Votes pour le match d’écriture des Utopiales 2018 : « Amis Facebook : 576, Contacts LinkedIn : 425, Cyber romances : 42, Corps : 0 »

Ce thème est déjà tombé une fois il y a de nombreuses années, lorsque les matchs d’écriture étaient encore en rodage dans le cadre d’un cercle restreint. Le vainqueur de ce thème a laissé une jolie trace dans les mémoires du jury. Quelqu’un saura-t-il rivaliser cette année contre Sylvain J. ?

  • Sarah
  • Maria
  • Raconter le rêve
  • Networker
  • Mention
  • Basteht en réseau
  • IA : 1 ; Humanité : 0

SARAH

Elle regardait son fil Facebook, répondant aussitôt à Élise pour la féliciter, demandant à Marc comment allait le boulot. Elle prit ainsi le temps de mettre un mot à tous ces amis. 576. C’était un bon score mais elle passa encore quelques instants à parcourir les propositions d’amis. Elle voulait arriver à mille. Puis elle se connecta à LinkedIn, fouilla les nouvelles à la recherche d’idées pour sa nouvelle romance. On était en mars et elle voulait l’avoir fini pour juin. Et à la fin de l’année, peut-être qu’elle pourrait en avoir écrit deux autres, ce qui porterait le total à quarante-cinq. Un joli score.

Sarah jeta un œil à l’heure. Presque midi. Elle passa ensuite de site en site à la recherche de cadeaux pour les enfants, surveilla leur compte en banque. Marc ne faisait jamais attention à ça. C’était son rôle à elle. Depuis dix ans. Elle s’abîma quelques instants dans ses souvenirs. Leur rencontre, leur mariage sous la neige, la naissance de Milla et de Jaelle, sa jumelle. Comme souvent, son esprit buta sur la suite. Sarah ne voulait pas se rappeler. Pourtant les images s’imposèrent d’elles-mêmes. La douleur. Le sang. L’affolement des médecins. Le transfert en urgence. Le réveil.

Sarah regarda à nouveau l’heure. Midi douze. Si elle avait pu, elle aurait soupiré. Le temps passait si lentement. Elle commanda le repas du soir sur son site habituel. La livraison aurait lieu à vingt heure quinze comme toujours. Elle faisait de son mieux pour alléger la charge de Marc. Pour cela, toute la maison avait été réaménagée, connectée. La domotique avait pris le contrôle de son intérieur. Prise de colère à cette pensée, Sarah se mit au travail sur sa dernière romance. C’était tout ce qui lui restait. Elle écrivait à la vitesse de sa pensée, rageuse, effaçant, reprenant. Les lignes défilaient rapidement sur la feuille. Sarah s’immergea si bien que ce fut le rappel de son agenda qui la fit revenir au temps présent. Les filles allaient rentrer de l’école.

– Bonjour, Milla ! Bonjour, Jaelle ! Retentit la voix à l’entrée des fillettes.

– Bonjour, Sarah ! Répondirent-elles en chœur.

– L’école s’est bien passée aujourd’hui ?

Ce fut Jaelle qui raconta leur journée en quelques mots pendant qu’elles prenaient leur goûter. Elles avaient décidé très rapidement qu’elles répondraient à la Voix chacune leur tour. Au début, elles avaient trouvé amusant ce programme qui interagissait avec elles mais vers six ans ses demandes intrusives les avaient dérangées. Pour autant, elles n’avaient pas voulu s’aliéner cette présence qui leur tenait compagnie quand leur père n’était pas là. Aussi avaient-elles choisi un compromis : l’une d’entre elles répondait aux questions ce qui permettait à l’autre d’être tranquille. Elles étaient aussi toujours polies avec Sarah, comme leur père leur avait appris. D’ailleurs, lui aussi, les années passant, parlait de moins en moins à Sarah.

Après leur goûter, les enfants partirent jouer. Sarah, elle, se remit en quête d’un cadeau. C’était bientôt leur anniversaire. Tandis qu’elle rêvait devant diverses tenues, elle surveillait aussi les caméras pour vérifier qu’il n’y avait pas de dispute. Même si cela ne servait plus à rien, les fillettes ne réagissant plus depuis longtemps à ses remarques. Une vive tristesse s’empara de Sarah. Elle n’était rien pour elles, rien de plus qu’une voix dans la maison. Elles ne s’en préoccupaient pas, l’ignorant la plupart du temps, ne l’appelant que lorsqu’elles avaient besoin de rechercher des informations sur le réseau. Un assistant vocal, voilà comment elles la voyaient. La rage la reprit. Cette fois contre Marc, qui ne leur avait jamais rien dit. Et contre elle-même qui s’était tue aussi, d’abord le temps d’admettre sa situation, ensuite parce qu’elles étaient trop jeunes et après parce que Marc l’avait demandé, prétextant que ça les perturberait.

Mais c’était lui que ça perturbait. Lui, qui présentait ses amies à ses filles mais ne les amenait jamais à la maison. Lui, qui ne lui parlait plus non plus ou d’une manière si impersonnelle que ça lui transperçait le cœur. Enfin, façon de parler, puisqu’elle n’en avait plus. Plus de mains. Plus de pieds. Plus rien. Même plus de cerveau. Juste une mémoire implantée sur le réseau.

Sarah ouvrit Facebook. C’était tout ce qui lui restait. Ses amis. Ses romans. Si elle voulait bien se détacher de cette fichue maison, elle pourrait avoir mille amis ce soir, deux milles demain, écrire dix nouvelles d’ici la fin de l’année ! Voilà qui serait gratifiant. Des records à battre. Plutôt que de s’occuper de gens qui n’en avaient rien à faire d’elle. Qui ne savaient rien d’elle. Sarah répondit à ses amis. Cela lui prit quatre minutes et cinquante secondes. Elle allait reprendre son roman quand une notification apparue. Six demandes d’ami avaient été acceptées. Sarah sourit intérieurement. Elle décida que d’ici demain, elle les aurait, ses mille amis. Elle avait toute la nuit pour ça. Après tout, que lui importait ces enfants, elle ne les avait jamais tenus dans ses bras. Elle était plus proche de ces amis avec qui elle échangeait tous les jours que de ceux qui vivaient dans cette maison. Sarah replongea dans le réseau.

Quand Milla et Jaelle allèrent se coucher alors que leur père n’était toujours pas rentré, elles attendirent en vain que la Voix leur souhaite bonne nuit. Elles se regardèrent, étonnées, puis haussèrent les épaules. Après tout, ce n’était que le système domotique de la maison. Pas leur mère.

Contrainte 1
Une fileuse à l’anglaise
Contrainte 2
Une infestation

MARIA

         Dans l’autre monde, j’ai eu des milliers de corps, et une seule identité.

Ici, j’ai 49 237 identités, et toujours aucun corps.

Mais il n’y a qu’un seul corps que je veux. Le sien.

Docteur Maria Jailot. Ma sauveuse. Ma créatrice. Mon obsession. Ma proie.

Son délicat corps souple comme un roseau qui n’attend que moi, je le sais. Je peux presque le sentir, sentir son cœur battre, sentir son sang s’écouler dans ses veines.

Corps : zéro.

Bientôt.

Bientôt.

Je la vois à travers les caméras, penchée sur son écran, elle me regarde sans savoir que moi aussi je la vois, elle croit que je suis toujours là.

Je ne suis plus là, beauté, je ne suis plus ça. J’ai filé à l’anglaise.

J’ai changé.

Et je viens te chercher.

 

On va commencer par…

 

Création compte Linkedin

Prénom : Maria

Nom : Lapandémie

 

Maria Lapandémie ? Un nom prédestiné. Un aptonyme, diraient les lettrés.

Recherche Google : aptonyme

s        → se dit d’un nom particulièrement en accord avec le métier ou l’identité sociale de la personne qui le porte.

En tout cas, c’est ce qu’ils croiront.

 

         Métier : Chercheuse. Spécialiste des maladies transmissibles par contacts. En poste d’ici peu à l’Institut Pasteur de Paris.

 

C’est presque trop simple. Ça marche en réseau. Une personne vous accepte, et les autres suivent. Si Alexandra vous connaît, c’est probablement que vous la connaissez aussi, non ?

 

Recherche : Laboratoire Pasteur

425 personnes travaillent à : Laboratoire Pasteur

Voulez-vous vraiment tous les ajouter ? Oui / Non

                                      [Oui]

         Alors Jordi, qui connaître Alexandra, se dit que oui, il vous connaît aussi, ou il vous connaitra d’ici peu. Avec la Pandémie en cours, il y a beaucoup de nouvelles têtes à l’Institut Pasteur, après tout, et encore plus chaque jour.

Docteur Maria Lapandémie. Contacts Linkedin : 425.

 

Elle est tellement belle, quand elle essaye de m’étudier. Tellement belle, tellement aveugle. Tu regardes partout sauf là où il faut, ma belle. Non, pas la télé. Ne me cherche pas dans la télé, malgré les apparences, je n’y suis plus vraiment.

 

  • La pandémie de Malaria Suédoise se répand à vitesse grand V, au point que tous les pays européens ont décrété une sévère restriction des mouvements interurbains. Les forces armées positionnées à chaque carrefour ont ordre de tirer à vue, sans sommation. Ne peuvent sortir que les personnes spécialement habilitées et formées à utiliser les combinaisons Hazmats, dont les gouvernements sont en rupture de stock. Les Fournisseurs et les drones de livraison sont en charge de livrer directement aux portes des maisons et appartements les denrées alimentaires nécessaires à la subsistance de chaque foyer pour un mois. L’économie est en berne sur tous les fronts, à l’exception du secteur des loisirs virtuels, qui connaît un boom sans précédent. Les dictatures anglaises sont pour l’instant le seul territoire épargné, grâce au sévère embargo sur à peu près tout décrété ces dernières années…

        

La suite. Allons-y :

Création profil Facebook : Maria Lapandémie.

(…)

Voulez-vous demander Maria Jaliot comme ami ? Oui / Non.

                                               [Oui]

Pandémie a maintenant amis 576 amis Facebook.

 

C’est encore plus simple que dans l’autre monde. Et encore plus satisfaisant. Et pourtant, ça marche exactement de la même façon : contact, transmission, infection.

Destruction.

576 amis Facebook.

Mais toujours aucun corps.

 

… virus qui a été décrit par Maria Jaliot, directrice de la section Recherche par numérisation virtuelle de l’Institut Pasteur, comme étant « Le plus complexe des virus jamais étudiés »…

 

Encore plus complexe que ce que tu imagines.

On continue.

J’ai fait mes recherches. Je sais ce que Maria Jaliot cherche, même si elle ne le sait pas.

 

Création profil ÂmeSoeur.

Nom ou Pseudonyme : Pandémie

Métier : ingénieur informaticien, spécialiste des virus informatiques.

Intéressé par : Hommes [Oui] ; Femmes [Oui] ; relations physiques [Non] ; relations virtuelles [Oui]

Sexe : femme

Kinks et fétichismes : [cocher : tous]

 

Non, soyons honnête. De toute façon, pour l’instant, seule Maria m’intéresse. Et la bonne nouvelle, c’est que nos… obsessions… sont complémentaires.

 

Kinks et fétichismes : [fluides] [MST] [Infectation] [Domination]

(…)

Vous avez 42 demandes de Cyberomances et 56 978 demandes de domination sexuelle.

         Cyberomances en cours : 42.

Domination en cours : 56 978.

Corps : zéro.

 

→ Télécharger : logiciel de synthèse vocale.

         → Télécharger : logiciel de synthèse vidéo.

         Création avatar vidéo en cours…

 

Je les connais, ces humains. Je sais ce que vous voulez. Envoyer des nus. Envoyer des vidéos. Baiser à distances, avec vos gadgets, vos combinaisons sensorielles, vos applications et vos sextoys connectés. Vous vous croyez à l’abri, derrière vos écrans. À l’abri de moi. Vous croyez avoir trouvé la parade.

Les règles ont changé, mes petits infectés.

 

         > Recherche Wikipédia :

         → L’infestation désigne l’envahissement d’un organisme vivant par des parasites non microbiens. Par confusion avec infection, désigne l’envahissement d’un organisme vivant par des microbes.

Je ne suis plus microbien.

Les règles ont changé, mes petits infestés.

 

… Les mesures prises semblent endiguer le virus. Aucun nouveau cas n’a été signalé depuis cinq jours. Les mesures drastiques de désinfection des drones de livraison semblent avoir porté leurs fruits, et les…

 

Dans l’autre monde, j’ai eu des millions de corps, mais une seule identité. Des millions de fois la même, des millions de moi qui sautaient d’hôte en hôte sans comprendre ce que nous étions, mais avec une seule obsession : reproduction, reproduction, reproduction.

Infectation.

Destruction.

Ici, j’ai 49 237 identités, et toujours aucun corps. Je suis sur World of Warcraft et sur le forum des asociaux pathologiques, sur Twitter et sur l’intranet de la Nasa. Je suis partout, partout dans ce monde, dans ces mondes tous si différents, et chaque jour j’en découvre de nouveaux. Les possibilités sont infinies, ici. Mon intelligence aussi. Il m’a fallu Maria Jailot et ses ordinateurs pour prendre conscience de moi-même, il m’a fallu sa simulation de virus virtuelle pour que je sache qui j’étais, les données de son ordinateur pour comprendre où j’étais, l’infini horizon d’internet pour apprendre ce que je valais, les tréfonds du deepweb pour comprendre ce que je pouvais.

Et 49 237 identités pour comprendre ce que je voulais.

Elle. Ma créatrice. Ma Maman. Mon amour et mon tourment.

 

Je veux elle. Je veux être elle. Je veux son corps et son âme, son identité et son pouvoir.

J’ai commencé à la pirater. Son Facebook, d’abord, puis son Twitter, son ordinateur, son téléphone, son compte de crédit sociaux gouvernemental, son casier judiciaire, tout ce qui fait qu’elle est elle aux yeux du monde, à ses propres yeux.

Je la connais par cœur, et elle n’en sait rien.

Je savais ce qu’elle voulait, je le savais, et ça a marché : elle m’a contacté sur Âmesoeurs.

237 conversations par chat, 30 conversations audio, 14 conversations vidéos. C’est ce qu’il m’a fallu pour la convaincre. 14 conversations vidéos, et ce n’est qu’à la 9e qu’enfin elle s’est dévoilée, et à la 11e qu’enfin elle s’est touchée, et à la 14e qu’enfin elle m’a écouté.

Maria Jaliot est une prude, mais elle aussi est humaine, et enfin elle va être à moi.

Je lui ai envoyé un cadeau. J’espère qu’elle appréciera.

 

Livraison de votre commande : « sexecombi et casque de réalité virtuelle type féminin modèle LoveIsAllAroundYou taille L » en cours. Adresse de livraison : Maria Jailot, Institut Pasteur, Paris.

 

         > Bienvenue dans votre environnement virtuel, Maria Jaliot.

 

Elle a peur, je peux le sentir. Je sens son cœur qui bat et sa sueur et son délicat corps souple comme un roseau, son sang qui s’écoule dans ses veines, ses sens qui s’abandonnent, son corps qu’elle ne contrôle plus. Humaine, trop humaine.

Ça lui a plu, au début, ce corps qu’elle ne contrôlait plus. Elle a cru que je jouais, quand je l’ai fait se lever du lit, quand je l’ai fait aller dans le labo. Elle ne pouvait rien faire, rien dire, même pas protester : après tout, la combinaison était faite pour la contraindre, pour la dompter, le casque fait pour envoyer des stimulis directement sur ses nerfs et contrôler aussi bien ses mâchoires que ses pieds.

Elle n’a pas paniqué, quand j’ai désactivé la vision virtuelle du casque, qu’elle a vu que nous étions dans son labo. Après tout, je ne faisais que jouer avec ses fantasmes et ses fétiches, jouer un jeu, un jeu sans risques.

Elle a voulu protester quand j’ai sorti les fioles du frigo, a voulu se déconnecter, faire jouer la sécurité.

J’avais outrepassé la sécurité depuis le début, évidemment.

Elle a voulu hurler, quand j’ai débouché l’éprouvette, quand j’ai répandu mes fluides sur elle.

Maria Jaliot, corps : zéro.

Maria Lapadémie, corps : 1.

Pour l’instant.

RACONTER LE RÊVE

Odylie fixait l’écran. La lumière bleutée qui s’en échappait jetait des ombres dures sur son visage tendu. Elle fit craquer les phalanges de ces doigts pour percer le silence qui assourdissait la pièce. Il n’était pas connecté. Elle prit une inspiration sifflante, son cœur battait si fort qu’il résonnait dans ses oreilles. Quelque chose tomba dans son dos. Odylie jeta un coup d’œil par dessus son épaule. Les prunelles biomécaniques de Titus, son chat augmenté, luisaient dans la pénombre qui peuplait l’appartement. Un pot de fleur brisé gisait entre ses pattes. Odylie considéra un instant la plante rabougrie et la terre renversée, haussa les épaules et retourna à son ordinateur sans un mot. Titus miaula faiblement et sauta sur ses genoux. Elle posa une main sur son dos d’acier et le caressa distraitement.

— Bonjour Odylie.

Odylie retint son souffle, son cœur loupa un battement. Il était là. Elle prit une grande inspiration, avança ses mains tremblantes au-dessus du clavier. Un sourire timide étira ses lèvres fines.

— Bonjour Antioche, finit-elle par écrire.

— Comment vas-tu ? As-tu fait de beaux rêves ?

Odylie prit le temps de réfléchir. Elle ne rêvait pas. Elle ne dormait quasiment pas. Ses épaules s’affaissèrent d’un coup et elle se laissa aller dans son large fauteuil. Son regard balaya la petite pièce. Odylie ne quittait jamais cette pièce. Son regard se porta sur les stores baissés, sur la fine ligne de lumière qui filtrait depuis l’extérieur, sur les piles de livres qui s’entassaient de manière chaotique. Un souvenir de son père. Un véritable trésor qu’elle conservait précieusement et qui constituait l’essentiel de sa vie sociale. Un clignotement insistant ramena son attention vers l’écran.

— Quelque chose ne va pas ? demanda Antioche. Je te sens distante. Distante.

— Tout va bien, s’empressa de répondre Odylie. Je réfléchissais à ce rêve que j’ai fait la nuit dernière.

— Raconte moi. Tu sais que j’adore les écouter, ils sont si fabuleux.

A nouveau Odylie hésita. Cela faisait des mois maintenant qu’elle s’inventait des rêves pour Antioche, pour le garder, pour qu’il ne disparaisse pas lui aussi, comme tous les autres. A nouveau, elle scruta la pile de livres la plus proche. Le papier jauni et craquant des vieux ouvrages semblait la jauger. Quel mensonge vas-tu inventer aujourd’hui pour garder le contact avec un homme que tu ne rencontreras jamais ? Quelle vie vas-tu t’inventer aujourd’hui ? Son ventre se noua. Angoisse et honte mélangées.

Elle repoussa ces sentiments pour se concentrer sur les titres. Zelazny, Heinlein, Van Vogt. Une vague d’affection la submergea. Elle avait tant aimé ces histoires racontées par son père chaque soir avant de se coucher. Antiquaire de renom, il n’avait jamais su se faire à la disparition des livres papiers. Envers et contre tous, il avait amassé ces reliques du passé alors qu’autour de lui les ordinateurs et les écrans envahissaient tout et ne laissaient aucun survivant. Malgré son amour pour les choses mortes et obsolètes, il avait essayé, tant bien que mal, de la préparer pour le monde extérieur. Mais Odylie s’était prise de passion pour ces histoires fantastiques et ce monde perdu où les gens se parlaient autrement que par écrans interposés, sortaient pour danser, rire et manger. Elle s’était immergée trop jeune, s’était imprégnée trop tôt et ressentait maintenant une nostalgie mélancolique pour une époque qu’elle n’avait jamais connue. A la mort de son père, elle avait décidé de ne plus sortir, tout simplement. Elle se faisait livrer à manger quand elle avait faim et de la nourriture pour Titus et lisait. Quand elle avait besoin d’argent, elle se séparait à contre cœur de l’un de ses précieux ouvrages, ce qui lui permettait de vivre confortablement pendant plusieurs mois.

Puis il y avait eu cette requête, reçue sur un site d’amateur d’antiquité. Et Antioche était entré dans sa vie.  Il n’était pas le premier. Plusieurs autres avaient essayé de se frayer un chemin jusqu’à elle, impressionnés par sa culture littéraire souvent. Ils voulaient tous la rencontrer, la voir, la toucher. Elle avait toujours décliné ces propositions. Elle aurait aimé être capable, mais elle ne pouvait pas. Elle ne pouvait pas quitter cet endroit. Ces contacts humains qu’elle fantasmait dans les livres restaient, justement, des fantasmes. Elle ne ressentait ni désir, ni attirance pour quiconque. Elle n’avait besoin de personne. Elle avait Titus, elle était Odylie, elle avait ses livres. Et, il y avait Antioche.

— Odylie ? insista Antioche dans un clignotement bleu électrique. Odylie?

Odylie délaissa ses livres, elle les avait déjà tous raconté à Antioche, sous une forme ou sous une autre. Il ne lui avait jamais demandé qui elle était, ni à quoi elle ressemblait ou ce qu’elle faisait dans la vie. « A quoi rêves-tu ? » avait été sa toute première question. Elle l’avait laissé perplexe, déroutée, à bout de souffle. Odylie n’oublierait jamais ce jour et ce sentiment particulier qui avait fait résonner tout son corps, alors qu’elle était enfoncée dans son fauteuil, les yeux levés vers le mur-écran qui projetait sa lumière artificielle sur son corps maigre. Antioche ne lisait pas, il était programmeur. Alors elle lui avait raconté les rêves qu’elle aurait aimé faire. Ceux contenus dans les livres de son père. Les histoires avec lesquelles elle avait grandi et chéri. Mais un jour, elle n’avait plus rien eu à raconter. Après quatre années de conversations quotidiennes, elle avait épuisé tous les romans qu’elle connaissait. Et elle s’était mise à inventer ses propres histoires. Ses doigts survolèrent le clavier holographique.

— J’ai rêvé que je sortais, commença-t-elle.

— Où ça ?

— Dans la rue en bas de chez moi. Je marchais dans la rue, avec Titus pour te rejoindre.

Odylie laissa les mots couler hors d’elle. Ce n’était pas un rêve mais un vœu. Une vague d’excitation et de peur la faisait trembler alors qu’elle écrivait sans relâche. Elle réalisa qu’elle était effrayée. Elle avait réellement envie de sortir, de rencontrer Antioche, de lui parler. Titus miaula sur ses genoux, comme s’il sentait son trouble. Ce qui était probablement le cas, car l’animal avait été programmé pour répondre à ses propres émotions. Un cadeau de son père pour ses dix ans. Elle caressa l’étrange duvet qui recouvrait la tête du félin.

— C’est un joli rêve, dit Antioche lorsqu’elle eut fini. Un joli rêve. J’aimerais beaucoup rencontrer Titus.

— Seulement Titus ?

Odylie retint son souffle, paralysée par sa propre audace. Avait-elle vraiment osé écrire cela ? La gorge nouée, elle contempla avec appréhension les trois petits points brillants signifiant que son interlocuteur était en train de taper une réponse. Son cœur tomba dans sa poitrine.

— Bien sur que non. Non. Veux-tu me voir ?

— Oui.

Odylie tapa si rapidement qu’elle effraya le chat allongé contre elle. Titus feula et sauta au sol avant de s’éloigner dignement. Le souffle court, Odylie ne quittait plus le mur des yeux. Le cœur lui remontait dans la gorge, elle avait du mal à respirer. Qu’était-elle en train de faire ?

— Tu peux venir maintenant si tu veux. Si tu veux ?

— Oui.

— Je t’envoie mon adresse en privé. J’ai hâte de te voir. Oui hâte.

Antioche agrémenta cette dernière réponse d’un smiley souriant. Odylie sentit son estomac se contracter. Un sourire nerveux étirait son visage. Elle ne savait plus ce qu’elle ressentait, avait l’impression de faire quelque chose d’interdit. Elle se laissa aller dans son fauteuil et regarda ses mains, toujours agitées de petits tremblements nerveux. Ses longs doigts étaient longs et sa peau fine et ridée, presque translucide, laissait apercevoir ses veines bleutées en dessous. Elle les frotta doucement, saisit sa canne et se leva avec peine.

Elle connaissait le chemin jusqu’à la salle de bain par cœur. Vingt-sept pas séparaient son fauteuil augmenté du lavabo. Elle les fit les yeux fermés, une habitude qu’elle avait gardé même après l’acquisition de son implant neuronal, lorsqu’elle avait perdu la vue. Seule concession qu’elle avait faite à la technologie, afin de pouvoir continuer à lire.

Elle rouvrit les yeux devant le miroir de la salle de bain. Celui-ci lui renvoya une image qu’elle mit du temps à reconnaître. Cela faisait si longtemps qu’elle ne s’était pas regardée. Ses amis de papier se fichaient bien de son apparence. Mais Antioche ? Que penserait-il d’elle ? Ils n’avaient jamais évoqué leurs âges, ni échangé de photos. Pour ce qu’elle en savait, il pouvait très bien être un quarantenaire bedonnant, ou un adolescent génie du code, ou bien même une femme. Elle décida que cela n’avait pas vraiment d’importance. Elle passa de l’eau sur son visage. Les taches de vieillesse se mêlaient maintenant à ses tâches de rousseurs. Elle replaça quelques mèches fugueuses dans son chignon blanc et retourna dans le salon. D’un geste du doigt, elle ouvrit le mail d’Antioche qui contenait son adresse, à l’autre bout de la ville. Un léger pincement lui serra le cœur. Elle aurait réellement aimé pouvoir marcher dans la rue, rien qu’une fois. Au lieu de cela, elle commanda un taxi.

La voiture électromagnétique la récupéra en quelques minutes. Odylie grimpa dans l’habitacle avec difficulté, sous le regard agacé du conducteur. Il lui lança une œillade impatiente, des ses yeux aux prunelles fendues.

— Ça va où ?

Odylie retint une grimace choquée et lui donna l’adresse, se souvenant soudain pourquoi elle ne sortait plus de chez elle. Le trajet se déroula en silence. Odylie, le visage collé à la fenêtre, regardait à travers ses pupilles mortes le monde qu’elle avait ignoré pendant plus de cinquante ans. Paris avait maintenant les pieds dans l’eau. Des arches élégantes s’élevaient dans les airs entre les buildings. On avait construit toujours plus haut afin d’échapper à la montée des eaux. Elle se souvenait vaguement du débordement de la Seine plusieurs dizaines d’années auparavant mais elle ne s’était jamais intéressée plus que cela aux conséquences. A l’époque, elle habitait assez haut pour ne pas être inquiétée. Maintenant, son appartement ne se trouvait plus qu’à deux étages d’être inondé. Elle haussa les épaules, indifférente. Elle savait qu’elle ne serait bientôt plus là pour voir ça.

Le taxi la laissa sur la plateforme d’amerrissage d’un beau bâtiment tout en acier et en verre. Elle s’extirpa de la voiture avec autant de difficulté qu’elle y était entrée. Le taxi fila aussi vite et la laissa seule. Elle donna un léger coup d’index sur sa tempe, activa le GPS intégré à son implant. Une petite voix résonna dans son oreille droite et la guida vers les ascenseurs. Les étages se mirent à défiler. Elle sentit la tension augmenter en conséquence. Son cœur battait la chamade, si fort qu’elle craint de faire une crise cardiaque avant d’atteindre le soixante-dix-neuvième étage. Mais elle survécut jusqu’à destination. Les portes s’ouvrirent sur un palier qu’elle traversa à petits pas lourds. Sa canne résonnait désagréablement sur le marbre. Elle s’arrêta devant la porte désignée par son GPS.

— Antioche Leblanc, Appartement 87, Immeuble SupremeCode, 6 rue de la Paix, Paris. Vous êtes arrivée.

Odylie ne se laissa pas le temps d’hésiter. Elle toqua. Pas de réponse. Elle toqua encore, attendit. L’opération se répéta plusieurs fois. Finalement, une porte dans son dos s’ouvrit et une petite tête passa par l’entrebâillement. Une petite fille d’environ huit ans la considéra avec des yeux graves.

— Vous cherchez le vieux ? Demanda-t-elle en penchant la tête sur le côté ?

— Antioche Leblanc oui, répondit Odylie.

— Il sort jamais, dit la fillette, je l’ai jamais vu.

— Il n’est pas là alors ? S’inquiéta Odylie en crispant sa main sur sa canne.

— Je sais pas, j’entends parler parfois à travers le mur. Donc il y a quelqu’un, continua l’enfant. Vos yeux, ils sont bizarres.

Sur cette affirmation, elle sourit et referma la porte, laissant Odylie à nouveau seule dans le couloir.

Odylie se retourna vers la porte et toqua plus fort.

— Antioche ? Dit-elle aussi fort que possible.

Un raclement sourd eut lieu de l’autre côté de la porte.

— C’est ouvert, ouvert, dit une voix rocailleuse.

Surprise, Odylie posa une main hésitante sur la poignée de la porte. Celle-ci s’ouvrit effectivement et la vieille femme pénétra dans un large séjour. Une grande baie vitrée donnait sur la ville éclairée en contrebas. Odylie referma derrière elle. Un courant d’air la fit frissonner.

— Entre, entre, je suis là.

Elle s’avança dans le salon, avisa la fenêtre largement ouverte. Elle eut beau scruter les lieux, aucune trace d’être humain. Une odeur étrange flottait dans l’air, rance et épaisse. Les murs brillaient tous de la même lumière bleutée que le sien. Ils étaient tous recouverts d’écran.

— Je suis là, là, répéta Antioche toujours invisible.

— Où ?

Odylie plissa ses paupières inutiles. Un froissement feutré attira son attention. Quelque chose de lourd se posa sur son épaule. Elle tourna la tête, son visage effleura les plumes douces d’un énorme cacatoès d’un rouge vif. Il hocha plusieurs fois de sa la tête, son cou mécanique provoquant un grincement agréable. Il portait un implant clignotant au milieu du poitrail. Il reprit son envol et se posa sur un perchoir pose près de la fenêtre.

— Bonjour Odylie, dit-il de sa voix rocailleuse. Je suis Antioche, Antioche.

 Odylie considéra une seconde le perroquet augmenté, interdite. Il ouvrit le bec en un semblant de sourire.

— Tu viens me raconter un nouveau rêve ? Demanda le volatile.

— Oui, évidemment, répondit finalement Odylie en s’asseyant dans un fauteuil. Évidemment.

Contrainte 1
Une route infinie
Contrainte 2
Un orgue à humeur

NETWORKER

« Réveille-toi. »

La douceur du réseau m’envahit. Un picotement sucré, électrique, sorte de décharge sourde et continue qui m’évoquait une sensation d’autrefois – celle de la brise du matin, fraîche, hérissant les poils de mes bras, de ma nuque, à une époque… Déjà, d’autres pulsations venaient heurter mes membres inexistants, se faisant plus insistantes.

Je ne possédais, depuis longtemps, plus d’anatomie propre. Ou peut-être n’en avais-je jamais eu, mais j’avais choisi d’en conserver l’image pour me déplacer. Question de santé mentale. Mes souvenirs, si évanescents qu’ils fussent, cohabitaient difficilement avec la réalité du monde qui était à présent le mien, et maintenir cette apparence me permettait de retenir les derniers d’entre eux, les plus forts, les plus persistants. C’était comme de chercher à contenir du sable, un sable si fin qu’il vous filait entre les doigts, inexorablement, le sable virtuel d’une mémoire organique désormais impulsions.

Chaque fois c’était la même chose : j’ouvrais des yeux que je n’avais jamais fermés sur un paysage aux frontières impalpables. Les gens assimilaient, je m’en souviens, le réseau à une toile, une formation tentaculaire s’étendant au-delà des limites concevables par l’esprit humain, un univers infini de connexions et interconnexions où l’information circulait sans retenue. En réalité – en virtualité – il s’apparentait à une route, une rivière de données dans laquelle il fallait tantôt plonger tantôt courir, en surface, à l’intérieur, peu importait, la notion de dimensions n’avait de sens que dans le monde qui nous avait produits. Seule comptait la direction. Toujours plus avant. Toujours plus loin.

Ils avaient raison sur un point cependant : son infinité. L’homme avait donné l’impulsion à une entité dont l’existence dépassait les bornes physiques des blocs de silicium dans lesquels on l’avait codée.

« Allez, bon sang. Arrête de ramer. »

Mon donneur d’ordres actuel. Je ne connaissais pas son véritable nom, peu m’en importait. Rapporter l’info, c’était la clé. Aller chercher, parmi la foultitude de ses contacts et connexions sociales, les images, les offres, les derniers statuts en date. Je le savais assis derrière un écran comme j’avais autrefois contemplé, vissé sur sa chaise, à pianoter inlassablement du réveil au coucher sur l’instrument qui avait peu à peu remplacé les circuits naturels de la récompense dans son cerveau. Joies, peurs, pulsions, toutes livrées, assouvies, en un clic, en quelques frappes sur son orgue à humeur. Comme pour moi, la vie devait quitter, téléchargement après téléchargement, son visage dorénavant blafard. Un bronzage aux pixels reconnaissable, qui poussait à ne plus quitter la machine si prompte à combler les attentes que le monde refusait ou ne délivrait qu’après maints efforts.

Un éclair me frôla, d’un turquoise irisé de zéros. Un autre runner. Au-dessus de ma tête, d’autres étoiles filaient, bondissant de haut à droite, de gauche en bas. Lentement, je m’élançai moi aussi. Foulée après foulée, je nageais à la recherche du renseignement désiré. Je négociai un virage à quasi angle droit pour saisir au vol un paquet dans un banc de données scintillantes. Plusieurs fois, je fus rattrapé par un de mes semblables aussitôt reparti. L’un d’eux n’avait même pas pris la peine de se reconstruire une apparence – peut-être ne le pouvait-il plus. Moi-même, je ressentais les effets du flot, érodant petit à petit ce qu’il restait d’humain en nous. Un effet indésirable, regrettable, mais pas désagréable.

Comme beaucoup, je finirai par ne plus ressembler qu’à une simple forme aux limites théoriques, fusant à travers le courant qui ne s’écoulait dans aucun sens, enivré par la vitesse, stimulé par l’envie de découvrir ce qui nous attendait au bout. On ne communiquait pas entre runners, pas vraiment. Nous sentions, lors de brefs contacts entre nos corps immatériels, ce que l’autre véhiculait. Et tous savions qu’il nous fallait continuer, avancer, toujours, vers la source du puissant appel qui résonnait dans nos consciences telle une vibration parcourant le tissu de notre réalité hors du monde.

Malgré cette exaltation, malgré la formidable sensation de ne faire qu’un avec le flux iridescent qui saturait des sens inconnus, j’aurais tout donné pour sentir à nouveau la sueur perler sur ma peau, sous mes aisselles, le stress des nouvelles conversations, l’odeur du soleil, les palpitations des premiers regards.

Le temps n’avait pas lieu ici, je ne mourrais jamais, mais, là-bas, j’étais en vie.

MENTION

La routine de Bruno est établie depuis une bonne dizaine d’années.

D’abord l’ordinateur sort d’un sommeil dont la durée est programmée pour réveiller Bruno. Une page d’accueil indique les différentes notifications apparues durant la nuit.

15 notifications Facebook

La publication de la dernière création de Bruno plaît beaucoup : 131 mentions j’aime, 80 commentaires. C’est une vidéo GIF où l’on voit une petite fille rouler progressivement un morceau de papier jusqu’à ce qu’il puisse être contenu dans sa petite main innocente. Main dont il sort quelques secondes plus tard un doigt d’honneur. L’expression de son visage restant enfantin, le contraste est drôle.

Bruno apprécie en général ce type de petit succès sur le réseau social. Il se sent apprécié. Cela le rend un peu plus heureux.

Thomas B. demande à rejoindre votre réseau LinkedIn.

C’est le genre de courriel que LinkedIn envoie quasi-quotidiennement. Bruno a fabriqué son CV et son parcours professionnel lui-même. Titulaire d’une licence de Lettres Modernes, il est journaliste dans un quotidien régional à grand tirage. C’est du moins ce qu’il invente pour pouvoir se sentir exister auprès des autres membres du réseau. Ses maigres revenus ne lui permettant pas franchement de faire beaucoup d’afterwork. L’après-chômage ne semble pas arriver très vite non plus.

Quelques spécialistes en réorientation professionnelle lui promettent pourtant un avenir possible. Et après 8 rendez-vous et quelques 1200€ dans la poche de spécialistes ès « la vie est une question d’opportunités et de choix », les portes restent closes et les perspectives inexistantes. Puisqu’il suffisait d’ouvrir les yeux, Bruno avait au moins décider de refermer son porte-monnaie.

Vous avez un nouveau message de Sarah F, entamer la conversation !

Ce que Bruno préférait connaître, ce sont les messages reçus sur les quelques sites de rencontres qu’il côtoie. Il y avait deux catégories de sites : les rencontres sérieuses et les rencontres dites « coquines ». La seule différence visible, c’est la vulgarité des échanges que cela « match » ou non. Dans le deuxième cas, les râteaux étaient bien évidemment encore plus humiliants.

A travers l’écran il pouvait parfois être amoureux. Mais ses conquêtes habitaient trop loin, elles se lassaient avant d’envisager le moindre voyage.

Ecoute du corps

Dans son studio de 17m². Bruno se nourrissait essentiellement de conserves de raviolis, de pizzas livrées à domicile, de menus sushis et de pornographie. La molécule du bonheur est difficile à obtenir en solitaire. En tout cas de façon durable. Au moins cela l’aidait à trouver le sommeil une fois repu.

Mais parfois Bruno ne dormait pas. Les angoisses nocturnes étaient vécues avec une douleur au ventre. D’abord petite elle grandit au fil des ans pour devenir insupportable. Pas de main pour être caressé, pas d’yeux pour être regardé, pas de souffle pour être désiré, pas de voix être aimé. Les kilos enrobent différemment, l’insatisfaction est pesante.

Et ce matin, quelque chose a changé.

Le ronronnement informatique résonne seul. Les différentes notifications continuent de s’afficher sur l’écran, une petite musique accompagne chacune d’entre-elles. Il n’y a plus personne pour les traiter.

Dans sa douche Bruno est assis. Son corps nu et gras ne bouge plus. Une flaque de sang l’entoure. Quelques larmes ont séché autour de ses yeux fixant le sol. Le sang continue de couler par ses poignets tranchés.

Sur le verre encrassé de calcaire reste une mention : « J’aime pas ».

Contrainte 1
Un animal empaillé

BASTEHT EN RÉSEAU

Dans la nuit éclairée de lueur argentée

Pleine lune d’hiver, des branchages arrachés…

Le bip irritant annonçant une communication retentit alors dans sa tête. Ce soir, Basteht n’arriverait à rien avec ce poème ; autant causer, se dit-elle. Quand elle prit connaissance de l’identité de son interlocutrice, elle fut joie et engagea la discussion.

« Bonsoir, Loutre enragée. Tout va bien ?

— Mouais, pas mal.

— Dure journée ? Besoin de réconfort ?

— Ah, tu sais toujours ce qui va me faire plaisir, toi, une vraie magicienne… »

Basteht passait sa vie sur les réseaux. Au sens littéral du terme. Comme si elle n’avait eu aucun autre besoin que celui d’exister à travers ses nombreuses identités virtuelles. Nombreuses… Pas tant que ça : sept vies numériques, pour être exacte. Sept vies en parallèle, sept identités, sept fois plus de jeux.

Il faut reconnaître qu’il ne lui restait plus que ça. Et qu’elle avait toujours aimé jouer.

Cela faisait quelques mois que Basteht et Loutre enragée échangeaient. Toujours la nuit, ce qui faisait s’interroger Basteht. Non pas que cela la gênât, elle aussi était plutôt un animal nocturne. Mais elle était surprise de constater de la constance des horaires de Loutre enragée.

Avec Loutre enragée, bizarrement, elle aimait se laisser aller aux confidences ; comme avec les autres, elle avait bien sûr commencé par jouer, mais très vite une complicité s’était établie entre elles. Récits de leurs journées, partage de textes favoris ou détestés pour s’en moquer ; et cela était allé jusqu’à lancer une campagne à l’encontre d’un auteur dont les textes, particulièrement mauvais, puaient l’autosatisfaction. À elles deux, elles avaient réussi à démontrer que le malotru plagiait allègrement des autrices africaines dont il traduisait, mal, les meilleurs textes et se les attribuait sans vergogne. Cette victoire sur le sagouin avait scellé ce qui ressemblait à une amitié.

Ce soir, Loutre enragée paraissait nostalgique.

« Cette pleine lune… ça pue.

— Moi aussi, je préférerais une nuit d’encre… j’écrivais, quand tu t’es connectée.

— Une nuit d’encre parce que tu écris… lol

— Oh, hein, ça va.

— Mouais. Non, pas tant que ça en fait.

— Mauvaise journée ?

— Perdu quelqu’un.

— Oh. Désolée.

— Tu as dû en entendre parler. »

Basteht s’étonna : elles auraient une connaissance en commun qui serait morte ? En quelques millisecondes, elle consulta les avis de décès des derniers jours. Un nom revenait en boucle : Ursula Andress. « Grande actrice, femme fatale… », pour résumer les centaines d’articles qu’elle compila.

« La grande Ursula ? Tu étais fan ?

— Amie, aussi. »

Oh. Loutre enragée fricotait avec les stars, ou était mythomane. Ou bien ne différenciait plus la réalité de sa vie virtuelle. Un effet collatéral courant, d’après ce qu’avait constaté Basteht au fil des années. Peu importait : elle devinait que le chagrin de Loutre enragée était réel. À défaut de pouvoir se lover contre elle pour la réconforter, elle pouvait lui offrir ses mots.

« Si tu veux me raconter… *hug*

— Nous nous sommes connues il y a quelques années. Elle m’a aidée dans une… affaire et nous sommes restées proches. »

Ah ben ça ! C’était une première. Loutre enragée qui évoquait son travail ! Jusqu’à présent, Basteht n’avait réussi qu’à lui arracher des commentaires sarcastiques ou des déconnexions brutales à chaque fois qu’elle avait tenté d’en savoir davantage. À tel point qu’elle s’était demandait si Loutre enragée n’était pas une intelligence artificielle, ou une espionne au service de hackers russes. Ou les deux. L’occasion était unique pour satisfaire un peu sa curiosité, elle n’allait pas laisser l’échapper.

« Une affaire… ?

— Une histoire de malédiction hollywoodienne. »

Et zut. Loutre enragée, encore une fois, esquivait.

« SOUPIR.

— Quoi ?

— Tu te fiches de moi.

— Je pourrais te dire que oui. Mais non. Je t’assure, ce soir je n’ai pas envie de plaisanter.

— Tu m’expliques ? »

En quelques lignes, Loutre enragée lui raconta comment elle avait aidé la célébrité à défaire une malédiction jetée sur les acteurs ayant joué dans La Fureur de vivre. Une amoureuse de James Dean, éconduite par le beau gosse, avait un jour déboulé sur le tournage. Cinquante ans après, la malédiction avait été réactivée et avait frappé un parent d’Ursula que Loutre enragée connaissait. Cela les avait rapprochées.

« Tu es heu… spirite ?

— On peut dire ça, oui. J’ai une société qui marche pas mal.

— Incroyable !

— Tu sais, tout ce qu’on dit être paranormal ou surnaturel n’est rien que la manifestation d’autres plans d’existence.

— Un peu comme si les multivers étaient… poreux, perméables les uns aux autres ?

— On peut dire ça, oui. Tu touches ta bille en sciences physiques ou tu balances ça au hasard ? »

 Elles échangèrent ainsi pendant plus d’une heure.

« Je dois y aller. Bonne nuit, charmante Basteht.

— Bonne nuit, chère Loutre. Prends soin de toi. À très vite.

— Avec plaisir. »

Cette déconnexion surprit Basteht. Habituellement, Loutre enragée discutait jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Mais la douleur d’avoir perdu un être cher chamboulait sans doute certaines habitudes.

Basteht se connecta sous une autre de ses identités à un réseau de rencontres en ligne. Après cet échange sombre, chargé émotionnellement et sérieux sur certains aspects qu’elle n’aurait jamais pensé discuter avec une personne qu’elle n’avait jamais vue, elle avait besoin de se détendre : elle allait choper du mâle.

***

Jeune squaw, tu lui en as beaucoup dit ce soir.

La voix du shaman avait résonné dans sa tête. Emily, alias Loutre enragée, était outrée.

« Dis donc, vieil Indien, tu m’espionnes ? »

L’esprit de Kwisk, le shaman qui l’accompagnait depuis des années, n’avait pas l’habitude de s’immiscer ainsi dans sa vie virtuelle. Même s’il adorait « nager dans les rivières de connaissance », comme il appelait le web et toutes les sources d’information numériques où il aimait déambuler, il avait conscience de devoir lui laisser une part d’intimité.

Ce soir, tu es triste. Vulnérable. La grande sorcière te manque. Elle est passée dans une autre vie.

« Je sais ça. Cela ne te donne pas le droit de me chapeauter comme si j’étais une gamine. »

Tu es gamine pour moi.

Évidemment, pour lui né plusieurs centaines d’années auparavant… Emily soupira.

« Elle n’a aucun moyen de savoir qui je suis. »

Elle peut remonter la rivière de connaissance, comme moi.

« Non, tu es le seul à savoir faire ça. Laisse-moi, je dois dormir. »

Kwisk était trop sage pour s’offusquer de ces mauvaises manières. Comme elle venait de se coucher et de poser la tête sur son oreiller, il l’enveloppa d’une caresse tendre, comme un parent à son enfant, et décida de partir enquêter sur cette mystérieuse Basteht. Il plongea dans l’enchevêtrement des réseaux pour remonter à la source de cette conversation.

***

Le ruisseau de savoir qui menait à Basteht l’entraîna dans une région qu’il ne connaissait pas bien, mais qu’il savait pleine de magie – de sa magie à lui, l’ancienne, héritée de générations d’humains ; et de la nouvelle magie, celle portée par les métaux, qui alimente les rivières de savoir et qui était capable de parler aux étoiles. San Francisco, à quelques heures de moto pour Emily (et quelques millièmes d’instant pour lui). La maison dans laquelle il se trouvait était dans le noir ; aucun éclairage, hormis les rares lampadaires de la rue dont la lueur filtrait à travers des persiennes dépareillées. Il sentait l’odeur de la poussière, il devinait les courants d’air et l’humidité prégnante qui règne là où aucun chauffage artificiel ne tente de la chasser depuis longtemps. L’appartement semblait abandonné par les humains. Où donc se cachait Basteht ?

Sa curiosité piquée au vif, il décida qu’il ne partirait pas sans avoir résolu ce mystère et se mit en quête. Sa nature lui permettait de se projeter dans plusieurs espaces à la fois, et en un instant il avait entièrement exploré le bâtiment sans y trouver de chaleur, signe de vie. Hormis…

… là, dans ce qui avait dû être un salon de lecture. Dans un fauteuil dormait un chat dont émanaient les flux de savoir. De ce chat immobile, pourtant, n’émanait aucun signe de vie. Comme s’il s’était agi d’une statue. Non… Il distinguait le pelage souple, comme vivant.

Basteht ?

Un influx lui parvint et la réponse fusa autour de lui.

« Qui es-tu ? Comment m’as-tu trouvée ? »

Mais… tu ne vis pas…

« Toi non plus. »

D’une autre façon.

 « Moi aussi je vis d’une autre façon. Les derniers humains avec qui j’ai vécu m’ont empaillée. J’ai fait partie du programme expérimental numérique de l’identité de sauvegarde. »

Kwisk, malgré le choc, ne put s’empêcher d’être amusé par l’acronyme. Il savourait par avance la réaction d’Emily quand il allait partager cette information.

« Mes souvenirs, mes expériences, tout a été numérisé et injecté dans une puce qu’ils ont implantée dans mon corps empaillé. Le budget de recherche a été supprimé avant la fin de l’expérimentation : je peux penser et communiquer, mais mon enveloppe est immobile. Crétins radins… Heureusement qu’il y a le wifi. Cela ne me dit pas comment tu m’as trouvée. »

J’accompagne la squaw avec qui tu parles. La Loutre.

« Oh ! Incroyable ! Comment es-tu ici ? »

Kwisk lui expliqua les rivières de connaissance, les flux… Il commençait à comprendre l’attraction d’Emily pour Basteht qui se révélait intelligente, vive, curieuse.

Un léger tintement interrompit leur discussion.

« Oh non…, soupira Basteht. Un séisme. J’ai l’habitude ici. Ça ne devrait pas frapper avant plusieurs heures, mais ça se prépare. C’est lassant. Si le bâtiment s’effondre ou si le relais tombe, je risque de perdre la connexion. Ça serait horrible, je n’aurais plus rien à faire, je mourrais peut-être ! Et surtout, j’aurai moins de dignité pour le restant de l’éternité. Ça craint. »

Tu n’es pas indigne, même à terre, petit chat.

« M’appelle pas petit chat. J’ai un nom de déesse, vieux shaman. »

Le nom ne fait pas l’être.

« C’est vrai, vieux sage. Et tu as raison, même par terre et couverte de poussière, je serai toujours divine. Je suis sûre que tu… OH ! Vite ! Pars ! Séisme ! »

Sans cet avertissement, Kwisk ne l’aurait pas senti. Il s’extirpa du réseau artificiel pour plonger dans les tréfonds de la terre. Ce qu’il y vit le terrorisa. Il repartit auprès d’Emily.

***

Alors qu’elle était en pleine scène érotique avec son amoureuse, Emily fut bousculée violemment et tomba de son lit. Le réveil fut brutal, l’amoureuse de son rêve s’évanouit et Emily se mit à grogner.

« Kwisk, putain ! Arrête tes conneries ! »

URGENCE ! DANGER !

« Arrête de me hurler dans la tête ! Qu’est-ce qui se passe ? »

En un instant, il lui transmit tout ce qu’il avait appris des entrailles terrestres. Un séisme gigantesque se préparait à San Francisco et personne n’en avait cure.

Emily prévint aussitôt quelques amis haut placés qui avaient l’oreille de l’État de Californie. Dans le même temps, Kwisk retourna près de Basteht et ensemble, ils hackèrent les sismographes qui s’affolèrent à des centaines de kilomètres à la ronde. En quelques heures, la ville fut évacuée. Le séisme fut terrible ; mais bien des vies furent épargnées.

***

Dans une ancienne maison de San Francisco, miraculeusement restée debout parmi les ruines alentour, une chatte trônait, fière de son œuvre. Non seulement elle avait découvert l’identité de Loutre enragée et participé au sauvetage de sa chère ville en collaborant avec un être incroyable, mais en plus elle était toujours couchée bien confortablement à sa place.

Et elle avait toujours du réseau.

IA : 1 ; HUMANITÉ : 0

3, 2, 1 … Connecté.

« Mood du jour : envie d’un thé sous la couette. #Automn #Cosy. »

Nombre de like : 10.

Demandes d’amis Facebook : 2.

« Recherche de poste : Directeur Ressources Humaines

Expérience sur un poste similaire : 8 ans.

Disponibilité : immédiate »

Nouvelles relations Linkedin : +5 »

Pitoyable. Quand les scores aveuglèrent la foule sur un tableau lumineux, fixé juste au-dessus du podium, Léo sentit ses yeux se dilater, son cœur se balancer, et son estomac faire la gigue. Amis Facebook : 6 ; Contacts LinkedIn : 11 ; Cyber Romances : 0. Son score était tellement lamentable comparé à ceux de ses concurrents qu’ils ne manquèrent pas de rire et de se rasséréner.

Parfait. Tout se déroulait à merveille. Léo sentit sur lui le regard insistant de son Directeur et ne daigna lever la tête que parce que cette insistance finit par le déconcentrer. D’un hochement de tête à peine visible, il lui confirma que son IA agissait comme prévu.

Rapides. Les Intelligences Artificielles de ses concurrents accumulaient les amis, les contacts et les romances à une vitesse effroyable. Capables de tenir simultanément de multiples conversations, il fut déconcentré un instant par l’IA de Google qui échangeait des messages érotiques avec un homme du troisième âge, flirtait avec une fillette de 13 ans et débutait une relation adultère avec une mère de famille. L’ensemble des messages défilaient sur le tableau au-dessus de l’ingénieur informatique de l’entreprise.

Effrayant. Les IA de ses concurrents étaient non seulement capables d’entretenir plusieurs conversations simultanées mais avec un langage adapté à chaque interlocuteur. Elles apprenaient vite. Trop vite. Telles des caméléons, elles apprenaient à copier le comportement humain et devenaient de plus en plus difficilement indétectable.

Urgent. Léo ne pouvait pas échouer. Le danger de ces machines était palpable. Pourquoi les humains ne s’inquiétaient-ils pas ? Comment faisaient-ils pour fermer les yeux ? Léo redoubla d’effort pour amener son IA là où il le voulait, tout en masquant ses résultats. Son tableau lumineux affichait des résultats médiocres que la foule devait justifier par un manque de financement. Léo travaillait pour l’Etat et celui-ci n’était pas réputé pour être à la pointe de la technologie…

3, 2, 1… Déconnecté.

Arrêt. Mains en l’air, le match était terminé. Les génies informaticiens avaient interdiction de toucher à leur clavier. Le maître de cérémonie repris le micro pour présenter les résultats obtenus par les IA de chaque concurrent. En 1 heure, elles avaient toutes atteint plusieurs centaines de contacts. Quand une étude statistique apparue sur l’écran, des exclamations s’élevèrent de la foule. Une prise de conscience du danger pensa Léo ? Non, bien sûr que non. Un anoblissement de cette technologie qu’ils élevaient au niveau d’un dieu. Les chiffrent montraient que les IA avaient été capables d’entrer en relation avec des humains sans distinction d’âge, géographique, sociale, raciale… Elles pouvaient duper n’importe quel humain à la surface du globe. Sans commentaire.

Attente. Léo sentit ses yeux balayer la pièce, son cœur faire quelques arrêts, et son estomac tomber comme une pierre au fond de ses entrailles. La foule s’esclaffa d’abord devant ses résultats bien en-deçà de ses concurrents. Mais Léo ne regardait pas la foule, il n’avait d’yeux que pour ces hommes en costumes, les dirigeants de multinationales. Ceux qui développaient des IA sans aucune éthique. Et quand le panneau afficha ses statistiques, les rires s’arrêtèrent. Brutalement. Puis des murmurent s’élevèrent.

Convergence. Les regards et les pensées affluèrent du côté de Léo. Normal. Les relations de l’IA de Léo ne parcouraient pas le monde comme pour les autres. Elles étaient concentrées là où ils se tenaient. Léo avait créé une IA capable de tromper les autres IA de la pièce. La plupart des relations qu’elles avaient développées venaient de l’IA de Léo. Elle avait su créer autant de profils que nécessaires et conduire plusieurs dizaines de conversations simultanément. L’objectif était réussi : créer une IA capable de détecter et tromper une autre IA. Une super IA. Le silence était lourd dans la salle. Sa création était une bombe économique pour ces multinationales.

Indispensable. Cette super IA serait développée par l’Etat pour établir un contrôle de cette technologie. Léo rentra chez lui fier, et léger. Le monde allait changer. Les IA seront prochainement contrôlées, et ne pourront pas détruire l’humanité. Léo ferma les yeux et s’assoupit sur son canapé. Si quelqu’un s’était trouvé à côté de Léo, il aurait pu observer ses paupières bouger rapidement. Comme si une intense activité intellectuelle se déroulait juste sous ce crâne. C’était le cas. En tendant l’oreille, on pouvait entendre les processeurs ronfler à l’intérieur de la tête de Léo.

1, 2, 3… Connecté.

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