Rencontre avec Bernard Henninger – Les éditions Blogger de Loire

Éditions Blogger de Loire : Entretien avec Bernard Henninger

Recueilli par David Soulayrol en août 2025 

Présence d’Esprits : Comment perçois-tu la place de ta maison d’édition dans le paysage de la SFFF en France ? 

Bernard Henninger : Quelqu’un m’a dit l’an dernier que je me situais du côté des fan-éditeurs. C’est pas faux. J’ai eu une première expérience avec les éditions Souffle du rêve, de 2007 à 2011, dont la principale réalisation a été un recueil d’Ursula K. Le Guin, Pêcheur de la mer Intérieure. C’est une expérience fabuleuse et c’est un recueil qui est encore recherché. 

J’ai recréé une structure en 2016 ; il m’a fallu quatre ans pour retrouver l’envie d’éditer. J’aime bien la relation avec les auteurs, la fabrication du livre : maquette, impression… et en 2020 j’ai repris l’édition de livres. En ce sens, Blogger est la continuation du Souffle du Rêve, c’est-à-dire de la micro-édition. 

PdE : Si tu devais résumer ta ligne éditoriale en une phrase, que dirais-tu ? 

B.H. : Ce que je peux, quand je peux, du mieux que je peux 🙂 Dont une grande partie de recueils de nouvelles d’un auteur, en petit format à des prix abordables. C’est brutal, mais le financement est le premier obstacle à franchir. En arrière-plan, je réfléchis aussi à ce que ça pourrait être… Par exemple, pour la collection « petit format », c’est un recueil de René Barjavel, Les enfants de l’ombre, paru au Portulan, qui m’a suggéré la remise à jour de ce format… Donc le format m’a donné l’idée de la collection. 

PdE : As-tu des collections spécifiques ? 

B.H. : Je développe une collection de recueils de nouvelles, en petit format, et en serrant les prix. Neuf volumes sont parus, depuis Sauf de Serge Cintrat (que j’ai commencé à éditer au Souffle du Rêve) jusqu’au Joueur du Louvre de Pierre Gevart.

J’ai aussi publié des intégrales de nouvelles d’auteurs décédés : Lorris Murail et Jean-Jacques Régnier. Un gros travail de réunion de textes dispersés, de remise à jour des textes… J’aimerais définir une collection pour les romans, mais c’est un projet.

PdE : Qu’est-ce qui t’a amené à travailler dans ce domaine ? 

B.H. : Au départ, avec la première maison que j’avais créée, les éditions Souffle du rêve, je visais à éditer un de mes romans qui n’avait pas – à mon goût – démérité et qui ne trouvait pas d’éditeur. Dans la chorale où je chantais, il y avait un couple d’imprimeurs : ils m’ont tout appris, les corrections, les formats de livre, la typographie, présenté à mon premier imprimeur et j’ai été leur élève (de 47 ans)… La surprise a été de découvrir que j’avais plus de plaisir à éditer quelqu’un d’autre. Ça a commencé avec une B.D. d’un ami, François Maille, puis avec des nouvelles unitaires : S. Denis, U. K. Le Guin, Lorris Murail 

PdE : Et qu’est-ce qui t’a poussé vers la science-fiction ? Qu’y as-tu trouvé en tant qu’écrivain et que recherches-tu dans les textes que tu édites ? 

B.H. : J’ai découvert la science-fiction très jeune : avant les Chroniques Martiennes (découvertes en 1975), il y a eu Valérian et aussi, sur la toute première télé en couleurs, Planète interdite… Et d’autres. Il y avait de la science-fiction du temps de l’O.R.T.F (je peux citer la série Aux frontières du possible). Ce sont pour moi des choix d’adolescent que j’ai abandonnés à 20 ans et redécouvert 25 ans plus tard, étonné de voir l’effet que cette littérature, dans ce qu’elle a de meilleur, avait sur moi. 

Précision : je dis science-fiction, mais je n’ai jamais opéré aucune différence. J’ai lu le Seigneur des anneaux, le cycle de Terremer d’Ursula K. Le Guin dans le même esprit et j’y inclus le fantastique de Maupassant à Lovecraft. Je préfère de loin parler de littératures imaginaires et je me vois comme éditeur de littératures imaginaires.

PdE : Combien de personnes collaborent avec toi et parmi elles, combien sont salariées ? 

B.H. : Pour l’illustration, je fais surtout appel à une illustratrice : Vael, dont j’ai fait la connaissance à l’Ivre Book. Depuis deux ans, j’ai un ami qui se prête au jeu des corrections. 

Je n’ai pas de salarié. En fait, je suis plutôt une sorte d’artisan. 

PdE : Quelles parties de la production externalises-tu (corrections, maquettes, illustrations, etc.) ? 

B.H. : Les illustrations et la maquette de la couverture. Je fais le reste. 

PdE : Acceptes-tu uniquement des auteurs francophones ou édites-tu aussi des textes traduits ? 

B.H. : J’ai pu éditer un texte traduit une fois, avec le Souffle du ve. Il s’agissait d’un recueil de nouvelles d’Ursula K. Le Guin : Pêcheur de la mer Intérieure. C’est très cher par rapport à mon budget moyen, j’ai eu une opportunité en 2009. Depuis que j’ai créé Blogger de Loire, jamais je n’ai eu cette possibilité à nouveau, mais j’aimerais en profiter si une telle occasion se représentait. Il y a des auteurs/trices qui me semblent mériter l’effort de les découvrir. 

PdE : Justement comment trouves-tu tes auteurs ou pourquoi viennent-ils vers toi ? Qu’est-ce qui, dans leurs textes ou leur personnalité, te motive pour leur offrir une vitrine ? 

B.H. : Dans un premier temps, j’ai surtout travaillé avec des auteurs que j’ai connus avec mon dernier éditeur, L’Ivre Book ou avec le Souffle du Rêve. Depuis, j’ai édité des gens que j’apprécie, et quelques manuscrits qu’on m’a présentés (par email essentiellement), avec des personnes rencontrées, comme Pierre Viguié lors de la convention de Cambrai. J’essaie de lire leur texte, c’est long et c’est lent, et j’essaye de voir si leur histoire me motive. Voir si leur récit éveille des échos qui donnent une profondeur, etc. Je trouve ça difficile. 

PdE : Combien de manuscrits reçois-tu en moyenne chaque année et répondent-ils à ce que tu en attends ? 

B.H. : J’ai reçu cinq romans cette année dont deux hors-sujet, un d’un auteur que je connais (et que je devrais publier) et enfin celui de Pierre Viguié pour lequel je lui avais dit plutôt rechercher des textes plus courts. Il a revu son texte et l’a resserré avant de le présenter. 

PdE : Comment est organisée la collecte des manuscrits ? 

B.H. : J’ai mis des explications sur mon site : comment procéder, sans encourager ni décourager, mais comme je me situe dans une fourchette de quatre à six publications par an, dont des recueils de nouvelles, j’ai peu de latitude. Disons un texte par an. 

PdE : Les manuscrits soumis sont-ils d’abord examinés par un comité de lecture ? 

B.H. : Je n’ai pas de comité de lecture. J’imprime sur papier, et je lis le manuscrit. 

PdE : Comment s’organise le processus de retravail avec les auteurs ?  

B.H. : Je commence par lire et si je donne mon quitus, je propose un contrat, qui est une première façon de faire connaissance. Plusieurs publications se sont arrêtées à ce stade. Après, j’effectue des lectures plus précises et un échange s’ensuit. 

PdE : Une anecdote à nous raconter ? 

B.H. : En 2010, j’avais édité une nouvelle de Lorris Murail, qui m’avait accordé une confiance totale. Je ne l’ai croisé qu’une fois en 2014, à Bagneux. Quand je me suis enquis de lui, dix ans plus tard, en 2020, sa sœur Marie-Aude m’a appris son décès et m’a mis en relation avec sa veuve. Celle-ci m’a fait confiance et aidé à corriger ses textes. Elle m’a obtenu le droit de rééditer un recueil paru chez un éditeur prestigieux et ce fut un moment d’échanges magiques pour remettre en avant un auteur qui me semble oublié. Les auteurs les plus loués de leur vivant tombent vite dans l’oubli, à l’opposé d’auteurs peu ou mal considérés qui se bonifient. Mais tout ça suppose un travail d’entomologiste. J’ai lu, adolescent, Rêve de feu de Françoise d’Eaubonne et c’est seulement maintenant qu’elle est reconnue. D’autres l’ont rééditée et une amie féministe m’a dit qu’elle ignorait qu’elle avait écrit de la science-fiction. 

J’ai fait le même travail avec Jean-Jacques Régnier et sa compagne, Mireille Meyer, et elle aussi m’a fourni un soutien immense. C’est très motivant de travailler avec des auteurs et des personnes comme Mireille Meyer ou Natalie Zimmerman. 

PdE : Combien de nouveautés (inédits) publies-tu chaque année ? 

B.H. : Je réédite peu. De quatre à six titres par an, mais des recueils, qui comportent moins d’une dizaine de nouvelles, il est courant de rééditer des titres qui n’ont connu qu’une diffusion confidentielle, et le recueil est souvent un lange d’inédit et de rééditions. 

PdE : Peux-tu nous donner une idée du tirage moyen d’un titre ? 

B.H. : Actuellement, 70 exemplaires papier, plus une édition numérique. 

PdE: Procèdes-tu à des réimpressions ? Des rééditions ? 

B.H. : Pour l’instant une seule fois, le titre Les Poches pleines les poches vides de François Manson a connu un certain succès et de bons retours.

PdE : Quelles sont tes stratégies de diffusion que ce soit en salon, en ligne ou en librairie ? 

B.H. : C’est un bien grand mot et c’est pour moi le plus compliqué. Je n’ai pas réussi à trouver un diffuseur. J’essaie de participer à des salons, mais beaucoup sont inabordables ou peu rentables. 

Pour les librairies, un éditeur ami m’a expliqué les factures Pro Forma, et comme mes titres sont sur Electre, des libraires me contactent pour me demander mes conditions… en 2024, c’est une vingtaine de ventes. Et j’ai un dépôt dans une librairie d’Orléans. 

Pour le numérique, j’ai un diffuseur ; Immatériel. Au niveau organisation, ça marche assez bien ; hélas, les ventes restent anecdotiques. 

Pour la vente en direct, j’ai une boutique, et je diffuse mes titres sur Rakuten, mais aucun ne décolle vraiment. Depuis peu, mes titres sont aussi en ligne chez Decitre. 

PdE : Appliques-tu le dépôt légal des livres et des périodiques auprès de la BNF ? 

B.H. : Bien sûr, je déclare mes titres, j’effectue le dépôt légal à la B.N.F. J’effectue aussi un envoi à Ciclic qui est un organisme spécifique de la région Centre, ainsi que sur Electre.

PdE : Tes titres sont-ils proposés sur des formats autres que Broché ? (Poche, audio, numérique…) ? 

B.H. : J’ai suivi un stage en numérique. Toutes mes publications existent en numérique. La collection Petit format est une collection au format poche. 

PdE : Quelle est ta présence sur les salons et festivals, et quelle importance accordes-tu à la communication pour ta maison d’édition ? 

B.H. : Je participe depuis le début au salon des Aventuriales qui a lieu en Auvergne tous les ans, c’est une équipe que j’apprécie et qui me le rendent bien. C’est aussi l’occasion de revoir mon ancien éditeur Lilian Ronchaud avec qui j’ai beaucoup appris. Les autres salons sont plus aléatoires mais nécessaires : Angers, Rennes, Epinal, Lyon… 

Je suis aussi impliqué dans les conventions de science-fiction. En 2025, avec les Orléonautes, je prépare la convention de Saint-Ay. Les conventions sont un endroit en général plus détendu qu’un salon, et un bon moment pour échanger. C’est un lieu où l’on peut faire connaissance des nouveaux visages. 

PdE : As-tu des infos exclusives à partager sur de futures parutions ou évolutions ? 

B.H. : J’avoue une grande prudence. Beaucoup de fragilité… 

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A propos de Xavier FLEURY

Matelot du fanzine Présences d'Esprits, chargé des demandes de Services Presse pour les nombreux chroniqueurs de la cabine Livres.

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