Votes pour le match d’écriture Imaginales 2016: « Humain 1ère catégorie : 3 écus le kilo »

« HUMAIN 1ERE CATÉGORIE : 3 ÉCUS LE KILO »

Végétariens et végétaliens s’abstenir ! Voilà un thème qui sent bon la grillade et les merguez !

  • Un homme en or
  • Humains première catégorie : 3 écus le kilo
  • Le banquet du chef
  • Le sacrifice
  • Deux poids, deux mesures
Contrainte 1 Une boussole qui pointe à l’ouest

UN HOMME EN OR

Le « Faucon » était revenu au port de Corescittà, rutilant et magnifique sous la lumière du soleil, avec à son bord des marchandises précieuses des colonies. Ce vaisseau superbe repassait tous les trois ans, et Martin rêvait de pouvoir y embarquer depuis sa plus tendre jeunesse. Lui qui n’avait connu que le sable de sa terre natale, qu’il n’avait jamais quittée, et qui recouvrait tout, il pensait chaque jour aux océans d’Amadée, aux plages de Beetiver et à toutes les munificences que les voyageurs et les clients de son père lui vantaient au retour de chacune de leurs missions.

Le père de Martin, Peeter, était mécanicien au port. C’était un ouvrier doué dont nombre de marins louaient les services. Lorsque quelqu’un avait un souci avec son véhicule dans la ville de Corescittà, c’était dans son atelier qu’il venait. Voilà près de cinquante années qu’il travaillait dans ce domaine, et sa réputation s’était étendue bien au-delà de la planète. Mais la réputation de son fils Martin, en revanche, était loin d’être aussi bonne. Lorsqu’on est un humain de quatrième catégorie, dans son cas handicapé et obèse, on a beau être honnête et pourvu de qualités morales, on n’en est pas moins regardé, au mieux, avec condescendance, et au pire, avec haine.

Une relation tendre unissait Martin et son père. Ils se chérissaient et prenaient soin l’un de l’autre. Peeter savait bien que son fils était malheureux et ne trouverait le bonheur que s’il pouvait partir sur Amadée, ou même Chocran, à défaut ; en tous les cas, dans un endroit où on ne le maltraiterait pas pour sa différence. Mais Peeter savait également que son cher fils rêvait trop, et que jamais sa vie ne changerait. Que ce soit sur Amadée ou dans les landes de Beetiver, les humains étaient tous aussi cruels et bêtes, aussi intolérants et mesquins.

Le « Faucon » était un vaisseau régi par des lois centenaires. Quand les constructeurs l’avaient mis en service, ils avaient produit avec lui un règlement long comme la barbe d’un sage, et des conditions d’embarquement injustes et drastiques. Ses augustes ingénieurs étaient tous des humains de première catégorie, aux corps parfaits, mais aux valeurs rétrogrades. Pour eux, n’avaient de place sur leur navire que les humains en bonne condition, les hommes forts, tous ceux qui pouvaient être utiles dans les colonies. Les autres étaient autorisés à embarquer tout de même, ils n’avaient pu refaire les lois de la société ; mais le prix du billet devenait rédhibitoire pour ces indésirables. L’une de ces règles voulait que le billet soit réglé au poids : plus on était lourd, et plus le billet coûtait cher. Ainsi, Martin, qui approchait, suite à une maladie, des cent-vingt livres, aurait dû débourser, à douze écus du kilo pour un humain de quatrième catégorie pour lui, la somme de 1440 écus, ce qui était impensable. Lui-même, par son emploi d’assistant de l’atelier de son père, n’en gagnait qu’une trentaine par an. Jusque-là, il n’était parvenu qu’à obtenir un pécule de 300 écus, ce qui était tout de même conséquent pour un habitant de Corescittà. Il aurait fallu qu’il parvienne à monter de catégorie pour pouvoir partir, car un humain de première catégorie ne payait que trois écus par kilo. Même passer en troisième lui aurait suffi, il aurait ainsi économisé 480 livres en faisant descendre le billet à 960, ce qui, avec un emprunt et quelques années supplémentaires, serait difficile à payer, mais plus impossible. Mais pour cela, comment faire ? Entre son poids considérable et ses jambes manquantes, c’était impensable.

Mais Peeter, en secret, avait résolu de l’aider. Puisque son fils n’abandonnerait jamais l’idée de partir, il l’aiderait, quel que soit son avis sur son avenir possible. Cela faisait depuis trois arrivées du « Faucon », soit la neuvième année, qu’il travaillait dans sa réserve, à l’abri de tous les regards, sur un projet.

Lorsqu’il vit le « Faucon » apparaître derrière les nuages ce matin-là, il emmena Martin dans la réserve : il pouvait enfin lui révéler son stratagème.

*

Martin se présenta à l’embarquement du « Faucon » en début d’après-midi. Il soupira, se tripota nerveusement les doigts, très angoissé à l’idée que rien ne se passe comme prévu. S’il se faisait refouler lors du contrôle, il serait interdit de vol, ne pourrait jamais plus retenter sa chance, et finirait immanquablement ses jours dans l’atelier de mécanique. Un instant, l’idée d’abandonner son vieux père lui brisa le cœur, mais fut vite remplacée par la perspective de toutes les merveilles auxquelles il rêvait depuis tant de temps, se réalisant enfin. Oh, pouvoir plonger ses doigts dans l’eau chaude et non polluée, au lieu du sable de Corescittà qui recouvrait tout, s’infiltrait jusque dans vos poumons… Il n’en pouvait plus de tout ce sable, de ces étendues jaunes et rouges qu’il ne connaissait que trop. Mais être libre, là-bas, dans les villes sauvages où on ne le connaissait pas, sentir un vent frais lui caresser le visage ! Oui, recommencer sa vie, être un nouvel homme, c’était cela qu’il voulait !

Il se gratta un peu le ventre. Les prothèses lui faisaient mal et grinçaient désagréablement. Mais c’était étrange, et réconfortant à la fois, de pouvoir enfin marcher, même pesamment. De pouvoir faire la file d’attente comme les autres. De pouvoir espérer, comme les autres. Il ne restait plus d’ailleurs que trois personnes devant lui, les employés du contrôle travaillaient efficacement. Il mit les mains dans les poches de son pantalon et tâta pour vérifier une dernière fois, mais précaution inutile, que sa bourse était bien dans une poche, et son aimant dans l’autre.

Enfin ce fut son tour. L’employée lui lança un sourire bienveillant, qui lui parut de bon augure. Avec la machinerie de son père, il était vrai qu’il ressemblait désormais à un homme imposant et costaud, plutôt qu’à un obèse impotent. Il monta sur la balance, levant pesamment ses pieds de métal, et, les mains toujours dans les poches, dirigeât doucement les branches de l’aimant vers elle. L’aiguille de la boussole qui montrait son poids montrait l’ouest… et ses cent-vingt livres. Martin eut une bouffée de sueur. L’aimant ne marchait-il pas ? Mais l’aiguille, affolée un instant, pointa en-dessous des cent livres. Martin la stabilisa à ce poids-là, car il fallait bien que les données parussent vraisemblables. Tremblant, il attendit le résultat. Forcément, l’employée du contrôle s’en rendrait compte, elle verrait bien, comme les autres avant lui, qu’il n’était pas un homme… un homme première catégorie. L’employée leva les yeux vers lui et lui annonça :

« 98 livres, monsieur. Pour un humain bâti tel que vous, cela fera donc, à 3 écus le kilo, un billet à 294 écus. »

Martin soupira de soulagement, ne pouvant y croire, et sortit de sa bourse la somme demandée. 294 écus ! Incroyable, cela avait marché ! Son père avait réussi ! Il irait voir les océans violets d’Amadée, les plages de Beetiver, les mondes entiers, tout l’univers !

Avant de s’embarquer sur le « Faucon », de s’envoler vers les étoiles et d’atteindre ses rêves, il se retourna un instant vers son père, qui le suivait des yeux un peu plus loin, pour lui lancer un sourire empli de gratitude et de promesses.

Martin remercia l’employée, puis entra, de son pas pesant, mécanique et maladroit, dans le vaisseau qui changerait sa vie.

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