Ce roman commence très fort avec un long récit à la deuxième personne du pluriel. Sans être révolutionnaire, ce procédé narratif est très rarement utilisé, notamment en science-fiction. Il est difficile à manier, mais redoutablement efficace pour immerger le lecteur au plus profond du ressenti des personnages. Ici, nous sommes au cœur d’une attaque pirate, et de ses conséquences sur les enfants capturés lors de l’assaut.
Jos Musey n’a que huit ans lorsque son foyer est ainsi rayé de la carte spatiale. Pour son malheur, c’est « un bel enfant », combatif et malin. Toutes les qualités pour survivre à l’éducation pirate, rude et retorse. Les mots ne seront jamais prononcés, ni dans la partie en « vous », ni dans le reste du roman, mais il est évident que les sévices sexuels sont au rendez-vous et marqueront définitivement Jos. Heureusement, les qualités qui le font apprécier de ses geôliers lui donneront le courage et l’énergie de faire une chose incroyable : lors de sa toute première sortie dans une station spatiale, il profitera de l’attaque-surprise lancée par les Strits pour se jeter littéralement dans leurs pattes, trop occupé à échapper à son tortionnaire pour se poser la moindre question sur ce qui pourra bien lui arriver s’il est capturé par ces aliens.
Et qui sont-ils, d’ailleurs, ces Strits ? Leur vrai nom est « Striviirc-na », ce sont des extra-terrestres contre qui l’humanité est en guerre. Avec les pirates, ils forment les deux menaces spatiales que les vaisseaux de guerre de ConcentraTerre combattent férocement. Jos a d’ailleurs longtemps eu la crainte que son vaisseau d’origine soit pillé par le Warboy, le chef de guerre des Striv’. C’était avant de devenir esclave chez les pirates. Et voilà que ce sont des Striv’ qui deviennent ses sauveurs. Cependant, il faudra des années à Jos pour accorder sa confiance au Warboy, un humain élevé dans la culture Striviirc-na, qui arbore de nombreux tatouages représentant son rang, sa caste, ses devoirs. Commence alors pour Jos l’apprentissage de l’affection retrouvée, mais aussi de ce qu’est une planète, de la société Striviirc-na et d’une nouvelle langue. Puis ce sera le temps de la guerre, avec un rôle très particulier dévolu à ce jeune garçon qui dispose d’une identité bien réelle et bien vérifiable dans l’univers de ConcentraTerre : espion. Mais pas n’importe où, sur l’un des plus importants vaisseaux de guerre humains. Une quatrième vie pour notre héros. La dernière ?
Karin Lowachee livre un roman à mi-chemin entre le space opera empli de batailles, le passage de l’enfance à l’âge adulte et la réflexion sur les politiques expansionnistes. Cependant, on peut regretter le manque de subtilité de l’auteur (les extra-terrestres ne sont ni racistes, ni avides du bien d’autrui comme le sont les humains), la peinture d’un monde alien orientaliste paradoxalement très proche de certaines cultures terriennes, et une fin vite expédiée et relativement téléphonée. On appréciera malgré cela l’effort de pondération (il y a des salauds de chaque côté) et le réalisme des personnages. C’est le point fort majeur de ce livre, qui a certes d’autres qualités, mais c’est la plus marquante : les protagonistes sont intéressants, cohérents, travaillés, il est facile de les comprendre, de les soutenir, de leur souhaiter le meilleur (ou le pire, pour certains). Et aussi, petit détail qui réjouit mon cœur d’Européenne : voilà une auteure qui n’oublie pas que si la colonisation de l’espace par les humains arrive un jour, les Américains ne seront pas les seuls à embarquer ; nous rencontrons donc des patronymes de toutes origines, même si les anglo-saxons sont majoritaires. Voici donc un roman de SF hautement recommandable, à apprécier sans modération.
Chronique de Sandrine ‘1321’ Gacquerel
Editeur | Le Bélial |
Auteur | Karin Lowachee |
Pages | 560 |
Prix | 24€ |
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Notre avis
4.1
Roman à mi-chemin entre le space opera empli de batailles, le passage de l’enfance à l’âge adulte et la réflexion sur les politiques expansionnistes