Et si Hitler avait été reçu à l’Académie des Beaux-arts de Vienne en 1908 ? Voilà l’hypothèse sur laquelle s’est proposé de travailler Eric Emmanuel Schmitt.
Idée singulière, d’autant que le livre est rédigé en miroir, en « Y ». D’un côté, le Hitler historique (qui a été refoulé de l’Académie) et de l’autre Adolf H. peintre en devenir. Exercice périlleux, mais réussi avec brio. Car cette uchronie psychanalytique atteint un double objectif. Tout d’abord, il ne fait pas d’Hitler une proie des événements. Comme l’explique l’auteur lui-même, dans son très intéressant « Journal de la Part de l’autre », « Hitler n’est pas seulement victime de son échec, mais aussi de l’analyse de son échec. ». Aussi, la vie du futur dictateur n’est-elle que déni. Son malheur, ce sont les autres qui en sont responsables, jamais lui. Pire, au lieu de s’occuper de lui-même, il décide de veiller sur le monde, de s’identifier à lui, et de résoudre des problèmes – réels ou supposés – qui ne sont pas les siens.
Ces logiques, poussées à l’extrême, l’amèneront à rendre les juifs responsables de la défaite de 1918. Ce refus de l’altérité, cet égocentrisme étouffant, d’autres uchronies l’avaient déjà brillamment analysé, tel l’excellent Rêve de fer de Norman Spinrad, ou le non moins bon Fatherland de Robert Harris. Mais le « je » du double imposé par Eric Emmanuel Schmitt permet d’en comprendre encore mieux les ressorts, car Adolf H. devenu peintre, réussi à se guérir. Ce double parcours est parallèle à celui de deux Allemagnes, voire même de deux Europes. L’une est contaminée par la névrose d’Hitler, l’autre se libère, travaille collectivement sur ses erreurs.
Le roman aurait pu se contenter de cela. Il va bien plus loin. Il montre, comme le film La Chute, un Hitler humain, trop humain. Un homme qui veut rester vierge pour avoir le privilège de rester un enfant, un enfant qui n’accepte pas le monde, qui refuse de laisser une part à l’autre, qui veut tout, tout de suite et pour lui. Et on ne peut qu’éprouver de la gêne en s’identifiant parfois au dictateur. Eric Emmanuel Schmitt réussit là un autre tour de force : nous faire réfléchir sur nos propres errements puis nous laisser une porte de sortie avec le devenir d’Adolf H, l’autre. On ne peut qu’applaudir à cette saine et heureuse invitation à partir à la découverte de soi-même. Elle nous rappelle que le bonheur et le plaisir sont là, juste à côté de cette part de nous où résident les pires cauchemars de l’humanité et qui ne sont malheureusement pas de la science-fiction.
Chronique de William ‘1496’ Blanc
Éditeur | Le Livre de poche |
Auteur | Eric Emmanuel Schmitt |
Pages | 503 |
Prix | 6,95€ |
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Notre avis
3.8
Nous rappelle que le bonheur et le plaisir sont là, juste à côté de cette part de nous où résident les pires cauchemars de l’humanité