Comment se dépatouiller d’un thème pareil … Jetez un coup d’œil sur les créations, et validez ou pas si le défi a été relevé avec succès. Mais celui-ci il est corsé j’avoue.
- Jusqu’où mène la cruauté
- Genèse (les dernières révélations)
- Invasion de nuisibles
Contrainte 1 |
Au cœur d’une tornade |
Contrainte 2 |
Un enfant cruel |
JUSQU’OÙ MÈNE LA CRUAUTÉ
Autrefois, il n’y a pas si longtemps, vivait un enfant magicien dans une petite ville de moyenne montagne. Bien sûr, ce n’était encore qu’un apprenti mais ses talents en magie n’avaient d’égal que sa cruauté. En effet, il n’aimait rien tant que de jouer de mauvais tours à son entourage. Un jour, il avait réussis à recouvrir le visage de son oncle de furoncles d’une seule incantation.
Mais ce matin-là, sa propre mère fut l’objet de sa malveillance. Il décida de lui concocter une potion pour lui faire pousser des écailles sur la peau. Installé dans sa chambre-laboratoire, il commença à mélanger les ingrédients qu’il avait en réserve : une fleur de lys doré, du sang de lombric… Et bien sûr, à la fin, il rajouta des écailles de crocodile. Mais alors qu’il était en train de piler les écailles, dos à son chaudron, un pétale de coquelicot apporté par la brise à travers la fenêtre laissée ouverte tomba dans la potion. Hors, le coquelicot est contre-indiqué pour cette potion-ci. Inconscient du problème, l’enfant magicien rajouta la poudre d’écaille et laissa la potion finir de bouillir le temps recommandé par son grimoire.
Quand elle fut prête à être servie, il l’apporta à sa mère à l’étage du dessous. Celle-ci était en train de lire une fiction de son auteur préféré mais ayant soif et un peu froid elle accepta de boire de breuvage de son fils à la place de sa tisane. Tout à coup, elle s’étouffa, devint rouge puis violette, puis d’une couleur indéfinissable et enfin s’évanouit. Et bien sûr, aucune écaille n’apparut sur son corps. Horrifié, le magicien laissa tomber le pichet dans lequel il avait servi la tisane. Quand celui-ci atterrit sur le sol, il aperçut parmi la potion répandue le pétale de coquelicot. Son horreur redoubla. Heureusement, il se souvint du remède : une tisane aromatisée avec de la poudre d’émeraude. Sa seule émeraude était cachée dans un buisson de menthe à l’entrée du jardin. Il y courut… Pour s’apercevoir que son âne Tornade qui broutait dehors avait saccagé le buisson et avalé l’émeraude ! Une seule solution : faire déféquer l’animal puisque la pierre se trouvait en son sein depuis un bon moment. Malheureusement, le temps manquait pour une nouvelle potion. C’est ainsi que l’enfant eu l’idée d’utiliser les services de son professeur. Pourquoi ne pas utiliser les talents d’autrui quand on manque de moyens pour s’en sortir ? Il se précipita chez cet homme, un mage réputé. Il lui raconta que son âne était constipé suite à sortilège et le vétérinaire malade pour ne pas avoir à mentionner l’émeraude et sa valeur. Le mage accepta de l’aider à condition que son élève l’aide dans la préparation d’une potion particulièrement ardue à réaliser. Ils retournèrent au domicile de l’enfant et le mage résolut le problème d’une incantation qui n’était pas encore au programme de son élève. Celui-ci n’eut plus qu’à fouiller dans les excréments de tornade pour récupérer l’émeraude.
Cela lui provoqua un éclair de lucidité : être cruel ne lui a servi qu’à se mettre dans la mouise !
Contrainte 1 | Un détonateur |
GENÈSE (LES DERNIÈRES REVELATIONS)
Au commencement était le néant. Et le simple fait que l’on puisse le désigner ainsi signifiait que, même si ce n’était pas grand-chose, ce n’était tout de même pas rien. Comme tout ce qui porte un nom possède aussi un début et une fin, une taille, un poids et des myriades d’autres propriétés, il s’en suivit qu’apparurent tout un tas de dimension spatiales et temporelles pour accommoder ces concepts, et d’aucuns parmi les plus grands philosophes s’accordent à penser que ce fut là le début des ennuis.
En cela, ils avaient tort : les ennuis ont commencé juste avant.
Tandis que les moteurs du vaisseau pliaient et repliaient l’espace-temps en des topologies toujours plus complexes, la flèche d’argent de sa silhouette élancée bondissait de crête en crête dans cet origami cosmique, tels les ciseaux d’un enfant découpant des bonhommes en papier dans la trame de l’Univers.
Sa vitesse atteignait l’incommensurable. Elle touchait à l’inimaginable, en frisant allégrement l’impossible. Sa simple expression numérique aurait suffi à couvrir la surface d’une planète entière de tout petits zéros écrits en pattes de mouches serrées.
Le pilote, dans le fauteuil du poste de commande, se vautrait mollement en bâillant ; il en avait vu d’autres. Lui qui n’était à l’origine qu’un homme, il avait probablement mené l’existence la plus remplie de l’Histoire. Au cours des milliers d’années de sa longue existence, il avait visité la plupart des planètes habitables, et un bon nombre d’autres franchement inhospitalières. Il avait emprunté tous les modes de transports possibles, depuis les antiques caissons de stases des origines jusqu’aux transperceurs quantiques, et se trouvait même à l’origine de quelques-uns d’entre eux.
Il avait accompli tant de choses au cours de ses pérégrinations… Il avait bâti et détruit des empires en fonction de ses besoins, créé des vaccins à des maux qui décimaient des galaxies entières – et parfois inventé les virus ayant nécessité ces remèdes –, amené à la vie des intelligences artificielles en mesure de dominer l’univers puis les avait convaincues que cela n’en valait pas la peine…
Son intelligence ne connaissait aucun égal. Elle n’était mesurable que parce que toute courbe a besoin d’une asymptote, et une rapide recherche dans les annales universelles lui avait appris qu’il était cette asymptote, et que personne ne viendrait le détrôner avant longtemps. Les civilisations de cent mondes s’arrachaient ses services en lui promettant des richesses ou des plaisirs inédits.
Il était l’inventeur suprême, le diplomate suprême. C’était lui, par exemple, qui avait négocié la paix dans le conflit millénaire qui opposait Ixius IV à Ixius V. Mais il ne l’avait fait que parce que la réouverture des routes commerciales entre ces deux planètes conduirait à l’enrichissement du système voisin, et que l’inévitable décadence qu’allait connaître sa civilisation sous cet afflux soudain de devises profiterait à son véritable commanditaire (une partie adverse dans un sombre procès en droits d’auteur). Ce genre de coups de billards à trois bandes avait fait sa fortune depuis bien longtemps, ainsi que sa célébrité dans les milieux politiques qui ne se doutaient pas une seule seconde qu’il se jouait d’eux comme de vulgaires marionnettes.
Au cours des siècles d’égoïstes et déloyaux services, il avait accumulé une telle collection de titres et décorations originaires des quatre coins de la création que le lent défilement de ses médailles sur l’écran tissé au cœur de son plastron de platine demandait plus de trente-sept jours pour arriver à son terme. Personne à part lui n’avait jamais vu la fin de cette interminable procession, et il s’était permis de lui ajouter une courte séquence « post-crédits » dans laquelle un avatar numérique de sa personne exécutait dans le plus simple appareil une petite danse obscène afin d’exprimer toute l’indifférence et la morgue que lui inspiraient les institutions qui le récompensaient. Une telle insolence encourait la mort dans bien des cultures, mais peu lui importait : de toutes les réceptions diplomatiques auxquelles il avait assistées, une seule avait duré plus de trente-sept jours, et si sa mémoire le servait bien, plus personne ne portait de vêtements à la fin…
Tant de cynisme… Il soupira lourdement, et se leva du siège de pilote comme pour s’extraire métaphoriquement de ces mornes pensées. Il n’avait pas toujours été ainsi. Il avait connu l’amour, autrefois ; à d’innombrables reprises, même. Marchant jusqu’à la paroi de la cabine sur laquelle une noria de cadres affichait les portraits de centaines de ses amants passés, il s’abîma dans la contemplation des visages qui peuplait son passé. Il avait embrassé, caressé, ou pseudo-papouillé des représentants de toutes les espèces intelligentes, appartenant aux quarante-neuf sexes et genres officiellement répertoriés ou non, et il avait aimé chacun d’entre eux, follement.
Mais le temps, ce voleur cruel, emporte avec lui les baisers, les caresses et les pseudo-papouilles. La lassitude s’installe inexorablement, affadissant peu à peu les plus sublimes émotions. Chaque être, en venant au monde, avale avec sa première bouffée d’air une gorgée du poison, une part de néant, un vide qui grandit et le dévore peu à peu. Car l’axiome est impitoyable : plus les souvenirs sont nombreux, et plus la valeur individuelle de chacun se réduit face à la masse de l’ensemble. Et plus l’être vit longtemps, plus ce vide l’envahit et engloutit les émotions qui le mouvait autrefois, tant et si bien qu’à mesure qu’il se remplit d’expériences, il se transforme paradoxalement et chaque jour un peu plus une coquille creuse de toute affect. Ne subsistent alors que la nostalgie, l’avidité ou l’orgueil, et la condescendance envers ceux qui, n’ayant point tant vécu, ne connaissent pas encore leur inéluctable destin.
Mais lui, le pinacle de l’évolution, le parangon de tout ce qu’avait produit le vivant, ne pouvait s’y résoudre. Puisqu’il ne pouvait stopper le néant le dévorait, il irait l’affronter sur son propre terrain.
Armé de cette farouche résolution, il avait mis en œuvre son redoutable intellect et investi englouti la totalité de sa considérable fortune dans ce dernier projet : il avait construit un vaisseau qui dépasserait la barrière de ce qui existe. Il rattraperait l’onde de choc du Big Bang, franchirait les frontières de l’Espace et du Temps, et combattrait le dernier ennemi qui résidait au-delà.
Une telle ambition souleva bien des sourcils, ainsi que quelques rires, parmi la communauté scientifique.
« Mais enfin, lui disait-on sur le ton qu’on emploie face à un enfant naïf, vous savez bien que l’Univers est fini, certes, mais sans bords. Votre rêve n’est pas plus réalisable que d’atteindre l’horizon : même si vous parcouriez l’Univers d’un bout à l’autre, ce ne ferait que vous ramener à votre point de départ… Et même si vous y arriviez, cela signifierait votre mort : en dehors de toute dimension physique, en l’absence de Temps, comment pourriez-vous même exister ? »
Des fous, tous ; des primitifs, incapables de voir plus loin que le mur où ils accrochent leurs diplômes universitaires. Les hommes autrefois pensaient que la Terre était infinie, qu’en marchant sans cesse droit devant on ne parvenait qu’à en faire le tour. Puis ils avaient trouvé le moyen d’aller plus vite, de se détacher du sol, pour finalement s’absoudre de sa courbure afin d’explorer les cieux.
Il allait à présent faire de même : lorsque sa célérité aurait atteint le seuil critique, il ferait prendre à sa nef un cap sans cesse plus éloigné de la réalité, jusqu’à ce qu’enfin sa vitesse de libération excède l’attraction globale de l’Univers. Et il retransmettrait chaque seconde de cet ultime exploit vers les mondes civilisés, afin que les vieux barbons qui s’étaient gaussés de lui comprennent bien qu’ils ne lui arrivaient pas à la cheville, et s’interrogent sur son sort pour l’éternité. Bien sûr, qu’il allait y laisser la vie ; c’était là, dans le fond, son but véritable. Mais il partirait sur un dernier exploit, sur une dernière énigme, et surtout sur un dernier pied de nez.
Derrière lui, un signal retentit : le moment était venu. Se précipitant vers la console de contrôle, il se sangla dans son fauteuil et, après avoir vérifié une dernière fois que l’enregistreur de bord transmettait correctement ses données, il cabra lentement le vaisseau à 10° de la réalité. 20°, 30° ; les images qui lui parvenaient depuis les capteurs extérieurs ne revêtaient plus aucun sens. 50°, 70° ; la lumière, qu’il avait depuis longtemps laissée sur place, le croisa en sens inverse en éclairant des choses qu’il aurait préféré ne pas voir. A angle droit de la réalité, tout explosa.
L’homme ouvrit les yeux dans un endroit baigné d’une lueur laiteuse. Il n’y avait ni sol, ni murs. Ni haut, ni bas non plus d’ailleurs, et à bien y réfléchir, il ne sentait pas vraiment présent non plus. Il ne percevait autour de lui qu’une immensité blanche et obscure à la fois, un silence assourdissant, une absence qui était partout ; il occupait un non-lieu, dans un non-temps.
« Bonjour, voyageur » lui dit une voix plutôt amicale au creux de l’oreille.
Il aurait voulu se retourner brusquement, mais en l’absence de devant comme de derrière, la volte-face restait un concept plutôt abstrait.
« Bonjour, répondit-il. Qui êtes-vous ? Et où suis-je ?
– La réponse à vos deux questions est unique : le néant. Vous êtes dans le néant, et je suis ce néant.
– J’ai donc réussi… observa l’homme à mi-voix, pour lui-même.
– Oui, voyageur : vous avez accompli votre quête. Vous êtes le premier à vous extraire de cet Univers auquel j’ai donné naissance.
– Oh ? rétorqua l’homme, incrédule. Vous n’allez pas me dire que vous êtes Dieu, quand même ?
– Non, je ne suis que le néant. Je suis ce qui a précédé l’existence, et je suis ce qui disparaît peu à peu à mesure que votre réalité s’étend dans son expansion. J’ai presque entièrement disparu, aujourd’hui, aussi votre arrivée tombe-t-elle à point nommé…
– Vous m’attendiez ?
– Pas vraiment, ;le néant ne connaît pas le temps, aussi ne pouvais-je vous attendre. Mais vous avez amené avec vous un peu de votre espace et de votre temporalité, et je puis donc réaliser les éons qui se sont écoulés depuis le commencement. Et si je me réjouis de votre venue, c’est qu’autrefois j’étais comme vous. Oh, mon univers s’avérait beaucoup plus simple et plus restreint que le vôtre, mais j’aspirais moi aussi à en connaître et à en briser les limites. Moi aussi, j’ai investi tout mon savoir dans ce voyage et le jour où j’ai atteint mon but, j’ai découvert cette vérité que je m’apprête aujourd’hui à vous révéler… »
L’homme se tendit en entendant ces mots : il existait donc un savoir suprême, quelque chose que seuls les élus sachant briser le mur du réel avaient le privilège d’entendre.
« Je vous écoute, souffla-t-il, retrouvant son exaltation depuis longtemps enfuie.
– Vous, voyageur, mon ami, vous n’êtes qu’un outil. »
Si l’homme avait encore possédé une mâchoire et des épaules, elles se seraient affaissées de plusieurs centimètres.
« Pardon ? Que voulez-vous dire, je ne comprends…
– Un outil, oui. Du néant naît l’existant, qui le dévore dans sa course vers les limites de l’espace et du temps. Mais chaque être qui peuple l’existant contient une part de vide qui le dévore peu à peu à son tour, comme s’il existait une loi de conservation du néant en miroir de la loi de conservation de l’énergie. Et quand un individu, poussé en avant par cette béance qui le talonne, dépasse enfin les limites de son univers, il devient le néant à son tour et peut alors donner naissance à une nouvelle réalité. Ce cycle multiéternel sous-tend la totalité de ce qui est et de ce qui n’est pas, depuis toujours. Vous, mon ami, allez prendre ma suite et constituer l’outil ultime qui bâtira le prochain univers à son image. »
L’homme s’assagit quelque peu. Hmm, il devait bien s’avouer que ce rôle ne manquait pas d’un certain aspect flatteur. Dans le fond, qui mieux que lui pouvait assumer cette responsabilité ?
« Ce nouveau monde, vous dites qu’il sera à mon image ?
– Oui, car c’est votre essence même qui imprégnera la trame même du néant au sein duquel explosera le prochain Big Bang. Le détonateur ne fournit-il pas l’étincelle initiale qui modèle l’explosion ? Cette réalité sera la vôtre, complètement. »
L’homme, ayant accepté son rôle, sentait déjà sa substance se déliter et se fondre dans le substrat fertile du néant.
« Vous aimez les énigmes ? continuait la voix, de plus en plus lointaine. Alors votre univers recèlera les mystères les plus complexes. La science est-elle la voie par laquelle vous abordez l’inconnu ? Votre univers s’expliquera tout entier par les mathématiques et la raison. Avez-vous connu l’amour et la volupté ? Votre univers offrira à ceux qui le peuplent les trésors inestimables que sont la découverte d’une âme sœur et le réconfort de sa présence… »
La conscience de l’homme fondait et se diluait peu à peu, mais les sens de ces propos lui parvenait toujours, et il sut que cela était bon. Il s’abandonna complètement.
Puis une pensée lui vint soudain, claire et tranchante.
« Oui, mais si je suis cynique et méprisant, ma création ne sera-t-elle pas empreinte de cruauté et de dédain envers ses habitants ? »
Le silence se prolongea juste un peu trop longtemps, comme si la voix devait soudain réfléchir à un aspect de la situation qu’elle n’avait pas encore envisagé. Puis elle lâcha, sur un ton un peu gêné :
« Ce n’est pas faux… »
Au commencement était le néant. Et _notre_ univers fut.
Contrainte 1 | Un vieil orc désoeuvré et borgne |
Contrainte 2 | Au milieu de 100 combattants |
INVASION DE NUISIBLES
Groumpf entra dans ca chaumine et lâcha les deux rondins devant la cheminée. Il était devenu agile des doigts de la main, mais certaines tâches lui échappaient, comme fabriquer un porte-rondins qui lui éviterait de faire autant d’allers-venues pour chauffer sa maison. Qu’il n’avait pas construite. Une vraie chance, cette bicoque de forêt. Si on peut appeler chance la peur qu’il inspirait à autrui et qui lui avait permis de chasser les habitants originels. De la même façon que le premier boiteux à jambe de bois passé près de son domaine avait dû repartir sans la prothèse. Groumpf obtenait tout ce qu’il voulait. Quand on est un orc ronchon et moche, il n’y a même pas besoin de froncer les sourcils pour effrayer les gens. Il lui suffisait d’exister pour faire fuir les gens. Qui abandonnaient diligemment leurs provisions. Cela changeait l’ordinaire. Les lapins avaient beau mourir de crise cardiaque en le voyant, il n’en mangeait pas tant que ça.
Groumpf venait à peine de s’affaler dans son lit qu’un grattement se fit entendre. Pas grand-chose, à peine plus bruyant qu’un couinement de souris. Il n’y prêta pas attention et s’enfonça avec soin dans le matelas. On gratta à nouveau, accompagné d’un brouhaha de minuscules voix. Des souris qui parlent, n’importe quoi. Groumpf remonta la couverture par-dessus sa tête et se retourna dans le lit en grognant. Rien d’aussi peu bruyant ne pouvait mériter son attention. Sur cette pensée, il sombra. On dort bien, quand tout le monde a peur de vous.
En se réveillant, le lendemain matin, Groumpf avait tout oublié des minuscules murmures. Il s’extirpa de son lit, attacha la jambe de bois à son moignon et sortit de la maisonnette. Il fit quelques pas jusqu’à son arbre préféré sur lequel il entreprit de soulager sa vessie gonflée par la nuit.
Quand il se retourna, il fit face à une nuée. Minuscule. Pas plus haut que des pâquerettes, à vrai dire. Groumpf cligna de son œil valide, pour s’assurer qu’il n’y voyait pas flou, mais les petits êtres étaient bien là. L’un d’entre eux se détacha de la masse, un petit point séparé des petits points. Parole de Groumpf, ces êtres n’étaient pas plus grands que des souris. À vrai dire, même des souris les trouveraient un peu petits. Pourtant, la voix qui s’échappa de la chose porta suffisamment pour que Groumpf l’entende de son oreille unique, qu’il tourna légèrement vers le microbe. Elle tirait douloureusement dans les aigus et Groumpf dû se concentrer pour distinguer ce qu’elle racontait.
— Salutation, Ô Dieu des Guerriers. Nous avons longtemps cherché votre demeure afin de vous demander de bénir notre armée. Nous partons en guerre contre nos voisins, mais nous ne sommes que cent quand ils sont cent-un. Leur avantage numérique risque fort de nous écraser, nous faisons donc appel à votre sage divinité pour nous donner la force de battre nos ennemis.
Groumpf se redressa. Une armée, ce tas de microbes ?
— Vous venez d’où, gronda Groumpf, jetant à terre tous les hommes.
Il leur fallut un temps certain pour se dépêtrer les uns des autres. Mais quand ce fut fait, le chef reprit la parole. Il sautillait d’énervement.
— Passe-Lierre, par delà la grande colline.
Groumpf regarda la bosse d’humus formée depuis trois hivers sur une souche d’arbre résistante que le chef lui désignait. Il ne savait pas que des micro-êtres partageaient sa forêt. Il se passait bien de leur compagnie jusque là.
— Et où vivent vos voisins ?
— Un peu plus loin vers l’est.
— Donc vous avez marché jusqu’à moi avec toute votre armée, quitte à vous épuiser juste avant votre grande bataille, juste pour ma bénédiction ?
Une clameur de joie s’éleva de la masse de micro-êtres. Groumpf contempla l’assemblée. Il n’avait rien d’un dieu. Certes, il était vivant quand tant de ses camarades étaient tombés au combat. Il était même plutôt chanceux, dans le décompte de ses pertes anatomiques. Il en connaissait certains qui avaient perdu les deux représentants de leurs éléments doubles. Tout cela ne le rendait pour autant pas apte à bénir une armée. S’il y avait bien une chose que Groumpf détestait, c’était le mensonge. Piller, violer, assassiner, tout cela il l’avait fait sans hésiter, car cela faisait partie de la guerre et ne définissait pas un orc. Mais mentir ? Voilà une idée qui le mettait hautement mal à l’aise.
Sans compter que, s’il les bénissait cette fois, n’allaient-ils pas venir lui briser son unique noix à chaque fois qu’ils se chamailleraient avec leur voisin ? Groumpf avait autre chose à faire que créer un culte en son nom pour des microbes. C’était un coup à se retrouver avec tous les micro-êtres du continent devant sa porte. Et s’il y avait bien une chose à laquelle Groumpf tenait, c’était sa tranquillité. Ramener les rondins de bois pour chauffer sa maison lui prenait déjà la majeure partie de son temps. S’il consacrait le reste à bénir de micro-armées, quand trouverait-il l’opportunité de ne rien faire ?
— Non, finit par gronder Groumpf avant d’enjamber l’armée pour retourner à l’intérieur.
Son estomac commençait à gargouiller et il avait justement un reste de lapin qui l’attendait. Alors qu’il fermait la porte derrière lui, une vague de « Oh » déçus parcourut l’armée. Ils se remettraient de la déception, songea Groumpf.
Ce jour-là, il ne sortir pas de sa chaumine. Il entendait bien les grattements sur sa porte, par intermittence. Il ne voulait pas se retrouver à débattre à nouveau avec les micro-êtres. Surtout qu’il avait toutes les difficultés du monde à les entendre et que cela l’épuisait prodigieusement. Alors Groumpf consacra sa journée à l’observation du plafond de bois et des nombreuses formes qui s’y dessinaient. Il pourrait y graver des scènes de guerre, mais il n’avait qu’un seul couteau et préférait conserver la lame pour une découpe efficace des cuisses de lapin. Sans compter que c’était fatiguant, la gravure. Groumpf avait suffisamment dépensé d’énergie pour toute une vie sur les champs de bataille. Sa retraite devait être consacrée au repos et à l’ennui.
En se couchant le soir, Groumpf eut une pensée pour les micro-êtres qui devaient plier le camp, à l’heure qui l’était, très déçus de ne pas avoir été bénis. Mais quel guerrier digne de ce nom reculerait devant une bataille sous prétexte d’être en sous-nombre ? Groumpf avait mené des centaines d’offensives à mille contre un qui s’étaient toujours très bien passées, malgré le déséquilibre effrayant mettant son camps à mal. Un rapport confortable est minimum de dix mille contre un. Mais quel gloire à vaincre sans sacrifier quelques membres ? Groumpf en savait quelque chose, il en était auréolé, de gloire. Tellement qu’il ne savait qu’en faire.
Le lendemain matin, il sortit uriner contre son arbre préféré comme à son habitude. Les cris de panique le firent sursauter et mouiller sa jambe de bois. Il baissa les yeux et découvrit l’inondation qu’il avait créée dans le micro-campement. Certains micro-soldats nageaient du mieux qu’ils le pouvaient tandis que d’autres agitaient juste les bras en l’air tandis que le courant d’urine les emportaient au loin.
— Pourquoi vous êtes encore là ? gronda Groumpf.
Tuer des ennemis, cela lui allait, mais noyer des pauvres soldats en train de dormir ? Ce n’était pas une façon honnête d’assassiner son prochain, foi de Groumpf. Et il détestait que ces enquiquineurs l’aient abaissé à cela bien malgré lui.
— Nous resterons aussi longtemps que nécessaire pour être bénis. Nous prouverons, par notre patience et notre entêtement, que nous méritons ton indulgence, Ô dieu de la guerre.
Groumpf ronchonna que les vraies divinités préféraient les cadavres de champs de bataille aux têtus casse-unique-noix avant de retourner dans sa chaumine, en claquant la porte derrière-lui. Un hurlement de douleur accompagna le geste. Un idiot qui aurait essayé de le suivre. Tant pis pour lui, il était mort. Ces enquiquineurs qui ne se trouvaient pas assez nombreux à cent venaient de perdre de précieux soldats par leur entêtement.
Groumpf passa sa journée à tourner en rond dans sa chaumine. Comment allait-il pouvoir se débarrasser de ces pots de colle ? Devait-il se résoudre à mentir ? Non, ils seraient de retour au prochain conflit. Et Groumpf détesterait voir toutes les micros-tribus de la forêt débarquer devant sa porte. Une seule l’embêtait déjà bien assez.
Il pourrait les tuer tous. En les piétinant avec soin. Même d’un seul pied, Groumpf était à peu près convaincu de pouvoir se débarrasser de l’armée. Après tout, il en avait déjà noyés quelques uns ce matin. Mais cela lui donnerait probablement une meilleure aura de divinité guerrière. Quoi de plus violent ? Groumpf aurait été extatique, à l’époque de ses exploits de combattant, si un dieu orc était soudain apparu dans le ciel pour l’écraser de son pied divin. Non, mauvaise idée.
Mais s’il ne pouvait ni les bénir ni les tuer ?
Groumpf regarda autour de lui dans la chaumine, en quête d’inspiration. Il repensa aux humains qu’il en avait chassés. Eux aussi avaient des dieux, même s’ils étaient bien trop cléments à son goût. S’aimer les uns les autres, quelle marrade. D’autant que les humains avaient malgré cela un don certain pour la dictature et un goût irrépressible pour le pouvoir. Les orc, aux moins, se battaient par amour de la guerre. Les humains ne le faisaient guère que contraints et forcés pour savoir qui est le plus fort et doit gouverner le monde. Bande de mégalos.
Groumpf s’arrêta en plein milieu de la chaumine. D’où il ne bougeait pas, à vrai dire, la taille ne lui permettant pas vraiment de définir plusieurs localisations entre les murs de bois.
— Voilà ce qu’il me faut, un humain ! s’exclama-t-il.
En voilà, une bonne idée. Les micro-soldats voulaient un Dieu à qui demander une bénédiction. Et les êtres humains avaient assez de mégalomanie pour se prendre au jeu et apprécier devenir le sujet d’un culte. C’était une solution parfaite. Il lui fallait juste un humain. Vivant. Et coopératif. Le premier point serait aisé, les deux suivants, moins. Mais Groumpf avait de la motivation à revendre. Il ouvrit la porte de sa chaumine à la volée et entendit les cris de quelques soldats qui firent un vol plané. Encore des micro-hommes en moins.
— Je vous ai entendus ! hurla Groumpf, renversant l’armée sous la force de sa voix. Mais vous vous êtes trompés, je ne suis pas la divinité que vous cherchez. Regardez-moi, admirez tout ce qui me manque !
Groumpf agita le moignon de son bras, se baissa pour laisser admirer son œil borgne et son oreille manquante, sous les « Oh » étonnés des micro-soldats.
— J’ai guerroyé, mais j’ai perdu trop de morceaux pour être votre dieu. Mais j’ai compris vos inquiétudes et je vais vous aider. Je vais vous chercher un dieu guerrier, un vrai. Un humain ! Entier ! Vivant !
Des « Hourras ! » s’élevèrent de la masse de soldats. Groumpf avait vaguement l’impression que ces derniers sautillaient de joie, mais comment dire avec certitude ?
— Surtout ne bougez pas, vous perdriez trop de temps. Je reviens au plus vite.
Sans plus tergiverser, Groumpf prit la direction qu’il honnissait le plus, celle qui le rapprocherait de la route et de la civilisation.
Il marchait pourtant d’un pas joyeux entre les frondaisons, il aurait presque eu envie de chanter, s’il n’avait pas craint d’effrayer ainsi tous les êtres vivants à portée d’oreilles. Cela faisait longtemps que Groumpf n’avait pas pris cette direction, redoutant de voir ce que son dernier champ de bataille était devenu. Par l’affluence de visiteurs dans sa forêt ces dernières années, il se doutait que la vie avait repris, qu’une route, peut-être, avait été construite. Et cela le peinait affreusement, d’imaginer ce si beau charnier remplacé par… des marchands, des voyageurs et autres rebuts inutiles.
Au bout d’une heure, il émergea sur un chemin de pierre qui longeait sa forêt. De l’autre côté, un champ de coquelicots s’étendait. Au moins, la couleur des fleurs rappelait le jour de gloire de cette terre, à défaut d’une étendue proprement stérile et habitée par les corbeaux seuls. Il tourna la tête de droite et de gauche et se trouva devant un choix. D’un côté, une roulotte encadrée par deux paysans à pied, de l’autre, un homme à cheval. Le cavalier ferait probablement un meilleur dieu à micro-êtres mais il risquait de fuir bien plus vite que les paysans également. Comment expliquer son idée à quelqu’un qui court en hurlant à pleins poumons ?
Groumpf se tourna vers le cavalier en haussant les épaules. Il serait toujours temps d’attraper un paysan par les fesses, une fois l’homme échappé. Il leva le bras en signe de salut et s’efforça d’avoir l’air le moins menaçant possible. Il se recroquevilla un peu, peut-être pourrait-il se faire passer pour plus court de quelques centimètres ?
— Hey là !
L’homme l’avait vu, il tenait la bride serrée à son cheval, prêt à déguerpir.
— Je veux juste discuter, gronda Groumpf.
Et ce fut suffisant à faire pâlir l’homme. Qui fit prestement demi-tour et éperonna son cheval à plein galop. Groumpf soupira. Les paysans, dans ce cas. Il espérait que ça marcherait avec eux, il n’aurait pas la patience de guetter en bord de chemin d’autres humains.
Groumpf décida d’approcher de façon subtile. Enfin, autant que possible quand votre jambe de bois tape sur le sol tassé à chaque pas. Il marcha, tranquillement, légèrement plus vite que les paysans. Quand il arriva à portée d’oreille, il perçut les brides d’une conversation animée. Parfait, s’ils étaient occupés à se chamailler ils le seraient moins à avoir peur de lui.
Groumpf continua à s’approcher jusqu’à poser la main sur l’épaule du paysan à droite de la roulotte, du côté de la forêt. Le plus près de sa destination suivante.
— J’aurais besoin d’un service, marmonna Groumpf tandis que ce dernier se retournait.
Celui-là vira au vert. Mais il ne se mit pas à courir. Non, quand il était trop prêt, Groumpf avait plutôt pour effet de faire figer les êtres vivants. Une sorte d’instinct spontané à faire le mort. Ce qui ne marchait pas avec les lapins et ne fonctionnerait pas pour l’humain. Mais cela laissait l’opportunité à l’orc d’expliquer ce qui le tracassait.
— Je veux vous faire une proposition honnête. Et vous pouvez me croire, car le mensonge ne fait certainement pas partie des vices reprochés aux orcs.
Le paysan pencha légèrement la tête vers l’avant. Groumpf prit ça pour l’indication qu’il l’écoutait. Ce qui était un excellent début.
— J’ai un problème de nuisible. Enfin, moi je les considère comme tel, mais vous, vous allez les adorer. Une armée de micro-êtres. Au début, ils étaient cent, mais ils ont tendance à trainer dans les pattes, alors j’en ai tué quelques uns par inadvertance.
Le paysan cligna des yeux. Il n’était pas encore évanoui de terreur, ce que Groumpf prit pour un signe positif.
— Bref, ils se cherchent un dieu de la guerre pour les bénir. Bon, vous n’êtes pas plus divin que moi, mais ils insistent. De mon côté, je n’ai pas vraiment envie de les avoir dans les pattes. Alors je leur ai dit que j’allais leur trouver un dieu vachement mieux que moi. Ça vous intéresserait ?
Le paysan me fixait, les yeux écarquillé, la terreur seule émotion et seule information dans son cerveau.
— Toi. Dieu. Guerre. Microbes, tenta Groumpf. Cligne une fois pour oui, deux pour non.
Le paysans tourna la tête vers l’autre, mais ne trouva rien. Groumpf tourna la tête, il ne savait pas bien s’ils étaient de la même famille, mais le second larron avait filé sans demander son reste.
— Tu sais, dieu, ça peut être super confortable, comme existence. Je veux dire, tu demande des offrandes et ils t’amèneront tout ce que tu veux. Tu ne travailleras plus jamais de ta vie.
— P.
Le paysan n’avait pas l’énergie de produire plus qu’une lettre. Ce qui était déjà énorme, somme toute.
— Oui, je sais, pourquoi je ne le fais pas ? Déjà, parce que j’obtiens tout ce dont j’ai besoin sans difficultés. Et puis, je tiens à ma tranquilité, des micro-soldats à ma porte tous les quatre-matins, ça me tente pas trop. Alors, cligne des yeux ?
Le paysan rassembla assez de courage pour opiner du chef. Il n’avait peut-être pas attrapé le pire des ladres.
— Bon, par contre, va falloir avoir l’air moins terrorisé que ça, expliqua Groumpf en trainant le paysan à sa suite dans la forêt. Il en va de ta crédibilité de dieu de la guerre, quoi. Dis-toi que je ne vais pas te manger, alors fais-là boucler à ton instinct de survie et sourit.
Le coin des lèvres du paysan s’étira vaguement. Son sourire n’avait rien de jovial. Il ressemblait plus à celui d’un orc sur le point de vous arracher un bras. Parfait.
Au fur et à mesure de l’heure de marche, l’humain se détendait. Il reprenait des couleurs et posait presque les pieds l’un devant l’autre de sa propre volonté. Groumpf en aurait sautillé de joie, si cela avait été dans son caractère. Mais il préférait se contenir, inutile de terroriser à nouveau l’humain.
Quand ils arrivèrent à la chaumine, les micro-soldats étaient en plein exercice. Enfin, Groumpf le supposa, aux bruits de cris divers et variés qui s’élevaient alors qu’ils approchaient. Sacré exercice, d’ailleurs, pour faire autant de bruit. En contournant un fourré, Groumpf eut enfin un aperçu de la scène.
Les micro-soldats brandissaient de minuscules épées et hurlaient en se jetant sur une truie folle furieuse qui leur fonçait dessus sans jamais se lasser. Au pied de l’arbre où Groumpf avait pour habitude de pisser chaque matin, un marcassin était tenu en otage par un cercle de soldats. Ces idiots avaient eu faim. Dans une dernière ruade, la truie écrabouilla les quelques soldats qui lui faisaient encore face et les gardes du marcassin s’éparpillèrent à son approche. Groumpf entendit vaguement un des micro-êtres hurler :
— Cette endroit est maudit, fuyons !
Puis la truie le piétina lui aussi. Avant de s’arrêter, essoufflée, incertaine. Elle avait détruit tous les ennemis. Ce fut alors qu’elle se tourna vers Groumpf, puis prit la fuite sans demander son reste.
— Ah bah voilà, c’est quand on s’embête à trouver un truc pour se débarrasser de ses nuisibles qu’ils disparaissent d’eux-mêmes. C’est con pour toi, l’humain, tu ne sers plus à rien.
Et sans laisser le temps au pauvre paysan de réaliser ce qui lui arrivait, Groumpf lui brisa la nuque. Tous ces efforts lui avaient donné faim.
Et du coup là ce sont les textes de « L’homme est un outil comme les autres » :p