Votes pour le match d’écriture des Imaginales 2015 : « J’ai avalé un trou ! »

« J’AI AVALÉ UN TROU ! »

Voici le premier thème tiré au hasard par une des 3 équipes pour le match d’écriture des Imaginales 2015 (amateurs conter pros).

Pas moins de 6 textes à lire sur ce thème pour le moins étonnant. Évidemment les textes ont été anonymisés, et sont actuellement dans les mains du jury.

A vous de vous exprimer et dire ce que vous pensez. Saurez-vous reconnaître qui a écrit quoi ? Le module de vote se trouve tout à la fin. N’oubliez pas qu’il faut juger aussi si le thème et les contraintes ont bien été respectés par l’auteur. Sinon tout le monde viendrait avec un texte tout préparé 😉

Bon vote ! Et n’oubliez pas, on ne vote qu’une fois 🙂

  • Un bon présage
  • Ma dernière bataille
  • A la noix
  • Les nouveaux anciens
  • Source et soif, jungle et désert
  • La vérité sort toujours de la bouche des enfants

UN BON PRESAGE

Argaïl n’aurait pas imaginé que ce jeune garçon courait aussi vite. Court sur pattes, un peu gras, il avait l’air d’une proie facile, mais rien à faire, le gamin parvenait à le distancer au milieu des hautes herbes. Il fallait pourtant bien qu’il le rattrape, en espérant qu’il s’essouffle vite. Par chance, il partait du mauvais côté de la prairie. Le camping était dans l’autre sens.

       La faim tiraillait son ventre d’une façon abominable. Son dernier repas ne datait que de la veille, pourtant. Plus le temps passait, pire c’était. Il avait envie de hurler la douleur qui montait de ses entrailles, mais se retenait, préférant juste grimacer et serrer les poings. Aussi vite qu’il le pouvait, il courait, pieds nus sur la terre. Le gamin portait un T-shirt rouge, le rendant aussi visible que le nez au milieu du visage. De temps à autres, ses épaules disparaissaient dans les herbes, quand il tombait. Pourtant, l’instant d’après, il réapparaissait et reprenait sa fuite en avant. Encore quelques centaines de mètres et il serait au milieu des arbres, de leurs racines. Il aurait forcément la trouille. Alors, il serait pris de panique, ferait n’importe quoi, perdrait un temps fou à se demander où il pouvait se cacher. Il l’aurait !

       Depuis quelques semaines, Argaïl avait développé ce don étrange de sentir à plein nez la chair humaine. Naguère, il connaissait cette sensation devant un bon steak bien cuit, ou devant un bon rôti. Aujourd’hui, c’était la chair humaine qui l’attirait de cette manière.

       Un élancement dans le bas de son ventre le fit trébucher et tomber à genoux. Il écarta les pans de sa chemisette, réduite a des haillons couverts de terre et de sang. La peau de son ventre se tendait vers l’intérieur, comme si ses organes cherchaient à l’avaler. Il pinça sa chair, cherchant à la ramener vers lui. Rien à faire.

       Il se releva, tant bien que mal. Une grosse goutte de sueur se détacha de ses sourcils et coula le long de sa joue. Le gamin était loin, simple tâche rouge à la lisière de la forêt. Son fumet appétissant, un peu gras, s’éloignait de ses narines. Non, cette fois, il n’y parviendrait pas.

       Il poussa un juron et se laissa retomber à genoux. La partie de chasse était terminée, au moins pour le moment. Il s’assit et regarda devant lui les longues et fines tiges verdâtres qui lui masquaient la vue. Une grimace de dégoût se peignit sur son visage, rien qu’à l’idée du goût filandreux de ces herbes. Avait-il seulement le choix ?

       Sa main tremblante s’avança vers les végétaux. Il en saisit une pleine poignée et les toisa avec dédain. Il aurait donné cher pour capturer ce gros gamin, bon sang ! Il imaginait déjà la tendreté de sa chair entre ses dents, le goût frais de sa viande. Il ferma les yeux, cherchant en lui la force de tirer sur ces herbes et de les avaler, une fois encore. Un élancement puissant dans ses intestins lui arracha un cri de douleur étouffé. Il n’avait encore jamais eu aussi faim ! Sa poigne se desserra, Argaïl ne put s’empêcher de porter les deux mains à son ventre, plié en deux.

       Il lui semblait que des trombes de sueur dégoulinaient de lui, maintenant, comme si son corps se vidait de tout liquide par les pores de sa peau. Son équilibre devint précaire, il se sentait partir en arrière. Quand il rouvrit les yeux, les herbes dansaient autour de lui, comme un rideau qui le dépasserait d’une ou deux têtes. Le soleil n’était qu’un grand flou lumineux, brûlant. Ses membres lui semblèrent lourds.

       Une dernière image lui apparut : Brenia et son sublime visage fin, ses lèvres roses. Son regard vert, intense et captivant comme celui d’un grand fauve. « Enfoirée » gémit-il avant de s’effondrer au sol.

 ***

       Il ne dormait pas, mais n’était plus dans les herbes. Ses pensées à demi-conscientes ramenaient Argaïl au mois de juin, au tout début de la saison. Il avait réussi par chance à trouver ce boulot dans le grand camping qui bordait la forêt, parce qu’un étudiant avait décidé de ne pas se présenter au premier jour de travail. Les campings, les hôtels et autres clubs de vacances n’aimaient pas embaucher des gens de plus de trente ans comme lui, ça ne donnait pas une image jeune et dynamique. Rien de tel que de belles jeunes filles d’une vingtaine d’années, à la silhouette fine et élancée pour attirer les touristes masculins. Ou de beaux jeunes gens un peu musclés pour ces dames. Pourtant, dans sa jeunesse, il avait bossé au Club Méd plusieurs saisons de suite.

       Oui, un beau CV. Mais il avait trente-huit ans, les traits fatigués et la musculature absente, faute de l’avoir entretenue. Dans sa grande cabane au bout du camp, il rangeait le matériel de loisir et de sonorisation après les animations. C’est là que Brenia était venue le trouver. Une belle touriste, d’origine irlandaise, disait-elle. Il n’y croyait pas, elle n’avait aucun accent. Mais qu’importait, elle était tellement sublime ! Peut-être était-ce le prénom d’Argaïl qui l’avait incitée à mentir à ce sujet.

       Un dimanche soir, elle avait attendu qu’il finisse de ranger et de boucler son local pour venir lui proposer une ballade en forêt. Il était fatigué, mais n’aurait refusé pour rien au monde. Elle lui avait pris la main, avait parlé de ses vacances à la mer, de la façon dont elle s’en était lassée, pour la faire venir ici, dans les Vosges. Brenia affirmait être venue seule, Argaïl la croyait à ce sujet. Il ne l’avait vue parler qu’aux animateurs.

       Après une bonne demi-heure de marche, ils étaient arrivés au pied d’une cascade grondante et fraîche. Elle s’était assise sur une roche plate, le dévorant des yeux. Il l’avait rejointe, incapable de prononcer un mot. Son regard vert d’une intensité fauve l’avait aimanté à elle.

       — Avant qu’on aille plus loin, on va goûter une petite gourmandise de chez moi, avait-elle dit.

       — J’adore les gourmandises, avait-il répondu, se sentant plutôt bête avec cette réponse creuse.

       Pourtant, elle avait souri et sorti de son sac en toile un petit sachet en plastique blanc. À la lueur de la lune, ça ressemblait à des haricots rouges, peut-être un peu plus gros. Ça sentait la viande fumée, les herbes de Provence. Tout ce qu’il aimait.

       — Ce sont des Bloons, avait-elle dit.

       — C’est fait à base de quoi ?

       — Secret de famille.

       Elle en avait porté un à sa bouche, lentement et l’avait à peine mastiqué avant de l’avaler. Encore son regard, magnétique, profond comme un trou sans fin. Brenia avait pris la main d’Argaïl et l’avait posée dans le sac. Elle en avait pioché un et l’avait porté devant ses yeux.

       Cela ressemblait vraiment à de la viande séchée, une couleur un peu marron, un fumet digne d’un barbecue. Celui qu’il avait pioché avait un petit trou en plein milieu. Un trou complètement noir qui attirait étrangement son regard.

       — C’est un bon présage, dit-elle comme si elle lisait dans ses pensées.

       — Ah bon ?

       — Oui, ça veut dire que tu auras une vie remplie de bonnes choses et de bonne chair.

       — J’adore la bonne viande !

       Il avait souri en avalant son bloon. Puis, Brenia l’avait attirée à lui, et avant qu’il puisse goûter ses lèvres, ça avait commencé. Comme s’il n’avait pas mangé depuis des jours, ou des semaines, une sensation de famine l’avait dévoré. Il avait hurlé, tapé des poings sur la roche à s’en faire saigner. Il avait faillit glisser dans l’eau de la cascade mais s’était retenu sans même savoir comment. Tout ce qui l’entourait n’était que terre, roche et végétal. Dans son esprit, il voyait de la viande, un bon filet de rumsteck avec de la sauce au poivre. Une cuisse de poulet rôtie avec des herbes. Il pouvait en sentir le fumet jusque dans ses narines.

       Cela n’avait duré que quelques minutes, les pires de sa vie. Quand la sensation effroyable avait disparu, Brenia n’était plus là.

***

       Il rouvrit les yeux et sursauta. Le soleil frappait sur son corps desséché. Il n’avait plus que la peau sur les os, maintenant. La sensation de faim avait disparue et le sourire qu’il afficha fut le plus radieux de sa vie. Bon sang, comme il se sentait bien ! Mieux encore qu’après avoir mangé cette jeune fille boulotte, de loin le meilleur repas qu’il ait jamais fait.

       Des pas foulaient les herbes, ça venait vers lui. Pris de frayeur, il voulut se remettre sur ses pieds pour se lever et voir. Il était recherché, maintenant. Ses jambes refusèrent de bouger, le laissant assis par terre. Le bruissement devenait plus fort, il ne pouvait que regarder les herbes, attendant que quelqu’un le découvre. Il n’espérait même plus ne pas être découvert. Maintenant que sa faim obsédante le laissait tranquille, sa conscience le frappait plus durement encore. Non, il ne pouvait pas se contenter de manger des aliments normaux. Il voulait de la chair humaine, rien d’autre. Quand il devait manger, tout lui était égal. À présent, il repensait aux cris suraigus de la gamine. Il voyait son sang couler sur la terre humide alors qu’il essayait de lui trancher la gorge. Elle excitait tellement son appétit qu’il en tremblait. Il avait dû s’y reprendre à trois fois avant de la tuer. Quel âge pouvait-elle bien avoir ? Huit ans ? Dix tout au plus.

       Le regard qui se posa sur lui ranima sa rage. Ces yeux verts fauves, il ne connaissait qu’eux.

       — Tu as bien mangé, Argaïl ? demanda Brenia d’une voix aussi douce que calme.

       Lorsqu’il voulut répondre, seul un râle étouffé sortit de sa gorge. Il pensait toutes les insanités du monde, il voulait de toutes ses forces lui faucher les jambes, la massacrer. Et la dévorer à son tour, même si elle ne lui semblait pas tellement appétissante.

       — Tu as envie que tout ça s’arrête, maintenant. Oui, il paraît que ce n’est pas très drôle. Mais bon, il faut ce qu’il faut.

       Elle semblait grandir de seconde en seconde, ainsi que les herbes qui l’entouraient. Il ne sentait plus rien, ni la chaleur du soleil ni la légère brise qui agitait les herbes. Seule sa vue demeurait intacte, lui infligeant le spectacle de cette femme de plus en plus grande. Haute comme un immeuble de six… Non dix étages ! Les herbes étaient des arbres, leurs tiges épaisses comme les troncs des pins.

       Brenia se pencha, il crut qu’elle allait s’écrouler sur lui, l’écraser sous sa masse. Sa main se tendit vers lui et soudain, elle le souleva. Malgré toute sa fureur, il ne pouvait rien faire. Comment faisait-elle ça ? Et surtout, pourquoi ?

       Elle le lâcha, sa chute sembla durer des minutes entières. D’épaisses parois opaques l’entourèrent, puis se rapprochèrent de lui. La pénombre s’abattit sur lui et Argaïl roula sur le flanc. Devant lui, allongée par terre dans la position du fœtus se tenait la fillette. Elle dormait, tout simplement.

***

       Pour la première fois depuis une éternité, les ténèbres se dissipent, une clarté pâle s’abat sur lui. L’énorme doigt de Brenia le frôle, et se pose sur la fillette. Elle décolle du sol, et se dirige tout droit dans la bouche ouverte de sa geôlière. « Non, pas elle ! » Voudrait-il hurler. Comme toujours, il ne peut ni parler, ni se mouvoir.

       Il ne voit pas arriver la main plus large et épaisse qui s’empare de lui. Argaïl décolle de terre à une vitesse fulgurante, sa vue se brouille. Soudain, deux gigantesques yeux le regardant, droit dans les siens. Le visage qui se dévoile à lui est celui d’un homme. Sa barbe brune mange son visage, ses rides creusent des sillons profonds dans son front. Il est intrigué par ce qu’il voit.

       — C’est un bon présage, lui dit Brenia.

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