Cette anthologie des Utopiales 2022 est un ensemble de treize nouvelles que les organisateurs des Utopiales ont demandées aux auteurs invités, autour du thème Limites. C’est dire si la qualité est au rendez-vous.
La diversité également, car le sujet permet toutes les variations de style, de registre et de thématique. Aussi, à qualité égale, j’ai dû reconnaître que certains textes m’enthousiasmaient et que d’autres me laissaient plus froide, mais à chacun de faire et d’assumer ses propres choix, il y en a pour tous les goûts !
On reste à notre époque, dans on ne sait quel ailleurs, peut-être la zone entre vie et mort, dans l’étrange et troublante nouvelle fantastique de Nicolas Martin. Le drame implique trois enfants. « Tour d’écrou » garanti sur notre émotion, pour reprendre la célèbre formule de James.
Aucune tendresse à chercher, par contre, dans la terrible nouvelle de Morgane Caussarieu, où se développe une relation toxique entre une mère narcissique et égoïste et un enfant mutant aux terribles pouvoirs ; c’est très fort et glaçant.
On retrouve avec soulagement le « lait de la tendresse humaine » dont lady Macbeth se défiait dans des mondes à peine décalés dans un futur proche, comme celui d’Emilie Querbalec. L’enjeu y est une maternité douloureuse et réglementée. Ou celui de Jean-Marc Ligny, où, dans une île submergée par la montée des eaux, un vieil homme obstiné survit avec un chat qu’il a sauvé.
Même un futur post apo peut prendre des formes très différentes. Floriane Soulas reprend le thème du Facteur renouant les liens sociaux dans un monde sinistre aux jours éternellement gris, où la nature et les hommes recèlent bien des dangers. Elle y introduit un personnage pathétique d’enfant-foudre. Au contraire,
Morgan of Glencoe place dans le futur une société de type féodal où les humains vivent en tribus s’ignorant ou se combattant l’une l’autre. Et retrouve noms et attributs de la matière de Bretagne, plus un emprunt à Bradbury, le tout renouvelé dans un style personnel, avec une relation poignante entre un jeune apprenti, Blaise, « bègue » pour les uns, « loup » pour les autres, et une prisonnière, Branwen, le Corbeau Blanc.
On plonge aussi dans des univers virtuels complexes. Alexander Weinstein nous présente des cybernéticiens manipulateurs de souvenirs, Jean Baret, une « rebooteuse », obligée pour délivrer un patient de sa névrose, de traverser à ses risques et périls son monde intérieur, envahi des réminiscences de films gore et de jeux vidéo ! On s’y perd un peu mais c’est mené tambour battant !
Karine Rennberg et Aurélie Wellenstein, tout au contraire, plongent dans un passé mythique. La première suit une troupe de guerriers bersekers, qui cherchent désespérément à protéger leur chef, Maître des Runes, et à déjouer la convoitise d’un ambitieux. La seconde retrouve les thèmes antiques qui lui sont familiers en faisant du Minotaure un enfant esclave dans une usine labyrinthe, à qui elle prêtera pour un temps les ailes artificielles d’Icare…
C’est au thème du vampire qu’Ugo Bellagamba s’attaque, en une variation éblouissante d’ingéniosité et d’originalité, dans un univers totalement SF. C’est tragique et poétique à la fois.
Le thème du voyage spatial qui fit les beaux jours de la SF de grand-papa revient avec des tonalités sombres et désabusées dans les nouvelles de Julien Heylbroeck Calderoni et de Saul Pandelakis. Dans la première, des éboueurs de l’espace exploités par la Hanse explorent avec un matériel vétuste les restes congelés d’un immense cadavre.
Dans la seconde, de magnifiques créatures, appelées jadis majestés et depuis mantas, servent de monture aux humains qui les ont asservies. Mais les deux auteurs savent nous faire partager leur empathie avec les personnages malgré l’étrangeté déconcertante du monde où ils nous introduisent.
Bref une excellente sélection pour cette quatorzième anthologie des Utopiales, on attend avec impatience la prochaine !
Chronique de Marthe ‘1389’ Machorowski