« Parabellum Tango » de Pierre Pelot

Le Domaine de l’Œil est-il vraiment le paradis que l’on nous promet ?

C’est sous la protection infaillible du Programme qu’habitent les seuls Citoyens, dans un domaine soumis à la Loi et surveillé par les  » Scruts  » vigilants, ces caméras indiscrètes et omniprésentes. Dans le Domaine de l’Œil, l’argent n’existe pas : tout Citoyen peut consommer selon son désir. Dans le Domaine de l’Œil, la maladie n’existe pas, ou presque pas : seules subsistent les attaques cérébrales ou cardiaques qui frappent et tuent avant que les Services de la Santé n’aient pu intervenir. Dans le Domaine de l’Œil, les soucis n’existent pas : le Programme vous prend en charge, vous trouve un travail, un appartement, une compagne ou un compagnon, le tout idéalement sélectionné selon votre profil psychologique de manière à ce que tout soit parfait à vos yeux.

Bien sûr, il y a la Loi. Il faut respecter la Loi pour mériter le bonheur offert par le Domaine de l’Œil, n’est-ce pas ? Et la Loi est bonne car c’est elle qui garantit à tout Citoyen sa part de paradis. Seul un fou en douterait. Art. 1 : La loi doit être prise comme telle, vénérée et entendue sans restriction aucune et sans qu’il soit admis l’exception car elle est essentiellement, dans sa formulation globale, règle vitale de la Société Parfaite des Citoyens Protégés. Et pour que la Loi soit parfaitement juste, chaque Citoyen a son Code de Loi Personnel (CLP), qu’il ne doit divulguer à personne. Le CLP est spécialement adapté, encore une fois, au profil psychologique de l’individu pour s’assurer de son intégration dans le système. Il ne peut pas en discuter ou s’interroger sur les raisons sous-jacentes car seul le Programme a la vision d’ensemble nécessaire pour prendre les décisions à sa place. Pour évacuer la tension que pourrait ressentir le Citoyen devant l’interdiction de parler de son CLP, le Programme lui fournit un Animal de Compagnie, sorte de peluche artificielle avec toutes les apparences du vivant, avec qui il est autorisé à parler de tout.

Ce qui n’est pas le Domaine de l’Œil est le Hors-Vue… Le Hors-Vue ressemble beaucoup au monde d’aujourd’hui, du moins aux parties les plus pauvres. On y vit, on y travaille, on y meurt, on y rêve à un monde meilleur… Le décor ainsi planté, l’auteur nous propose trois points de vue qui se croisent et s’entrechoquent : celui de Woodyn Noman, l’homme pour qui accéder au Domaine de l’Œil est un idéal de vie ; celui de Girek, le chanteur contestataire qui crache sur ce paradis artificiel et voudrait ouvrir les yeux du peuple ; celui de Airie Cobral, la Veilleuse qui connaît et accepte les rouages du système, allant jusqu’à les huiler quand ils en ont besoin.

La problématique n’est pas nouvelle, depuis le Big Brother orwellien de 1984 en passant par le Cercle et le Hors-Cercle de J.J.Nguyen.(2) On a pu voir déjà ces univers sur-veillés, sur-protégés, qui masquent plus ou moins bien leurs facettes inhumaines… La société humaine parfaite est-elle une dictature  » éclairée  » ? Peut-on imposer le bonheur au plus grand nombre au prix de quelques entorses à l’éthique ? Que se passe-t-il lorsque le système dérape ? Il est naturel que la S.-F. se pose ces questions quand on voit aujourd’hui les ordinateurs du FBI établir des profils psychologiques d’écoliers, les classant sur une échelle de 1 à 10 selon leur potentiel de danger pour la société ; quand l’individu voit son profil de consommateur grossir les banques de données d’Internet ; quand l’employé voit son profil psychologique alimenter les fichiers des ressources humaines… Sans parler des caméras de surveillance qui fleurissent çà et là dans nos villes selon l’humeur de nos ministres, et jusque dans les entreprises… Je ne résiste pas à la tentation de mentionner enfin le fameux réseau d’écoute anglo-saxon Echelon, qui épie conversations téléphoniques et E-mails par millions et qui vous classe comme terroriste potentiel pour peu que vous employiez certains mots ! Bref, ne soyons pas paranoïaques, mais vigilants…

Finalement la grande force de ce roman, à mon avis, est de nous offrir de l’intérieur les réactions d’êtres humains qui nous ressemblent beaucoup, face à un système totalitaire pas si irréaliste que ça.

 

Chronique de David ‘1098’ Monchaux

Éditeur Denoël
Auteur Pierre Pelot
Pages  215
Prix 46Frs

Nous en pensons ...

Notre avis

3.3

La grande force de ce roman est de nous offrir de l’intérieur les réactions d’êtres humains qui nous ressemblent

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A propos de Richard

"Ça mériterait un bon coup de pinceau" que j'ai eu la folie de dire. "Tiens voila les clés" fut leur réponse. Voila comment on se retrouve webmaster chez PdE...

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