Votes pour le match d’écriture des Imaginales 2017 : « La foire humaine »

Sujet vaste et vague que la foire humaine. Les auteurs ont eu probablement raison de piocher une ou deux contraintes pour se rajouter de précieuses minutes de réflexion.

  • La pièce manquante
  • La foire humaine
  • Les naufrageurs
  • Réalité augmentée
  • Un voyage mal organisé
  • Une passion dévorante
Contrainte 1
A la fonte des neiges
Contrainte 2
Un distributeur d’organes

LA PIÈCE MANQUANTE

Du bout du tentacule, Timmy caresse la caisse du distributeur. Un petit « Cling » résonne dans la rue déserte tandis que la machine prélève la somme sur le compte intergalactique maternel. Les rouages se mettent en branle dans un grincement caractéristique des appareils qui ne servent pas souvent et Timmy agite les tentacules, plein d’espoir. Il a testé tellement de distributeurs de la ville dans l’espoir de trouver ce qui lui manque pour compléter son jouet. À croire que le fabriquant fait exprès de créer une pénurie. Mais Timmy ne compte pas se laisser abattre pour autant.

La trappe s’ouvre avec une musique joyeuse sur une sphère de métal gris. Le poulpon l’ouvre délicatement, sautillant sur ses tentacules. Personne n’utilise jamais celui-ci, de distributeur, il a toutes ses chances. Alors qu’il dévisse la sphère, Timmy retient son souffle et ses trois cœurs s’affolent d’anticipation. Jusqu’à découvrir le contenu.

Oh, encore des poumons, émet-il mentalement, à personne en particulier.

Sa déception est juste trop forte pour la garder pour lui-même. Il espérait tellement obtenir un cœur. Deux ans qu’il récolte des organes dans les distributeurs des fonds, au rythme lent de son argent de poche. Il en rêve la nuit, de son humain de compagnie à venir. Une fois qu’il l’aura complété d’un cœur, cela dit. Soit toujours pas aujourd’hui.

Sur le trajet du retour, Timmy sème sa déception d’un mucus un peu plus gluant que d’ordinaire. Cela fera probablement le bonheur des nettoyeurs de la ville. En rentrant à la maison, Timmy s’est à peine engagé dans le couloir que la pensée de sa mère lui vrille le système nerveux.

Le mucus collant est interdit dans cette maison ! Tu vas me faire le plaisir de réviser ton attitude immédiatement, jeune poulpe !

Timmy agite les tentacules dans une imitation un peu moqueuse de sa mère.

Je te vois.

À peine a-t-elle conféré cette pensée qu’elle émerge de la couche de sable sous laquelle elle s’était enfouie pour une sieste. Timmy laisse tomber ses tentacules le long de son corps. Il ne l’a pas volée, cette remontrance.

J’en déduis que tu n’as pas trouvé ce que tu voulais ?

La pensée de sa mère s’est adoucie. Elle a dû lire la déception dans son attitude.

Non, encore des poumons. Comme si un humain en avait besoin de huit paires, ronchonne-t-il.

C’est ce qui fascine le plus Timmy chez cette drôle d’espèce, le fait qu’ils aient si peu d’organes en si peu d’exemplaires. Un seul cœur au lieu du trio que le jeune poulpe sent battre en lui, des poumons pour vivre à l’air libre quand Timmy doit chausser une combinaison spéciale pour quitter le fond marin, et seulement deux paires de membres. Comment peut-on vivre ainsi, cela échappe à Timmy. Raison pour laquelle il a décidé de se fabriquer son propre humain, vu que ceux prêts à l’emploi sont trop cher pour son maigre argent de poche.

Sa mère pose un tentacule compatissant sur l’un des siens.

Je vois bien tout le mal que tu te donnes. Tu t’es montré très sérieux, Timmy. Tu as bien mérité que je t’emmène sur Icecream.

Le petit garçon fixe sa mère, incertain. Quel rapport ?

La planète est entrée en fonte, précise-t-elle.

Encore ?

Oui, encore. C’est le problème avec les choses construites artificiellement, elles ne durent pas. Surtout quand on veut créer une planète glaçon assez près de son soleil pour ne pas y avoir froid.

Le duo observe un temps de silence. Comment leur espèce, qui a su quitter son statut d’animal des millénaires plus tôt en acquérant l’intelligence, entre autres choses, peut-elle dilapider ainsi leur fine technologie ? N’ont-ils pas mieux à faire ? Comme aider les humains à ne pas détruire leur planète d’origine plutôt que de prélever des spécimens pour étude, conservation et usages divers. Timmy s’efforce de ne pas trop y penser. Il se rassure en se disant que l’humain de compagnie qu’il construit, au moins, ne connaitra pas le sort funeste du reste de son espèce. Il sera choyé et aimé.

Ça ne me dit pas pourquoi tu veux m’y emmener ? insiste-t-il.

Je ne t’en ai jamais parlé parce que les pièces y sont très couteuses, mais il y a là bas des revendeurs d’organes humains. Comme la planète va fondre, il faut bien liquider les stocks avant qu’ils ne disparaissent dans le vide intersidéral. Du coup, ils ont décidé d’organiser une foire humaine. On devrait y trouver un cœur à prix abordable. Et qui sait ? Si tu es sage, on envisagera peut-être d’acheter de quoi monter un second humain, du sexe opposé. Tu pourrais les faire se reproduire, je suis sûre que ce serait très éducatif.

Les cœurs de Timmy en palpitent tellement il est heureux. Il va avoir son humain de compagnie !

Le poulpon n’a encore jamais quitté sa planète natale. Oh, il a bien enfilé une combinaison d’émergence une fois ou deux, histoire de voir à quoi ressemble la surface. Tous les gamins ont des sorties scolaires pour observer les espèces terrestres et mieux comprendre leur étrangeté. Mais là, il ne va pas se contenter de mettre la combinaison pour quelques heures. Non, il va devoir la garder non-stop jusqu’à leur retour à la maison. Difficile d’entretenir des fonds sous-marins sur une planète glaçon.

Sur la navette spatiale où Timmy et sa mère prennent place, le jeune poulpe observe avec admiration les étoiles et se demande si, dans le lot, il y a le fameux Soleil sous les rayons duquel les humains grandissent à l’état naturel. De son tentacule ganté, il caresse le verre qui le sépare du vide et se demande quel effet cela ferait de nager-là. Timmy aimerait bien faire ça, plus tard, comme métier.

Quand ils arrivent enfin sur Icecream, le jeune poulpe peine à contenir son impatience. Il flotte dans sa combinaison de surface, les tentacules appuyés sur les manettes de commande pour se diriger droit sur la foire. Pourtant, quand les portes s’ouvrent enfin et qu’il pose le tentacule sur la planète, il ne peut s’empêcher d’être happé par la beauté du lieu, et son étrangeté, il faut l’admettre.

Le sol d’Icecream brille sous les rayons lumineux de la mi-journée. La planète a beau orbiter autour d’une naine rouge, la chaleur est bien présente et la surface est constituée d’une fine couche d’eau sur du glaçon plus solide.

Mais pourquoi toute la planète fond, je ne comprends pas ? s’étonne-t-il.

L’eau semble vouloir rester à sa place, après tout, même fondue.

Une fois liquide, elle s’évapore et elle s’en va, lui explique Maman.

Timmy essaie d’imaginer, mais l’invisible est toujours difficile à percevoir. Comme quand on lui a expliqué, à l’école, que la surface de leur planète n’est pas constitué de vide, comme entre les étoiles, mais d’air. Le jeune poulpe s’attendait à voir quelque chose, quand il sortirait, mais il avait été déçu de ne découvrir… rien.

Cela dit, sans pouvoir mettre le tentacule dessus, Timmy a l’impression qu’il y a, sur Icecream, encore moins que le rien de sa planète natale. C’est peut-être pour ça que l’eau s’échappe au lieu de finir par retomber ?

Allez, trouvons les revendeurs de cœur avant qu’ils n’aient plus rien ! l’exhorte Maman. C’est l’organe qui part le plus vite, il parait.

Normal, ils n’en mettent pas dans les distributeurs, ronchonne le poulpon.

Timmy n’imagine pas d’autre explication à sa déconvenue.

Sagement, il suit Maman dans le dédale des marchands qui s’étend devant eux. Timmy a déjà visité la foire aux goujons à la maison, mais l’ambiance ici est très différente. Déjà, parce que tout le monde porte des combinaisons de surface qui leur inventent des jambes un peu comme celles des humains pour se déplacer. Ensuite, l’ambiance est drôlement silencieuse. À la foire au goujon, tous les poulpes émettent mentalement à qui mieux mieux. Ici, il y a seulement des panneaux lumineux sur lesquels s’étendent des sommes criardes en dessous du type d’organe vendu. Cela doit aider pour mentir.

Timmy guette impatiemment. De stand en stand, toute l’anatomie humaine se présente, en déclinaisons que le jeune poulpe n’aurait imaginé espérer. Dans les distributeurs, tout se passait au petit bonheur la chance. Son humain a ainsi un bras noir, un autre très poilu et les deux jambes blanches comme le sol d’Icecream. Sans parler des yeux vairons…

Quand il aperçoit enfin les cœurs Timmy assaille sa mère de pensées :

Ils sont là ! répète-t-il trois, quatre, cinq fois jusqu’à ce que sa mère, lasse, lui intime de s’arrêter de penser aussi fort.

 Cela dit, elle continue vers les premiers vendeurs de cœurs. Elle en dépasse plusieurs sans un regard, au grand dam de Timmy, jusqu’à ce qu’elle finisse par s’arrêter devant le moins cher.

Un cœur fonctionnel, c’est possible ? demande-t-elle.

 Le sang pulse si fort dans le corps de Timmy et dans son esprit qu’il étouffe le son des pensées de sa mère et du marchand. Ils passent quelques minutes à échanger et le jeune poulpe suppose que Maman négocie le prix. Elle a toujours été économe.

Enfin, elle se retourne vers lui, une sphère à organes en main, l’épiderme rougissant de plaisir.

Et voilà, Timmy, un cœur pour ton humain !

Seulement un ? proteste-t-il.

Le jeune poulpe n’a pas oublié la promesse de sa mère d’assembler un second humain pour tenir compagnie au premier et, qui sait, les voir se reproduire.

D’abord, on s’assure que celui-ci a bien été monté. Si tout vas bien, on se lance dans la récolte du nécessaire pour le second. Tu as pensé à emmener toutes les pièces avec toi ?

Timmy extrait d’une poche de sa combinaison la boite qui contient le corps son futur humain de compagnie. Le jeune poulpe pose un tentacule sur la paroi de verre qui le sépare de l’atmosphère confinée et de la température glaciale nécessaire à sa conservation.

C’est un mâle ou une femelle, d’ailleurs ? interroge Maman.

Timmy jette un regard perplexe à son humain. Comment fait-on la différence ? Il repense au jour où il a obtenu cet organe à la drôle de forme, un boudin flasque recouvert de chair fripée et accompagné de deux sphères un peu consistantes et poilues. Timmy ne trouve pas les humains très beaux, mais cette pièce-là… elle tient le podium. Incertain, il décrit la pièce à sa mère.

Elle prend un long moment de réflexion avant de lui répondre.

Je crois que c’est un mâle. On demandera confirmation au vendeur d’organes reproductif avant d’en prendre des femelles. Ces distributeurs manquent sérieusement d’explications associées, ronchonne-t-elle.

Mais ils ne sont pas chers, rétorque Timmy.

Maman ignore sa remarque et lui fait signe d’ouvrir la trappe à insertion d’organe. La boite d’assemblage est ce qui a couté le plus cher au jeune poulpe. Il a passé six mois entiers à économiser pour l’acheter, avant même d’avoir récolté la moindre pièce. Maman pose délicatement le cœur dans la trappe qui se referme aussitôt.

Un nuage de vapeur envahit la boite et le corps disparait quelques instants. Puis, quand la fumée se dissipe, Timmy constate avec joie que la chair est devenue plus rosée. Cela doit vouloir dire que le cœur travaille ? Il lui semble avoir lu une fois que le sang des humains est rouge. Excité, il colle un œil sur la surface de la boite pour mieux voir.

À l’intérieur, sa création s’est miss à s’agiter. Il est vivant ! Les cœurs de Timmy battent à l’unisson d’excitation. Il a tellement hâte de le ramener à la maison et de l’installer dans un humarium !

Lentement, l’humain ouvre les yeux, comme s’il se réveillait d’une longue nuit. Un instant, le poulpon se demande comment tout cela fonctionne dans la nature. Assurément, personne ne les assemble sur leur planète natale ?

Soudain, l’humain le fixe, puis sa bouche s’ouvre grand. Timmy se demande s’il en sort un son ? Lui n’entend rien, la boite est trop bien isolée. Ses yeux s’écarquillent puis soudain, ses pupilles se dilatent et il se fige. La couleur disparaît de sa peau et il devient gris. Timmy agite la boite, mais sa création est plus passive qu’un caillou au fond de son océan.

Le petit poulpon sent le tentacule de sa mère qui l’embrasse de son affection.

Il est mort, mon chéri. Il n’a pas supporté le choc. Je suis désolée.

 Timmy fixe la boite, incrédule. Deux ans pour ça ? Tout son argent de poche économisé, tous les distributeurs d’organes écumés, même Maman qui a décidé de l’amener sur Icecream, et tout ce qu’il a obtenu c’est quelques instants de terreur et la mort immédiate ? Le dépit formule une pensée :

Et bah, s’ils sont si fragiles, pas étonnant que leur planète se meure et qu’on soit l’espèce supérieure.

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