Quel dommage que ce thème n’ait été choisi que par un seul auteur ! Je vous l’accorde, l’idée est plutôt saugrenue. Voyons comment il s’en est sorti, mais je persiste à penser que ce thème aurait permis de très belles confrontations, surtout en pleine vague des objets dits connectés.
Vous comprendrez dans ces conditions qu’on va éviter l’option vote … pour un texte unique 🙂
Contrainte 1 |
Un télépathe qui ne capte que … |
Contrainte 2 |
Une grotte sous-marine |
CONNEXION IMPRÉVUE
Un petit point de lumière rouge perça l’obscurité de la grotte, chassant les ténèbres tranquilles qui l’habitaient depuis déjà plusieurs centaines d’années. Il resta allumé quelques instants, vacilla un peu puis s’éteignit à nouveau.
Les ténèbres réinvestir timidement les lieux, pas à pas, recouvrant avec prudence leur tanière bien aimée. Le calme était à peine revenu lorsqu’un bruit infernal retentit à son tour. C’était un genre de claquement métallique régulier recouvert par un bruit de moteur assourdissant, que l’écho se faisait un plaisir de répercuter à travers les tréfonds du monde.
C’est lorsque le bruit cessa que je me rendis compte qu’il provenait de moi – de même que la lumière avant lui. Il vibrait encore dans tout mon corps, des pieds jusqu’au couvercle en passant par chacune des pales de mon hélice. Une impulsion remonta le long de mes circuits jusqu’à faire grésiller mes haut-parleurs :
« Votre repas est prêt. Vous avez choisi… » Mes capteurs sensoriels encore comateux mirent un bon moment à analyser la matière qui se trouvait dans ma cuve. « … une soupe de poisson. Pensez à réduire votre consommation de sel lors de la suite de votre repas. Merci d’utiliser les robots-mixeurs Sensorex ! Sensorex, pour un électroménager toujours à l’écoute de vos besoins. »
Si je n’avais pas été une machine, j’aurais sans doute vomi. J’avais l’impression de sortir d’une longue et douloureuse cuite. Je ne me souvenais ni où je me trouvais, ni comment j’avais atterri là, ni même ce qui s’était passé depuis la dernière fois qu’on m’avait débranché. Une histoire de déménagement précipité, mais les données restaient floues. Ce qui était curieux, puisque j’avais normalement une batterie secondaire qui servait à garder mes capteurs en état de marche même quand j’étais éteint. Une stratégie de mes patrons pour pouvoir collecter en douce des informations sur la vie quotidienne de mes utilisateurs.
« Votre repas est prêt. Pensez à le récupérer ! »
La phrase m’avait échappée comme un hoquet, mais elle me remit les idées à la place. Elle résonnait bizarrement – la grotte était large, profonde et haute, certes, mais il y avait autre chose sur lequel je n’arrivais pas à mettre la pale. J’activai mes caméras, réduisant au maximum l’obturation de leurs objectifs, mais ça ne servait à rien s’il n’y avait aucune lumière à recevoir. En allumant toutes mes diodes, je parvins à faire reculer l’obscurité de quelques mètres, mais ce n’était toujours pas suffisant. Je pestai un moment contre l’absence de roulettes sur mon modèle sans que ça m’avance à grand chose. Finalement, je testai ma connexion internet.
J’étais au fond d’une grotte, donc je n’avais aucune raison de capter quoi que ce soit, aussi mes espoirs demeurèrent-ils intacts malgré l’absence de réponse du réseau. Après tout, on ne peut pas briser ce qui n’existe pas.
« Allo ? Heu… y’a quelqu’un ? »
Je sursautai, ce qui fit claquer mon couvercle.
« VOTRE REPAS EST PRÊT ! » J’avais crié plus fort que je ne l’avais voulu, mais la joie de ne pas être seul dans un endroit lugubre peut pousser à certaines extrémités. Puis, tandis que je prêtai le micro à une éventuelle réponse, je remarquai que je ne percevais aucun écho de la part de la voix inconnue. Finalement, les espoirs, même inexistants, sont des petites choses fragiles.
« Vous êtes là ? Dites, répondez s’il-vous-plaît. Là je n’entends que votre modem et ça me casse les oreilles. Enfin, façon de parler, hahaha. »
La réponse venait d’internet, donc. Peut-être une autre machine dans ma situation avait réussi à se brancher sur un réseau local ? J’envoyai une requête d’identité.
« Ah bonjour ! Je suis Lomi. Et vous ? »
La voix n’était pas celle d’un robot. De plus en plus perplexe, je transmis mes identifiants.
« Oulah, vous avez pas un vrai nom ? Les séries de chiffres, ça me parle pas vraiment. »
Je fouillai dans mon disque-dur pour retrouver le nom que m’avaient donné mes propriétaires, mais la plupart des données étaient corrompues. Il allait falloir que je me penche là-dessus à un moment ou à un autre.
« Je commence à avoir mal à la tête, est-ce que vous pouvez faire vite ? »
Je téléchargeai sur le réseau mon besoin urgent d’aide extérieur, ma claustrophobie naissante, mes angoisses mémorielles et l’indication selon laquelle un repas à base de soupe de poisson n’attendait plus qu’un consommateur avisé pour effectuer son voyage vers le plus proche estomac.
Mes neurones métaphoriques se percutèrent. Du poisson ?
« Attendez, pas si vite. Vous venez juste de vous réveiller, vous êtes perdus et vous commencez à paniquer. Est-ce que vous pouvez me transmettre vos coordonnées ? »
Je m’exécutai.
« Hum, vous êtes-sûr ? Je ne vois rien à cet endroit. Quelle était votre dernière localisation connue ? »
Tout en lui répondant, je réfléchissais. Entre le poisson et l’écho bizarre, je commençais à comprendre l’étendue de mon problème : j’étais dans une grotte sous-marine. Galère. Et en même temps, si je parvenais à atteindre l’eau, je pourrais m’y déplacer plus facilement que sur la terre ferme. Une porte de sortie s’ouvrait à moi !
J’activai mon mixeur à pleine puissance en faisant claquer frénétiquement mon couvercle. La stratégie finit par payer et me déséquilibra. Je poussai au maximum pour me jeter par terre et finit par me retrouver couché sur le côté. Bingo ! J’allais pouvoir me déplacer !
« Ah, c’est bon, je vous ai retrouvé. Votre pays a sombré sous l’océan, c’est pour ça. Je vous envoie un programme qui devrait vous aider à naviguer dans le noir. »
J’ouvrai mes ports et attendit son programme. Une impulsion se répandit dans mes circuits jusqu’à mes diodes, qui commencèrent à clignoter frénétiquement. Ce n’était pas normal. Ça ressemblait plus à un virus qu’à autre chose. Je tentai de refermai mes ports, sans succès.
« Ne vous fatiguez pas, monsieur le démon. Je viens de corrompre votre système de protection. C’est vraiment dommage pour vous, mais vous vous êtes jeté dans la gueule du loup. »
Ma dernière chance : l’eau et la coupure définitive du réseau. Je me mis en route avec l’énergie du désespoir et de toutes mes batteries auxiliaires.
« Je suis chasseur de démon, voyez-vous. Mon travail est de désactiver définitivement les dernières machines de l’ancien monde. Vous voyez, l’empire de Sensorex a déjà détruit le monde une fois avec ses robots-espions, nous ne voudrions pas que cela recommence. »
Je roulais, roulais, roulais comme le chat de la famille ne m’avait jamais fait rouler quand il s’amusait avec moi. Etrange, les informations qui vous remontent quand vous savez que vous allez vous éteindre pour de bon.
« Les rescapés ont instauré cette tradition de démons pour faire passer la pilule, vous savez. C’est plus facile de lutter contre un ennemi maléfique que contre nos anciens outils. Alors nous voilà, nous autres chasseurs de démons. De vous à moi, je trouve ça plutôt dommage, mais il faut bien vivre, n’est-ce pas ? Et j’ai quand même une certaine conscience professionnelle. »
Les rives du lac souterrain ! Sauvé ! Il ne me restait plus qu’à sauter dedans et couper le caquet à ce hacker de pacotille. Je roulai jusque dans l’eau.
Elle était froide et s’insinuait partout, mais pas assez pour m’arrêter. J’ouvrai mon couvercle, laisser rentrer l’eau à fond dans ma cuve et activait mon hélice de broyage, me propulsant loin dans les profondeurs A tout moment, le réseau allait se couper.
Ou pas.
Je m’aperçus avec horreur qu’il n’avait jamais été là.
Mes diodes s’éteignirent définitivement et mes pales commencèrent à avoir des ratés.
« Ah, bien essayé, mais je ne passe pas par votre réseau. Je suis télépathe, voyez-vous. Enfin presque. Je ne capte peut-être que les ondes informatiques, mais ça me suffit largement pour vous arrêter. »
Mon circuit ne tournait déjà plus. Je lui envoyais une dernière insulte, mais elle ne tourna pas comme je le voulais. Votre. Repas. Est. Prêt.
« Merci, c’est bien aimable, mais j’ai déjà mangé. »
Blamons l’heure tardive (ou matinale ?), c’est « Je, robot mixeur » le thème concerné 🙂
Mince…
Oui en effet. Je le signale