« L’ère de Caïn » de Yann Quéro

Combien m’ont déjà entendu plaider pour la réhabilitation de Caïn, victime d’un procès truqué et d’un jugement inique, depuis que, dans une émission religieuse où deux éminents rabbins jouaient le procureur et l’avocat, ils avaient présenté l’histoire, en la rallongeant par rapport au trop court texte de la Genèse, comme celle d’une rivalité ancienne dans laquelle Abel, mais aussi son père Adam et leur Seigneur Dieu harcelaient depuis longtemps Caïn, coupable d’avoir inventé l’agriculture quand eux préféraient l’élevage ?

Mais surtout, là où la Genèse écrit que « Caïn attira son frère dans les champs et le tua », ils avaient présenté les faits en racontant qu’Abel avait entrepris de détruire les cultures et que Caïn avait essayé de l’arrêter, d’abord avec des mots, puis avec une pierre. Autrement dit, et même si la notion n’existait pas en droit hébreu, nous aurions là un cas de légitime défense ou, à tout le moins, de riposte éventuellement excessive à une agression. En n’oubliant pas que le juge, Dieu, aurait dû être récusé puisque, de longue date, partial (la Genèse rappelle qu’il refusait les sacrifices végétariens de Caïn et lui reprochait son irritation devant ces refus).

D’une certaine façon Yann Quéro nous présente la même histoire, l’intervention de Dieu en moins : Caïn, faux jumeau d’Abel dans une tribu anthropoïde préhistorique, diffère des autres membres de la tribu par son physique de mutant, moins velu que ses parents ou que son frère. Il est donc, bien avant la mort d’Abel, rejeté par ses presque semblables. Il est de plus bien plus intellectuel, et a inventé l’agriculture là où sa tribu se contente de chasse et de cueillette. Et le jour où Abel amène ses moutons sur les champs de Caïn, la dispute aboutit à la mort d’Abel, et Caïn doit fuir sa tribu.

Mais c’est là que l’histoire racontée devient originale puisque ce Caïn, ancêtre de l’humanité, va voyager dans le temps, apparaître dans une Eire où vit le clan des géants Odin, Thor, Heimdall et d’autres personnages inattendus que je ne présenterai pas. Puis emporté par le déluge qui submerge ce pays, il est recueilli par un vaisseau hollandais du 16° siècle, qui l’emmènera jusqu’à Timor et au 21e siècle, après un nouveau cataclysme.

Dans ce livre, Yann Quéro mélange donc allègrement des personnages légendaires de différentes provenances, Genèse, Odyssée, Wagner, des réflexions variées sur les sources de ces légendes, sur les religions, parfois attaquées par certains personnages, défendues par d’autres. En fin de compte, il ne me semble pas avoir lu une tentative de thèse en faveur d’une idée, seulement la présentation d’un certain nombre de visions possibles sans qu’aucune ne soit l’objet d’une décision définitive pour ou contre.

Ce parcours de Caïn à travers l’histoire de l’humanité et jusqu’à sa possible disparition est aussi accompagné par la flûte sur laquelle Caïn joue différents airs, et qui accompagnera son enterrement. Un livre qui fait réfléchir, sans prétendre donner des réponses définitives, donc. Une fiction spéculative tout à fait réussie, à quelques coquilles ou fautes de grammaire non corrigées, mais sans gravité, près.

Chronique de Georges ‘722’ Bormand

A propos de Christian

L'homme dans la cale, le grand coordinateur, l'homme de l'ombre, le chef d'orchestre, l'inébranlable, l'infatigable, le pilier. Tant d'adjectifs qui se bousculent pour esquisser le portrait de celui dont on retrouve la patte partout au Club. Accessoirement, le maître incontesté du barbecue d'agneau :)

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