Votes pour le match d’écriture Utopiales 2024 – « Les repentis seront exécutés »

 

On peut légitimement s’interroger : à quoi bon se repentir si ce n’est pour être pardonné ? Une exécution semble un châtiment bien sévère pour qui avoue sa faute. Est-ce là l’aveuglement de la justice, une pure injustice, ou tout autre chose encore? 

 

  • Ecologie punitive
  • Il n’est de pire crime au monde
  • Anomalie
  • La symphonie
  • Coup d’éclat
  • Plonger dans l’ombre
Contrainte :

Ecologie punitive

Une télé, au-dessus du comptoir, crache ses nouvelles dans un grésillement.

« Bonsoir, il est 19 h 45 et voici le flash info Galactique ! 

Aujourd’hui nous commencerons notre journal par l’habituelle météo des catastrophes terriennes. Le tsunami Kylian a encore frappé l’Asie détruisant définitivement la majorité des villes cotières. Le nuage nucléaire se trouve actuellement au-dessus de l’Amérique et se dirige vers l’Europe. La nouvelle antarctique connaît une activité sismique incroyable et un dangereux nuage de cendres se déplace à toute allure vers l’Afrique et l’Amérique du Sud. Toujours aucune trace de l’Australie qui a disparu depuis maintenant 6 mois… » Le barman agacé attrape la télécommande et baisse le son de quelques crans avant de reprendre sa discussion avec quelques clients.

Les discussions redeviennent audibles. Accoudées au comptoir, deux femmes, autour de la trentaine, discutent, éclairées par les néons rosacés qui tamisent le bar tout entier.

En fond de leur entretien, les vitres spatiales permettent de distinguer la terre, meurtrie, mais toujours bleue, et impressionnante.

Le barman patibulaire essuie des verres de manières machinales.

Il écoute d’une oreille distraite tout en récurant le comptoir. Il capte une discussion qui semble intéressante et tend une oreille indiscrète.

La première cliente, la mine fatiguée, soupire, à la suite du Flash Info. Elle se tourne vers sa voisine.

« Pfff, ils ont vraiment tout détruit, Rosa. On nous fait croire qu’il y a quelque chose à récupérer, mais c’est faux. Ils ont tout niqué avec leur pétrole, leur plastique, leur bagnole, leur fusée.

Tout ce qu’il nous reste c’est quelques colonies dans l’espace et un bar miteux comme celui-ci.

Il y a 10 générations, tout allait bien, et puis là tout a vrillé. Ce n’est pas avec nos pauvres études de géologie spatiales qu’on va tout réparer. “

Quelqu’un entre sans grand entrain, commande un sandwich visiblement peu appétissant, et part s’asseoir un peu plus loin.

Le barman continue d’écouter la conversation.

 

Rosa : «Ouais je sais Jackie, ça me rend folle aussi, mais j’ai une idée. Je sais que c’est pas très légal, mais on s’en fout, de toute façon tout est gâché !»

Jackie : «Ah ouais ? Vas-y raconte je peux peut-être t’aider ? On ferait un coup de force comme à la fac ?»

Rosa : «Nan plus risqué. Faut le faire seule. J’ai mis plein de thunes de côté pour le faire. Mon idée c’est de profiter des voyages organisés dans le temps pour m’échapper pendant une visite et d’éliminer ceux à cause de qui toutes ces catastrophes…» 

Jackie : « Quoi ?! Mais c’est un meurtre ! » interrompt Jackie.

Rosa : « Mais eux ils ont gâché la vie de combien de personnes et tué combien d’autres ? Dis-moi Jackie. »

Jackie : « Attends, mais ça ce n’est pas le genre de truc qui se fait dans les livres et les séries et ça se passe toujours mal ? Genre “tuer Hitler” ? »

Rosa : « C’est pas pareil, là on parle de la Terre ! Regarde là ! »

Rosa pointe du doigt la vitre spatiale. Elle reprend : 

Rosa : « Elle ne ressemble à plus rien ! Les océans tiennent dans deux pauvres réserves et il y a une énorme faille dans l’hémisphère sud !

Qu’est ce que tu veux qu’on y perde ? »

Un client s’assied près des deux femmes qui échangent un regard et se décalent plus loin sur le comptoir. Jackie se tourne vers Rosa avec une question qui lui brûle les lèvres :

Jackie : « Mais tu voudrais tuer qui ? C’est pas comme si c’était la faute d’une personne ? »

Rosa: « Tu te rappelles quand je t’ai dit que ma grand-mère est décédée ? »

Jackie : « Oui ? »

Rosa: « Et bien on a vidé sa maison et je suis tombé sur un tas de carnets. Je me suis dit que ça ferait un super sujet de podcast et donc je les ai lus. »

Jackie: « Ok mais je vois pas bien le rapport. C’est pas le sujet, là ton podcast. Tu ne vas quand même pas tuer ta grand-mère en revenant dans le temps ? Elle n’a rien à voir avec tout le chaos là. »

Rosa: « Quand j’ai lu les carnets, j’ai compris qu’en fait ils n’étaient pas à elle. Mais à un mec, probablement un de mes ancêtres, un certain Bernard il y a super longtemps, genre 1964. Une pourriture de première. Il voyageait en jet privé et il exploitait toute la planète pour sa richesse personnelle. »

Jackie: « Mais tout ne va pas s’arrêter en le faisant disparaître, si ? »

Rosa: « On ne sait pas, un bon exemple, ça pourrait en dissuader d’autres. Puis il faut bien commencer quelque part et lui au moins je suis sûr qu’il le mérite, j’ai toutes les preuves là sous la main. »

 Rosa montre le carnet de son ancêtre et le tend à Jackie qui le parcourt. Pendant de longues minutes, Rosa scrute le visage de son amie qui porte la main à sa bouche, horrifiée par sa lecture. Le barman profite pour proposer un verre aux deux femmes. L’histoire croustillante doit se terminer dans son bar, il veut connaître la fin : « C’est pour la maison. »

 Un peu surprises puis suspicieuses, elles prennent leurs verres. 

Rosa: « C’est miteux, mais au moins le patron est commerçant » lance Rosa.

Jackie: « Rosa, c’est terrifiant ce que tu m’as partagé. Il… il y en a combien des carnets comme ça ? C’est quoi ça ? Une année ? »

Rosa: « Quelques heures seulement. J’ai des centaines de carnets noirs comme ça. »

 Jackie lâche le carnet qui tombe entre les deux amies.

Jackie: « Oh pardon, je… »

Rosa: « J’ai eû la même réaction que toi. »

Rosa ramasse le carnet et le repose sur le comptoir. Jackie joue avec ses cheveux, prise d’une soudaine anxiété.

 Jackie : « Rosa, je suis d’accord avec toi… faut le faire. »

Rosa: « Je savais que tu serais d’accord avec moi Jackie. »

Jackie: « Mais toi dans tout ça ? »

Rosa: « Et bien moi, je reviens et on reboit des coups après, nan ? »

Jackie: « Rosa, si tu tues ton ancêtre, tu vas disparaître. »

 Rosa s’arrête de siroter sa boisson et lève un sourcil :

Rosa: « Je ne comprends pas. »

Jackie : « Tu n’auras pas d’arrière grand parents, de grands-parents et de parents… tu ne naîtras jamais. »

Rosa: « Oui, mais… Tu veux dire que c’est le prix à payer ? Mais attends, j’ai mon conjoint et mes enfants. Le dernier marche depuis quelques jours. »

 

Jackie pose une main sur l’épaule de son amie pour la réconforter.

« C’est pas grave Rosa. Tu as fait bien plus que tout le monde sur cette station. Ta famille s’est largement repentie de ce que Bernard a fait. Tu sais quoi ? Je t’offre la prochaine tournée. »

 Finissant leurs verres en parcourant encore une fois le carnet, Rosa baisse les bras, démoralisée de ne pouvoir aller au bout. Lorsque Jackie se rapproche du barman pour payer sa tournée celui-ci lui demande :

Le barman : « Alors, votre copine va faire ce qu’elle a dit ? »

Jackie : « Je ne pense pas. »

Le barman : « Et vous ? »

Jackie : « Je ne pense pas avoir le choix. Oui. »

 Le module de paiement répond « paiement accepté ».

Contrainte 

Il n’est de pire crime au monde

LLe couloir est nimbé par les premières lueurs de l’aube qui traversent les fenêtre octogonales. Les rayons orangés caressent le sol métallique et font apparaitre des particules grises, en suspension dans l’air. Au plafond, les barres de LED grésillent à intervalle irrégulier jusqu’à la porte coulissante au fond. J’ignore combien nous sommes ici, à attendre notre tour. Soixante ? Cent ? J’ai toujours eu du mal à me représenter la réalité des chiffres. En tous cas, le couloir est bondé et ça n’avance pas. Ma voisine de derrière a discuté avec son époux, tout à l’heure. Visiblement, ils ont été convoqués par leur assurance maladie, comme moi, pour un contrôle de santé. Ils ont fini par s’asseoir, comme d’autres, par terre en attendant que la file avance. Moi, je préfère rester debout, je n’ai pas envie de sentir le froid du métal contre mes fesses, et puis surtout, je veux profiter de la vision du soleil qui se lève sur la ville, que j’aperçois en contrebas par la fenêtre la plus proche. Dans le ciel, les nuages son bas, comme chargés de plomb et prêts à tomber sur la cité. Les appartements, carrés désordonnés posés les uns sur les autres, me font penser à d’étranges arbres pixellisés. La cité dort encore, loin du capharnaüm qui y règne en journée, mais quelques véhicules de livraison circulent déjà, en témoignent leurs phares mouvants dans les rues.

J’ai construit ma vie ici, tous mes souvenirs m’y rattachent. Mon appartement n’est pas visible d’ici, mais j’aperçois mon entreprise au loin. J’espère que je vais arriver à l’heure au boulot, j’ai un meeting avec un gros client à dix heures et nous ne pouvons pas nous permettre de rater le deal. Et arriver tard, c’est quitter le travail tard. Sauf que ce soir, ma fille joue la finale de sa ligue de ParkBall. Je ne peux pas rater ça, elle m’en voudrait jusqu’à la fin des temps, elle qui se plaint déjà que je travaille trop…

L’homme devant moi dans la file s’impatiente. Depuis quelques minutes déjà, il soupire et consulte l’heure sur son téléphone. Le mien vibre dans ma poche. Je l’en extirpe. La notification vient d’un journal auquel je suis abonné. Le titre du nouvel article s’affiche dans la bulle de mon écran « Depuis la victoire de l’armée édruenne à Laza, l’occident craint une nouvelle vague d’immigration et ses conséquences sur le marché du travail ».

Un léger malaise me prend, mon doigt glisse sur l’écran pour faire disparaitre la notification. Je lirai peut-être cet article plus tard. C’est terrible, ce qui se passe à Laza en ce moment, mais tout ça dépasse mon échelle. Et puis mon entreprise ne sera pas le premier choix des migrants qui cherchent du travail, alors je ne peux rien faire pour eux.

— Bon, combien de temps on va nous faire encore poireauter ?

Ça y est, l’homme devant moi ne tient plus.

— C’est vrai ça ! s’exclame une autre personne, plus loin derrière. On ne sait même pas combien de temps on va rester là !

J’acquiesce en même temps que d’autres.

À cet instant, un grésillement venu de haut-parleurs que je n’avais pas remarqués plus tôt nous font tendre l’oreille.

— Les Enfants de Laza vous souhaitent la bienvenue.

Des stores électriques blancs descendent alors sur les fenêtres, masquant la cité et plongeant le couloir dans la pénombre, uniquement chassée par les bandes de LED au plafond.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? s’exclame quelqu’un que je ne distingue pas de là où je suis. On n’est pas là pour un check-up de l’assurance maladie ?

Un appareil s’allume sur le mur d’en face et projette une image sur les stores baissés. Une carte du monde, où apparaissent des points de géolocalisation. L’un de ces points est Laza, je crois, mais pour les autres je ne sais pas.

Ensuite, une série de photos défile à toute vitesse et certaines s’impriment sur ma rétine comme plaquées au fer chauffé à blanc.

Un bâtiment en ruines avec une main dépassant des décombres. Une poussette abandonnée. Un enfant couvert de poussière se tenant debout devant une ligne de corps cachés sous des draps blancs. Un hôpital plein à craquer. Une petite fille la main pressée contre son œil gauche ruisselant de sang. Une peluche abandonnée dans une ruelle au milieu d’un parterre de balles d’armes à feu.

Les images sont crues, mon cœur se serre d’angoisse. Je n’ai pas envie de voir ça. C’est trop. Trop dur. Trop réel. Je connais la théorie de ce dont sont capables les Hommes, mais les images, c’est au-dessus de mes forces. Ma mâchoire se contracte, je voudrais fermer les yeux, mais je sais que ce que je viens de voir est en moi pour toujours.

Un courant d’air froid traverse le couloir et je frissonne. Plus personne ne parle, le silence est aussi pesant que les nuages de plomb dehors.

La colère me gagne alors : de quel droit nous impose-t-on ces photographies ? J’ai fait attention de les éviter sur les réseaux sociaux, mais j’ai écouté les informations qui parlaient du conflit à Laza, j’ai une vague idée des atrocités commises là-bas.

Mais je comprends que je ne voulais pas voir. Et c’était mon droit, non ?

Des lettres apparaissent alors sur les écrans : « Où étiez-vous lorsque des peuples entiers se faisaient exterminer ? ».

En train de travailler pour ma propre survie et celle de ma famille. En train d’élever ma fille. En train d’essayer de slalomer dans un quotidien déjà parfois complexe.

— Je n’ai rien fait ! s’écrie une femme parmi la foule. Je n’ai pas participé à tout ça ! Je suis innocente !

Comme si quelqu’un écrivait en direct ce qui était projeté, un nouveau texte apparaît : « L’innocence n’existe pas. »

Puis : « Dans une guerre, il n’y a que deux camps. Fermer les yeux, c’est en choisir un. Celui du plus fort. »

Des larmes me montent aux yeux. Pourquoi nous faire payer pour les horreurs commises par d’autres ? Nous ne sommes pas des bourreaux, nous n’avons rien à voir avec la guerre. Je n’ai tué personne, à la fin ! Ce sont les gouvernements qui doivent prendre des dispositions pour arrêter la guerre, pas les populations ! On a déjà du mal à payer nos factures, à faire des efforts pour le climat, pour éduquer nos enfants, pour survivre dans un monde qui tombe en ruines.

« La force du collectif change la face du monde. » s’inscrit sur les stores, suivi de : « La force d’inertie laisse le pouvoir aux puissants. ».

Je repense à ce qui a été mis en place par des associations, aux cagnottes en ligne que j’ai vu sur les réseaux sociaux, à ces journalistes indépendants en pleurs qui racontaient les horreurs de leur quotidien. Alors je songe que j’aurais peut-être pu faire quelque chose, mais que tout cela me dépasse.

Je suis épuisé de vivre dans ce monde. Je regrette ses horreurs, je regrette de n’avoir rien fait avant qu’il ne soit trop tard. Avant que les morts ne s’entassent dans les charniers, que les hôpitaux débordent, que le sang rougisse la terre. Bien sûr que je ne suis pas innocent, car aujourd’hui il n’est de pire crime au monde. Mais c’est une injustice de plus dans l’engrenage du pouvoir. Demander aux petites gens comme nous de porter sur nos épaules la responsabilité des décisions prises par les grands.

Mais peut-être a-t-on tout de même une place à prendre. Peut-être qu’ensemble, nous pouvons bel et bien offrir au monde la justice qu’il mérite. Je n’en sais rien. Et si le plus important, c’était d’essayer ?

Les haut-parleurs grésillent à nouveau. La même voix que la précédente résonne dans le couloir toujours plongé dans la pénombre.

— Aujourd’hui, nous vous implorons de mettre fin à vos regrets en vous engageant. Vous trouverez dans la salle suivante pléthore d’associations qui vous donneront des pistes d’action. Le conflit à Laza touche à sa fin, mais d’autres sont encore en cours dans le monde. Des vagues de migrations sont à venir et nous aurons besoin de toute l’aide possible. Vous avez le pouvoir d’offrir un peu de lumière, d’éclairer les ombres. La vie n’est pas morte, l’espoir non plus. Il n’est pas trop tard.

Les stores se relèvent, j’échange des regards avec mes voisins et voisines. Tout le monde a l’air hagard, hébété comme après une trop longue sieste. La lumière, dehors, est plus vive que jamais et la cité a pris vie. Les véhicules fourmillent le long des avenues ; les habitants, points minuscules en contrebas, vont et viennent dans toutes les directions.

Et nous, lorsque la porte au fond du couloir s’ouvre, nous nous dirigeons comme un seul homme vers notre avenir, en laissant derrière nous les squelettes de nos regrets.

 

Contrainte 1 : Libéré de toute contrainte
Contrainte 2 :  Une musique qui fait rire

Anomalie

Clara n’avait pas pris de petit-déjeuner ce matin, maintenant elle avait faim et froid mais essayait de ne plus y penser.

Elle avait de la chance, elle, de pouvoir se préoccuper de ce genre de choses.

Elle pensait à son frère Maxime qui allait passer son test dans quelques heures. Cela faisait des mois qu’elle ne l’avait pas vu.

Elle le savait depuis toujours que ce moment arriverait mais maintenant que c’était là, elle ne voulait pas l’imaginer dans cette pièce tout seul à être examiné sous tous les angles.

Même si elle n’avait pas grandi avec lui, elle le connaissait par cœur, comme si d’une certaine manière iels étaient connectés. Mais après tout ce n’est pas si étonnant, Maxime est son jumeau après tout !

Maxime est ce qu’on peut appeler une anomalie, il ne devrait pas exister.

Depuis la découverte de la procréation ovocytaire, qui avait complètement libérée les femmes de toutes contraintes reproductives après le Grand Renversement, tous les enfants nés depuis les années 2060 avaient 2 chromosomes X. Dans la plupart des cas naissaient avec une vulve, c’était ce qu’on appelait avant « des femmes » et aujourd’hui qu’on appelle les Humaines.

Or lorsque Céline leur mère arriva à la maternité pour accoucher, quelle surprise n’eut-elle pas de découvrir que l’un des deux enfants avait un pénis, un vrai pas une déformation, pas un clitoris déformé comme cela arrive parfois. Les médecins ont tout de suite réalisé un test ADN qui a confirmé que le 2ème bébé avait bien un chromosome X et un chromosome Y.

Céline a été interrogée à de nombreuses reprises et a systématiquement affirmé qu’elle n’avait aucune idée de comment c’était possible et que la seule explication était une mutation génétique. Elle avait de toute façon tous les papiers pour prouver que la procréation avait été réalisée en bonne et dû forme dans le centre In Utero.  Son rôle important de scientifique d’état lui a sûrement évité des interrogations plus approfondies.

 

Clara arriva à l’université et s’installa au fond de l’amphithéâtre. Ce matin ils revoyaient l’histoire du Grand Renversement, rien de mieux pour accentuer sa frustration et sa colère qui dormait au fond d’elle, comme si on avait amélioré les choses à reprendre la domination du monde en supprimant les hommes de la société.

Certes sur certains points cela avait amélioré les recherches scientifiques et diminués les guerres. Mais à quoi bon perpétuer l’oppression en exécutant les violents et en enfermant les repentis ?

Combien de fois elle s’était disputer avec sa mère sur ce sujet ! Sa mère qui avait toujours le dernier mot car elle avait

En pensant aux repentis, son esprit retourna vers son frère. Elle n’avait aucun doute qu’il réussirait sans problème la partie écrite du test de Echysp, le test qui sert à déterminé le degré de regret du passé de domination des hommes et ainsi définir leur sort.

Maxime, lui, n’avait de toute façon jamais connu autre chose, pas comme les autres hommes. C’était tellement injuste qu’il ait à passer ce fichu test, il n’avait pas à se repentir des actions passées de ses ancêtres.

Ce qui l’inquiétait c’était le test oral et d’écoute, elle avait su par des rumeurs de rue de quelques évadés, qu’on diffusait des musiques, certaines récentes, certaines plus anciennes, certaines tristes, certaines joyeuses. Le test était subtil, certaines musiques à caractère discriminatoires étaient diffusées et il fallait parfois ne pas rire, parfois ne pas réagir, parfois être offusqué, au bon vouloir des examinatrices. Maxime était un jeune garçon plein d’innocence, il pourrait rire sur une musique joyeuse un peu rigolote, sans réellement en comprendre le sens et rater son test ainsi.

La prochaine exécution a lieu dans 5 jours ! Si Maxime est déterminé non repenti, alors elle le savait, il ne serait pas soumis au même sort que les autres ! Les scientifiques se battaient pour pouvoir l’étudier et comprendre comment il avait pu venir au monde.

Machinalement en sortant de l’université ce jour-là elle se dirigea vers le centre de détermination où était retenu son frère !

En arrivant à quelques mètres de l’entrée, elle entendit qu’on l’interpellait discrètement.

C’était Cyros, un jeune homme trans qui avait réussi à éviter le centre en prouvant qu’il avait bien 2 chromosomes X. Il dénonçait tout comme elle le système actuel et organisait les clans des hommes qui vivaient clandestinement et essayait de survivre tant bien que mal.

Il avait aussi quelques espions à l’intérieur des centres de détermination pour savoir comment ça se passait et préparer les hommes clandestins à passer leur test.

« ton frère a passé son test, c’est bon il est repenti » dit Cyros

Clara poussa un grand soupir ! « et la musique comment ça s’est passé ? »

« Il a rit sur une musique qui faisait rire, mais apparemment c’était une chanson innocente et s’est passé »

 

Clara voulait voir son frère, mais ce n’était pas le moment de faire des vagues.

Elle rentra donc à la maison.

 

Lorsqu’elle rentra sa mère l’attendait.

« tu étais passée où ? »

Clara ne répondit pas.

«  tu es encore allée voir ton frère c’est ça ? »

« non je ne suis pas aller le voir ! Tu sais quel jour on est aujourd’hui ? »

Céline soupira «  de toute façon, repenti ou non ça changera rien ! »

« pourquoi tu dis ça ? Tu sais très bien que l’exécution est dans 5 jours, au moins là il a une chance de survivre »

« Oui mais à quel prix ! Jamais elles ne le libéreront, il est trop précieux pour la science »

« Mais c’est tellement injuste ! et tous les autres repentis, alors qu’ils ont un vrai passé eux ils vont s’en sortir »

« Ne soit pas si naïve, même les repentis finiront pas être exécutés, même nous, nous vivons dans une société qui s’auto-détruit » renchérit sa mère.

Clara était envahie par un sentiment de désespoir, elle avait toujours connu sa mère si sûre d’elle et si indifférente à l’égard des hommes, même Maxime, qu’elle ne comprenait pas ce changement.

Sa mère ajouta « de toute façon moi aussi je devrais être avec eux »

« qu’est-ce que tu veux dire par là ? »

« rien ! Oublie ça ! »

« non, je veux savoir, je veux comprendre, je savais que tu nous cachais quelques choses depuis le début »

Céline regarda avec tendresse sa fille en sachant qu’elle ne la reverrait probablement jamais après cette conversation mais qu’elle devait lui expliquer.

Lorsqu’elle était une jeune humaine, elle était comme elle un peu naïve, une jeune femme pleine de vie. Un jour, elle rencontra par hasard un homme. Évidemment elle aurait dû le dénoncer mais c’était au-delà de ses forces, quelque chose de profond l’attirait vers lui. Iels ont continuer à se voir régulièrement, clandestinement et puis de fil en aiguille, elle tomba enceinte.

Lorsqu’elle eut fini son récit on toqua à la porte.

 

Contrainte 1 : Contrainte 2 ;

 

La symphonie

LLe procureur de la cour de sa Majesté George III, roi d’Angleterre et d’Irlande, le 3 juin 1760

« Votre Honneur, aujourd’hui est un jour funeste car nous sommes réunis pour juger non seulement une pauvre femme pour ses actes criminels mais surtout pour faire notre deuil en tant que nation d’un futur prospère et radieux. Nous touchions enfin du doigt nos rêves de maîtrise totale de la Nature toute entière assujettie aux besoins des hommes. Un futur où tous les gentilshommes de notre belle nation et de ses riches  colonies  auraient pu vivre pleinement grâce à leur sagacité et leur labeur. Le regretté Sir Franklin, que Dieu ait son âme, nous avait donné le moyen, grâce à sa fantastique invention, de rendre la Terre parfaitement fertile. Plus aucun homme, femme ou enfant n’aurait jamais souffert de la faim. C’est à ce futur que nous devons renoncer aujourd’hui, et d’autant plus douloureusement que les cris de famines des orphelins irlandais résonnent encore à nos oreilles meurtries. La responsabilité de ces horreurs, c’est à la femme que nous allons juger aujourd’hui qu’elle incombe. »

Sarah

Le procès a commencé. Mon corps est assis sur le banc froid et dur des accusés. Mais mon esprit, il est ailleurs. Je ne parlerai pas. A quoi bon? Ils m’ont pris ma liberté, mon fils et même mon instrument chéri. Ils ont besoin d’un coupable et je suis parfaite pour ce rôle. Peu importe. En mon âme, enfin ce qu’il en reste, je sais que je devais le faire.

Le procureur

« Les faits qui sont reprochés à l’accusée, bien que tortueux, sont entièrement corroboré par un témoin direct. Dès lors, la culpabilité de Madame Bache ne fait aucun doute et compte tenu des signes visibles de maladie mentale sérieuse qu’elle présente nous requérons son placement à vie en institut médicalisé. »

Sarah

Oh, mon petit Ben, le voir si sérieux, si fragile dans son costume noir trop grand. Il évite mon regard, me hait-il ? A-t’il honte de moi? Mon cœur de mère ne peut lui en vouloir d’être assis aux côtés de mes bourreaux. Mon seul regret est qu’il ne saura jamais la vérité sur sa mère. Mais mon Dieu, faites qu’il ne sache jamais quel homme son grand père a réellement été. Faites moi cette grâce, qu’il puisse se rattacher à cette idée que son grand père était ce génie politique et scientifique, grand ami des puissants d’Angleterre, découvreur du Gulf Stream et fameux inventeur du pianolabe. Et peu importe que sa vraie créatrice, ça soit moi, Sarah Franklin Bache.

Le procureur

« Les faits reprochés à l’accusée sont bien connus de cette audience tant ils ont été retentissants mais permettez moi de les rappeler. En juillet 1756, sa Majesté notre bon roi George III décida d’accorder un pairage à l’honorable Sir Benjamin Franklin, gouverneur de la colonie des Amériques en reconnaissance de son invention remarquable, le pianolabe. En effet, comme vous le savez, ce grand homme, non content d’avoir été un administrateur hors pair et un fidèle serviteur de la couronne avait réussi à réconcilier les théories harmoniques de circulation atmosphériques locales et globales. La découverte du Gulf stream quelques années plus tôt avait été son premier succès. Le pianolabe, ce fameux instrument piloté par un clavier permettait la stimulation de certaines harmoniques en résonance, il était enfin possible de maîtriser parfaitement la météorologie de façon fine et fiable. Sir Franklin nous avait offert la prospérité absolue, plus de sécheresses, plus d’inondations, les terres fertiles de Louisiane allaient pouvoir nourrir de façon régulière notre empire tout entier et apporter la paix aux contrées encore sauvages. L’allégresse dura trois belles années, jusqu’à ce jour funeste où l’accusée mit fin à tous ces espoirs, condamna des milliers d’âmes innocentes à la mort – dont son propre père- et provoqua l’engloutissement d’un continent entier. La perte de notre colonie américaine conjuguée à celle du meilleur des hommes est celle que nous devons à present supporter. Nous savons grâce au témoignage du jeune monsieur Benjamin Franklin Bache que l’accusée a réussi à voler le pianolabe et que la pauvre femme, atteinte d’une des maladies de l’âme à laquelle son sexe semble malheureusement fréquemment sensible, a accidentellement déclenché ce cataclysme en jouant des harmonies destructrices. Nous n’avons malheureusement pas pu interroger l’accusée dont l’état mental ne lui permet plus de s’exprimer. Messieurs les jurés, il est venu l’heure de délibérer. N’oubliez pas que votre compassion pour l’être dérangé et mutique qui se tient devant vous ne doit pas vous faire oublier les ravages qu’elle a causés. »

Sarah

Cet homme veule au service d’une justice et d’un système corrompu dit pourtant vrai. Oui, j’ai joué cette symphonie qui a englouti les Amériques. Et si mon âme doit supporter le tourment de la culpabilité, je le ferai sans broncher car c’était la seule solution pour corriger l’anomalie que le vieux fou avait créé. J’avais pourtant refusé d’exécuter ses ordres de puiser dans les réserves caloriques de l’océan pour provoquer une saison fertile éternelle aux Amériques. Il pensait assurer prospérité à ses administrés, et ses rêves délirants lui montraient un futur où cette nouvelle terre dominerait le Vieux Monde, faisant même courber l’échine au vieux George et ses rejetons. Mes calculs montraient pourtant parfaitement que ce dérèglement conduirait inévitablement à l’assèchement total des cours d’eaux des autres continents. Aveuglé par son ego et sa soif de pouvoir, il s’est entêté et a joué cet air funeste. J’ai été contrainte à ce choix impossible. J’ai compris que les harmoniques ne me permettraient de sauver le Monde qu’en sacrifiant notre nouveau continent chéri et j’en ai pris la responsabilité. J’ai joué les contre harmonies, j’ai pris mon fils sous le bras et j’ai embarqué sur la première goélette en partance pour l’Angleterre. Nous avons évité de justesse la vague scélérate que le désastre de l’engloutissement des Amériques a provoqué et avons rejoint rapidement la cour de sa majesté. Je voulais l’avertir des dangers auxquels nous avions échappé et proposer mon aide pour atténuer les potentielles retombées secondaires. Mais le destin a voulu que George et sa clique de courtiers cupides m’enlèvent mon fils pour tenter de me contraindre à rejouer l’harmonie funeste de mon père, pour le bénéfice de l’île d’Angleterre cette fois. J’ai évidemment refusé, le pianolabe ne peut être utilisé que pour améliorer le sort de toutes. Tous mes calculs d’harmoniques ont montré que tenter de l’utiliser pour le gain d’un seul peuple conduisait à des catastrophes similaires à celle que nous venons d’éviter. Heureusement, ils ne savent pas que je suis la vraie inventrice du pianolabe. Je jouerai ce rôle de folle et je les laisserai manipuler mon fils dans cette mascarade de procès. C’est ma repentance pour avoir pensé que je pouvais changer le monde avec mon instrument chéri. Tout est préférable à la catastrophe que représenterait le pouvoir de l’astrolabe aux mains des hommes.

Le procureur

« Votre honneur, les jurés ont rendu leur verdict. Il est sévère puisqu’ils n’ont pas suivi mes appels à la clémence. Sarah Bache, vous êtes condamnée à mort. »

 

Contrainte : Une arène

 

Coup d’éclat

— Falcone, Luca Falcone.

— Comme le juge ?

— C’était mon père.

— Oh, je vois. C’est un peu tard pour vous adresser des condoléances, mais quand même je suis désolé pour vous, pour votre père.

— Merci.

          La ressemblance n’était pas évidente. Si le juge assassiné avait le visage rond, l’œil rieur et le sourire facile, son fils unique a le visage sec, presque tranchant et le sourire rare, souvent forcé. La plupart des gens qui font le lien entre lui et son père ne peuvent pas comprendre ce qui les liait, ou ce qui les séparait.

          Une fouille minutieuse de ses vêtements, de son sac, de son ordinateur lui est imposée avant qu’il soit autorisé à entrer dans le bureau du responsable de la Protection judiciaire. L’homme s’est tout de suite levé pour l’accueillir, un égard sans doute à son nom et à la réputation de son père plus qu’à sa profession – même s’il travaille lui aussi au ministère de la Justice italien, il est spécialiste de cybersécurité et pas juge ou quoi que ce soit d’approchant. C’est en tant que tel qu’il est reçu aujourd’hui, et pour une mission bien précise : s’assurer que le fichier du Programme italien des Repentis est inviolable et que tous ceux qui ont choisi de témoigner contre Cosa Nostra – et donc de trahir – restent à jamais anonymes, protégés par un nouveau nom, un nouveau visage le plus souvent, une nouvelle vie.

– Nous avons déjà procédé à cette vérification le mois dernier, vous savez. Un de vos collègue est venu et…

— Et il a été abattu, comme vous le savez sans doute. On pense qu’il a bien fait son travail mais sa mort brutale, encore inexpliqué, nous pousse à vérifier ses dernières missions, par mesure de précaution.

— Vous cherchez quoi, exactement ?

— Des malwares, des backdoors… Désolé, je jargonne : des programmes capables d’infecter votre ordinateur, d’ouvrir dans votre système d’exploitation « des portes arrière » par lesquelles des données, et notamment votre fichier, pourraient être aspirées. Je viens de lancer un programme qui fait un audit sécurité complet, il faut attendre son rapport. En attendant, je vais regarder le fameux fichier dans le détail. Il est crypté, au moins ?

— Pour qui nous prenez-vous ?

— Ne le prenez pas mal. Les choses les plus évidentes sont souvent les premières qu’on oublie, vous seriez étonné de… C’est quoi, ça ?

— Vous voyez quelque chose ?

— … Je n’aime pas ça, pas du tout.

— Expliquez-moi.

— Votre fichier est crypté, mais le protocole utilisé n’est pas le tout dernier en date, avec les correctifs des failles constatées. Et là, ce programme… Merde, un cheval de Troie. Il faut que je l’ouvre pour voir quelle était sa mission.

          Un silence suivit l’échange entre les deux hommes. Le visage de Luca Falcone était suffisamment expressif pour faire comprendre au fonctionnaire de plus en plus inquiet que le problème était sérieux. Forcément sérieux puisqu’il touchait à la sécurité et aux Repentis. Luca Falcone cessa de fixer l’écran qui drapait son visage d’une lumière fantomatique, repoussa l’ordinateur officiel après avoir retiré la clé au format inhabituel qu’il y avait introduit au début de son inspection. Il resta silencieux un long instant, le regard perdu bien au-delà du bureau aux couleurs défraîchies puis fixa le responsable.

— Verdict ?

— Vous avez un problème. Un très gros problème.

— Vous pouvez être plus précis.

— Le fichier des Repentis a été aspiré. Copié, si vous préférez. Ils l’ont laissé en place pour ne pas éveiller vos soupçons mais il a été exfiltré de votre ordinateur et votre réseau. Je peux même vous dire le jour et l’heure de la copie. Quant à savoir qui l’a fait et pourquoi, ça semble assez évident même s’il y a au moins deux options possibles. ON commence par la moins pire ?

— Dites…

— Un hacker ou un groupe de hackers qui connaît la valeur de ce fichier, à tous points de vue, et qui va vous proposer de le racheter. Sans aucune garantie qu’ils n’essaieront pas de le vendre à d’autres, d’ailleurs. La conséquence serait, à terme, la même que l’autre option.

— … qui serait que le fichier arrive directement entre les mains de Cosa Nostra. Et là, quel que soit le temps que ça prendra, tous les repentis seront exécutés.

—————————————

          La Bestia. C’est le surnom dont l’avaient affublé les médias il y a quelques années déjà, épouvantés par les crimes et les châtiments particulièrement sadiques qu’il avait commandités auprès de ses hommes. C’était un peu sa marque de fabrique, une sorte de signature qui le distinguait des autres familles et des autres capi. Le surnom était resté et il avait au moins un intérêt : on le craignait et la peur peut tenir lieu de respect.

          Un seul point le dérangeait : qu’on l’assimile à une bête stupide, sans réflexion, sans autre stratégie que la récupération brutale d’un territoire ou d’un business, l’élimination sanglante de gêneurs ou d’ennemis. Le coup qu’il était en passe de réussir, et sa conclusion finale leur montrerait à tous, qu’il était le plus intelligent, plus malin que tous les autres, et qu’il devrait aussi le respecter pour ce coup d’éclat.

          Subtiliser la liste des repentis, de tous ces bâtards qui avaient trahi la Famille avait, finalement, été assez simple. Trouver la bonne personne, compétente et insoupçonnable de surcroît, avait été l’affaire de quelques semaines de recherches, de contacts discrets dans le plus grand des silences – vital pour ce genre de projet véritablement grandiose. D’une bonne somme d’argent aussi.

          La seconde étape fut réalisée avec la même discrétion et la même efficacité : mobilisant ses hommes les plus fiables sur tout le territoire italien mais aussi en Europe, La Bestia avait fait kidnapper tous les repentis, sans exception, et les avait rassemblés dans un lieu à la mesure de sa démesure : l’arène de Rome, le Colisée. Tout avait été prévu ensuite : leur exécution bien sûr, mais surtout leur mise à mort live.

          Sur tout le pourtour de l’arène, des caméras avaient été disposées pour filmer et retransmettre en direct le discours que ferait le chef mafieux, Néron des temps modernes, précédant l’exécution rapide des 1 000 repentis rassemblés là. Surplombant l’arène depuis sa tribune, il jouissait visiblement de son coup d’éclat, d’autant qu’à ses côtés se tenait un jeune homme que peu reconnurent : Luca Falcone, le fils du célèbre juge, visiblement gagné à sa cause ou, tout du moins, soudoyé pour l’occasion.

          Toutes les personnes présentes, repentis terrorisés ou piétaille mafieuse qui les tenaient en joue, gardèrent de ce jour-là le même souvenir, une image : La Bestia s’approchant du micro pour donner l’ordre de ces exécutions, accompagné par le jeune homme qui, d’un geste discret, sortit prestement une arme de sa veste – le pistolet de service de son père, qu’il n’avait jamais voulu utiliser – et, affichant un sourire tout aussi satisfait, logea une balle dans la tête du Capo di Capi. Les caméras, qui tournaient toujours, gravèrent ce coup d’éclat pour l’éternité.

Contrainte : 

Plonger dans l’ombre

Vertige… Moi qui n’avais peur de rien, voilà que mon cœur se serre, que ma vision se brouille, et que mon ventre se soulève. Du haut de la grande sphère, j’avance dans la nuit et mes cheveux suivent le vent, me fouettant le visage. L’Azuroplin, avec sa cargaison de femmes et d’hommes mis à distance de la Cité, gronde doucement de ses 35 moteurs et se fraye un chemin entre stratus et cumulus. En bas, on aperçoit la rive, les forêts de conifères au loin. Et surtout le si vaste océan.

Ici seuls le commandant et sa seconde sont des Citoyens libres et savent où nous allons, sans doute nulle part, condamnés à tourner indéfiniment autour des terres émergées, devant rester visibles pour l’exemple mais aussi bannis à vie : Le navire aérien ne se posera à nouveau que lorsque nous aurons tous crevé. Pas de faim en tout cas. Le pouvoir des généraux nous entretient, et livre par de légers aéronefs non seulement l’hélium qui nous fait filer comme des nuages, mais aussi une grande diversité d’ingrédients que Nouk et son équipe ont plaisir à préparer. Ce qui lui fait dire « que l’on n’est pas si mal ici », et cela m’horripile.

Ici, nous ne servons plus à rien. Et d’ailleurs, ce que nous avons fait n’a servi à rien non plus. Sinon à faire empirer la situation. Avec notre Rêvons-lution, comme les slogans poétiques ne fonctionnaient pas pour réveiller les consciences, nous avons tout brûlé, et les têtes ne sont pas tombées, non, elles ont grillé comme des guimauves au bout de nos lance-flammes. Alors que nous pensions avoir le Palais à portée de conquête, la police secrète embusquée a chargé, avec ses canons à glace, et nous a stoppés, figés, net.

Depuis, nous le voyons depuis l’écran du soir qui diffuse sur la chaîne officielle nos 20 minutes de matraquage télévisuel (auquel on s’habitue, comme à toute torture mentale), le sourire du Général en Chef n’a jamais été aussi grand. Personne n’osera moufeter, ni même apparemment n’ose lui dire quand il a un bout de salade coincé en haut d’une incisive. Le nombre de caméras dans les rues a été doublé « et c’est un succès pour la lutte contre la racaille », les milices de voisinage bénéficient de reportages et de remises de médaille, et les robots chiens « capable de sentir l’aigreur des humeurs » et de repérer les propos séditieux sont devenus les nouveaux animaux de compagnie, ainsi qu’une caution de bonne citoyenneté.

Moi aussi, je me suis aigrie, alors que maintenant, je pourrais me sentir au-dessus de tout ça, n’est-ce pas ? J’ai réuni hier matin notre bande des quatre. Nous étions les meneuses et meneurs ; avec notre acronyme, TREN, pour Toski, Ram, moi, Elya, et Nouk, nous avions construit notre rhétorique autour de l’image d’un train qui conduirait les citoyens asservis et lobotomisés vers la sortie du tunnel. Au lieu de cela, nous avons juste foncé dans le mur.

C’est ce que je leur ai dit. Que nous n’avions pas fait les bons choix. Que nous aurions dû nous infiltrer au lieu de juste bêtement, « poétiquement », vouloir tout casser. Toski s’est levé, et ses poings serrés ont atterri brusquement sur la table du réfectoire, vide en cette première heure de l’aube. Ram est parti sans un mot. Nouk m’a prise dans ces bras.

Je sais qu’ils se sont réunis la nuit suivante avec les nouvelles têtes pensantes de notre communauté d’exilés poétiques. On les appelle le Tribunal de la Nuit. J’ai passé de longues heures à parler avec Nouk, je voulais qu’elle soit d’accord avec moi, comme lorsque nous avions décidé, héroïquement, de recouvrir les marches du palais de fleurs interdites, des pivoines rouges trop généreuses pour être honnêtes, au tout début de notre mouvement rêvons-lutionnaire. Cette nuit-là, elle avait réussi de justesse à m’embarquer sur sa moto chromée alors que j’étais à deux doigts, à un souffle plutôt (je le sentais dans mon dos), de me faire prendre.

Le Tribunal de la Nuit… Ils savent.

Ils savent que si, dans notre prison flottante d’acier et de verre, nous voulons survivre le plus longtemps possible, et le plus nombreux possible, il ne faut pas de voix discordante. La ligne est la suivante : continuons nos ateliers, nous avons une belle bibliothèque tout en acajou pour cela, composons de nouveaux slogans. Et je m’y étais pliée au départ, me disant que cela ferait passer ce temps d’éternité. J’avais même approuvé la condamnation d’Astor, l’un de nos amis qui avait alors bruyamment protesté, avait hurlé même que nous étions tellement stupides de poursuivre ce rêve qui ne servait à rien là on nous étions aujourd’hui.

Cette nuit, c’est mon tour. J’avance sur ce plongeoir au-dessus de l’abîme. La nacelle inférieure a griffé un dernier nuage et l’horizon s’est dégagé. L’eau est noire et je sais que depuis cette distance, elle ne m’accueillera pas dans ses bras fluides mais se comportera en dalle brutale, comme la roche qu’elle semble être vue d’ici, hérissée de pieux que sont les vagues de la tempête qui mugit tout en bas. Ici pourtant, au milieu du ciel, le seul vent est celui engendré par la vitesse de l’engin qui poursuit sa route dans la nuit paisible.

Depuis le premier étage de la sphère, je sais que les 53 autres occupants politiques attendent prosaïquement de me voir passer devant la vitre qu’ils ont, comme chaque semaine, astiquée pendant les travaux d’entretien journaliers. Ils n’ont même pas besoin de me pousser avec une longue pique ou en déclamant une harangue. Je sais que ma place n’est plus parmi eux. Je regrette, et je saute. Cette fois-ci, Nouk ne pourra pas me rattraper.

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Membre du Club depuis 2005, Magali participe au comité de lecture d'AOC et s'occupe activement des matchs d'écriture, qu'elle colporte dans plusieurs festivals dédiés à l'imaginaire. Accessoirement, redoutable mouche du coche professionnelle :)

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