plafond.

« Merci au roi pour ce présent. Je sens déjà sa force m’envahir et… »

Les yeux du chef prirent la même couleur que la lame qu’il abattit sur le guide.

Célane se recula en hurlant pour se cacher sous une table. Il n’y avait aucune ambiguïté dans un tel acte, seule la fuite comptait. Elle resta prostrée là alors que le possesseur de la Dernière Épée décimait le conseil, les gardes et était sorti de la sale dans un hurlement dément.

Elle attendit quelques minutes pour s’assurer que le boucher ne revenait pas, puis elle relut le parchemin où figuraient ses instructions :

« Offre ce cadeau au fédérateur des banlieues rouges, puis plaque le trône contre un mur. »

Elle s’exécuta, tremblante, décidément c’était bien compliqué de vivre sans pouvoir d’Alphabète, elle mettrait du temps à s’habituer. En plaquant le siège, elle entendit un petit craquement, et le monde changea de tonalité. Un joyau du fauteuil de chef s’était brisé, et maintenant elle comprenait à nouveau, elle comprenait la rage du peuple à l’extérieur, la haine qu’il avait pour elle et le royaume, mais aussi la terreur de là où, manifestement leur chef était en train de les décimer. Elle reprit le parchemin et y lut toute l’intention du roi.

« La Dernière Épée a détruit le Dernier Empire, car elle possède son porteur pour qu’il éradique tous ses semblables puis mette fin à ses jours, alors offre-la à leur chef. Et au passage brise leur piteux cristal anti magie spirituelle, ça rendra vos sens à toi et tes collègues. »

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Membre du Club depuis 2005, Magali participe au comité de lecture d'AOC et s'occupe activement des matchs d'écriture, qu'elle colporte dans plusieurs festivals dédiés à l'imaginaire. Accessoirement, redoutable mouche du coche professionnelle :)

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