C’est typiquement le type de livre qu’on écrit pour se faire plaisir. Naomi Novik se souvient pêle-mêle de tous les émerveillements de certaines enfances : les prouesses des aviateurs de la RAF ou les hardiesses des capitaines, corsaires ou non, du temps de la marine à voile, les légendes de dragons et de chevaliers ; elle mêle à cela une prédilection pour l’époque « Regency » anglaise, « Premier Empire » pour les Français ; la lecture, sans doute du grand classique en matière de dragons, la saga d’Ann Mac Caffrey. Et tout cela donne, ma foi, un très agréable roman dont l’intérêt ne se relâche pas tout au long des 417 pages de la version française. Pour apprécier le travail du traducteur, allez lire sur le blog de Naomi Novik la transcription automatique en français de la première page. La comparaison est à pleurer de rire !
Pilule un peu difficile à avaler pour notre chauvinisme, les Français, comme souvent décidément dans les films ou la littérature anglo-saxonne (voir l’utilisation de Lambert Wilson dans Matrix !) ont le mauvais rôle. Ce sont eux que combattent les fameux « Dragons de sa Majesté ». Inutile de préciser qu’il s’agit de dragons au sens propre, des bestioles ailées, enfin, quand je dis bestioles… de 50 à 120 pieds pour un poids calculé de 10 à 50 tonnes !
Nous sommes donc dans une histoire parallèle où Bonaparte, affreux tyran (certains diront que ce n’est pas si faux que cela !), se prépare à envahir l’Angleterre. Bien sûr, lui aussi a des dragons, et bien supérieurs en nombre. Il faudra toute la vaillance des patriotes anglais pour résister. Jusque là nous ne sortons pas du bon roman d’aventure et de guerre où la Royal Navy et la Royal Air Force se taillent la part du lion… britannique, évidemment.
Le charme spécifique du roman tient au traitement très jules-vernien du thème. On nous livre des poids, des mesures, des schémas précis. On rationalise à tout va. On explique pourquoi, malgré leur énormité, les dragons peuvent voler, pourquoi ils sont énormes malgré un squelette étonnamment fin. Comment on doit le calculer, ce fameux poids de 10 à 50 tonnes, non dans l’absolu, mais en tenant compte des sacs organiques remplis d’un gaz plus léger que l’air qui le compensent, etc., etc. Et surtout, il y a plus de variété encore que dans la série de Pern. Ann Mac Caffrey avait imaginé quelques couleurs et des tailles plus ou moins grandes, mais selon un schéma identique. Naomi Novik livre à la fin du livre une trentaine d’espèces dragonesques, françaises, anglaises, chinoises et même incas ! Dans cette histoire parallèle, visiblement, les conquistadores n’ont rien conquis du tout. On se fait plaisir de temps en temps…
Et quels beaux noms ! Yellow Reaper, Pascal’s Blue, Flamme de Gloire, Fleur de Nuit, Cauchador Real, Copacati…
Pour le reste, je vous renvoie à Sir Edward Howe, sommité reconnue dans le domaine, qui sait des dragons tout ce qu’il y a à en savoir et dont les livres savants sont largement cités. Il fera lui-même une apparition sympathique dans le roman…
Car toute cette érudition pourrait lasser si elle restait livresque. Mais elle est un enjeu primordial pour le personnage auquel nous nous attachons, le capitaine Will Laurence. Nous nous instruisons en même temps que lui, loyal capitaine de navire devenu bien malgré lui pilote de dragon, ce qui apparaît comme une catastrophe, socialement parlant. Avec humour et finesse, Naomi Novik analyse les préjugés de la société anglaise, la raideur de ses conventions. L’un des apprentissages de Laurence, et non des moindres, sera de dépasser ces limites, d’oublier toutes les règles très strictes auxquelles il se plie sans discussion comme « officier et gentleman ». Horreur suprême, il y a des femmes pilotes !!! Le pauvre Laurence s’en désagrège de confusion, ne sachant comment les traiter.
Mais l’essentiel, le plus émouvant et le plus intéressant en fin de compte, c’est bien sûr la relation d’amitié qui va peu à peu unir Laurence à une créature en qui il a vu d’abord la fin de toutes ses ambitions. Naomi Novik réutilise le thème de l’Empreinte qui lie un dragon à un homme, dès l’éclosion. Ce n’est pas nouveau : on retrouve encore Ann Mac Caffrey, mais aussi Eragon. Pourquoi se priver d’une bonne idée ? Les fameuses Lois robotiques d’Isaac Asimov ont-elles aussi fait du chemin… Cependant, le lien est moins fort que dans les cycles en question. Le dragon peut à la rigueur changer de pilote, voire s’en passer complètement. Comme ils vivent plus longtemps que les humains, on pense à la succession ! L’auteur prête aussi aux dragons, à Téméraire en tout cas, l’amour des livres et de notables capacités linguistiques ou mathématiques ! Cancre achevé jadis, Laurence est obligé d’acheter pour Téméraire, son dragon, des traités mathématiques auxquels lui ne comprend rien, mais que Téméraire lui explique !
Autre variation, si le dragon a un attachement particulier pour son pilote, il peut aussi porter tout un équipage, et se fait canonner ou aborder ni plus ni moins qu’un vaisseau volant ! Chaque espèce a une attaque particulière : des jets d’acide pour les Longwings, par exemple.
En contrepoint à l’histoire émouvante et drôle d’un pauvre bougre de marin plein de bonne volonté qui apprend comme il peut son nouveau métier et découvre son compagnon, on suit la tragédie d’un pauvre Winchester (le plus petit des dragons) qu’on a attribué à quelqu’un d’indigne et qui lui reste cependant fidèle jusqu’à la mort.
On découvre aussi des techniques de pêche ou de sauvetage tout à fait originales, et de jeunes aspirants qui deviendront sans doute les héros d’autres romans…
Affaire à suivre…
Chronique de Marthe ‘1389’ Machorowski
Éditeur | Pocket |
Auteur | Naomi Novik |
Pages | 431 |
Prix | 7,30€ |
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Notre avis
4.6
Avec humour et finesse, Naomi Novik analyse les préjugés de la société anglaise, la raideur de ses conventions.