Nicolas Cluzeau, auteur de plusieurs romans de Fantasy, également scénariste de jeux vidéos, développe ses récits au sein du même monde, le Nordhomme, dont il explore la géographie, les modes de vie des différents peuples qui le compose ainsi que les Dieux et Démons qui l’ont créé (euh, c’est pas l’auteur alors ?). Un croquis des lieux est d’ailleurs reproduit dans les premières pages du présent volume.
La ronde des vies éternelles est sous titré “ Le dit de Cythèle -l ”, qui laisse à penser qu’il y aura une suite, bien que le récit finisse (enfin pas tout à fait). Mais voyons l’histoire :
Quatre personnages voient leur vie basculer à cause d’un message mental, particulier à chacun, qui leur intime l’ordre de se rendre à Corollis, ville étrange perdue au milieu d’un décor effrayant, sans quoi ils mourront sous peu. Ces personnages proviennent d’horizons divers puisque Cythèle est une prêtresse du Dieu des morts Plutonis , Syrmaïl un mage de l’académie de Vilanôé, Brytomarte une officière de l’armée de la République Latte et Eringvard un changelin mi-elfe mi-homme. Tous quatre ont certains pouvoirs mais aussi et surtout des passés traumatisants et des âmes tourmentées. C’est donc leur périple jusqu’à et au cœur de Corollis qui fait l’objet de ce récit, qui va voir nos quatre protagonistes affronter leur passé mais aussi se confronter à des forces obscures, horribles et maléfiques et à des monstres de tout poil.
Après bien des épreuves, la raison et la vérité cachées derrière leur mission va émerger jusqu’au dénouement final.
Si le début est un peu long, le récit démarre véritablement à l’entrée dans le bourg de Corollis, le mystère s’épaissit et peu à peu le puzzle se reconstitue. Les personnages sont attachants quoique insuffisamment approfondis, les dialogues et les contacts sont vivants. Par contre les scènes de combats ainsi que les descriptions de paysages lassent un peu. Le découpage des chapitres entre plusieurs entités, (Dieux, demi-dieux, nos voyageurs), ajoutés à des références aux légendes et ouvrages du monde de Nordhomme, peut dérouter au premier abord. Et puis progressivement on comprend ce qui se passe et chaque partie s’intègre à l’ensemble. A la lecture de l’ouvrage, on oscille parfois entre Tolkien version gore et Lewis Caroll, entre des horreurs dont les détails choquent (le récit des quatre scènes de cauchemars est un grand moment de délire), et des situations cocasses voire absurdes ( la découverte des voyageurs par les habitants de Corollis : le chapelier fou d’Alice n’est pas loin).
Dans l’ensemble La ronde des vies éternelles est un ouvrage intéressant et agréable à lire, un peu inégal avec des passages où le lecteur est tenu en haleine et d’autres qu’on a envie de survoler, mais qui donne tout de même envie d’attendre le prochain tome.
Note : 2.0
Chronique de Jean-Pierre ‘931’ Binet
Pour qui ne s’est pas familiarisé avec l’univers de Nicolas Cluzeau par la lecture du Lai de Nordhomme ou les Chroniques de la Terre déchirée, ou encore des aventures de Harmelinde et Deirdre, parus voici dix ans aux éditions Nestiveqnen ou Fleuve noir, l’entrée en lecture de ce premier tome d’une tétralogie est assez difficile. Par la complexité des univers décrits. Par l’apparente indépendance des fils directeurs dont on se demande quand et comment l’auteur compte les nouer. Par la prolifération d’un style foisonnant, qui n’évite pas toujours des scories qu’une simple relecture aurait aisément éliminées. Simples broutilles, mais il est dommage qu’elles fassent broncher le lecteur et retardent sa découverte de l’essentiel : l’extraordinaire puissance émotionnelle et imaginative du récit.
Si l’art, selon Nietzsche, se partage entre une tendance apollinienne, liée au jour et à l’harmonie et une tendance dionysiaque inspirée par les sortilèges de la nuit, il est sûr que Nicolas Cluzeau peut se réclamer de la seconde. De même que Cythèle, son personnage principal, prêtresse de Plutonis qui fut (sera ?) Hadès dans un autre plan, puise ses forces dans l’énergie négative issue de son dieu, de même l’auteur puise son inspiration au plus noir et au plus chaotique de l’inconscient, et l’onirisme qui imprègne tout le roman est celui des cauchemars. Cluzeau invente d’ailleurs un très beau nom pour eux : les agories. On pense à la fois à l’agonie et à l’impasse logique. C’est un affreux cauchemar ou une hallucination née de la fièvre qui lance les personnages dans leur quête et un intermède onirique reprend les thèmes principaux de leurs obsessions. Car les fantasmes abondent, évidemment : fantasmes de dévoration, de décomposition, de crémation, de pénétrations meurtrières, par des armes ou des lianes ; ce ne sont que fleurs qui saignent, fleuve d’ossements, corps explosés et entrailles répandues. On découvre toutes les manières possibles et imaginables dont un corps et un esprit peuvent souffrir et mourir. La sexualité est négative ou destructrice le plus souvent. L’un rêve de violer sa mère puis de se tuer ; l’autre se « réveille » allongée à côté du cadavre pourrissant de son époux ; une autre n’a connu que prostitution et sévices ; et quand un humain s’unit à une divinité, il ou elle y perd au mieux son œil, au pire son âme ! Une brève idylle cède très vite le pas aux exigences de la quête, dont les terrains mêmes ont été imprégnés d’horreur : les montagnes nommées Les Effrois, par la lutte acharnée des filles de Jovir contre les Titans, la vallée circulaire de Corollis, par les meurtres et la folie mégalomane d’un pseudo démiurge.
Bref, ceux qui rêvent de fantasy lumineuse à base de fées, d’elfes et de preux chevaliers peuvent passer au large. De même ceux qui, sachant que l’auteur s’est beaucoup investi dans les jeux de rôle, attendent un scénario de type Donjons & Dragons. La ressemblance avec les archétypes du genre est trompeuse. Certes, les quatre personnages se répartissent en deux guerriers, un homme, Eringvard, une femme, Brytomarte, et deux magiciens, la hiérarche Cythèle et l’érudit introverti Syrmaïl, et l’auteur leur attribue un don ou une arme. Certes, le livre s’ouvre sur la traditionnelle carte d’un monde imaginaire, avec son Empire, sa république latte, ses Émirats, ses terres et ses mers. Mais le prologue se situe dans une autre dimension, reste de la Strate imaginaire d’un dieu fou dont les créations ont implosé, où d’autres divinités viennent cueillir une âme. Avertissement que tous les repères habituels (temps, espace, vie, mort, réalité, imaginaire, matière, esprit) vont être bouleversés. Même ceux qui distinguent le moi et l’autre, derniers remparts de notre esprit contre la folie. Et si nous ne sommes pas privés de combats, osons l’adjectif, titanesques, avec ce qu’il faut de suspense et de mouvement, il est bien rare qu’ils se mènent contre des adversaires « classiques », du type barbare envahisseur ou méchant troll. Non seulement les ennemis (comme les alliés, d’ailleurs !) sont des créatures surnaturelles, squelettes monstrueux et animés, êtres de roche et de foudre, cavaliers zombies, ondines, salamandres et cassetroncs, mais la plupart des combats, les plus significatifs en tout cas, se déroulent en esprit, contre des doubles, des cauchemars ou des bribes de personnalité arrachées à la mémoire. Et malgré la dimension cosmique du récit, les humains apparaissant comme les pions des dieux ou des démons (cette distinction étant aussi floue que toutes les autres), tout pourrait se résumer à une histoire de famille auprès de laquelle celle d’Œdipe ou des Atrides ferait figure de bluette sentimentale. Bref, le lecteur doit faire mentalement ce que les personnages sont contraints à faire matériellement : se dévêtir (de ses attentes) et se rhabiller entièrement de noir !
Note :
Chronique de Marthe ‘1389’ Mochorowski
Éditeur | Black Book |
Auteur | Nicolas Cluzeau |
Pages | 683 |
Prix | 9,90€ |
Nous en pensons ...
Notre avis
4.1
Si l’art, selon Nietzsche, se partage entre une tendance apollinienne, liée au jour et à l’harmonie et une tendance dionysiaque inspirée par les sortilèges de la nuit, il est sûr que Nicolas Cluzeau peut se réclamer de la seconde.