Votes pour le match d’écriture de Meyzieu 2015 : « Principe de précaution anté-natal »

« PRINCIPE DE PRÉCAUTION ANTÉ-NATAL »

Voici le troisième et dernier thème sorti pour le match d’écriture organisé à Meyzieu aujourd’hui.

Bon vote ! Et n’oubliez pas, on ne vote qu’une fois 🙂

  • Résultat : lundi 12 février 2065, ALCAN, 16h45
  • L’inspection
  • Inspiration
  • Raimunda et Roboaldo

RÉSULTAT : LUNDI 12 FÉVRIER 2065, ALCAN, 16H45

Lundi 12 février 2065, Antenne Locale du Centre Anté-Natal, 16h42

Les aiguilles de la grande horloge, suspendue au mur en face de moi, semblent s’éterniser. Chaque seconde paraît des minutes, chaque quart d’heure une insupportable éternité. Je ne suis là que depuis sept ou huit minutes, au plus, mais l’impatience mêlée de honte qui me tord le ventre étire l’instant au-delà du raisonnable. Je me redresse sur la chaise beige qui m’a accueillie, un inconfortable assemblage de plastique recouvert de tissu, comme toutes celles créées avant la Révolution. Hormis l’horloge métallique, tout est beige : sol, murs, plafond, encadrement des fenêtres ; rien n’allège la fadeur de l’ensemble. Cela est volontaire, sans doute, comme l’horloge, comme le principe même de ce rituel auquel je suis contrainte de me soumettre. Comme s’il ne serait pas plus simple de laisser mon médecin domestique faire le prélèvement, et surtout les analyses qui s’imposent ! Une prescription informatisée, anonymée, synthétisée sur mesure dans un des laboratoires de la ville, et une semaine plus tard, quinze jours au plus, le problème aurait été réglé. Si nécessaire, bien sûr. Sinon…

Hier, lorsque je suis entrée dans le bâtiment, l’antenne locale du Centre Anté-Natal pour la première fois, j’étais encore dans l’innocence. Ou plutôt, j’étais encore portée par ma rencontre avec Théodore. Certains détails s’estompaient dans le temps, mais beaucoup restaient très présents à ma mémoire malgré les semaines écoulées : l’éclat vert de ses yeux, ses mains savantes, la manière délicieusement animale dont nos corps s’étaient parlé. Une nuit inoubliable, comme il y en a trop peu dans mon existence (qui fait encore l’amour de cette manière-là ? J’entends encore le dégoût dans la voix d’Aéria, incapable de le contenir malgré toute l’amitié qu’elle a pour moi, lorsque j’ai fait une brève allusion à ce qui s’était passé avec Théodore).

Dès mon dialogue avec la borne d’entrée, j’ai regretté de ne pas avoir demandé à Aéria de m’accompagner. Les lieux évoquaient un trouble, un malaise insidieux, qui s’est confirmé avec mon arrivée dans le couloir (beige), les minutes passées dans la salle d’attente, et même la prise en charge par les médecins. Ce sont des robots, bien entendu, à peine plus perfectionnés que mon médecin domestique, mais le simple fait de savoir que toutes les données qu’ils extrayaient de mon corps seraient transmises au CAN avec l’étiquette CIV a suffi à leur donner un aspect sinistre, inquisiteur, humiliant.

 Je suis une CIV. Mes parents s’aimaient physiquement autant que moralement, et ont même réussi à rester ensemble plus de dix ans après ma naissance, malgré la surveillance relativement poussée dont leur couple faisait l’objet. Ma conception, scientifiquement parlant, n’a pas d’impact sur qui je suis, mais ma mère est presque à moitié humaine, et elle a choisi des hommes qui lui correspondaient. Mon génome comporte 49% de gènes PréR, contre 51% de PostR seulement, et j’ai depuis mon adolescence une conscience aigüe d’être à la limite de l’animalité autorisée. À deux reprises, ma mère a dû faire avorter des fœtus qui dépassaient les 50%, des fœtus trop humains.

Je me revois, enfant (je devais avoir six ou sept ans), debout en face de maman. Assise dans son fauteuil favori, les deux mains sur son ventre où ne grandissait plus cet embryon qui serait devenu mon petit frère ou ma petite sœur. Très pâle, elle fermait les yeux sur ses larmes silencieuses. Derrière le fauteuil, une main sur son épaule, mon père parlait, parlait, parlait, comme si les mots pouvaient combler le vide atroce de cet instant.

À cette époque-là, les mots qu’il prononçait n’avaient pas beaucoup de sens pour moi. CIV, Pré-R : ces concepts n’ont pris corps que plus tard, à l’école. Quand j’ai appris que la grandeur et la décadence de l’humanité Pré-R, l’appétit de pouvoir, la violence incurable, l’hubris avec lesquelles les Pré-R avaient failli détruire la planète en même temps que leur propre espèce. J’ai appris comment la Révolution génétique nous avait sauvés, en nous guérissant de nos appétits animaux grâce à une thérapie génique bien conduite. Quelques années plus tard, au cours mes études supérieures (qui portaient pourtant sur la chimie minérale, assez éloignée de la biologie cellulaire), j’ai même appris comment les généticiens avaient marqué les génomes Post-R, pour pouvoir les différencier des pré-R dans les nouveau-nés. Les gènes pré-R, souvent qualifiés de gènes animaux, sont dominants (ce qui s’explique aisément si on laisse la survie de l’espèce aux lois biologiques, et non à la civilisation). Prévenir la résurgence de spécimens trop humains, trop marqués par l’animalité, a été reconnu à l’échelle internationale comme une nécessité absolue pour ne pas retomber dans les travers précédant la Révolution. D’où la création du CAN, et de ses tests.

Ma mère a toujours refusé le seul moyen de garantir la bonne composition du génome fœtal, la fécondation in vitro, dans laquelle les médecins travaillent les gènes nécessaires jusqu’à obtenir le résultat souhaité. 60 à 70% de Post-R est considéré comme un bon équilibre entre l’animalité, garant de la résistance physique et de la capacité à innover, et l’équilibre psychologique, la patience, l’empathie qu’apportent les gènes civilisés. En conséquence, je suis fille unique, et si la plupart de mes amis ne me tiennent pas rigueur d’être une CIV, il est déjà arrivé que l’on tourne m’insulte à ce propos. Même Aéria, j’en suis certaine, pense que mon aventure avec Théodore est la preuve de mon animalité. C’est pour ne pas avoir à supporter sa gêne que je ne lui ai pas parlé depuis que je sais être enceinte.

Lundi 12 février, Antenne Locale du Centre Anté-Natal, 16h44
Plus qu’une minute, et la porte s’ouvrira. Les robots médecins (ou peut-être un seul, après tout, ce n’est qu’un résultat) seront derrière elle, avec leurs caméras braquées sur moi comme l’œil du CAN. L’un d’entre eux tournera vers moi son écran, et le résultat s’affichera.

Je revois ma mère devant moi, et comme elle, je mets les deux mains sur mon ventre. Je n’ai même pas eu le temps de m’habituer à l’idée que je puisse être enceinte. Six semaines depuis ma nuit avec Théodore, et huit jours seulement que je me suis posé la question. Trente-six heures depuis que ce test-là (qui, lui, est assumé par le médecin domestique) s’est avéré positif. Vingt-trois heures et cinquante-neuf minutes que le test d’animalité a été envoyé au CAN. Dans quelques secondes, je saurai si je deviendrai mère, ou si mon enfant disparaîtra dans l’avortement obligatoire dont nous ferons l’objet. C’est le risque des CIV, le risque des histoires d’amour et du contact qui répugne tant de mes contemporains.

 Lundi 12 février, Antenne Locale du Centre Anté-Natal, 16h46

Un chiffre s’affiche en rouge sur l’écran du robot médecin : 50%.

Il est à demi-humain. J’ai un hoquet, un sanglot inattendu me comprime la gorge.

«Veuillez-vous déshabiller et vous allonger,» module la voix mécanique du robot.

Le cœur serré, j’obtempère.

Je ne serai pas mère.

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