Votes pour le match d’écriture des Imaginales 2021 : « Quoi ? mon numéro de sécu commence par 3 ? »

Binaire, trop binaire qu’on vous dit ! Vous le sentez le souffle du changement depuis quelques années maintenant ? Sincèrement, 1 ou 2 aujourd’hui c’est limite ringard. Vu le nombre de chiffres (cette formule est étrange) à disposition, autant se libérer des carcans et explorer une nouvelle réalité administrative non ?


  • La musique adoucit les mœurs
  • Marginal
  • Président, ça suffit
  • Mon numéro de sécu commence par un 3 (1)
  • Mon numéro de sécu commence par un 3 (2)
  • La vérité est ailleurs
Contrainte 1
Sur le trottoir
Contrainte 2 Une clé de chiffrement

LA MUSIQUE ADOUCIT LES MŒURS

Morgane marcha le long du trottoir, accompagnée de ses deux fils, leurs  mains sur le nez.

« Maman, grimaça Erwan, le plus âgé, ça pue ici !

— Je sais mon chéri, mais nous devons attendre les nettoyeurs de chaussée. 

— Moi je ne comprends pas, répond le deuxième, je lave ma chambre quand elle est sale.»

La situation devenait critique dans les rues de Brest, les immondices s’accumulaient sur le bitume. La saleté, les fientes, les poubelles. Les habitants espéraient la pluie comme jamais un Breton ne l’avait souhaité. Mais elle avait décidé de quitter le Finistère à l’arrivée des nouvelles directives de la capitale. Comme si elle déclarait forfait avant même de se battre.

La constitution  venait de se modifier et de revenir sur la séparation de l’œuf et de l’État. Les coqordéons devaient désormais être adulés, prendraient leur nourriture où ils le voudraient. Une terre lui avait été cédée : toutes les rues de France. Les êtres humains se devaient de rester sur leurs trottoirs ou sur les bas chaussés sans jamais fouler le territoire des Dieux-Coq.

Les garçons se bagarraient comme à leurs habitudes, Erwan effrayait le plus jeune, Yann, qui répondait en lançant des coups de pied vers le postérieur de son frère. Mais alors que la dispute s’amplifiait, Morgane vit un doudou voler dans les airs. Monsieur Coquin atterrit sur le ventre, la face contre un tas de déchet, en plein milieu du giratoire. Les trois têtes se tournèrent vers le voltigeur et avant que sa mère ne puisse réagir, Yann couru à toute jambe pour chercher son doudou.

«  Yann ! hurla Morgane avant de continuer en chuchotant presque, reviens ici tout de suite. »

La jeune femme savait que si les nettoyeurs de chaussées n’étaient pas encore arrivés dans leur Terre lointaine, les agents de sécurité supplémentaires avaient même eu de l’avance. Ils ne laissaient passer aucune infraction.

Le petit garçon jeta un regard coupable à sa mère avant de se retourner vers son précieux doudou. Il se faufila pour marcher sur le macadam plutôt que sur les salissures suspectes et atteint son but avec succès. Il souleva le petit ours avec les yeux brillants de fierté, se moquant des nouvelles tâches qu’il pouvait trouver dessus. Il fit demi-tour pour retrouver sa famille quand les sirènes vibrèrent au bout de la rue. 

Morgane approchait la mairie d’un pas vif, tirant Erwan par le bras. Elle était furieuse et ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait pas récupérer son petit garçon. En passant la porte, elle put lire la nouvelle devise gravée sur le fronton : Liberté et Égalité aux Gallinacés. Elle pouffa intérieurement.

Elle connaissait les lieux par cœur et se dirigea vers le guichet principal.

«  Je voudrais récupérer mon fils, ils n’ont pas le droit me l’enlever. Il a six ! Vous vous rendez-compte de ce qu’il vit en ce moment ? J’exige qu’on me rende mon fils, maintenant ! Vous comprenez ce que je suis en train de vous dire ? »

L’homme devant elle cligne trois fois des yeux avant de répondre de façon monocorde :

« Votre nom s’il vous plait. »

Morgane ne desserra pas la mâchoire, elle n’allait pas avoir une réponse immédiatement.

« Morgane Kergebalek »

« Numéro de sécurité sociale, continua l’homme sans faire de phrases complètes. »

La femme répondit, dictant le code qu’elle connaissait par cœur. À sa gauche, Erwan revint en courant lui annoncer qu’il y avait un coquordéon dans la mairie. Il était surexcité.

«  Dis Maman, dit-il en sautillant partout, tu crois qu’on va l’entendre, dis-moi ! Tu crois qu’on va l’entendre ? »

Morgane fit taire son fils d’un regard. Elle avait bien plus important à faire pour le moment. Elle lui intima de repartir vers la créature. En le suivant du regard, elle put voir l’animal, ou plutôt la nouvelle Divinité française. La bête, grosse comme trois beaux coqs bretons ressemblait fort aux volailles qui courraient dans le poulailler des parents de Morgane. Seulement, il avait un abdomen en accordéon qui lui avait donné ce nom si particulier. Les journaux donnaient des pouvoirs magiques à leurs chants, mais la jeune femme n’accordait aucun crédit à ses suppôts du gouvernement. Ils étaient devenus complètement fous.

La voix de l’hôte d’accueil la fit revenir à la réalité.

«  Votre numéro n’est pas bon. »

Morgane le répéta alors, deux fois. Puis sorti sa carte de sécurité sociale pour vérifier, c’était bien le bon.

« Cela doit être à cause de la clé de chiffrement, dit l’hôte, toujours sans ton dans sa voix ».

Morgane ne comprenait pas ce que cela voulait dire. Et surtout, en quoi cela l’empêchait de retrouver son fils. Elle insista, Yann devait être terrorisé sans elle.

«  Cela doit être à cause de la clé de chiffrement, répétait l’hôte, à chaque tentative en notant le numéro erroné. »

Morgane devint soudain aussi menaçante dans sa posture qu’elle l’était dans la voix. Cela eut pour effet de débloquer le responsable de l’accueil.

«  Votre date de naissance, s’il vous plait. »

Morgane la grogna entre ses dents. L’ordinateur émit un petit bruit de satisfaction et l’hôte sourit.

«  J’ai trouvé votre dossier. Le numéro était effectivement erroné. Le bon est le 3… »

— Quoi ? Mon numéro de sécu commence par 3 ? répliqua-t-elle

— Tout à fait, répondit-il.

— Ce n’est pas possible. Le premier numéro, c’est pour le genre. Le 1 pour les hommes et le 2 pour les femmes.

— Pas depuis que nous avons reçu les clés de chiffrement de la sixième république. Le 1 est pour les coqordéons. Et vous avez donc le 3.

— Mais vous êtes complètement malade ma parole ! Ce sont des poulets ! Des poulets, vous comprenez ? Qui font « cot-cot » et qui finissent en nuggets !

L’homme en face parut abasourdi et la coupa sèchement :

«  Ce mot est interdit aujourd’hui ! »

Morgane allait se jeter sur lui pour lui faire manger sa cravate quand une valse musette se mit à résonner dans le hall de la mairie. Le coqordéon avançait suivi d’Erwan en faisant jouer son abdomen. Cela rendait sa démarche hypnotisante et la musique qui sortait de son gosier n’avait rien à voir avec les réveils de l’enfance de Morgane.

«  Nous devions parler de votre fils, c’est cela ? dit l’homme d’une voix assurée.

— Oui, répondit calmement Morgane, il a été arrêté parce qu’il marchait sur la route. Je sais que cela est interdit, mais il cherchait son doudou.

— Ce sont des choses qui arrivent, continua l’homme sur le même ton. De plus, je vois que votre fils est très jeune, il apprendra avec l’âge les nouvelles règlementations. Je vais aller le faire chercher.

— Je vous remercie.

— Votre nouveau numéro de sécurité sociale devrait arriver sous peu dans votre boite aux lettres, mais je vous le note au cas où. Les nouvelles clés de chiffrements nous ont pris un peu au dépourvu.

L’homme tendit un papier à la jeune femme et partit dans un des nombreux couloirs derrière lui. Le coqordéon s’arrêta de jouer.

Morgane eut l’impression de se réveiller d’un rêve, elle était un peu sonnée. C’était comme si elle n’était pas maître de ses émotions. Les mots qui étaient sortis de sa bouche étaient les siens, mais l’intonation lui avait été guidée. Et plus important encore, elle avait réussi à obtenir la libération de son fils.

Yann couru vers elle en souriant, caressant le Dieu-coq au passage. La famille était réunie et Morgane n’arrivait pas à savoir ce qui motivait tant sa colère quelques minutes auparavant.

Ses deux enfants près d’elle, la femme sortit au grand air. La lumière les atteint aussi vite que l’odeur immonde qui régnait sur la place. Morgane s’arrêta et se demanda ce qu’il s’était vraiment passé. Elle avait été témoin de la « magie » des coqordéons. Est-ce qu’ils apaisaient les disputes, permettaient d’atteindre ce qu’on désirait vraiment fort ou aidaient l’administration française se simplifier ? Morgane n’en savait rien, mais, à ce moment, elle se dit que cela valait peut-être la peine de leur laisser une place, un numéro de sécu, ou même tout le bitume. Elle était avec ses fils et peut-être eux aussi vivraient-il ces moments de « magie ».

Dans la mairie, derrière, le coqordéon retourna près de son temple miniature empli de nourriture. Il prenait du pouvoir chaque jour, manipulant les êtres humains pour un jour en faire des esclaves. Mais leurs véritables intentions devaient rester dans l’ombre encore plusieurs mois. Et il n’échouerait pas dans sa mission : devenir le prochain Gouverneur de Bretagne.

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  • Président, ça suffit24.49%
  • Quoi ? Mon numéro de Sécu commence par un 3 ?4.08%
  • La musique adoucit les moeurs2.04%
  • La vérité est ailleurs2.04%
  • Quoi ? Mon numéro de sécu commence par 3 ? (2)0%

About Mia-

Membre du Club depuis 2005, Magali participe au comité de lecture d'AOC et s'occupe activement des matchs d'écriture, qu'elle colporte dans plusieurs festivals dédiés à l'imaginaire. Accessoirement, redoutable mouche du coche professionnelle :)

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