« Un souvenir nommé Empire : Teixcalaan – 1 » d’Arkady Martine

Dans un lointain avenir, une part considérable de la zone galactique peuplée par l’humanité est dominée par l’empire teixcalaanli, à la culture et aux traditions millénaires. Aux franges de cet Imperium, quelques stations minières contrôlent des portes de saut dans des systèmes solaires dépourvus de planètes habitables. Elles s’efforcent de conserver leur indépendance. Depuis vingt ans, le Conseil stationniste a donc envoyé un ambassadeur, dans la capitale teixcalaanlie pour défendre ses intérêts.

Mais un vaisseau de l’imperium surgit un jour aux abords de Lsel pour réclamer un successeur à Ykskandr, sans vouloir dire ce qu’il lui est advenu. Le Conseil choisit et prépare donc en hâte sa remplaçante, Mahit Dzmare, brillante diplomate fascinée par les merveilles de la culture impériale. Seulement elle part avec un handicap. Son prédécesseur n’est revenu à Lsel qu’une seule fois, quinze ans auparavant. L’implant neurologique de Mahit n’a donc pu recevoir qu’une imago d’Ykskandr obsolète.

En effet, dans les stations, chacun possède un implant qui enregistre ses souvenirs, sa personnalité régulièrement, afin que dans chaque profession, aucune connaissance ne se perde au fil du temps. Les Stationnistes s’intègrent ainsi à des lignées professionnelles. Autre handicap pour Mahit, elle n’a eu que quelques mois pour se familiariser avec la personnalité embarquée de son jeune prédécesseur, elle ne l’a donc pas encore complètement assimilée. Et naturellement, cet implant est un secret stationniste que les Impériaux ne doivent surtout pas découvrir, car il viole leur religion…

À peine arrivée dans la capitale, Mahit doit faire face à un protocole impérial extrêmement complexe… Elle est accueillie par Trois Posidonie, sa chargée de mission, une jeune femme très douée avec laquelle le courant passe aussitôt. Mahit apprend qu’Ykskandr est mort, apparemment de mort naturelle, mais elle ne peut s’empêcher d’en douter. D’autant qu’il semblait avoir noué des relations privilégiées avec Six Direction, Sa Lumière l’Empereur En Titre de tout Teixcalaan. Ainsi qu’avec Dix-Neuf Herminette, une des ezuazuacatlims de Six Direction, une femme très puissante, membre de son conseil consultatif personnel.

La situation de Mahit se complique lorsque son imago défectueuse disparaît de sa conscience et qu’elle échappe de peu à un attentat…

Ce roman paru en 2019 (Prix Hugo 2020) revisite avec bonheur le space opera galactique en lui apportant une culture riche et exotique qui n’est pas sans rappeler celles de certaines civilisations antiques (aztèque, romaine…). De fait, l’autrice est spécialiste de l’histoire arménienne et byzantine.

À la Cour impériale de Teixcalaan, l’intelligence, la mémoire et la poésie sont aussi importantes que les capacités physiques et les alliances politiques, ou même le nom. Les intrigues de la capitale (l’empereur est vieux et malade, et certains convoitent le trône, comme c’est bizarre !), la richesse de son histoire (un empire conquérant dont toute la culture élève au pinacle l’oralité et la poésie) et l’humanité des personnages (malgré leurs noms de choses !) rappellent furieusement certains cycles de fantasy et de science-fiction, où l’intérêt premier est porté sur les personnages et leurs relations, plutôt que sur les éléments scientifiques et technologiques de l’univers imaginé. Les actions s’enchaînent selon un scénario qui mène le lecteur de surprise en surprise, grâce à de nombreuses trouvailles et à des rebondissements qui donnent envie de lire la suite, Une désolation nommée paix.

Bien sûr, cet univers doit beaucoup à Banks, à Star Trek : Deep Space Nine et sur tout à Ann Leckie, mais ne boudons pas notre plaisir, car ce premier roman est assez dépaysant pour se lire tout seul, contrairement à « la trilogie de l’ancillaire », beaucoup plus rasoir, il faut bien l’avouer (alors que pour son quatrième roman dans le même univers, Provenance, Ann Leckie réussit à mettre du rythme et de l’action, sans les noyer dans le thé !).

La question de l’identité est cruciale, mais ce roman d’initiation brasse de nombreuses autres problématiques au gré des aventures de Mahit, à laquelle on s’attache, tout comme on s’attache à sa nouvelle amie, Trois Posidonie, ainsi qu’aux autres secondaires, dont la personnalité s’approfondit au fil des pages. La mémoire constitue-t-elle notre identité ? Sommes-nous encore humain et nous-mêmes lorsque la personnalité d’un autre s’ajoute à la nôtre ? Une culture attachée aux arts et à la poésie est-elle fondamentalement mauvaise et cynique, ou juste pervertie par des dirigeants et des forces armées avides de pouvoir ? Bref, des questions classiques de SF, mais pour un premier roman, c’est une réussite : vivement la suite !

Chronique de François ‘767’ Manson

 

A propos de Christian

L'homme dans la cale, le grand coordinateur, l'homme de l'ombre, le chef d'orchestre, l'inébranlable, l'infatigable, le pilier. Tant d'adjectifs qui se bousculent pour esquisser le portrait de celui dont on retrouve la patte partout au Club. Accessoirement, le maître incontesté du barbecue d'agneau :)

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